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Ruth Bader Ginsburg, une vie de combats

Statuette représentant Ruth Bader Ginsburg devant le bâtiment de la Cour suprême
Des milliers d'Américains ont déposé des fleurs, des photos et aussi cette statuette devant la Cour suprême, à Washington DC., en apprenant le décès de Ruth Bader Ginsburg survenu le 18 septembre 2020. Jose Luis Magana/AFP

Le décès à 87 ans de Ruth Bader Ginsburg, le 18 septembre dernier, a donné lieu à une salve d’hommages unanimes, en même temps qu’il a ravivé le débat autour de la composition de la Cour suprême des États-Unis, où la progressiste « RBG » siégeait depuis 1993.

Donald Trump réussira-t-il à la faire remplacer par une personnalité conservatrice avant la présidentielle du 3 novembre prochain ? Cette question est aujourd’hui au cœur de l’actualité américaine. Ce qui est certain, c’est que celui ou, plus probablement, celle (le locataire de la Maison Blanche s’étant engagé à nommer une femme) qui succédera à Ruth Ginsburg aura du mal à laisser une marque aussi profonde dans l’histoire de son pays.

Une pionnière parmi les femmes juristes

Ruth Joan Bader, fille de Nathan et Celia Bader, née le 15 mars 1933 à Brooklyn, grandit dans un quartier ouvrier de New York. Encouragée par sa mère, qui n’avait pas pu faire des études supérieures parce qu’elle devait subvenir à l’éducation de son propre frère, la jeune fille excelle dans ses études à la James Madison High School. Elle obtient sa licence d’administration publique à la prestigieuse Université de Cornell en 1954.

Elle épouse Martin D. Ginsburg, un étudiant en droit, et donne naissance à sa fille Jane alors que Martin Ginsburg s’apprête à partir effectuer son service militaire. Quand il revient après deux années de service, le couple s’installe à Harvard, où Ruth Bader Ginsburg poursuit des études en droit. Elle est l’une des neuf femmes sélectionnées parmi les 500 étudiants acceptés en 1956 et doit se justifier devant le doyen de sa faculté qui lui demande pourquoi elle « prend la place d’un homme ». Ruth n’oubliera jamais la discrimination sexiste dont elle fait alors l’objet et les autres obstacles qui se dressent sur sa route parce qu’elle est femme, mère et juive. Elle prend sa revanche en devenant la première femme à intégrer la prestigieuse Harvard Law Review. Elle obtient son doctorat en droit en 1959 à la Columbia Law School, où elle avait demandé à être transférée pour être aux côtés de son mari, qui avait trouvé un travail à New York.

Ruth Bader Ginsburg débute sa carrière en défendant les droits des femmes et cofonde avec l’American Civil Liberties Union le Projet des droits des femmes en 1972.

Tour à tour enseignante à l’Université de Columbia et chercheuse à l’Université de Stanford, elle devint professeur de droit à l’Université de Rutgers, puis à Columbia. En 1980, elle est nommée par le président Jimmy Carter juge à la Cour d’appel du circuit du District de Columbia. Sa nomination à la Cour suprême par Bill Clinton en 1993 vient couronner sa carrière de juge. Après Sandra Day O’Connor (1981-2006), elle est la seconde femme à détenir un siège à la Cour suprême. Opérée pour un cancer de pancréas en 2009, Ruth Bader Ginsburg demeure à son poste et continue de travailler jusqu’à son décès.

Bill Clinton et Ruth Bader Ginsburg à la Maison Blanche le 14 juin 1993. David Ake/AFP

Le documentaire RBG, réalisé en 2018 par Julie Cohen et Betsy West, et le film On the Basis of Sex de Mimi Lader, sorti également en 2018, dans lequel l’actrice Felicity Jones joue le rôle de Ruth Bader Ginsburg, lèvent quelques pans de la vie de cette femme d’exception. On y découvre une RBG passionnée d’opéra, et on y apprend qu’elle rejeta la tenue américaine de juge au profit de la robe d’avocate française. Cette tradition de l’élégance à la française a plus tard été suivie par d’autres juges femmes américaines.

Par ailleurs, les jabots qu’elle portait annonçaient en quelque sorte la couleur de ses opinions. Elle arbora notamment le bijou en forme d’araignée que les avocats londoniens lui avaient offert comme cadeau pour soutenir la présidente de la Cour suprême du Royaume-Uni Brenda Hale quand celle-ci prononça le jugement contre la prorogation illégale du Parlement par le gouvernement de Boris Johnson en septembre 2019, en pleine tempête de Brexit.

Une juge sur tous les fronts

En tant qu’avocate, juriste et juge dans le système accusatoire américain, voire en tant que personnalité médiatique, RBG s’est tout particulièrement battue pour les droits des femmes, notamment le droit à l’avortement ; pour le droit à l’égalité des minorités sexuelles, ethniques, migrantes et handicapées ; et contre le port d’arme comme droit constitutionnel.

Dans la décision United States v. Virginia (1996), Ginsburg rédigea l’opinion majoritaire de la Cour qui mit fin à l’admission uniquement des élèves de sexe masculin à l’institut militaire de Virginia.

Les basketteuses des Las Vegas Aces respectent une minute de silence à la mémoire de Ruth Bader Ginsburg avant le premier match de leur troisième tour de playoff contre le Connecticut Sun au Feld Entertainment Center le 20 septembre. Julio Aguilar/AFP

Elle se signala également lors du célèbre appel de Bush contre Gore (2000) qui détermina le résultat de la présidentielle américaine tenue cette année-là. Elle conclut alors :

« La conclusion de la Cour selon laquelle un recomptage conforme à la Constitution n’est pas réalisable est une prophétie que le jugement de la Cour ne permettra pas de tester. Une telle prophétie non testée ne devrait pas décider de la présidence des États. ».

La formulation percutante « I dissent » qu’elle utilisa pour la première fois à cette occasion (en lieu et place du traditionnel, et nettement plus souple, « I respectfully dissent ») dit toute son indignation et sa frustration.

Hommage à Ruth Bader Ginsburg devant le bâtiment de la Cour suprême à Washington, DC, le 19 septembre 2020. Jose Luis Magana/AFP

Concernant l’avortement légal, l’opinion de Ruth Bader Ginsburg fut toujours sans équivoque :

« Le gouvernement n’a pas à faire ce choix à la place d’une femme. »

Dans la décision Ledbetter v. Goodyear Tire & Rubber Company (2007) concernant l’égalité salariale homme-femme, la juge critiqua la Cour pour son interprétation austère de l’article VII de la Loi sur les droits civiques de 1964 qui allait à l’encontre des effets de rectification visés par la loi. Suite à l’opinion dissidente de Ruth Bader Ginsburg, la législation en la matière a évolué : le Lilly Ledbetter Fair Pay Act a été adopté en 2009.

Dans deux affaires (Gratz et Grutter (2003)) où deux étudiantes blanches avaient porté plainte contre l’Université de Michigan pour « discrimination à rebours », Ruth Bader Ginsburg essaya de faire prendre conscience aux juristes que la clause de protection de l’égalité des droits incluse dans la Constitution n’interdit que les classifications qui « empêchent des avantages, causent des dommages ou imposent des charges », pas celles qui corrigent les inégalités.

RBG, alors âgée de 85 ans, s’est également opposée à la décision Masterpiece Cakeshop v. Colorado Civil Rights Commission (2018) rendue par la Cour qui, au lieu de se prononcer sur le fond de l’affaire, s’est contentée d’épingler le manque de neutralité de la Commission des droits civiques du Colorado pour donner raison au commerçant. L’affaire était née du refus d’une pâtisserie de fabriquer un gâteau commandé par un couple homosexuel, refus fondé sur le fait que le propriétaire s’y opposait du fait de ses convictions religieuses.

Michael Widomski (à gauche) et David Hagedorn (à droite) laissent une photo de Ruth Bader Ginsburg à leur mariage devant la Cour suprême des États-Unis le 20 septembre 2020 à Washington, DC. La juge Ginsburg a célébré leur mariage en 2013, deux ans avant que la Cour suprême n’ouvre la voie aux mariages homosexuels dans tout le pays en 2015. Samuel Corum/AFP

Enfin, soulignons que la juge s’est distinguée en prenant position pour le contrôle des armes dans les zones situées près des écoles et en déplorant la reconnaissance par la Cour du fait que le droit de porter des armes était un droit individuel (affaire District of Columbia v. Heller 2008).

Ruth Bader Ginsburg avait par ailleurs l’habitude de se référer aux normes du droit international des droits de l’homme concernant la discrimination sexuelle et raciale ou la peine de mort quand elle discutait de la discrimination positive aux États-Unis, ce qui n’était pas pour plaire aux autres juges qui étaient attachés aux normes nationales.

Pourquoi le décès d’un juge devient-il un drame électoral ?

Aux États-Unis, les juges de la Cour suprême sont nommés à vie. Ils peuvent volontairement partir à la retraite ou être destitués de leur fonction, conformément à l’article 1 de la Constitution.

Après le décès d’Antonin Scalia en 2016, le président Obama tenta de nommer Merrick Garland à la Cour suprême pour que celle-ci conserve une majorité progressiste. Mais le leader de la majorité républciaine au Sénat, Mitch McConnell, avait refusé d’auditionner le juge Garland. In fine, ce fut le conservateur Neil Gorsuch qui fut nommé au fauteuil de Scalia, après l’élection de Donald Trump. Par la suite, Donald Trump nomma Brett Kavanaugh pour remplacer le juge Anthony Kennedy qui avait pris sa retraite. Avant le décès de RBG, les conservateurs étaient donc au nombre de cinq sur les neuf juges de la Cour suprême.

Si Donald Trump parvient à nommer une juge conservatrice dans la foulée de la disparition de RBG, la Cour aura, pour de longues années, une majorité nettement plus conservatrice (6-3). Cette majorité fera sûrement pencher la balance en faveur de non-restriction du port d’armes et du camp anti-avortement. Depuis l’affaire Marbury v. Madison (1803), la nomination des juges fait partie des bras de fer électoraux entre le président sortant et le présidentiable de l’opposition. Ruth Bader Ginsburg, qui en était évidemment parfaitement consciente, avait fait savoir dans ses derniers jours que son vœu était de ne pas être remplacée avant la présidentielle. Les prochaines semaines nous diront si ce dernier vœu aura été exaucé…

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