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Salaires des PDG et philanthropie : quand de bonnes intentions font mauvaise presse

Seul un PDG surpayé sur trois environ est la cible de critiques médiatiques. Monster Ztudio / Shutterstock

La presse peut jouer un rôle important dans le façonnement de la réputation d’une entreprise. Certains journalistes rapportent les faits de façon impartiale, mais d’autres y instillent un ton positif ou négatif, qui influence la façon dont une firme est perçue par les parties intéressées et le public.

Jean‑Philippe Vergne (Ivey Business School) et Steffen Brenner (Copenhagen Business School) et moi-même avons tenté de comprendre pourquoi certaines compagnies subissaient les diatribes de la presse à cause du salaire de leur PDG, tandis que d’autres, dans une situation similaire, échappaient à la censure.

Notre enquête a révélé qu’une entreprise qui s’implique dans des activités pouvant être perçues comme contradictoires était plus à même de faire mauvaise presse. Les activités paradoxales, comme verser un salaire exorbitant au PDG tout en se dévouant à des œuvres philanthropiques, peuvent générer de la confusion quant au caractère de la firme et contribuer à ce qu’elle soit perçue comme hypocrite ou trompeuse, ce qui suscite la méfiance et la désapprobation générale des observateurs.

Pour comprendre comment un comportement incohérent peut engendrer une mauvaise presse, notre équipe a isolé deux types de comportements des entreprises situés aux antipodes du spectre éthique : la cupidité et l’altruisme.

Quand la cupidité du PDG attire l’attention

La rémunération des PDG est un sujet qui attire énormément l’attention des médias. Les salaires excessifs non justifiés, où des PDG reçoivent a priori bien plus d’argent qu’ils ne le méritent, sont souvent considérés comme un signe de cupidité. Si la rémunération est quelque chose de très subjectif, il est possible d’estimer le montant qu’un PDG devrait recevoir en se basant sur la taille de la firme, l’industrie à laquelle elle appartient, sa rentabilité et le temps passé à occuper le poste.

Il n’est pas rare que les médias s’attaquent aux salaires excessifs des PDG en abordant le sujet de façon négative. Pourtant, lorsque l’on compare deux PDG qui ont reçu le même salaire dans les mêmes circonstances, l’un peut être victime de mauvaise presse, tandis que l’autre y échappe complètement. Par exemple, parmi les PDG surpayés pendant deux années consécutives, seuls 36,5 % des cas ont été la cible de critiques médiatiques (au cours de la deuxième année).

« Why some CEOs are criticized more than others for similar levels of overpayment » (HEC Knowledge, en anglais).

Face à la cupidité des PDG surpayés, certaines entreprises s’impliquent pourtant dans des activités philanthropiques dans l’objectif de « rendre à la société » de multiples façons (comme des dons à des associations caritatives ou davantage d’opportunités de bénévolat pour les employés). Les compagnies font ainsi preuve d’altruisme. Nous avons réfléchi à la question suivante : « si deux entreprises sont considérées comme surpayant leurs PDG, mais que seule l’une d’entre elles s’est impliquée dans une activité philanthropique, sera-t-elle davantage critiquée par les médias ? »

Pour répondre à cela, notre équipe a enquêté sur les rémunérations des entreprises cotées au S&P 1500 entre 1995 et 2006 et leurs réputations auprès de la presse.

Les incohérences renforcent la critique

D’une manière générale, l’étude a révélé que les entreprises qui s’impliquaient dans des activités philanthropiques étaient ensuite davantage critiquées par les médias lorsqu’elles accordaient des salaires excessifs à leurs PDG. Les activités positives et altruistes d’une entreprise renforcent donc la critique en cas de cupidité du PDG.

Plus spécifiquement, les chercheurs ont découvert que lorsqu’une entreprise ne mettait en place que peu d’activités philanthropiques, la rémunération outrancière de son PDG n’apparaissait de façon négative que dans 14 % des articles de presse, au lieu de 37 % pour les firmes engagées dans de nombreuses activités altruistes.

Le travail de notre équipe a également démontré que, victimes de mauvaise presse, certaines entreprises très philanthropes réduisaient le salaire excessif du PDG l’année suivante. Dans ces cas précis, la désapprobation des médias peut mener à une baisse du salaire immodéré du PDG. Cependant, cette réaction à la critique ne survient que chez une petite part des entreprises étudiées : celles fortement engagées dans des activités philanthropiques. Dans la plupart des situations, même si une firme participe à des œuvres caritatives, elle ne réagira pas à la désapprobation médiatique en réduisant le salaire du PDG.

Dans l’ensemble, pour éviter la critique des médias, les actions d’une entreprise doivent être cohérentes. Dans une certaine mesure, les découvertes de cette étude peuvent paraître contrintuitives, car les entreprises qui adoptent des pratiques éthiques sont réprimandées plus sévèrement que celles qui ne le font pas, conclut Georg Wernicke.

Toutefois, n’oublions pas qu’elles ne sont pas critiquées parce qu’elles ont bien agi, mais plutôt parce qu’elles envoient des messages contradictoires. Cette étude prouve également que les réactions de la presse peuvent influencer les actions des entreprises, dans le contexte des salaires excessifs des PDG.


Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche « Signal Incongruence and Its Consequences : A Study of Media Disapproval and CEO Overcompensation » de Georg Wernicke (HEC), Jean‑Philippe Vergne (Ivey Business School) and Steffen Brenner (Copenhagen Business School) publié dans la revue « Organization Science » en 2018.

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