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Sanctions scolaires : à propos de la réhabilitation des « lignes »

D'après la circulaire de juillet 2000, les punitions doivent avoir « un caractère moral et réparateur ». Shutterstock

« Vous me copierez cent fois : “Je ne dois pas porter de casquette en classe” ». Si cette réponse à l’incivilité d’un élève a des airs désuets, pourrait-elle résonner encore dans des classes aujourd’hui ? En tout cas, cette modalité de punition a bel et bien été recommandée par Jean‑Michel Blanquer, lors de la présentation le 31 octobre 2018 de son Plan d’action pour la protection de l’école.

Évoquant la nécessité de sanctions proportionnées et de mesures de « responsabilisation » des élèves, dans la lignée des travaux d’intérêt général, le ministre a ajouté qu’il « n’était pas rétrograde » de demander à un élève de « faire des lignes ». Il est piquant de constater que le représentant de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer s’inscrit ainsi benoîtement dans une tradition de « pensums » qui perdure en toute méconnaissance de leur interdiction formelle.

Une punition proscrite dès 1890

Renouvelée par la circulaire du 11 juillet 2000, cette proscription date initialement de l’arrêté du 5 juillet 1890. Celui-ci est très clair :

« les punitions auront toujours un caractère moral et réparateur ; le piquet, les pensums (les “lignes”), les privations de récréation, la retenue de promenade sont formellement interdits ».

En réalité ces prescriptions n’ont pas été vraiment respectées, loin s’en faut… Et en l’an 2000, lors de la remise à plat des punitions et sanctions qui est faite à ce moment-là, la circulaire du 11 juillet indique à nouveau que « les lignes doivent être proscrites ».

Cette disposition réglementaire (qui n’était nullement nouvelle) a suscité immédiatement de vives controverses et des oppositions irréductibles. Certains professeurs ont défendu l’idée qu’une punition devait être par nature « désagréable », et que le caractère fastidieux des « lignes » était opportun, même s’il était peu instructif. Et ils ont fait valoir qu’une punition s’inscrivant directement dans les tâches scolaires et se voulant « intelligente » – un exercice dans le livre par exemple – pouvait avoir pour effet de rabaisser le travail scolaire habituel au rang d’une punition.

Victor Hugo contre les « pensums »

On notera toutefois que les « pensums » avaient suscité en leur temps l’hostilité résolue de la commission instituée par l’arrêté du 12 juillet 1888 pour préparer le travail décisionnel du Conseil supérieur de l’Instruction publique, afin de définir une « discipline libérale ». Cette commission est présidée par le sénateur Jules Simon, philosophe et ancien ministre de l’Instruction publique.

On y trouve presque tous ceux qui ont compté pour l’institution de l’École républicaine, signe de l’importance qu’ils accordaient à cette question : Michel Bréal (professeur de grammaire au Collège de France), Ferdinand Buisson (directeur de l’Enseignement primaire pendant dix-sept ans, nommé à ce poste par Jules Ferry), Gabriel Compayré (le pédagogue des écoles normales), l’historien Ernest Lavisse (l’auteur des célèbres « petits Lavisse », manuels d’histoire de la communale), Louis Liard (directeur de l’Enseignement supérieur), Henri Marion (philosophe, titulaire de la première chaire de science de l’éducation à la Sorbonne, et auteur en 1892 d’une Education dans l’université, fondée sur la notion de « discipline libérale »).

Ils condamnent « les pénalités qui visent à mater et n’amendent guère », réclamant et obtenant « l’interdiction du piquet et des pensums, véritables travaux forcés où l’esprit n’a point de part ».

Sans compter Victor Hugo qui, dans A propos d’Horace (1835), s’était pris à rêver de leur abolition :

Homère emportera dans son vaste reflux
L’écolier ébloui ; l’enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile ;
Et l’on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir sous le fouet d’un cuistre ou d’un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.

Et il s’insurge violemment :

Dimanche en retenue et cinq cents vers d’Horace !
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse
Et je balbutiais : Monsieur… – Pas de raisons !
Vingt fois l’ode à Plancus et l’épître aux Pinsons !
Eunuques, tourmenteurs, crétins soyez maudits !
Car vous êtes des vieux, des noirs, des engourdis !

Comme le souligne à cette époque un professeur de lycée, il convient en effet de ne pas sous-estimer leurs effets : « le système des punitions scolaires est pour beaucoup dans cette répulsion, voisine de la haine, que certains esprits conçoivent pour les belles lettres. Virgile et notre tendre Racine sont une espèce de knout littéraire dont on punit les fautes des écoliers ».

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