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Saumon, alose ou esturgeon : des pistes innovantes pour gérer une ressource partagée

Les poissons migrateurs comme le saumon, autrefois connus pour leur abondance, se raréfient sous la pression anthropique. Shutterstock

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Les poissons migrateurs amphihalins désignent l’ensemble des espèces qui parcourent des distances impensables entre rivières et océan pour accomplir leur cycle de vie, c’est-à-dire donner naissance à la prochaine génération.

Comme chez les mammifères ou les oiseaux migrateurs, ce cycle de vie complexe implique des passages ou des regroupements saisonniers d’un grand nombre d’individus en un lieu donné. Cette régularité et cette extrême abondance ont fait de ces poissons une ressource inestimable pour les populations humaines vivant aux abords des côtes et des cours d’eau. Des témoignages anciens, remontant pour certains au Moyen-Âge et plus, attestent du caractère emblématique et charismatique de ces poissons sur les 5 continents.

Derrière cette mystérieuse description se cachent des espèces bien connues des humains, comme le saumon atlantique (Salmo salar), la truite de mer (Salmo trutta), l’esturgeon européen (Acipenser sturio), l’anguille européenne (Anguilla anguilla), la grande alose (Alosa alosa), la lamproie marine (Petromyzon marinus) et des centaines d’autres espèces à travers le monde. En France, une douzaine d’entre elles peuplent les eaux de notre territoire et remplissent nos assiettes pour notre plus grand plaisir.

Emblème de la ville de Caudebec-en-Caux (Normandie, France) dans lequel les trois éperlans d’origine (Osmerus eperlanus) sont devenus des saumons (Salmo salar) au cours des siècles. Armorial de France

Caviar, terrine d’esturgeon, saumon fumé, lamproie à la bordelaise, alose grillée sont parmi les recettes les plus populaires et intemporelles en France. À ce patrimoine culinaire et aux pêcheries professionnelles associées s’ajoutent les nombreuses manifestations de leur importance dans nos sociétés : festivals, confréries, écotourisme sur les sites de reproduction ou pêche récréative pour n’en citer qu’un petit nombre.

Un déclin programmé et une restauration délicate

Pourtant, ces poissons autrefois connus pour leur abondance se raréfient sous la pression anthropique. La surpêche, la pollution, la réduction de la libre circulation par les barrages, la dégradation des habitats par extraction de granulats, les prélèvements d’eau pour l’irrigation ou l’usage quotidien sont autant d’obstacles tout au long de leur voyage. De l’œuf à l’adulte reproducteur, tous les stades du cycle biologique sont ainsi touchés.

Ces pressions et leur intensification au cours du temps sont à l’origine d’un déclin généralisé de ces espèces qu’il est délicat d’enrayer tant il est multifactoriel. Les actions en faveur de la restauration et de la conservation des poissons migrateurs amphihalins sont nombreuses et variées mais souvent appliquées au niveau local : elles prennent donc peu en compte la dimension transrégionale des bassins versants et la dimension transnationale de ces espèces.

Or le succès d’opérations de restauration dans une rivière donnée ne dépend-il pas, dans une certaine mesure, de la qualité des populations avoisinantes et de leurs habitats ? De récents travaux de recherche montrent que les cours d’eau « échangent » des individus qui « s’égarent » à chaque génération de leur rivière d’origine pour découvrir les cours d’eau à proximité ou plus lointains. Les cours d’eau le long du littoral fonctionnent vraisemblablement en un réseau connecté assurant la pérennité des populations dans une zone géographique donnée.

Restauration et changement climatique

Cette complexité dans la gestion des populations de poissons migrateurs amphihalins est encore accrue par l’effet, ces dernières décennies, du changement climatique. Ce dernier induit un décalage dans les principaux gradients climatiques à la surface du globe, entraînant notamment une élévation de la température.

Pour tenter de rester dans leur zone « d’optimum », les organismes se déplacent donc géographiquement à la « poursuite » des conditions climatiques ayant fait leur succès par le passé. C’est pourquoi on observe de plus en plus de changements d’aire de distribution chez les plantes et les animaux vers les pôles et les hautes latitudes.

Les poissons migrateurs amphihalins ne font pas exception. Une des difficultés soulevées par ces déplacements géographiques est de définir l’objectif de conservation de ces espèces en déclin, c’est-à-dire de définir quelle abondance on veut maintenir et à quels endroits ? Il est communément admis de prendre comme objectif une référence historique en termes d’abondance. Mais si le contexte climatique a fortement changé depuis, il est probable que les habitats où l’espèce était connue pour être abondante par le passé soient devenus « défavorables » ou « moins favorables » du point de vue climatique. C’est ce que l’on nomme communément la théorie de la « cible mouvante » en écologie de la restauration.

Dans ce contexte global changeant, comment gérer au mieux le maintien et le retour de populations de poissons migrateurs amphihalins dans les cours d’eau ? Comment prendre en compte la dynamique en réseau des populations évoquée plus haut ? Comment avertir au mieux les gestionnaires et les décideurs ?

Évaluer les services écosystémiques

Face au déclin généralisé de la biodiversité et aux pressions croissantes sur la nature, un nouveau concept s’est imposé au milieu des années 1990 : l’évaluation des biens et services rendus par la nature aux populations humaines.

Le but est de valoriser l’ensemble des services rendus par les écosystèmes et la biodiversité afin qu’ils soient mieux pris en compte dans les décisions politiques et économiques, et donc que l’on investisse plus fortement dans leur protection et leur gestion.

Largement utilisé dans d’autres contextes, ce concept n’a jamais été appliqué aux poissons migrateurs amphihalins. L’évaluation des services écosystémiques rendus par ces poissons pourrait alors renforcer le message déjà fortement véhiculé par la baisse continue des stocks, en mettant en lumière leur réelle contribution économique.

Services écosystémiques et poissons migrateurs

Les programmes INTERREG visent à favoriser la collaboration transfrontalière en Europe sur la question du développement territorial. Les questions en lien avec le patrimoine naturel y occupent une place importante.

L’un d’entre eux regroupe les cinq pays européens bordant l’océan Atlantique, à savoir l’Irlande, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne et le Portugal. Parmi les projets qu’il finance, DiadES vise à évaluer et améliorer les services écosystémiques en lien avec les poissons migrateurs amphihalins, dans le contexte du changement climatique.

https://www.youtube.com/watch ?v=8M22WLrt4jA. Source : DiadES.

Des chercheurs en sciences de l’environnement et des économistes de l’environnement se sont associés dans ce cadre aux porteurs d’enjeux (qui pour la France sont l’OFB, la Dreal, l’UFBLB et le CNPMEM) afin de mettre en évidence de possibles changements de répartition des migrateurs et des bénéfices qui en découlent sur le plan écologique, économique, social et culturel, et surtout de communiquer cette information de manière percutante pour avancer vers une politique de gestion commune.

Une des forces du projet est d’établir pour la première fois une liste des services associés aux poissons migrateurs amphihalins et de fournir la première évaluation monétaire de ces services pour des sites-pilotes le long de la façade Atlantique.

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