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Retour d’expérience sur l’enseignement de l’anthropocène à l’université

L’université, un lieu incontournable pour documenter les transformations de la planète. Shutterstock

La planète bleue voit incontestablement son état se détériorer : les différents systèmes naturels interconnectés (biosphère, atmosphère, hydrosphère, lithosphère) sont dégradés de manière profonde et généralisée par les activités humaines, avec ce que certains chercheurs ont nommé une « grande accélération » depuis les années 1950. L’urgence de partager le constat sur l’état de la planète et d’élaborer des réponses à la hauteur des enjeux pour maintenir son habitabilité se fait chaque jour plus pressante.

Pour répondre à ces défis scientifiques et politiques, l’université, comme actrice de la production et du partage du savoir, a un rôle déterminant à jouer. Elle est un lieu incontournable pour documenter les transformations de la planète, contribuer à forger des solutions audacieuses et former les étudiant·e·s, ces citoyen·ne·s qui façonneront nos sociétés de demain.

Face à ces constats, les universités doivent particulièrement progresser sur le volet de la formation : une récente analyse montre que l’enseignement supérieur ne prend pas suffisamment au sérieux les enjeux du réchauffement climatique et de la perte de biodiversité.

Parallèlement à cela, les attentes et les demandes des étudiant·e·s en ce sens vont croissant, ceux-ci et celles-ci s’estimant – à juste titre – insuffisamment formé·e·s aux enjeux écologiques qui dessinent leur monde.

Mais quels types de formations organiser ? À quel niveau du cursus ? Ces questions sont au cœur des réflexions de nombreux collectifs.

18 heures de cours dans le cursus

Une réponse possible est la création d’un enseignement pluridisciplinaire obligatoire en licence, là où l’audience est la plus large.

C’est ce que nous avons fait en deuxième année de licence de physique à l’université de Paris en 2021, en insérant un tel cours dans une maquette préalablement validée en 2019. Avec 18 heures de cours magistral, l’enseignement proposé ne compte que pour 1 % du nombre total d’heures de cours dispensées sur les trois années de la licence. C’est donc une contribution marginale du point de vue du volume, qui ne dénature pas la coloration disciplinaire du cursus dans lequel elle s’intègre.

Elle est néanmoins capitale pour nourrir la sensibilisation et la compréhension des étudiant·e·s de ces enjeux dans un cadre méthodologique qu’ils et elles reconnaissent comme rigoureux. Compte tenu de leur intrication pluridisciplinaire, les possibilités d’axes à aborder sont multiples, tout comme le sont les portes d’entrée. Il est évidemment illusoire de prétendre faire le tour de la question, des choix doivent être faits.

Un enseignement pluridisciplinaire

Notre principale ambition était de déclencher une prise de conscience par les étudiant·e·s des problèmes, de leur amplitude et de leur interdépendance. Notre objectif secondaire a consisté à encourager les étudiant·e·s à approfondir certains thèmes abordés à l’aide de ressources bibliographiques, en s’appuyant sur leurs connaissances disciplinaires (la physique ici), et à nourrir une réflexion sur un potentiel engagement citoyen.

Étant donné le caractère éminemment pluridisciplinaire des questions de transition écologique, nous avons tiré parti de la multitude d’expertises présentes à l’université de Paris pour proposer un enseignement s’appuyant sur les sciences et technologies – physique, chimie, écologie – et sur les sciences humaines et sociales – histoire, sociologie et économie des transitions –, élaboré collectivement par cinq enseignant·e·s : deux physiciens, une chimiste, un écologue et une sociologue.

Limites planétaires

Dans ce cours, nous avons introduit les notions de limites planétaires ainsi que les contours de la méthode scientifique ; le fonctionnement physique du climat et les observations du réchauffement ; les gaz à effet de serre et l’énergie dans la société.

Nous avons démontré pourquoi et comment la combustion des énergies fossiles carbonées est à l’origine du dépassement des limites planétaires. Les notions d’écosystème, de biodiversité et de services écosystémiques ont été dispensées pour présenter nos connaissances actuelles sur la crise de la biodiversité.

Un lien a ensuite été fait entre physique et économie sur les notions de flux (énergie solaire) et de stock (énergies fossiles), en les situant dans la perspective historique de la révolution industrielle et la limitation des ressources terrestres.

Dimensions sociales et politiques

Enfin, le cycle de cours s’est clôturé par une mise en perspective critique des enjeux épistémiques, sociaux et politiques des transitions environnementales. La dernière séance fut conçue comme un temps d’échange autour de la mobilisation suivant le constat et des leviers d’actions possibles pour amorcer le nécessaire changement de trajectoire.

Une part importante s’est appuyée sur le bilan gaz à effet de serre personnel, pour mettre en regard les efforts individuels (alimentation, transport, etc.) et les transformations systémiques.

La notion de progrès technologique, son acceptation par la société et son caractère inévitable, a été questionnée.

Enfin, différents engagements « militants » possibles notamment dans des associations étudiantes locales et/ou nationales ont été discutés.

85 % des étudiants intéressés

Le format de ces cours dans cette première version était traditionnel, transmissif. L’enseignement ayant eu lieu cette année intégralement à distance, les évaluations le furent également, sous la forme de questions de cours à choix multiples, pour chacune des parties.

La promotion comportait 99 étudiant·e·s, dont 7 ont été absent·e·s aux évaluations. En moyenne, 40 à 50 étudiant·e·s étaient connectés aux différents cours, qui étaient ensuite entièrement mis à leur disposition (diaporama et enregistrement vidéo). Les réponses aux évaluations montrent que les étudiants se les sont appropriés d’une façon ou d’une autre, au moins dans l’objectif de celles-ci.

Un sondage anonyme de fin de module (61 réponses) nous a appris que 85 % des répondant·e·s ont trouvé le cours nécessaire (34 %) ou utile (51 %), alors que 15 % (soit 9 étudiant·e·s) l’ont trouvé inutile. 61 % estiment que ce cours leur a fait prendre conscience de l’urgence environnementale et 38 % en avaient déjà conscience. À la question : « ce cours m’a donné envie de m’engager : », les étudiant·e·s répondent :

  • à réduire mon impact (carbone, déchets, achats…) (66 %)

  • à en savoir plus (à me former plus avant) (53 %)

  • à former mon entourage (44 %)

  • en votant (26 %)

  • dans une association militante (13 %)

  • en réexaminant mon projet professionnel (12 %)

21 % déclarent ne pas avoir envie de s’engager.

Ces résultats renforcent l’idée qu’une telle formation est pertinente, même au niveau universitaire, et répond à une lacune dans la formation citoyenne et scientifique des étudiant·e·s.

Vers une formation obligatoire ?

De par l’aspect pluridisciplinaire et universel de la problématique, un tel enseignement pourrait trouver sa place dans tous les cursus de l’enseignement supérieur.

Il n’a pas besoin d’être encadré par des lois ou des certificats, mais peut s’insérer dans les libertés académiques des enseignant·e·s-chercheur·se·s afin de représenter la diversité des travaux académiques sur le sujet, mais également pour s’adapter aux différents cursus des étudiant·e·s, en mettant l’accent sur telle ou telle composante de la problématique.

C’est au contraire aux enseignant·e·s-chercheur·se·s de s’emparer eux·elles-mêmes de ces questions.

Compte tenu de l’urgence de la situation et de l’importance du sujet, il serait préférable de rendre la formation obligatoire pour tou·te·s les étudiant·e·s, ce qui nécessite l’appui des directions de départements. L’impulsion vers la mise en place de ces formations peut donc venir à la fois des étudiant·e·s, des personnels enseignants et des directions des universités.


Les auteurs remercient Laurent Ménard qui a permis à ce cours d’exister, ainsi que les étudiant·e·s de ce premier opus.

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