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Chameaux, pyramides et flux cosmique. Pradeep Gopal / Unsplash

Révéler les secrets des pyramides avec les particules cosmiques

Les pyramides ont encore des secrets bien cachés à l’intérieur de pièces innaccesibles. Les particules cosmiques offrent un nouvel outil d’analyse.

La radiographie est une manière non intrusive d’explorer l’intérieur de la matière. Les rayons X sont utilisés depuis longtemps pour ausculter le corps humain. Une nouvelle technique s’est développée pour sonder des structures beaucoup plus massives : la muographie.

En 1895 Wilhelm Röntgen produit la première radiographie de l’histoire. Elle est montrée sur la figure. Il s’agit d’une main exposée à un rayonnement nouveau. Röntgen vient de découvrir les rayons X, des photons d’énergie mille fois supérieure à celle des photons visibles. Ce rayonnement provenait de rayons cathodiques étudiés alors : les jets d’électrons observés dans des tubes similaires aux anciens téléviseurs, dans lesquels règne le vide, frappent l’extrémité du tube et la paroi ainsi bombardée émet alors ce rayonnement invisible appelé « pénétrant » car il traverse une épaisseur de matière non négligeable. Une plaque photographique en est impressionnée et Röntgen eut l’idée d’interposer la main de sa femme sur leur parcours. Le rayonnement est plus ou moins absorbé par la matière traversée, et les os des doigts, et encore mieux l’alliance bien visible, atténuent le flux beaucoup plus que la chair, d’où la photo. On voyait pour la première fois l’intérieur du corps humain de manière indolore.

La première radiographie de Wilhelm Röntgen.

La radiographie d’une pyramide joue sur le même principe, elle est aujourd’hui utilisée pour rechercher des niches secrètes. Encore faut-il disposer d’un rayonnement plus pénétrant que les rayons X qui s’arrêtent sur quelques centimètres de matière. Les neutrinos traversent toute la Terre sans perte, mais ils demandent des détecteurs pharaoniques ! Les muons offrent l’outil adapté.

Les muons sont des particules élémentaires similaires aux électrons mais de masse 200 fois supérieure. Leurs propriétés sont telles qu’ils traversent facilement des dizaines de mètres de roches si leur énergie est suffisante. Les muons subissent les interactions électromagnétiques, ils perdent ainsi 700 MeV (unité d’énergie communément utilisée) à la traversée d’un mètre de fer. Mais ils ne sentent pas les interactions fortes et leur trajectoire dans la matière est quasi-linéaire. Ayant une charge électrique, ils sont facilement repérables. Pourtant, il n’est pas question de construire un accélérateur au milieu du désert de Gizeh pour l’occasion. Il faut donc se rabattre sur des muons d’origine naturelle, et ici les rayons cosmiques sont mis à contribution.

Les rayons cosmiques

On appelle rayons cosmiques des particules venant du ciel. Ils furent identifiés en 1912 par Victor Hess.

On avait noté qu’un électroscope se déchargeait continument au cours du temps, même maintenu sous une cloche vide. Cela suggérait la présence de particules chargées dans l’espace ambiant. Deux explications pouvaient s’envisager : ce rayonnement provenait soit d’une radioactivité globale de la Terre, qui existe en tout état de cause, soit d’une émission provenant du cosmos. L’expérience devait départager ces deux hypothèses.

Un premier essai infructueux fut tenté au sommet de la tour Eiffel ; il fallait aller plus haut. Hess n’hésita pas à monter en ballon pour atteindre l’altitude de 5 000 m, observant la décharge de l’électroscope au fur et à mesure de l’ascension.

Victor Hess dans son ballon.

Il apparaissait qu’elle devenait plus rapide avec la hauteur ; le flux de particules y était donc plus intense qu’au niveau du sol. Un rayonnement nous tombait du ciel, ouvrant tout d’un coup l’Univers entier à l’investigation des chercheurs. Après la révolution de Galilée quadruplant le ciel observable grâce à sa lunette, on inaugurait une nouvelle manière d’explorer le firmament.

Un rayonnement cosmique nous tombe constamment sur la tête. Des rayons primaires nous viennent du fin fond de l’univers, ce sont essentiellement des protons, les mêmes objets que l’on trouve à l’intérieur des atomes. Ils peuvent être animés de très grandes énergies, on en a observé portant des énergies équivalentes à celle d’une balle de tennis frappée par un joueur de haut niveau. Mais ces rayons n’atteignent pas la surface terrestre. Ils interagissent rapidement dans la haute atmosphère en produisant des gerbes, c’est-à-dire des cascades très denses de particules secondaires dont le nombre peut atteindre plusieurs milliards et qui arrosent des kilomètres carrés à l’arrivée sur Terre.

Avant l’ère des accélérateurs, les rayons cosmiques offraient du grain à moudre aux physiciens qui gravissaient les montagnes pour étudier la grande variété des particules constituant les gerbes. En 1932, Anderson y découvre une première trace d’antimatière. Plus tard, on y identifia une nouvelle classe d’objets : les particules étranges. De plus, on y découvrit le muon. En fait, au niveau de la Terre, les rayons cosmiques sont essentiellement de cette nature. Tous les autres types, à l’exception des neutrinos, ont rapidement ré-interagi ou se sont désintégrés dans l’épaisseur de l’atmosphère. Le muon peut traverser beaucoup de matière et son temps de vie est suffisamment long. Au final, les muons arrosent la Terre à hauteur d’une centaine par seconde sur chaque mètre carré.

Comment détecte-t-on un muon ?

Un muon portant la charge électrique élémentaire sème sur son passage dans la matière des électrons peu énergiques qu’il arrache aux atomes : c’est le phénomène d’ionisation. Des détecteurs emplis d’un gaz donnant le milieu à ioniser, pourront repérer leur passage. Il s’agit de recueillir un signal exploitable. Après amplification par un champ électrique, les électrons produisent un courant assez élevé pouvant être perçu par une électronique associée. L’électrode qui recueille le signal peut être segmentée en pistes ce qui permet de mesurer précisément le passage du muon en une dimension par le numéro de la piste touchée. À partir de plans croisés de telles chambres, on recueille l’information complète d’un point dans l’espace. Associant plusieurs dispositifs similaires, on forme un télescope qui permet de suivre la trajectoire des muons dans l’espace. Le signal des électrons est très rapide, cela fixe l’instant du passage à la microseconde près, et la résolution spatiale des détecteurs peut être meilleure que le 1/10 mm.

Une pyramide mise à nu

Dès 1968, Luis Alvarez, qui gagna le Prix Nobel pour avoir amélioré la technique des chambre à bulles, eut l’idée de détecter des muons traversant la pyramide de Khéphren pour y chercher des chambres secrètes. Le projet ne donna rien, le détecteur était trop limité, mais l’idée perdura. D’autres équipes s’intéréssèrent aux pyramides tant mexicaines qu’égyptiennes.

Récemment, une collaboration internationale lança la mission ScanPyramids pour s’attaquer à la grande pyramide de Khéops. On mesura la direction d’arrivée des muons cosmiques émergeant de la structure de pierre, en recherchant dans leur flux une anomalie. On a dit que le flux avoisine les 100 particules par seconde et m2 ; c’est le flux moyen sans absorption. Ces muons tombent majoritairement selon la verticale, mais ils ont une distribution angulaire très large et certains arrivent presque rasant, ce sont ces derniers qui nous intéressent.

Scan Pyramids.

Le principe est donc simple. Comme pour la main de Mme Röntgen, on utilise l’imagerie par absorption. Plus ou moins de muons arrivant d’une direction donnée indique la quantité de matière présente sur le parcours. Le flux mesuré dépend de l’épaisseur traversée, et une structure vide donnera un excès relatif de particules émergeantes. Si donc, dans une direction donnée, une cavité est cachée, le flux correspondant sera légèrement augmenté par rapport aux directions voisines puisque l’atténuation sera moindre. On obtient ainsi une photo “en creux”, au contraire de celle de Mme Röntgen.

La mission utilisa des détecteurs légers, facilitant leur transport et minimisant la perturbation des particules à détecter. Ainsi, trois télescopes furent pointés vers la pyramide. Chacun comprenait quatre plans de chambres empilées, couvrant une surface de 50cmx50cm montés sur une structure manœuvrable. Les modules étaient scellés avec suffisamment de gaz assurant un bon fonctionnement durant plusieurs mois. Au total, le dispositif permet une résolution angulaire sur la direction des muons telle qu’elle se traduit par une précision de 1m à 150m de distance. C’est suffisant pour le but recherché. La prise de données dura plusieurs mois afin d’accumuler suffisamment de statistique.

Dans un premier temps, l’observation retrouva les cavités déjà connues présentes près des arêtes, là où l’épaisseur de pierre n’est pas trop grande. Ceci validait la méthode. Les niches se révélèrent avec une sensibilité de un muon en excès par jour. Puis la mission se prolongea avec des détecteurs plus performants permettant davantage de statistique. La récompense s’ensuivit : une gigantesque salle de 30 m de long fut découverte au-dessus de la Grande Galerie qui mène à la chambre du roi. Sa fonction n’est pas encore claire.

Cette technique muographique n’est d’ailleurs pas limitée aux pyramides, elle est utilisée pour suivre l’évolution interne d’un volcan. Ici aussi les muons proches de l’horizontale traversent la montagne et leur flux est plus ou moins atténué suivant la quantité de matière traversée. Lave et roche ont des densités différentes, on peut donc ausculter le conduit interne à distance, sans danger et en temps réel. Un tel appareillage a été monté au voisinage du volcan de la Soufrière en Guadeloupe.

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