Depuis que le gouvernement canadien a annoncé en décembre 2021 son intention de régler la situation des 300 000 à 600 000 migrants estimés comme vivant sans autorisation au Canada, les organisations de la société civile et les représentants des migrants ont demandé à Ottawa de mettre en place un vaste programme de régularisation visant à leur donner un statut.
Des partisans de la régularisation, tels que le Conseil canadien pour les réfugiés, ont fait valoir que la situation actuelle est principalement due aux changements et aux lacunes des politiques d’immigration, et que le gouvernement a « l’obligation d’offrir des voies vers la permanence à ceux qui ont été poussés vers la précarité ».
Les contributions économiques et sociales majeures des sans-papiers ont également été soulignées, ainsi que la nécessité de mettre fin à leur abus et à leur exploitation.
On a beaucoup écrit sur les raisons pour lesquelles un programme de régularisation est nécessaire, mais moins sur ce à quoi devrait ressembler un programme efficace. Pour ce faire, il importe de comprendre qui sont ceux et celles qui vivent parmi nous sans statut et sans accès aux droits fondamentaux au Canada. Toutefois, comme nos recherches l’ont montré, la composition de la population des sans-papiers au Canada est diverse et complexe.
Examiner les expériences des migrants
En 2018, notre équipe a reçu un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour mener un projet de cinq ans examinant la situation des migrants temporaires au Canada et leurs expériences dans ce pays.
Nous avons cherché à étudier la multitude de statuts juridiques détenus par les migrants temporaires et à explorer pourquoi et comment les migrants entrent dans un statut juridique légal et en sortent.
Le projet comprenait des recherches sur le terrain menées entre octobre 2019 et juin 2022 dans quatre provinces: l'Alberta, la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec. Il se concentrait majoritairement sur les grandes villes de ces provinces (Calgary, Edmonton, Toronto, Montréal et Vancouver), mais incluait également des communautés plus petites (Brooks, Nanaimo, Windsor et Québec, respectivement). L’équipe de recherche a mené des entretiens avec 148 migrants ayant vécu l’expérience d’avoir un permis de travail temporaire, d’avoir perdu leur statut et d’avoir tenté d’obtenir ou de retrouver un statut d’immigration sûr.
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Les migrants participants venaient de 35 pays et avaient des expériences diverses. Par exemple, certains étaient entrés au Canada en tant que travailleurs migrants temporaires, tandis que d’autres étaient arrivés en tant que demandeurs d’asile, visiteurs ou étudiants étrangers. En outre, 63 entretiens ont été menés avec des acteurs clés (par exemple, des fonctionnaires municipaux, des chercheurs, des représentants des migrants et des praticiens «sur le terrain», tels que des prestataires de services juridiques et autres).
Deux résultats méritent d’être soulignés.
Des expériences variées
Premièrement, les trajectoires des migrants temporaires sont loin d’être linéaires et prévisibles. Conformément à d’autres recherches récentes, ces trajectoires impliquent de multiples changements de statuts juridiques qui prennent du temps: de statut à sans statut, de permis d’étude à permis de travail, de permis de travail à permis de séjour temporaire, de permis de travail ouvert à permis de travail spécifique à l’employeur, pour n’en citer que quelques-uns.
Dans leur lutte pour conserver ou retrouver leur droit de séjourner et de travailler au Canada, 66% des migrants participants sont passés au moins trois fois d’un statut de migration temporaire à un autre. Cela signifie qu’il n’y a pas de relation claire entre le fait d’arriver dans une catégorie d’immigration spécifique et le fait de perdre son statut une fois arrivé au Canada.
Deuxièmement, les changements de statut – s’ils sont réussis – impliquent principalement le passage d’un statut temporaire à un autre statut temporaire et mènent donc rarement à la résidence permanente; ils peuvent également conduire à l’absence de statut.
Au moment des entretiens, 80% des migrants participants n’avaient pas de statut permanent, tandis que 20% seulement avaient obtenu la résidence permanente ou la citoyenneté. Cela signifie qu'ils étaient nombreux à avoir échoué dans leurs tentatives de régulariser leur statut, que ce soit par le biais d’une demande de résidence permanente ou d’une autre catégorie temporaire.
Cela reflète ce que les recherches récentes et les rapports politiques notent à propos des voies d’accès très limitées à la résidence permanente pour les personnes sans statut. C'est important, car le statut précaire est lié à la marginalisation dans les communautés et à l’exploitation par les employeurs.
Vide juridique
Le gouvernement a récemment annoncé qu’il mettait sur pause ses plans de régularisation, mais on ne peut pas se permettre de délai supplémentaire. La régularisation est une nécessité urgente pour apporter une solution concrète au vide juridique dans lequel se trouvent actuellement de nombreuses personnes sans statut.
Comme le suggèrent nos conclusions, et comme l’ont préconisé à la fois la société civile et les organisations de défense des droits des migrants, des mesures de régularisation partielles et étroites ne sont pas la solution. Le Canada a besoin d’un programme de régularisation qui ne se limite pas à une catégorie ou à un profil spécifique de migrants temporaires. La régularisation devrait être simple et sûre pour tous les demandeurs en menant directement à la résidence permanente.
Les migrants temporaires continueront à perdre leur statut et à faire face à une vulnérabilité accrue tant que les éléments clés de l’illégalisation des migrants ne seront pas adéquatement appréhendés.
Au-delà de la régularisation, il est essentiel que le gouvernement fédéral reconnaisse et aborde les nombreux problèmes structurels du système migratoire actuel qui font que les migrants vivent et travaillent au Canada sans statut d’immigration autorisé.
Il s’agit notamment des permis de travail spécifiques à l’employeur ou « liés », des retards dans les procédures d’immigration et de l’absence d’aide juridique pour les migrants temporaires.