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Réseaux sociaux : quel est leur impact réel ?

Zoom sur les applications des réseaux sociaux.
Il est très complexe de mesurer, scientifiquement, les effets des réseaux sociaux. Michele Ursi/Shutterstock

Les mesures gouvernementales discutées ou mises en place visant à restreindre l’usage des smartphones et plus spécifiquement des réseaux sociaux chez les adolescents se multiplient ces dernières années. Elles sont portées par des discours alarmistes largement propagés dans différents médias. Cependant, lorsque l’on examine de plus près la recherche scientifique s’intéressant aux effets des réseaux sociaux, une réalité beaucoup plus nuancée se dessine.

Les différentes études sur les effets des réseaux sociaux sont loin de présenter un consensus. D’une recherche à l’autre, on peut trouver des résultats vantant les aspects bénéfiques de ces plates-formes, tandis que d’autres soulignent les conséquences néfastes sur le bien-être et la santé mentale. Cette hétérogénéité des résultats témoigne de la complexité du phénomène et pour l’expliquer, on peut se pencher sur les différents défis qu’impose cet objet d’étude. En effet, plusieurs obstacles compliquent l’évaluation précise des effets des réseaux sociaux.

Des défis de taille pour mesurer l’impact réel des réseaux sociaux

Le premier obstacle est l’évolution constante des plates-formes qui rend rapidement obsolètes les résultats des études antérieures. Prenons l’exemple d’Instagram : la plate-forme d’aujourd’hui diffère considérablement de celle d’il y a trois ans. De nouvelles fonctionnalités et de nouveaux modes d’utilisation sont apparus, rendant difficile l’établissement de comparaisons avec les résultats des études précédentes sur cette même plate-forme. Par exemple, on peut citer l’apparition des Reels en 2020, s’inspirant des vidéos au format court de TikTok, ou encore les Notes plus récemment en 2023 permettant aux utilisateurs de partager leurs pensées en 60 caractères.

Tous les réseaux sociaux introduisent, modifient ou suppriment des fonctionnalités, leurs algorithmes de recommandation changent et de nouvelles utilisations émergent au gré des années.

Un moyen d’éviter cet écueil consisterait à examiner plus précisément les effets des fonctionnalités qui sont généralement présentes sur différentes plates-formes, ce qui permet d’introduire le deuxième obstacle : la plupart des recherches se concentrent sur les effets globaux des réseaux sociaux, et ce, sans s’intéresser aux différences interindividuelles, négligeant les impacts spécifiques des différentes fonctionnalités et caractéristiques ou des différences de susceptibilités ou dispositions entre individus.

Dans une même étude, il est difficile de discerner si les différences observées entre deux individus sont attribuables à des différences interindividuelles, telles que la personnalité, ou à des habitudes d’utilisation distinctes, où chaque individu accorde une importance différente à certaines fonctionnalités. La plupart du temps, on ne sait pas si les effets sont propres à certains individus qui partagent certaines caractéristiques ou s’ils sont attribuables à l’appareil (smartphone), à une plate-forme en particulier, à une fonctionnalité précise ou encore aux modes de communication privilégiés. Cette confusion analytique a pu entraîner des attributions erronées des effets observés à de mauvaises causes. Par exemple, une étude publiée en 2018 constatant que la comparaison ascendante (se comparer à quelqu’un que l’on estime supérieur à soi) sur Instagram affecte négativement le bien-être ne peut pas indiquer s’il s’agit d’un effet de la comparaison ascendante, des caractéristiques d’Instagram ou des deux.

Une solution a récemment été avancée par des chercheurs avec l’introduction d’un cadre théorique visant à définir les différents niveaux d’analyse possibles dans l’étude des effets des technologies de l’information et de la communication et en particulier des réseaux sociaux. Ce cadre permet de distinguer 6 niveaux d’analyse, tels que l’appareil, le type d’application, l’application ou encore les caractéristiques ou fonctionnalités.

Santé mentale et bien-être : parle-t-on de la même chose ?

Un autre défi est la diversité conceptuelle illustrée par des différences de définition entre chercheurs concernant les réseaux sociaux, le bien-être ou la santé mentale. Les chercheurs pensent parler de la même chose alors qu’ils ont en tête des définitions différentes.

Ils s’intéressent à des indicateurs technologiques différents tels que le temps d’écran, le temps passé à défiler ou le nombre de réseaux sociaux utilisés et des assortiments décousus d’indicateurs de santé mentale tels que l’estime de soi, l’isolement ou la dépression.

De récentes analyses ont démontré que la relation entre les technologies numériques (dont les réseaux sociaux) et le bien-être peut radicalement varier en fonction des indicateurs étudiés. De plus, les comportements sur les réseaux sociaux qui sont mesurés sont généralement basés sur des auto-déclarations et sont donc purement subjectifs. Or, on sait depuis quelques années que les comportements numériques auto-déclarés ne corrèlent que modérément aux comportements réels, une imprécision qui peut accentuer davantage l’opacité entourant notre compréhension des effets réels des réseaux sociaux. La solution idéale serait de pouvoir avoir accès aux données réelles d’utilisation sur les plates-formes à travers les logs (en informatique, un fichier log permet de stocker un historique des événements survenus sur un serveur, un ordinateur ou une application et informe des usages d’utilisateurs) par exemple. C’est sans compter sur la rétention des données par les entreprises propriétaires des différentes plates-formes telles que Meta (Facebook, Instagram, etc.) ou ByteDance (TikTok). Ce problème d’accessibilité à des données de qualité pousse à interroger sur la capacité à généraliser à partir de données peu fiables.

Mesurer les impacts via le prisme de la psychologie : un biais potentiel ?

L’hétérogénéité des effets observés des réseaux sociaux provient également de la discipline de recherche où les résultats divergent. Deux fois plus d’études sur les effets des technologies de communication numériques (dont les réseaux sociaux font partie) menées par des psychologues ont rapporté des effets principalement négatifs (isolement social, comparaison sociale, cyberharcèlement…) de leur utilisation par rapport à des effets positifs tandis que les études menées en communication rapportent quant à elle des effets plutôt positifs tels que le soutien social ou les relations interpersonnelles.

Cette différence disciplinaire de point de vue entraîne une diversité dans la polarité des hypothèses étudiées et les postures de recherche adoptées, ce qui peut mener à une lecture partielle : celle de n’envisager principalement que les conséquences négatives des réseaux sociaux en négligeant les effets positifs, pourtant bien réels.

Enfin, le dernier défi se situe au niveau méthodologique. D’après les statistiques d’études entre 2010 et 2018 s’intéressant au lien entre les réseaux sociaux et le bien-être, 90 % représentent des études d’observation (observation des participants et des variables sans intervention de la part des chercheurs) ou d’intervention (manipulation active par les chercheurs d’une variable indépendante en observant ses effets sur une variable dépendante) et offrent des niveaux de preuve peu robustes pour établir des relations causales claires. Par exemple, si une étude d’observation identifie une corrélation entre une utilisation intensive des réseaux sociaux et une détérioration de la santé mentale, il est impossible de déterminer si c’est l’utilisation intensive qui cause cette détérioration ou si c’est l’inverse, voire une relation bidirectionnelle.

De plus en plus d’études tentent d’adopter des méthodologies qui permettent plus facilement d’inférer des liens de cause à effet tels que la méthodologie par échantillonnage de l’expérience et plus particulièrement l’évaluation écologique momentanée (EMA) qui permet de saisir de manière répétée l’expérience vécue au moment présent, dans l’environnement du participant. Par exemple, une étude menée en 2023 a tenté d’établir un lien entre l’utilisation des applications de rencontre sur le smartphone et le bien-être. 22 participants ont évalué leur humeur sur une application 3 fois par jour pendant une semaine et ces données ont été combinées à des données objectives d’utilisation des applications de rencontre telles que le temps passé sur chaque application ou le nombre d’ouvertures. Ce type d’approche permet d’évaluer plus précisément les processus psychologiques, comportementaux et physiologiques complexes et temporellement dynamiques dans l’environnement naturel dont l’utilisation des réseaux sociaux et ses effets font partie.

Embrasser la complexité de la compréhension de notre relation aux réseaux sociaux

Face à ces nombreux défis et obstacles qui créent des zones d’ombre et entravent notre compréhension des effets réels des réseaux sociaux, les conclusions à tirer sont en demi-teinte. Il est préférable d’aborder cette problématique avec prudence, en évitant les réactions excessives de panique morale qui sont largement répandues face à l’adoption de nouvelles technologies de manière générale. De récentes méta-analyses indiquent même que l’utilisation des réseaux sociaux explique seulement une très faible proportion de la variabilité du bien-être individuel, contredisant ainsi les affirmations alarmistes sur ces plates-formes.

Il semblerait que les effets des réseaux sociaux varient considérablement en fonction des personnes, des plates-formes, des types d’utilisation ou encore des contextes. Il est crucial de reconnaître la complexité et la diversité de ces effets qui dépendent de multiples facteurs difficiles à étudier de manière exhaustive dans une seule étude. Notre compréhension des impacts des réseaux sociaux s’affine grâce aux nombreuses études qui sont menées, chacune tentant de faire face aux défis et obstacles qu’impose cet objet d’étude évolutif et richement nuancé.

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