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Repenser la sanction, un défi pour l’école

Dès les premiers niveaux d'étude, dans chaque établissement, la vie scolaire est régie par un règlement intérieur. Flickr/Ville de Nevers, CC BY-NC-SA

Ce n’est jamais en décryptant les grands et beaux principes inscrits en lettres d’or au frontispice des écoles que l’on comprend ce qu’éduquer veut dire, à un moment donné, pour une société donnée. C’est plutôt en examinant ce que l’on pourrait appeler « la banlieue du travail éducatif », ces marges qui entourent la transmission des savoirs, et dans laquelle on trouve la question des sanctions.

Considérer la sanction, c’est déjà penser bien au-delà. Derrière le bonnet d’âne d’antan, les travaux d’intérêt général, les lignes à copier ou les exclusions scolaires se dessinent une conception de la société et une vision de l’enfant.

Dans l’un de ses derniers numéros, la Revue Internationale d’Education de Sèvres fait un tour des pratiques punitives de neuf systèmes scolaires, de l’Afrique de l’Ouest à la Russie, de l’Amérique du Nord au Japon, ce numéro nous invite à un voyage au cœur des pratiques punitives. Un voyage qui révèle quelques constantes historiques tout en esquissant des perspectives pour rénover la politique disciplinaire de nos établissements scolaires.

En finir avec les châtiments corporels

Frapper les enfants a été, il faut hélas le reconnaître, une pratique universelle. Quasi universelle, car le Japon des premiers siècles s’y est refusé. Il a en effet existé très tôt au pays du Soleil Levant, dès le VIIIe siècle, des moines bouddhistes réfractaires à toutes formes de châtiments physiques.

Cette exception est à méditer, quand on sait que le mot « verge » n’apparaît pas moins de cinquante fois dans l’Ancien Testament. Ce qui fait dire à l’auteur de l’article « Punitions » du fameux dictionnaire Buisson que « l’Ancien Testament est certainement de tous les livres sacrés […] celui où il est fait le plus mention de châtiments. »

Nous voyons aujourd’hui comment des pays comme le Bénin ou le Burkina Faso luttent pied à pied pour en finir avec ces pratiques maltraitantes. Pratiques juridiquement interdites depuis plus de cinquante ans, mais qui restent encore très vivaces, pour ne pas dire omniprésentes, dans les salles de classe.

Le droit a bien évidemment des vertus mais il ne faut pas les surestimer. Il soutient les changements plus qu’il ne les initie, il accompagne les pratiques plus qu’il ne les promeut. On ne peut vraiment tourner la page de la violence éducative que si s’esquissent d’autres manières de faire.

Une école sans contrainte, un doux rêve ?

Après des siècles de maltraitance, plusieurs expériences radicales ont vu le jour en Europe. Rappelons-nous les écoles libertaires de Hambourg au début des années 1920. « Dès les premiers jours, écrit Schmid, le pédagogue qui rapporte cette étonnante expérience, les maîtres annoncèrent à leurs élèves qu’il n’existerait plus de punition ni de sanction, qu’il ne serait plus question d’interdiction ou d’un règlement quelconque qui pourrait les gêner dans l’usage de leur pleine liberté ».

Il fallut un jour admettre l’échec de l’expérience. Zeidler, un des inspirateurs du projet, dut reconnaître non sans tristesse au bout de quelques années que

« partout où l’on se laissa guider par une confiance sans bornes dans le tact des enfants, dans leur force de volonté, dans leur persévérance, dans la sûreté de leur instinct et dans la tolérance des individus à former une communauté […], on vit se former des bandes d’indisciplinés ».

Car éduquer, c’est libérer, comme l’explique Kant dans ses Réflexions sur l’éducation, mais on ne peut rendre libre que si l’on se sert de la contrainte.

« Un des grands problèmes de l’éducation est le suivant : comment unir la soumission sous une contrainte légale avec la faculté de se servir de sa liberté ? Car la contrainte est nécessaire ! Mais comment puis-je cultiver la liberté sous la contrainte ? Je dois habituer mon élève à tolérer une contrainte pesant sur sa liberté, et en même temps, je dois le conduire lui-même à faire un bon usage de sa liberté. Sans cela tout n’est que pur mécanisme et l’homme privé d’éducation ne sait se servir de sa liberté. »

Il nous faut aujourd’hui refaire le geste de Kant, tenter de réconcilier éducation et sanction, montrer en somme que cette dernière n’est pas vouée à être une parenthèse dans le processus éducatif mais qu’elle peut, sous certaines conditions, en devenir un moment dynamique et positif. Tel est notre défi.

Les promesses de la justice « restaurative »

Ce n’est donc pas en réanimant le rêve illusoire d’une école sans sanction que l’on pourra rénover la politique disciplinaire de nos établissements. C’est en examinant les expériences les plus originales, notamment celles qui tentent d’introduire au sein des institutions éducatives les principes d’une justice restaurative.

De quoi s’agit-il précisément ? Cette conception pénale est née dans les années soixante-dix en Amérique du Nord. Elle adresse deux critiques aux justices rétributives classiques :

  • ces dernières sont accusées de négliger le travail de resocialisation de celui qui a commis l’infraction. Une fois la peine accomplie, ce dernier retourne comme si de rien n’était à ses activités.

  • la seconde critique souligne l’absence de prise en charge des victimes.

Et s’il en est ainsi, c’est parce que les justices rétributives conçoivent l’infraction d’abord comme une atteinte à la majesté de la loi. Pour les tenants d’une approche restaurative, elle est un ensemble de torts qui affectent des personnes et, au-delà, une communauté.

On comprend dès lors pourquoi la justice restaurative préconise des dispositifs qui invitent à la rencontre entre victimes et responsables d’infractions, rencontres qui sont toujours des moments où les torts et les responsabilités sont établis (cercle, conférence restaurative…). On comprend aussi pourquoi elle nous invite à mettre en œuvre des procédures réparatoires.

INA, reportage de France 2 en 2005 sur les punitions scolaires.

Marier rétribution et réparation

Il faut encourager les pratiques réparatoires et cela pour trois grandes raisons :

  • la réparation transforme une passivité en une activité. Réparer, c’est agir, c’est faire.

  • comme l’a bien vu la psychanalyste Melanie Klein, est qu’il y a dans le besoin de réparer le désir silencieux de se réparer.

  • enfin, il y a dans la réparation un souci de renouer les liens, l’ardent désir de vouloir faire à nouveau société.

Il ne s’agit pas pour autant d’abandonner l’approche rétributive, comme certains le préconisent, mais de savoir marier de manière intelligente rétribution et restauration comme nous engage à le faire le philosophe Conrad Brunk.

Howard Zehr, le père de la justice restaurative, le reconnaît lui-même aujourd’hui en refusant de congédier sans autre forme de procès les approches rétributives comme il le faisait il y a quelques années encore. Car l’une et l’autre, l’une comme l’autre, travaillent à l’imputation d’une responsabilité.

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