Les syndicats CGT, FSU, Solidaires appellent à une mobilisation massive ce mardi 1er octobre, jour du discours de politique générale du premier ministre, exigeant notamment l’abrogation des réformes des assurances retraite et chômage. Une journée test, alors que la nouvelle ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, semble prête à certains compromis.
Pas de répit pour le gouvernement Barnier : les syndicats battront le pavé dès la rentrée du premier ministre devant les députés le 1er octobre. Sans surprise, la réforme des retraites est le principal motif de cette mobilisation, comme le rappellent les syndicats : « Nous avons été des millions à nous mobiliser pendant plus de 6 mois contre la retraite à 64 ans ». Après l’échec d’Emmanuel Macron aux élections législatives, les organisations entendent obtenir son abrogation.
D’autres sujets sont sur la table : les salaires (et la revendication d’un smic à 2 000 euros), des « moyens financiers et humains » pour les services publics, l’action nécessaire contre un regain de licenciements dans l’industrie.
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La réforme de l’assurance-chômage est également à l’ordre du jour, mais le front syndical semble moins uni que par le passé sur ce sujet. Seules trois organisations syndicales (sur cinq, « représentatives » au plan national) ont signé le nouveau protocole d’accord avec les organisations d’employeurs. En outre, le texte ne convenait pas au gouvernement qui ne l’a donc pas validé. Ce dernier entend durcir toujours plus les conditions d’indemnisation des chômeurs afin de les contraindre au retour à l’emploi sans délai.
Pourtant, l’approche du gouvernement est aujourd’hui rejetée par de nombreux syndicalistes ou observateurs. Ainsi, François Hommeril, président de la CFE-GCC – qui ne passe pas pour l’organisation la plus radicale – dénonçait en mai 2024 « une réforme « populiste » qui prétend, contre la réalité, qu’en tapant un peu plus sur les chômeurs, en précarisant les conditions dans lesquelles ils vivent pendant qu’ils recherchent du travail, ils vont trouver plus facilement du travail ».
Emploi des seniors, un dossier sensible
Autre dossier sensible : l’emploi des seniors, qui a donné lieu à une négociation nationale interprofessionnelle. Le sujet s’est imposé après le relèvement de l’âge de départ à la retraite et les partenaires y ont vu la possibilité d’en limiter l’impact. L’allongement des carrières suppose en effet des aménagements et des mesures favorisant l’emploi des seniors. Si les syndicats ont été relativement unis dans leurs propositions, ils se sont heurtés à des employeurs réticents et divisés. La négociation échouait finalement en avril, aboutissant à un texte minoritaire signé seulement par la CFDT, la CFTC et l’U2P (entreprises artisanales et professions libérales). Le gouvernement s’est servi de cet échec pour reprendre en main la réforme de l’assurance chômage. Manifestement, il craignait des propositions syndicales trop coûteuses pour les budgets sociaux.
L’unité syndicale a globalement bien résisté, même si les différentes organisations ont divergé dans leur rapport au politique à l’occasion des élections législatives de l’été 2024. Dès le 10 juin, cinq organisations (CGT, CFDT, UNSA, FSU, Solidaires), sur les huit composant l’intersyndicale, alertaient sur la démocratie « en danger » en raison du vote en faveur de « l’extrême droite » lors des élections européennes, dressaient une liste de revendications et appelaient à manifester. Puis elles entendaient « faire barrage au RN » (CFDT, UNSA, FSU) ou mobilisaient pour le vote en faveur du Nouveau Front populaire (CGT et Solidaires). Les autres organisations refusaient de diffuser toute consigne électorale, pour « rester sur le terrain syndical », laisser le « débat politique… aux citoyens », de crainte – selon FO – d’une « aliénation de la force militante de la classe ouvrière ».
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A la rentrée de septembre, ce clivage se recomposait partiellement et perdurait vis-à-vis du premier ministre cette fois : trois organisations appelaient à se mobiliser dès le 1er octobre contre une nomination « qui – selon la CGT – tourne le dos au vote des Françaises et des Français », affirmant que « les reculs sociaux vont se poursuivre et risquent même de s’aggraver avec le soutien du FN ». Les autres organisations – dont la CFDT et l’UNSA – se montraient plus attentistes, tant que les priorités sociales de Michel Barnier n’étaient pas officiellement connues.
Astrid Panosyan-Bouvet, une ministre qui veut relancer le dialogue
D’autant plus que, pour beaucoup, la nouvelle ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a semblé une bonne surprise. Elle est l’autre membre du gouvernement qui a un passé au PS. Son discours lors de la passation des pouvoirs avec Catherine Vautrin a fait mouche. Évoquant d’abord le travail comme « lieu de construction de l’estime de soi » puis la nécessité de « regarder la question des bas salaires » et de ne pas faire du smic « un salaire à vie », la nouvelle ministre souhaite aussi « incarner un « changement de méthode » pour mettre l’accent sur « la légitimité de la société civile et des partenaires sociaux – organisations syndicales comme patronales » – avec qui « les liens se sont parfois distendus ces dernières années » et qu’elle entend « restaurer » et « consolider ».
Elle souhaite également « rendre la dernière réforme des retraites soutenable pour tous et laisse entendre que de nouveaux réglages interviendront, concernant les femmes en particulier. Antérieurement, en tant que députée, elle avait évoqué la nécessité de mieux prendre en compte la « pénibilité » et s’était opposée à la réforme de l’assurance chômage engagée par le gouvernement, estimant « La question du travail et de l’emploi doit être vue dans son ensemble. Si un seul levier, celui de l’assurance-chômage, est activé, on rate la cible ».
Reçus à Matignon le 24 septembre, les dirigeants de la CFDT ne sont pas loin de penser qu’un changement de méthode pourrait s’amorcer. Leur priorité reste cependant la remise en cause de l’âge de départ à la retraite. Reçue à son tour, la secrétaire générale de la CGT appelle « les salariés à se mobiliser pour imposer nos exigences sociales », autrement dit à « enterrer » les réformes des retraites et de l’assurance chômage. Des discussions vont sans doute se poursuivre – voire des négociations reprendre – mais leur aboutissement s’annonce difficile compte tenu de l’ampleur et de la nature des déficits qui concernent les différents régimes de retraite.
Popularité syndicale en hausse
L’intersyndicale – et ses priorités d’action – perdurent, donc, mais avec des divergences. Le succès – relatif ou non – de la journée du 1er octobre sera donc un test, alors que la popularité des syndicats est en hausse. Ainsi, 40 % des Français leur faisaient confiance en février 2024. C’est 4 points de plus en un an, ce qui traduit l’impact du mouvement social de 2023. Malgré tout, les syndicats ne sont pas parvenus – pour le moment – à infléchir la réforme de 2023, ni celle de l’assurance-chômage.
Finalement est-ce le bon choix de privilégier la manifestation à la grève ? La CGT ne s’y trompe pas et choisit prudemment – comme en ce 1er octobre – de relancer la grève. Mais le succès de celle-ci implique de pouvoir s’appuyer sur des syndiqués nombreux et bien organisés. Or le niveau de syndicalisation reste faible en France. Certes, les organisations ont annoncé avoir gagné des adhérents à la suite des manifestations de 2023 (40 000 selon la CGT, 60 000 selon la CFDT). Mais à la clôture de ses comptes annuels, la seconde en a comptabilisé trois fois moins. La CGT, elle, n'a rien indiqué de sa croissance effective. La re-syndicalisation serait donc en marche mais bien loin de la « ruée syndicale » connue sous le Front populaire.