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Retraites enseignantes : un système plus ancien qu’on ne le croit

C'est dans les écoles normales qu'étaient formés les enseignants de primaire au XIXe et au XXe siècle (ici, façade de l'école normale de Dijon). Wikimedia/Christophe Finot, CC BY-NC-SA

Les enseignants font partie des professions en pointe dans la contestation actuelle contre la réforme des retraites. Le mouvement va-t-il prendre de l’ampleur ? Les manifestations des prochains jours le diront. Reste que la mobilisation enseignante s’inscrit dans un cadre historique spécifique. Leur régime de retraite ne date nullement de la Libération, comme le régime général, mais des deux Empires.

Un système aussi ancien peut-il être refondé radicalement sur de toutes autres bases, même en quelques années, sans de grandes difficultés (pour les uns comme pour les autres) ? Retour sur sa genèse.

Création impériale

Le principe d’une retraite pour les enseignants fut envisagé pour la première fois après la Révolution française. En créant en 1795 le maillage des écoles « centrales » – une au centre de chaque département, la Convention (l’assemblée constituante qui créa la première République) accorda aux enseignants de ces établissements une retraite égale au traitement de leur dernière année d’enseignement après vingt-cinq ans de service.

Si cette mesure n’eut pas le temps d’être vraiment mise en œuvre, la création « napoléonienne » ne fut-elle pas éphémère. En 1800, à la place des écoles centrales, furent institués les lycées, et, pour leurs professeurs, une pension égale aux trois quarts de leur dernier traitement après trente ans de service. L’Empereur avait même songé à créer pour eux une maison de retraite sur le modèle de l’hôtel des Invalides…

Sous le Second Empire, ce dispositif est modifié dans le cadre de la loi du 9 juin 1853 qui institue une pension de retraite pour tous les fonctionnaires civils de l’État. Selon le rapport de la commission du Sénat chargée d’instruire le projet de loi, il s’agit de remédier à l’extension non maîtrisée des caisses spéciales de retraite qui induisent de « choquantes inégalités dans la situation des fonctionnaires », et la commission se montre tout à fait favorable au projet de loi : « l’uniformité est substituée à des règles arbitraires ».

Cette loi distingue les services dits « actifs » (facteurs, agents des douanes, garde-forestiers, préposés en chef des postes d’octroi) qui permettent le départ à 55 ans, et les services dits « sédentaires » où il faut attendre 60 ans. La retraite est calculée à partir de la moyenne des traitements des six dernières années d’exercice, à raison de 1/50 par année de service pour les services dits « actifs », et de 1/60 pour les services dits « sédentaires ». Les professeurs sont classés parmi les « sédentaires ».

Sept ans après les grandes lois ferrystes de 1881 et 1882 instituant l’obligation d’instruction primaire ainsi que la gratuité et la laïcité des écoles communales, les instituteurs et institutrices enseignant dans les écoles communales deviennent fonctionnaires d’État en 1889. Pour la retraite, ils sont classés parmi les services dits « actifs » et peuvent donc en bénéficier à partir de 55 ans.

Inégalités salariales

La loi du 9 juin 1853 est modifiée par celle du 14 avril 1924 essentiellement sur un point : le calcul de la retraite n’est plus établi à partir de la moyenne des traitements des six dernières années de service, mais des trois dernières années.

Tout cela n’est pas de l’ordre du détail, car, comme aujourd’hui, les traitements des professeurs et des instituteurs varient beaucoup depuis les débuts de carrière jusqu’à la fin de carrière.

En 1910, comme le rappelle l’Histoire de l’enseignement en France d’Antoine Prost, les traitements annuels varient de :

  • 1 100 francs-or en début de carrière à 2200 en fin de carrière pour les instituteurs ;

  • 2 900 francs-or à 4 900 pour les professeurs de collèges licenciés ;

  • de 3 700 francs-or à 5 700 pour les chargés de cours des lycées

  • de 4 200 francs-or à 6 700 pour les agrégés d’étalissements de province ;

  • de 6 000 francs-or à 9 500 pour les agrégés de Paris.

On aura remarqué que les différences sont très sensibles pour tous les enseignants entre le début et la fin de leur carrière (comme aujourd’hui), mais aussi entre les différentes catégories d’enseignants. En fin de carrière, un agrégé de Paris gagne 4,3 fois plus qu’un instituteur.


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Les instituteurs pouvaient certes prendre leur retraite dès 55 ans (contrairement aux professeurs du secondaire qui ne pouvaient la prendre qu’à 60 ans), mais elle était bien plus faible compte tenu de leurs traitements (même en fin de carrière) beaucoup plus bas.

Dans Les Cahiers de la Quinzaine du 16 février 1913, Charles Péguy a bien pu alors promouvoir « les hussards noirs de la République », il apparaît que la reconnaissance et le dévouement ne payent pas « ipso facto ». L’expression a été indéfiniment reprise depuis pour exalter les maîtres d’école – à tort d’ailleurs, car il s’agissait pour Péguy de distinguer seulement les normaliens des écoles normales d’instituteurs et leurs uniformes.

Les élèves-maîtres de la promotion 1908-1911 de l’École normale de garçons d’Orléans (Loiret). Wikimedia, archives familiales

Finalement, comme l’a bien mis en évidence l’historien anglais Théodore Zeldin dans son Histoire des passions françaises :

« En 1914, les instituteurs d’Alsace-Lorraine (alors sous souveraineté allemande) recevaient un salaire deux fois plus élevé que celui de leurs collègues français et, dans une enquête internationale, les enseignants du primaire en France furent classés comme les plus mal payés d’Europe, venant à la vingt-cinquième place, à égalité avec ceux du Monténégro. »

Aujourd’hui, les enseignants du primaire, devenus professeurs des écoles, ne peuvent plus prendre leur retraite à 55 ans et sont alignés sur le dispositif des retraites dévolu à l’ensemble des professeurs. Ils ont la même grille indiciaire que les professeurs du secondaire non agrégés, sans bénéficier du type de primes existant dans l’enseignement secondaire.

On voit là que la réforme des retraites enseignantes ne peut s’envisager sans une réflexion globale sur les carrières et leurs évolutions. Alors que le gouvernement a promis une revalorisation équivalente à 500 millions par an, les syndicats pointent le flou qui se cache derrière les déclarations générales. Les négociations devraient s’échelonner jusqu’en juin 2020. Mais se pose aussi la question des fins de carrière et des aménagements possibles face à l’allongement de la durée de travail. Vaste chantier.


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