Menu Close
Actuellement, pour les hommes, l'admissibilité au don de sang repose directement sur leur orientation sexuelle. shutterstock

Restrictions sur les dons de sang par les homosexuels : une mesure dépassée

À la suite du scandale du sang contaminé, au milieu des années 1980, le Canada a interdit aux hommes homosexuels de faire un don de sang. Cette mesure a subi certains assouplissements depuis, mais elle demeure discriminatoire et n’est pas appuyée par la science.

Depuis cet événement, l’interdiction complète a toutefois été remplacée par une abstinence de 5 ans, et a continué de diminuer lentement pour atteindre 3 mois à l’heure actuelle.

La pandémie de Covid-19 aura donc eu, pour certains, un avantage inattendu. Forcés à l’abstinence en raison du confinement, quelques hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes – ensuite identifiés par l’acronyme HARSAH – auront finalement pu donner du sang, répondant à l’appel lancé en juin dernier par François Legault. Certains avaient alors été choqués d’être exclus de cet appel aux dons.

Cette situation a soulevé de nouveau une problématique que le premier ministre Justin Trudeau avait pourtant promis de régler lors de sa campagne électorale de 2015. Il souhaitait alors modifier le règlement discriminatoire imposé à Héma-Québec par Santé Canada.

Actuellement, pour les hommes, l’admissibilité au don de sang repose directement sur leur orientation sexuelle. Le nouveau règlement prendrait plutôt en compte la présence de comportements sexuels à risque dans les mois précédant le don.

La pandémie ayant également eu un impact sur les dons de sang, la modification du règlement permettrait à davantage d’hommes de contribuer en cette période difficile. En tant que chercheurs en bioéthique, nous avons réfléchi aux enjeux que soulève cette situation.

Du sang « dangereux »

Mis en place dans la foulée du scandale du sang contaminé, en 1986, le premier règlement de Santé Canada interdisait aux hommes ayant eu une relation sexuelle avec d’autres hommes après 1977 de donner du sang. Dans les années 1980 et 1990, 2000 patients avaient alors été contaminés par le VIH et 60 000 par l’hépatite C.

La Commission d’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada avait recommandé en 1997 la création de Héma-Québec pour assurer la sécurité des produits sanguins utilisés. Un long procès s’en était suivi et en 2001, la Cour Suprême du Canada jugeait la Croix-Rouge, responsable alors des produits sanguins, coupable de négligence.

Toutefois, comme la prévalence du VIH/sida était particulièrement élevée chez les hommes homosexuels et que leurs pratiques sexuelles avaient été reliées à la transmission de la maladie, ils avaient été montrés du doigt et exclus du don de sang. Pour la majorité des gens, le lien était fait : d’une pratique d’abord basée sur la précaution, une discrimination supplémentaire était née. Le VIH/sida était la maladie des homosexuels et leur sang était donc dangereux pour le reste de la population.

Une chance sur 23 millions

À la suite du scandale, plusieurs tests de détection du virus avaient été instaurés pour assurer la qualité des produits sanguins administrés. Avec les années, la recherche sur le VIH/sida ayant entraîné une mise à jour considérable des connaissances sur cette maladie, certains assouplissements ont vu le jour.

Ainsi, l’exclusion complète est passée, en 2013, à 5 ans d’abstinence, puis à 1 an en 2016. En 2019, cette précaution était diminuée à 3 mois ; on évaluait alors le risque de transmission du VIH par transfusion sanguine à moins de 1 chance sur 23 millions. Sur le site d’Héma-Québec, on peut toutefois encore lire :

Il est légitime et nécessaire d’interdire le don de sang chez certains groupes à risque. La fréquence d’infection au VIH demeure aujourd’hui beaucoup plus élevée chez les HARSAH que dans la population générale. La prévalence du VIH se situe à près de 15 % chez ce groupe par rapport à bien moins de 1 % chez les hétérosexuels ou les lesbiennes.

Cette situation n’est pas unique au Québec. Récemment, une alliance d’organismes français a porté plainte devant la Commission européenne pour discrimination envers les HARSAH. Ils s’appuyaient sur la différence du traitement réservé aux hétérosexuels, qui eux doivent n’avoir eu qu’un seul partenaire sexuel lors des quatre mois précédant le don.

Une règle discriminatoire

De son côté, la Grande-Bretagne jugeait également l’exclusion à vie discriminatoire, et scientifiquement non justifiée, argumentant que les statistiques suggéraient bien la prudence, mais pas l’interdiction.

Plusieurs pays européens ont déjà franchi ce pas : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Pologne et la République tchèque évaluent les comportements à risque et tous ces pays ont un point en commun : malgré l’ouverture des critères d’accessibilité au don de sang, aucun événement indésirable n’est survenu.

Bien que l’application du principe de précaution demeure essentielle, d’importants acteurs comme la Société canadienne du sang et même Héma-Québec réclament depuis plusieurs années une modification à ce règlement de Santé Canada.

En effet, ils lui demandent de mettre fin à la stigmatisation imposée aux HARSAH. Selon eux, les donneurs devraient être sélectionnés non pas en fonction de leur appartenance à un groupe jugé à risque, mais plutôt sur la base de leurs comportements individuels. Ils permettraient ainsi à un groupe déjà très discriminé de contribuer à l’effort commun de don de sang, et ils contribueraient également à dissiper certains préjugés tenaces sur les HARSAH.

Mentir pour donner du sang

L’enjeu demeure complexe. D’un côté, les organismes canadiens responsables de l’approvisionnement en sang doivent suivre la recommandation de la Commission, selon laquelle le principe de sécurité prime sur les autres principes et politiques. De l’autre, la communauté scientifique canadienne et internationale reconnaît clairement que l’exclusion systématique d’individus jugés à risque en raison de leur appartenance à un groupe n’est pas justifiée.

Au contraire, elle contribue uniquement au maintien de préjugés provenant d’une autre époque. Entre les mesures appliquées et son discours revendicateur, même Hema-Québec montre un malaise face à une discrimination aveugle en poursuivant ses démarches pour remplacer la période d’abstinence par une évaluation des comportements à risque.

Ainsi, plusieurs HARSAH vivant dans une relation stable depuis plusieurs années choisissent plutôt de mentir pour contourner le critère des 3 mois, mentionnant que la désobéissance est préférable à l’inaction causée par cette injustice.

Une précaution exagérée

Au niveau de la recherche, l’injustice est aussi présente. Comme la prévalence de la Covid-19 dans la population est mesurée notamment à partir du sang recueilli par les dons, le groupe des HARSAH, qui pourrait représenter jusqu’à 5 % de la population, s’en trouve exclu.

Il est étonnant qu’une mesure discriminatoire et qui ne s’appuie pas sur la science soit encore appliquée aujourd’hui. Bien que la précaution demeure essentielle, tous les acteurs impliqués mentionnent que la règle devrait se baser sur les comportements à risque et non sur l’orientation sexuelle. Un changement permettrait de réduire certains préjugés tenaces envers ceux à qui on refuse injustement de donner du sang.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,800 academics and researchers from 4,938 institutions.

Register now