Menu Close
Exemple de local géré par la start-up Flink, situé aux Pays-Bas.
Exemple de local géré par la start-up Flink, situé aux Pays-Bas. Wikimedia commons, CC BY-SA

Régulation des « dark stores » : la mauvaise réponse des pouvoirs publics à de vrais problèmes

Depuis quelques mois, une nouvelle forme de commerce s’est développée à Paris et dans la plupart des grandes villes françaises : le « quick commerce ». Porté par des start-up telles Getir, Gorillas, Flink ou GoPuff, le principe de ce nouveau commerce est de livrer leurs courses aux consommateurs en moins d’une vingtaine de minutes. Pour cela, ils s’appuient sur ce qu’il est convenu d’appeler des « dark stores », qu’ils ont localisés dans les cœurs des villes.

Dans ces dark stores, le nombre de références stocké est volontairement limité aux produits les plus usuellement consommés, en vue de rendre la préparation de commande la plus rapide possible. Une fois la commande passée par le client sur son smartphone, les produits sont prélevés dans le dark store par des préparateurs, puis pris en charge par des livreurs qui les acheminent jusqu’au domicile des clients à l’aide de vélos et/ou de scooters électriques.

Implantation des Dark Stores à Paris en février 2022 (source : Apur).

De manière très claire, ces dark stores s’apparentent à des entrepôts et sont pensés comme tels par les acteurs du quick commerce. Les rayonnages ne sont pas organisés comme dans une supérette par type de rayon et dans l’optique d’inciter le client à parcourir tout le magasin en vue de déclencher des achats impulsifs, mais au contraire pour optimiser le temps de préparation de commande, ce qui conduit à placer au plus près de la zone de préparation les produits à plus forte rotation.

Les préparateurs s’appuient sur un système d’information et des applications qui les aident à optimiser ce temps de préparation. Chez certains acteurs, les responsables de ces entités sont d’ailleurs qualifiés de responsables d’entrepôts.

« Les entrepôts n’ont rien à faire dans les villes »

Alors que la réglementation sur les entrepôts est très stricte, et limite dans les centres-villes les lieux où il est possible de les implanter, pour développer leur modèle, les acteurs du quick commerce n’ont eu d’autres choix que de localiser leurs dark stores dans des lieux qui n’étaient pas qualifiés pour cela. Selon une enquête de l’Apur, les lieux investis ont pris de multiples formes : anciens commerces (supérettes, magasins, restaurants) ; anciens bureaux en rez-de-chaussée ; anciens cabinets médicaux ou paramédicaux ; parkings, etc.


Read more: Flink, Getir, Cajoo… Les « dark stores » et le « quick commerce » remodèlent les grandes villes


Rapidement, le procès de cette forme de commerce très médiatisé s’est développé. Visant à servir un consommateur impatient dont il est implicitement dit qu’il pourrait attendre et n’a aucunement besoin de recevoir ses courses en 15 minutes, ce type de commerce nuirait au commerce de proximité, qui serait seul légitime car créant du « vrai » lien social.

Surtout, la transformation de certains locaux en entrepôts peut générer certaines nuisances pour les habitants. Du fait des horaires d’ouverture étendus, les riverains doivent parfois faire avec les allers-retours incessants des livreurs jusque tard le soir ; leur environnement direct est souvent envahi par des livreurs attendant de livrer des commandes à certaines heures de la journée ; les dark stores n’ayant pas toujours de circuits dédiés pour les déchets et mettant chaque soir à la benne certains produits, ils attirent des populations défavorisées.

Sous la pression des riverains et des commerçants, les maires et l’État ont alors entamé une réflexion en vue de réguler cette activité qui a débouché sur des premières amendes le 28 septembre. Deux lettres assorties d’astreintes financières ont été adressées à la société Flink. La Ville de Paris demande au spécialiste allemand de reconfigurer en commerce deux locaux transformés, sans autorisation, en mini-entrepôt et de lui verser 200 euros d’amende par jour tant que cela n’est pas fait.

[Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Après avoir envisagé d’autoriser l’implantation de ces entrepôts s’ils ouvraient un comptoir pour permettre au client de retirer leurs produits, la direction prise par le gouvernement est en effet de requalifier ces dark stores comme étant des entrepôts, et de donner aux maires le pouvoir d’interdire leur implantation s’ils ne se localisent pas dans les endroits prévus.

Dans les discours, la volonté est très clairement de limiter à terme leur implantation aux seules zones dédiées à la logistique urbaine en ville. Le gouvernement aurait même déclaré « les entrepôts n’ont rien à faire dans les villes ».

Une hybridation parmi d’autres

Une telle orientation est problématique pour trois raisons. La première est qu’elle se base sur la volonté de distinguer activité commerciale et logistique, ce qui est désormais impossible ou presque. Avec le digital, l’hybridation entrepôt/vente est totale. Cela se traduit par une prolifération de formats hybrides (drive, drive-piéton, « click and collect »), l’essor de multiples options de livraison (en point-retrait, en consigne, à domicile), l’intégration de multiples services logistiques dans les commerces physiques (« click and collect », livraison).

L’enjeu pour les commerçants est ainsi, en s’appuyant sur un réseau d’entrepôts et de magasins, de penser une stratégie omnicanale permettant au client de combiner comme il le souhaite les canaux d’achat et de retrait (achat en ligne et retrait en magasin, visite en magasin et livraison, etc.). Dans ce cadre, le quick commerce représente une hybridation parmi d’autres, qui si elle s’appuie sur des entrepôts, est bien une forme de commerce, puisque la vente se fait en ligne !

La seconde est qu’elle fait comme si la catégorie entrepôt était unique, et que les dark store pouvaient être assimilés aux gigantesques entrepôts situés en périphérie. Or, ces lieux n’ont rien à voir ! Rappelons qu’on parle ici d’anciens locaux commerciaux de quelques centaines de mètres carrés dans lesquels des préparateurs de commande circulent à pied pour prélever des produits dans des rayons (voir photo). On est très loin des entrepôts de dizaines de milliers de mètres carrés, de plus en plus automatisés, dans lesquels des préparateurs circulent en transpalette.

Rayonnage d’un Dark Store Gorillas (source : photo auteur).

Ces dark stores dédiés à la logistique urbaine s’apparentent au fond à des mini-entrepôts, type de lieu logistique dont on ne peut que constater qu’il s’est développé avec force dans nos villes au cours des dernières années, sans que cela ne pose aucun problème particulier !

Citons ici les mini entrepôts d’Amazon, localisés dans les centres-villes, et qui sont une étape clef afin d’acheminer les produits aux domiciles des consommateurs depuis les fullfilment center (centre de distribution) situés en lointaine périphérie ; les commerces membres des systèmes de retraits (Mondial Relay ou Relais Colis), qui tendent à dédier de plus en plus de place aux colis et de moins en moins aux produits qu’ils vendent ; les drive piétons Auchan et Leclerc, dans lesquels les clients retirent les produits qu’ils ont commandés en ligne, et qui ne sont rien d’autre que des stocks avec un guichet, etc.

L’un des points les plus absurdes dans l’arrêté en projet est d’ailleurs qu’il donnerait la possibilité aux maires d’interdire ces drive piétons qui pourraient être requalifiés d’entrepôts, alors qu’ils ne posaient jusqu’à présent aucun problème à personne !

La troisième et dernière raison est enfin que passer par ces mini-entrepôts est absolument indispensable pour mutualiser les livraisons à destination des domiciles des consommateurs, et limiter l’empreinte carbone de la logistique urbaine. Si l’on ne fait pas passer les flux par des mini entrepôts, cela signifie en effet que les livraisons s’opèreront en partant d’entrepôts situés en lointaine périphérie.

Par définition, cela implique plus de kilomètres qui seront parcourus, avec des camions qui seront moins remplis. Et donc à la fin plus de coût pour un consommateur déjà touché par la crise énergétique, plus d’émission pour une planète exsangue, plus de bouchons pour nos villes, plus de pollution dans nos poumons. Ou alors, si le citadin ne veut vraiment pas de ces mini-entrepôts près de chez lui, il faut avoir le courage de s’attaquer à la véritable cause de leur essor, et interdire la livraison à domicile…

Et les livreurs ?

Au final, plutôt que de chercher à donner aux maires le pouvoir d’interdire ces mini-entrepôts dans les villes, l’enjeu est de faire évoluer le cadre législatif afin de donner plus de place dans nos villes à ces mini-entrepôts et à les faire accepter par nos citoyens. Cela suppose que les plans locaux d’urbanisme (PLU) donnent plus de possibilités en termes d’implantation et qu’une vraie réflexion de fond s’engage sur le design de ces espaces logistiques de proximité avec les urbanistes et les architectes.

Cela suppose bien sûr que des règles encadrant mieux cette activité soient développées : en limitant les horaires d’ouverture ; en interdisant certains lieux qui génèrent trop de nuisances pour les riverains ; en favorisant l’emploi de modes de livraison doux, etc.

Nous ne pouvons cependant pas conclure sans souligner que ce débat sur l’implantation des dark stores ne doit pas nous faire oublier la question des conditions de travail des livreurs dans les villes. Une hystérie collective s’est emparée des pouvoirs publics parce qu’une centaine de dark stores se sont implantés en France et majoritairement à Paris, alors que la vraie question est celle des conditions de travail des dizaines de milliers de livreurs à vélo.

Privés majoritairement de CDI, soumis à de nombreux accidents du travail (25 % ont déjà eu un accident !), à une pression temporelle pour livrer rapidement quelles que soient les conditions météorologiques, devant eux-mêmes investir dans leurs outils de travail, disposant le plus souvent d’un salaire qui peine à atteindre le smic, ce sont eux les grands exploités des nouvelles formes de commerce !

Et c’est d’abord cette activité de livraison qui devrait évidemment être beaucoup plus régulée dans l’optique d’offrir aux livreurs des conditions décentes, d’apaiser la circulation dans le cœur de nos villes, et de favoriser le développement de modes de livraison à faible impact environnemental.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now