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Rentrée : a-t-on (encore) oublié les éducatrices ?

Les jeunes Québécois retournent en classe d’ici deux semaines, et on sait désormais dans quel contexte cette rentrée pas comme les autres se déroulera. Lors de sa conférence de presse du 10 août, Jean‑François Roberge a annoncé les grandes lignes du plan révisé de la rentrée scolaire. Aux premiers abords, ce plan semble satisfaire plusieurs associations scolaires.

Rapidement toutefois, les partis d’opposition ont souligné à grands traits l’absence de mesures de rattrapage scolaire et le flou entourant le soutien pédagogique auprès des élèves vulnérables ou avec des difficultés d’apprentissage. La stratégie du gouvernement pour aider les enfants à rattraper le retard accumulé en raison du confinement a été présentée une semaine plus tard, soit le 17 août.

En dépit des annonces du ministre, une question critique reste en suspend : alors que près de 60 % des élèves inscrits dans une école primaire fréquentent un service de garde en milieu scolaire, ce qui représente un peu plus de 363 000 enfants, comment peut-on assurer la sécurité des enfants en dehors des heures de classe ? Comment justifier l’absence d’explications en lien avec l’offre de services de garde en milieu scolaire ? Qui doit s’occuper des enfants en temps de pandémie après les heures de classe ?

Le ministre québécois de l’Éducation Jean‑Francois Roberge dévoile le plan de rentrée scolaire actualisé pour l’année scolaire 2020-2021 lors d’une conférence de presse à Montréal, le 10 août. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Aurait-on, une fois de plus, oublié de parler de la réalité des éducatrices et de leurs conditions de travail ? En tant que chercheuse postdoctorale en sociologie et experte de la politique familiale québécoise, voilà les questions qui m’animent depuis l’annonce du plan de la réouverture des écoles, questions complètement écartées lors des deux conférences de presse du ministre Roberge.


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Les effets genrés de la pandémie et la relance économique

Plusieurs recherches internationales récentes ont montré l’effet genré de la pandémie sur l’emploi et la conciliation travail-famille dans des pays comme l’Espagne, les États-Unis, l’Italie et le Royaume-Uni. Au Canada, pendant que certains travailleurs jonglaient entre les demandes professionnelles, les soins aux personnes dépendantes et les exigences liées à la poursuite des apprentissages à distance, l’écart entre les genres s’est accentué sur le marché du travail chez les parents d’enfants de 6 à 12 ans.

Au Québec, selon des données recueillies par le Réseau pour un Québec Famille, 41 % des femmes, mais seulement 34 % des hommes ont dit avoir trouvé leur conciliation travail-famille difficile ou très difficile. C’est presque devenu un truisme que de discuter des effets délétères accrus de la pandémie sur la situation d’emploi des femmes.


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L’école et la garde des enfants

L’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, c’est également là où s’effectue de manière sécuritaire la garde des enfants. D’ailleurs, le taux d’activité des mères augmente dans plusieurs pays lorsque les enfants entrent à l’école. Au Québec, les heures de classe pour les enfants qui fréquentent une école primaire sont limitées et elles ne correspondent que rarement aux heures de travail des parents. C’est dans le but de faciliter la conciliation travail-famille que la province s’est dotée dès la fin des années 90, d’un réseau de services de garde à la petite enfance (notamment avec les CPE), ainsi que de services de garde en milieu scolaire.

Les parents peuvent ainsi aller reconduire leurs enfants avant le début des classes et les chercher plusieurs heures après le son de la cloche de l’après-midi. Aussi, en vertu du modèle actuellement en place, les enfants ne sont pas tenus de fréquenter leur service de garde selon un horaire rigide ; si les heures de classe sont préétablies, celles de l’arrivée et du départ des enfants à l’extérieur de ces heures sont beaucoup plus souples.

Qu’adviendra-t-il de ce modèle de services de garde à l’automne ? Le plan de réouverture des écoles prévoit le concept de bulle de groupe-classe, afin de limiter les interactions entre des élèves de différentes classes et de différents niveaux. Le succès de ce plan repose sur le fait que les enfants demeurent ensemble en tout temps. Si les enseignants semblent se voir offrir des règles de conduite de plus en plus claires, notamment avec la possibilité pour les enfants de retirer leur masque dans leur classe, un brouillard épais plane au-dessus de l’organisation des activités des groupes de services de garde.

Comment fera-t-on pour ne pas crever les bulles de classe à l’extérieur des heures d’enseignement ? Est-ce que le gouvernement a prévu l’embauche de nouvelles éducatrices afin que le nombre de groupes en services de garde corresponde au nombre de groupes-classes ? A-t-on oublié qu’il existe une pénurie de main-d’œuvre chez les éducatrices en milieu scolaire ? À quel moment les enfants pourront-ils retirer leur masque ? Quelle sera la procédure pour aller reconduire et chercher les enfants au service de garde afin de limiter la présence simultanée de nombreux parents dans l’école ?

Voilà des questions qui restent sans réponse.

L’importance d’une offre de service de garde sécuritaire en milieu scolaire

Plusieurs observateurs, dont des intellectuels, des instituts de recherche et des acteurs politiques ont mis en relief l’importance d’offrir aux parents, et surtout aux mères, des services de garde sécuritaires, afin de ne pas les contraindre à choisir entre leurs activités professionnelles et familiales en temps de pandémie. L’accent a toutefois été mis davantage sur la nécessité d’offrir des services de garde pour les enfants d’âge préscolaire que pour les enfants qui fréquentent l’école.

La relance économique n’est possible que dans un contexte où les parents peuvent compter sur un service de garde sécuritaire, ce qui inclut l’école. En omettant de discuter des services de garde, on attaque de manière pernicieuse les femmes sur plusieurs fronts.

D’abord, on néglige de reconnaître la valeur et l’importance de la prise en charge du travail de reproduction sociale, qui permet pourtant à l’économie de ne pas s’effondrer, en facilitant l’activité économique d’une partie importante de la main-d’œuvre, soit les mères de jeunes enfants. On oublie également de mettre en relief le rôle absolument essentiel des éducatrices pour assurer la sécurité des enfants, comme « gardiennes » des bulles de groupe.

Enfin, on ferme les yeux sur un fait qui se révèle une fois de plus dans le contexte de la pandémie : au nom du bien-être et de la sécurité de leurs enfants, les mères risquent de prendre des décisions lourdes de conséquences sur l’égalité entre les genres. Mais pourquoi a-t-on oublié de parler du travail des éducatrices en milieu scolaire ?

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