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Reines d’Égypte : l’art de conjuguer érotisme et pouvoir

Léonor Varela en Cléopâtre.

Dans notre imaginaire, les antiques reines d’Égypte associaient charme et pouvoir, à l’image de Néfertiti ou de Cléopâtre, souveraines aussi séduisantes que puissantes. Mais qu’en était-il en réalité ?

Neithhotep, première reine égyptienne connue, fut l’épouse du pharaon Narmer, qui régna dans les années 3100 av. J.-C. et fut lui-même le premier pharaon, fondateur de la première dynastie. Ainsi, dès les débuts de l’institution pharaonique, le détenteur du pouvoir eut à ses côtés une épouse jouant un rôle officiel. Après Neithhotep, plusieurs souveraines s’illustrèrent dans l’histoire de l’Égypte. Ce fut le cas de Hétephérès (vers 2600-2550 av. J.-C.), grande reine du temps des pyramides, épouse de Snéfrou et mère du célèbre Khéops.


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Pour renforcer leur pouvoir, plusieurs pharaons pratiquèrent une très stricte endogamie. C’est pourquoi la reine était souvent issue de la famille royale. Ainsi, Mykérinos, roi de la IVe dynastie (vers 2500 avant J.-C.), épousa sa sœur Khâmerernebty II. On retrouve, quelques siècles plus tard, le même type d’unions incestueuses, au début de la XVIIIe dynastie, dont le fondateur, Ahmosis, s’unit à sa sœur Ahmès-Néfertari. L’inceste allait de pair avec un pouvoir très fort et centralisé.

Wikipedia
Statuette de la reine Ahmès-Néfertari. Paris, Musée du Louvre.

La reine aux attributs masculins

La reine exerçait-elle un véritable pouvoir, ou son rôle se limitait-il à de la simple figuration aux côtés de son époux ? Du vivant du pharaon, il est probable que son autorité, bien que reconnue, devait être limitée. Par contre, devenue veuve, la souveraine pouvait véritablement régner.

Ce fut le cas, au XVe siècle avant J.-C. de la reine Hatshepsout qui survécut à son demi-frère et époux, Thoutmosis II. Elle régna sur l’Égypte durant une vingtaine d’années. Officiellement corégente de son neveu Thoutmosis III, elle jouit d’une autorité presque absolue, en raison de son expérience du pouvoir et parce qu’à son avènement le nouveau roi n’était qu’un bébé.

Hatshepsout coiffée du némès. Leyde, Rijksmuseum van Oudheden. Wikimedia

Hatshepsout est, dans l’histoire de l’humanité, la première femme dont on est sûr qu’elle exerça le pouvoir politique. Son iconographie et sa titulature nous montrent cependant qu’elle jugea nécessaire, en l’absence d’époux vivant, de s’afficher en possession de titres et d’attributs masculins. La féminité seule ne pouvait justifier pleinement l’exercice du pouvoir pharaonique. Hatchepsout se fit donc représenter revêtue d’insignes du pouvoir jusque-là réservés aux hommes, comme la coiffe rayée dite némès, la fausse barbe et le pagne court.


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La reine Tiyi. Statuette. Paris, Musée du Louvre. Wikimedia

Tiyi la redoutable

Quelques décennies plus tard, le pharaon Amenhotep III (XIVe siècle avant J.-C.) associa au trône son épouse Tiyi qui était sans doute sa cousine. La mention du nom de la reine dans les tablettes en argile provenant des archives royales retrouvées sur le site d’Amarna, en Moyenne Égypte, nous montre qu’elle participa activement aux échanges diplomatiques qu’entretenait son époux avec les autres souverains de l’époque.

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Elle fut aussi divinisée de son vivant. Un culte lui était rendu à Sedeigna, en Nubie (aujourd’hui au Soudan), où un sanctuaire spécial nommé Hout-Tiyi (« Temple de Tiyi ») fut édifié en son honneur. Elle y apparaît figurée en sphinx, c’est-à-dire avec une tête humaine perchée sur un corps de lionne. Une imagerie censée souligner son caractère redoutable et impitoyable envers les ennemis de l’Égypte.

La reine Tiyi en sphinx, temple de Tiyi, Sedeinga, Soudan. Christian-Georges Schwentzel, Fourni par l'auteur

Le charme officiel de Néfertiti

Fils d’Amenhotep III et de Tiyi, Akhenaton mit en avant son épouse, et probablement cousine, Néfertiti. Si la fonction politique réelle de la reine reste discutée, il est néanmoins évident qu’elle joua un rôle religieux de tout premier plan. Lors des cérémonies du culte en l’honneur du dieu Aton, représenté par un disque solaire rayonnant, la reine figure systématiquement aux côtés de son époux.

Elle incarne un principe féminin essentiel, nécessaire au maintien de l’ordre cosmique. On peut y voir une forme d’érotisme religieux, dans le sens où le grand dieu, perpétuellement excité par la reine, parvient ainsi à conserver toute sa vigueur virile.

Buste de Néfertiti. Berlin, Neues Museum. Wikimedia, CC BY

La beauté de la reine est un thème proclamé par le discours officiel : Néfertiti est dite « parfaite d’apparence ». Elle réjouit à la fois son royal époux et le dieu Aton. Selon une expression très explicite, elle est « celle pour qui Aton se lève pour l’aimer et lui rendre gloire ». Autant dire qu’elle est très sexy !

Mais cet attrait sexuel est purement idéologique et conventionnel. Il ne nous dit rien du physique véritable de la souveraine. De même, le très célèbre buste, aujourd’hui conservé à Berlin, n’est pas un véritable portrait qui nous permettrait de reconstituer le visage de Néfertiti.

Les images pharaoniques figurent la fonction officielle de la souveraine, sans lien avec la réalité de ses traits : l’apparence et la personnalité de la reine sont masquées par la représentation idéale de sa fonction.

Déesses et reines

L’étroite association entre un roi et une reine au sommet de l’État fut réactualisée par la dynastie des Ptolémées, héritiers gréco-macédoniens d’Alexandre le Grand en Égypte. Ptolémée II Philadelphe (roi de 283 à 246 av. J.-C.) reprit à son compte le modèle des anciens pharaons, sans doute par intérêt politique, parce qu’il pensait que cela contribuerait à renforcer son autorité. Comme Mykérinos ou Ahmosis avant lui, il épousa sa propre sœur, Arsinoé II. L’inceste était justifié d’un point de vue idéologique par la nécessité de conserver le potentiel divin au sein de la dynastie. À partir de Ptolémée II, le royaume fut officiellement dirigé par un couple constitué d’un dieu-roi et d’une déesse-reine.

Reine ptolémaïque en Isis, coiffée de cheveux ondulée. IIe-Ier s. av. J.-C. New York, Metropolitan Museum. Wikimedia, CC BY

Les boucles d’Isis

La reine ptolémaïque est définie comme une « déesse » : théa en grec ; netjeret en égyptien. Elle pouvait se référer à Isis, modèle de la parfaite déesse-reine dans la tradition égyptienne. Selon sa légende, Isis avait épousé son frère Osiris, roi injustement assassiné et dépecé par le méchant Seth. Grâce à ses extraordinaires pouvoirs magiques, la déesse parvient à reconstituer le corps de son époux avant de s’unir à lui. C’est ainsi qu’elle tombe enceinte d’Horus qu’elle élève en secret jusqu’à ce qu’il renverse l’usurpateur.

Cette bénéfique déesse avait été adoptée par les Grecs. Mais en l’introduisant dans leur panthéon, ceux-ci modifièrent son apparence. La divinité pharaonique échangea sa lourde perruque contre une chevelure naturelle, abondante et ondulée.

Les longues boucles aux multiples spirales devinrent, par la même occasion, la coiffure habituelle des reines ptolémaïques assimilées à Isis.

Cléopâtre Ire en Isis, coiffée de boucles en spirales. Monnaie de bronze, vers 180 av. J.-C.

Cette riche chevelure met en valeur une puissance à la fois féminine et divine. Selon l’auteur antique Plutarque (Isis et Osiris 14), lorsque la déesse Isis apprit la mort d’Osiris, elle coupa une boucle de sa chevelure qu’elle consacra dans un temple à Coptos où elle fut exposée comme une sainte relique.

Une inscription grecque provenant de ce sanctuaire qualifie Isis de « très grande déesse de la chevelure » (trikhômatos théa mégistè), en souvenir de cet épisode fameux.

Reproduisant le geste divin, au milieu du IIIe siècle av. J.-C., la reine Bérénice II consacra elle aussi une de ses boucles dans un sanctuaire, au moment où son époux, le roi Ptolémée III Evergète, partait en guerre en Syrie. L’offrande symbolisait un deuil provisoire, prélude au retour en Égypte de Ptolémée III, sain et sauf. La chevelure de la reine représentait le charme magique de l’épouse capable de ramener à elle son mari et de lui faire retrouver toute sa vigueur, comme une sorte de porte-bonheur vivant.

Le poète Callimaque (Elégies II, « La boucle de Bérénice ») raconte que la boucle de Bérénice fut transformée en constellation, afin qu’elle soit toujours utile aux navigateurs en perdition. Son poème, rédigé en grec, est malheureusement fragmentaire, mais on peut s’en faire une idée grâce à la version latine qu’en offrit Catulle (Poésie, 66, « La chevelure de Bérénice »).

« Révolution bouclée »

Plus tard, le théologien chrétien Clément d’Alexandrie (vers 150-215) interdit aux femmes d’afficher ce type de coiffure, désormais vu comme impudique (Le Pédagogue II, 10). Il condamne vigoureusement les « boucles en spirales » (bostrykhoi héliktoi).

Aujourd’hui, des célébrités égyptiennes affichent, à leur tour, leurs chevelures ondulées. Elles assurent ainsi la promotion d’une « curly revolution » (« révolution bouclée ») qui les inscrit dans la continuité des images antiques d’Isis et de Bérénice.


Christian-Georges Schwentzel est l’auteur de « Cléopâtre », PUF, collection Biographies, paru le 7 septembre 2022.

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