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Armand Duplantis en train de battre le record olympique de saut à la perche.
Jusqu'où s'envolera Armand Duplantis ? KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Saut à la perche : quelle est la limite physique ?

Lundi dernier 5 juillet, Armand Duplantis a non seulement obtenu la médaille d’or du saut à la perche, il l’a obtenue avec un geste superbe qui va au-delà des Jeux olympiques. Face à des concurrents, Sam Hendricks et Emmanuel Karalis, qui avaient sauté respectivement 5,95 m et 5,90 m, il a commencé par effectuer un saut à 6 m, ce qui lui assurait la médaille d’or. Mais il lui restait trois essais à sa disposition et après une première barre « d’échauffement » à 6,10 mètres pour battre le record olympique, il a demandé que la barre soit placée à 6,25 m, soit 1 cm de plus que son précédent record du monde, établi au mois d’avril en Chine ! Façon de dire : être le meilleur aux JO, c’est bien, mais être le meilleur absolu, n’est-ce pas mieux ? Pari tenu, comme on l’a vu. Il a même encore battu son record avec une barre effacée à 6,26 m le 25 août.

L’histoire des records du monde

Si l’on ne tient pas compte des 20 ans qui suivent la déclenchement de la Seconde guerre mondiale – où l’humanité avait d’autres priorités que de sauter à la perche – le record du monde a progressé régulièrement depuis 1910 jusqu’au milieu des années 1990 à un rythme d’environ 2,5 cm par an. En revanche, depuis, la progression est bien plus faible : Sergueï Bubka a été le premier à passer les 6 m, en 1985, et il a gardé son record mondial de 6,15 m, obtenu en 1993, jusqu’à ce Renaud Lavillenie le détrône en franchissant 6,16 m en 2014. Il a donc fallu 21 ans d’efforts des perchistes pour gagner 1 cm ! Armand Duplantis, pour sa part, a amélioré ses propres records du monde au rythme de 2 cm par an, passant de 6,17 m en 2020 à 6,25 m en 2024. Est-ce le signe d’un nouveau rythme d’évolution ?

La physique pour y voir plus clair

Un saut à la perche se déroule en trois phases :

  • Le sauteur court et atteint sa vitesse maximale (v) en bout de course.

  • Il bloque sa perche contre un butoir à la verticale de la barre, et transfère son énergie de mouvement en énergie élastique de la perche qui se plie.

  • La perche se détend en restituant cette énergie élastique et propulse le perchiste dans les airs.

Appelons H l’élévation de son centre de gravité. La description détaillée de l’ensemble du mouvement sauteur + perche parait à première vue très compliquée, mais une approche purement énergétique rend les choses étonnamment simples. En effet, le rôle de la perche est simplement de transformer l’énergie associée à la course du sauteur, son énergie cinétique 1/2Mv2, en énergie potentielle gravitationnelle MgH, où g désigne l’accélération de la pesanteur et M la masse du perchiste. Une bonne perche doit assurer ce transfert en emmagasinant elle-même aussi peu d’énergie que possible (vibration, déformation permanente).

Les perches en fibre de carbone, introduite en 1964, après celles en métal et les premières en bambou, ont permis d’améliorer considérablement les performances des perchistes jusqu’aux années 1990, justement pour cette raison : elles avaient un bien meilleur rapport de restitution de l’énergie.

Paris 2024 : le record du monde d’Armand Duplantis/France tv sport.

Dans ces conditions, la perche idéale est celle qui transfère entièrement l’énergie cinétique en énergie de gravitation. Du coup, on peut écrire directement ½ Mv2 = MgH, d’où H = v2/(2g). Cela montre que la vitesse de pointe est cruciale pour déterminer la hauteur du saut. En prenant une vitesse de 10 m/s, on trouve H = 5,10 m… Comment, 5,1 m ? Mais on est loin du compte des 6 m et plus ! Mais attention, le centre de gravité du sauteur ne se trouve pas initialement au niveau du sol, n’est-ce pas ? Il est debout et a son centre de gravité autour de 1 m. Donc la barre peut être placée à 5,1 + 1 = 6,1 m. CQFD.

Comment expliquer, dans ces conditions, des sauts au-delà de cette estimation favorable – puisqu’on a considéré une perche idéale qui n’absorbe aucune énergie ? Si l’on observe un saut avec attention, on constate que le sauteur a la possibilité, lorsque la perche passe à la verticale, de prendre appui sur elle avec ses bras pour se pousser vers le haut juste avant d’enrouler son corps autour de la barre : il y a là des centimètres précieux à gagner !

L’estimation qui vient d’être présentée, bien qu’elle donne la bonne valeur finale, est en fait trop simpliste, car elle ne décrit pas correctement ce qui se passe au cours de la deuxième phase : celle où le perchiste met la perche en tension. En effet, pendant le début de cette phase, juste après avoir bloqué sa perche, il commence à gagner en hauteur en prenant appui sur elle, et en basculant son corps pour se retrouver tête en bas et pieds en l’air. Cela nécessite un apport d’énergie supplémentaire, venant du travail des muscles abdominaux et de ceux des bras.

Cela a été montré par une étude remarquable publiée dans le livre Physique Olympique, de C. Clanet, C. Cohen, M. Fermigier et D. Quéré. En modélisant des sauts réels, ces auteurs montrent que l’énergie élastique ne représente qu’environ la moitié de l’énergie cinétique initiale du sauteur, l’autre moitié étant directement transformée par le sportif en énergie gravitationnelle, augmentée de l’énergie musculaire dont nous venons de parler.

Où placer la barre à l’avenir ?

Augmenter la vitesse en fin de course serait décisif : prenons le cas limite du record du monde du 100 m par Usain Bolt. Il a couru le 100 m en 9,58 s, ce qui donne une vitesse moyenne de 10,44 m/s, mais sa vitesse de pointe a été enregistrée à 12,42 m/s. Si un sauteur à la perche pouvait atteindre cette vitesse en fin de course, le calcul précédent indique qu’il pourrait passer une barre à… 8,86 m ! Évidemment, il faudrait être capable d’atteindre cette vitesse en portant contre soi une barre de plus de 7 mètres de long et d’environ 15 kg ! Pour le moment, avec une vitesse de pointe enregistrée pour Armand Duplantis de 10,3 m/s, le calcul (toujours avec une perche parfaite) donne une hauteur de 6,41 m. La différence avec la performance du perchiste est sans doute à mettre sur le compte de l’imperfection de la perche. Avec une vitesse de 10,5 m/s, la hauteur franchie passe à 6,62 m. On voit qu’il y a encore de la marge de progression par rapport au record actuel de 6,25 m !

Sans compter ce que l’on peut gagner en améliorant la façon de pousser sur la perche au passage de la barre. Bref, il y a encore des surprises à attendre : vivement les Jeux olympiques de 2028 à Los Angeles !

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