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Repenser fondamentalement le concept de santé publique

Times Square, New York, 19 avril 2020, une affiche géante à l'instar de milliers d'autres qui diffusent des messages de remerciements, de solidarité ou de prévention. TIMOTHY A. CLARY / AFP

Le terme de santé publique est devenu depuis le début de cette année l’un des plus employés tant par les spécialistes que par le grand public ou par nos dirigeants.

Jamais nous n’avons autant entendu parler de santé publique. Sur toutes les lèvres, l’expression fait la une des médias, est brandie par toutes les autorités, tous les gouvernements. En son nom, des mesures exceptionnelles sont appliquées sur une grande partie de la planète (état d’urgence sanitaire, confinement) malgré leur impact radical sur l’économie ou la vie quotidienne.

Professionnel de santé publique, je n’aurais jamais pensé que le domaine dans lequel j’exerce et que j’essaie de défendre depuis si longtemps serait ainsi « projeté en haut de l’affiche », comme le disait Charles Aznavour.

Plus de 34 millions d’occurrences sur l’expression « santé publique » au 21 avril 2020. Google, 21 avril

Mais quelle est la réalité de la santé publique ? Comment est-elle perçue et reçue pendant cette crise ?

Revoir comment agir sur la santé d’une population

Tout d’abord comment définir la santé publique ? Les définitions sont multiples. Dans un petit ouvrage précédent, j’avançais que la santé publique était une nécessaire alliance entre connaissances scientifiques, décision politique et mobilisation collective pour construire ensemble une société en santé.C’est un effort collectif d’une communauté, d’un pays pour protéger et promouvoir la santé de sa population.

Affiche « vintage » de sensibilisation à la syphilis. États-Unis, non datée. Public domain

Je reste convaincu que cette définition reste valable et devra nous animer dans « l’après-crise ».

Mais, pour mieux comprendre ce que nous vivons, il me semble important de revoir la notion même de santé.

La notion de santé

Il est temps de faire évoluer la définition très abstraite et utopiste d’un complet état de bien-être physique, mental et social, qui fut élaborée par l’OMS lors l’adoption de sa constitution en 1946.

Les épisodes que nous vivons depuis de nombreuses années, y compris en lien avec le changement climatique, montrent l’importance majeure des interactions avec notre environnement. Dès les années 60, le chercheur René Dubos complète et corrige la définition de l’OMS en proposant :

« Un état physique et mental relativement exempt de gêne ou de souffrance qui permet à l’individu de fonctionner aussi efficacement et aussi longtemps que possible dans le milieu où le hasard ou le choix l’ont placé ».

Ainsi le milieu (l’environnement) prend toute sa place, que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif.

Si on s’intéresse de plus près à la situation engendrée par cette pandémie, il est peut-être également temps de reprendre un schéma très classique en santé publique lorsque l’on s’intéresse aux maladies transmissibles.

Le schéma de la santé publique. L. Chambaud, Author provided

Ce schéma, très simple, illustre un fait essentiel pour comprendre la situation induite par l’irruption de ce virus et les mesures qui peuvent être prises pour lutter contre la propagation de la maladie. Nos interventions peuvent avoir trois cibles : soit agir sur le virus (en trouvant des thérapeutiques efficaces), soit renforcer les défenses de l’hôte (en l’occurrence l’espèce humaine, notamment par le vaccin), soit agir sur l’environnement (par exemple en cassant la chaîne de transmission par l’intermédiaire des fameux « gestes barrière » ou en permettant d’éviter un passage de l’animal à l’homme).


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Cette vision associant l’agent pathogène, l’hôte et l’environnement ne se limite pas à la santé humaine. Elle est couramment admise et utilisée également dans les domaines de la santé animale ou de la santé végétale.

La situation dans laquelle nous sommes plongés vient surtout nous rappeler qu’il faut nécessairement aborder cette crise en ayant en tête l’interdépendance de toutes les composantes de notre environnement, popularisée par le concept de « one health » afin de rendre lisible et cohérente la stratégie de contrôle mais aussi de prévention.

Et c’est également rappeler, comme le font régulièrement les historiens des épidémies comme Patrick Zylberman, que l’espèce humaine vit dans un écosystème. C’est en analysant ces interactions qu’il nous faut nous interroger sur les choix de société qui sont devant nous.

Une coopération entre pays qui n’est pas à la hauteur

Nous assistons à une pandémie, c’est-à-dire la propagation mondiale d’une nouvelle maladie. Face à cette situation, certaines solidarités ponctuelles se sont manifestées : envoi par la France de matériel médical vers la Chine fin février, transferts de certains patients français vers des hôpitaux allemands, suisses ou luxembourgeois, fonds de solidarité pour les pays de l’Union européenne les plus touchés.

Ces exemples ne masquent toutefois pas l’immense diversité, voire la divergence, des mesures prises par chaque pays. Cette crise est inédite par l’ampleur de ses conséquences, y compris bien au-delà du champ sanitaire. il est donc compréhensible que chaque État souhaite récupérer son autorité de décision.

Au Mexique des comités de « self defense » en coopération avec les autorités sanitaires gardent une plage pour empêcher les touristes de s’y rendre, Marquelia, Guerrero, 14 avril 2020. Francisco Robles/AFP

Pourtant ce contexte montre en parallèle l’intensité et la force de la collaboration internationale entre chercheurs qui avait déjà fait ses preuves lors de l’apparition de l’épidémie du VIH, qui s’est amplifiée avec la crise d’Ebola et qui prend toute son ampleur à l’occasion de cette pandémie.

La communauté scientifique internationale possède maintenant tous les outils et moyens pour communiquer en temps réel. Les échanges sont instantanés. Les productions de résultats sont rapides et la science ouverte progresse. Un effet collatéral de ce que nous vivons sera d’accélérer cette ouverture.

Avec, également, toutes les limites de ce que peut produire la science pour répondre aux attentes immédiates de la population, des décideurs et parfois des professionnels de santé eux-mêmes devant un phénomène inconnu. Quelle est l’efficacité réelle des masques ? Le virus va-t-il disparaître à l’été ? Quels traitements sont efficaces ? Quand arrivera le vaccin ?

Il est pourtant essentiel de mieux coordonner nos actions au plan international. Cela passe probablement par une réflexion sur le rôle et les missions de l’OMS, largement critiquée pour sa lenteur à agir par les États membres de cette organisation après l’épidémie de H1N1 ou lors de la propagation du virus Ebola. Au moment où son rôle devrait être renforcé et sa capacité d’agir confortée, le Président des États-Unis fait le choix de l’asphyxier financièrement.

Cela vaut également pour nos institutions européennes, l’organisme de coordination européen dans le domaine de la surveillance de la santé, le European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC), étant totalement inaudible. Et nous devons également balayer devant notre porte, car la voix de l’expertise en santé publique européenne est faible, même si nous avons fait un effort pour rédiger une position commune.

Construire une seule santé pour tous

Les défis auxquels nous sommes confrontés dans le domaine de la santé ne connaissent pas de frontières. Les inégalités de santé existent dans tous les pays. Les maladies chroniques se développent dans chaque société, quelle que soit leur niveau de développement. L’impact de l’environnement sur la santé se manifeste partout et grandit au fur et à mesure que les connaissances évoluent. Et, maintenant, nous réapprenons que les épidémies peuvent encore frapper notre planète, avec une vitesse de propagation multipliée par l’intensité et la rapidité des transports.

Dans ce contexte, nous découvrons également l’importance de développer des réponses appropriées, liées aux connaissances, mais aussi tenant compte des histoires et cultures de chaque communauté. Nous nous interrogeons sur les délocalisations de la fabrication de masques ou de médicaments, mais nous interrogeons peu sur la dépendance et la vulnérabilité des pays du continent africain.

Et nous aurons à choisir entre un modèle du « chacun pour soi », érigeant des barrières illusoires, et une vision solidaire pour créer les conditions de sociétés plus justes et plus équitables.


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La santé publique « d’après »

On le martèle régulièrement : nous ne sortirons pas de cette crise comme nous y sommes entrés. Cela vaut pour tous les secteurs de notre société. Nous aurons des choix à faire sur nos modèles de développement économique, sur nos priorités, sur les modes de coopération ou d’isolement entre pays et, bien évidemment, sur l’attention que nous portons à la santé et à ses menaces.

La santé publique couvre un champ de connaissances qui ne se résume pas à l’épidémiologie. C’est une manière globale de promouvoir et de protéger la santé au niveau des populations, des communautés.

Nous aurons besoin de revisiter nos modalités de formation, de réajuster nos thèmes et nos modalités de recherche, de conforter, de faire connaître et reconnaître nos expertises. Nous aurons aussi besoin d’entrer dans un véritable dialogue avec les décideurs, sans attendre une nouvelle crise mondiale.

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