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Scission à Saclay, modernisation de l’X… et renaissance de l’enseignement supérieur en France ?

Visite d'Emmanuel Macron à Polytechnique sur le plateau de Saclay, le 25 octobre 2017. J. Barande/Flickr, CC BY-SA

Le Président Macron a décidé, dans la dynamique du Plateau de Saclay, la création de deux pôles dont l’un autour de l’X. Certains observateurs ont vu là un échec. On peut aussi y voir un facteur clé d’avenir si, enfin, l’X se modernise en devenant une véritable université scientifique à part entière, avec au moins deux autres universités scientifiques et technologiques : l’une autour de Centrale-Supelec et l’autre autour de l’Université d’Orsay en y intégrant certains laboratoires des organismes de recherche étatique présents sur le site depuis 1952. L’X étant la clé de voûte du système d’enseignement supérieur français, la moderniser pourrait permettre de refonder l’ensemble du système d’enseignement supérieur et de recherche français qui a beaucoup évolué depuis 20 ou 30 ans.

Le 25 octobre 2017, le Président Macron a pris acte de la division de la COMUE (Communauté d’Universités et d’Établissements) de Saclay en deux pôles, en affirmant « Chaque jour qui passe nous démontre que les sciences et les techniques sont les viatiques de notre avenir commun ». Le 15 janvier 2018, l’État a mis fin à la plateforme décriée APB (admission post-bac) et au tirage au sort. Il a ouvert la nouvelle plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur : « Parcoursup » après avoir défini des règles complémentaires (les « Attendus »).

Le 14 février 2018, le gouvernement a présenté un projet de réforme du baccalauréat, et le 15 février le parlement, après un accord de la commission mixte paritaire entre la Chambre des députés et le Sénat, a adopté le projet de loi sur « l’orientation et la réussite des étudiants ». Cette loi valide le dispositif « Parcoursup ».

Y a-t-il un lien entre ces décisions administratives et ces votes ? Sont-ce des « faits porteurs d’avenir » qu’utilisent les prospectivistes quand ils cherchent à examiner les « futurs possibles » d’une société. Certainement, si on les relie à cette affirmation d ‘Henri Guillaume et Emmanuel Macron en 2007 :

« Le défi présent est de concevoir à nouveau le système de recherche qui s’est constitué autour d’organismes ad hoc au cours du XXe siècle et qui, après avoir fait notre réussite, est en passe de devenir un handicap. Plus encore, le véritable enjeu est de repenser la place de l’université. »

Assistons-nous à une « Révolution » qui permettra de doter enfin la France, d’un système d’enseignement supérieur et de recherche à la hauteur des enjeux scientifiques et sociétaux du XXIe siècle, à l’égal des grands pays d’Europe, d’Amérique ou d’Asie ?

Le « baroque » de l’enseignement supérieur et de la recherche en France

Dans un article intitulé « Le baroque universitaire français » (DOI 10.3917/comm.151.0599), je me suis interrogé sur les raisons historiques de la structure du système d’enseignement supérieur et de recherche français ? Il est caractérisé par une double dualité unique au monde : enseignement supérieur et organismes de recherche étatiques d’une part, universités et grandes écoles d’autre part. Ce système est illisible, incompréhensible et complexe.

Ailleurs dans le monde, une université est une institution qui assure quatre fonctions : créer des connaissances scientifiques, diffuser les savoirs, assurer une formation professionnelle, sélectionner les élites. Selon ces quatre critères, la France ne possède pas de « vraies » universités. Chacun connaît l’histoire de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Il est moins connu que Léon Bourgeois a tenté de créer de véritables universités en 1892 et qu’il échoua en raison de l’opposition du Sénat, comme je l’ai montré. (DOI 10.3917/comm.151.0599)

Jean Zay, Pierre Mendès-France et le général de Gaulle ont attaché une grande importance à la recherche scientifique, aux savoirs et à la connaissance. Dès leur arrivée au pouvoir, Mendès-France en 1953 et de Gaulle en 1959 inscrivaient la recherche comme une priorité (V. Duclert & A. Chatriot, « Le gouvernement de la recherche »). Emmanuel Macron pourra-t-il leur être comparé ? Et aller plus loin ?

Les tentatives de réforme de Mendès-France et De Gaulle ont buté sur l’opposition de lobbies extrêmement puissants en France, notamment certains à l’association des anciens élèves de l’X en général, et au corps des Mines en particulier. Ce fut l’échec du projet de Michel Debré de regrouper à Palaiseau, autour de l’X, à l’occasion de son emménagement dans les années 1960, ses Écoles d’application. Les archives de l’X montrent que c’est en 1974 – année de l’élection de M. Giscard d’Estaing – que les réunions de déplacement de l’ENPC à Palaiseau sont interrompues.

Le dernier échec, probablement imputable au Corps des Mines, a été une décision prise en Conseil des ministres, torpillant le projet de « ParisTech » (Paris Institute of Technology). Pierre Veltz, directeur de l’École Nationale des Ponts et chaussées, est non renouvelé en 2003, ce qui ipso facto l’obligeait à démissionner de la Présidence de l’Association ParisTech dont j’assurai auprès de lui la Délégation générale.

L’idée de doter Paris d’une « Université de technologie » à l’égale du Massachusetts Institute of Technology, de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich ou de l’Imperial College à Londres était enterrée… même si la « marque » ParisTech subsiste. L’objectif de ParisTech est abandonné en 2013 et l’EPCS (Établissement Public de Coopération Scientifique) est dissous au 1° janvier 2016.

Saclay : 65 ans de politique d’enseignement supérieur et de recherche

Les évènements récents sont un point d’aboutissement de 65 ans d’installation d’organismes de recherche scientifique à Saclay : inauguration des bâtiments du C.E.A en 1952, création en 1955, de l’Institut de physique nucléaire d’Orsay, histoire bien décrite par P. Veltz.

Depuis une vingtaine d’années, les gouvernements successifs essayent de mettre en œuvre ce qui semble une évidence pour tout observateur connaissant les systèmes d’enseignement supérieur et de recherche étrangers, qu’ils soient européens, américains, et maintenant chinois ou coréens : associer la recherche scientifique et technologique et l’enseignement supérieur en formant des cadres de haut niveau s’appuyant sur les sciences de l’homme et de la société, mais aussi des ingénieurs et des docteurs qui, formés aux sciences de la matière et de la vie, sont les vecteurs de la recherche fondamentale et de l’innovation dans la société. C’est ce qui manque cruellement à la France et provoque son énorme déficit commercial : des entreprises faibles en R&D et en capacité d’innovation.

Dans le cadre d’un grand projet lié aux initiatives prises depuis une dizaine d’années qu’il s’agisse tout d’abord de la création de « P.R.E.S. (Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur) puis de « COMUE », l’Université de Paris-Saclay a été mise sur les rails sous l’impulsion des Présidents Dominique Vernay et Gilles Bloch avec le travail novateur et incessant de Pierre Veltz. C’est un « grand projet à la française » comme le montrent quelques chiffres simples : 15 % du budget de la recherche française, 300 laboratoires de recherche, 15 000 professeurs et doctorants avec un objectif essentiel : être visible dans le « classement de Shanghai » !

De 2007 à 2014 – date de création de l’Établissement Public – le projet a été porté par la Fondation de coopération scientifique, mais la gouvernance n’a pas été facile à imaginer et à mettre en place. Pour de nombreux acteurs, il manquait « l’affectio societatis », et surtout l’un des acteurs ne jouait pas le jeu : l’École Polytechnique.

Pierre Veltz le soulignait dans un article dans Les Echos en février 2017 :

« Dans cet univers où l’on retrouve tant de grands noms de l’enseignement supérieur, le chemin de la convergence rencontre forcément des difficultés. Disons les choses simplement, Polytechnique résiste. Son président et une partie de ses anciens élèves pensent que leur École peut jouer seule dans la cour des grands, à l’échelle mondiale. C’est, à mon avis, une grave erreur d’analyse. Les principales institutions présentes sur le site ont donc choisi d’étudier, sans l’X, la voie vers de plus fortes synergies. Cette mise en retrait de Polytechnique est regrettable. Elle n’est pas dramatique. »

La difficile modernisation de l’X

En fait l’X a toujours pensé être la meilleure, en France naturellement, mais aussi en Europe et dans le monde. Le classement de Shanghai en 2002 a fait l’effet d’une douche froide. Le roi était nu. L’X n’a apporté à la science qu’un seul prix Nobel (Becquerel en 1903) et aucune médaille Field. Elle a délaissé la recherche scientifique depuis longtemps alors que c’était sa raison d’être (« Pour la science… » dit sa devise), malgré les efforts d’Henri Poincaré et d’Henri Becquerel. « Louis Pasteur attribue la défaite française aux carences de la science française qu’incarne à ses yeux l’École polytechnique et son éloignement de la recherche. » Les autres grandes écoles ont fait comme elle, c’est le cas de l’École des Mines de Paris : au début des années 2000, le directeur des études interdisait à ses élèves de troisième année de préparer un D.E.A. (Diplôme d’Études Approfondies, l’actuel Master 2) afin de les dissuader d’aller vers la recherche.

J’ai souligné dans ces colonnes les occasions manquées de réformer l’X et ses écoles d’application. Les prises de conscience viennent d’avoir lieu. Le Président Macron 2017 a annoncé la création, autour de l’École Polytechnique, d’un regroupement comportant, pour le moment, l’ENSTA ParisTech, l’ENSAE ParisTech, Télécom ParisTech, Télécom Sud Paris. Cette institution dont le nom de code est NewUni, « délivrera tous les diplômes » et « devra trouver des voies originales pour évoluer vers un MIT à la française ». Selon des modalités différentes, on va probablement retrouver soit le périmètre de Michel Debré dans les années 1960 (L’X et ses Écoles d’application) soit un périmètre voisin de celui de ParisTech (les neuf écoles d’ingénieurs de Paris intra-muros et l’X).

En actant la scission du « gros machin jacobin » de Paris-Saclay, dont les difficultés sont connues depuis quelques années, le Président de la République met en œuvre une réforme de l’X qui peut marquer le début d’un renouveau, engager un processus manqué par le Président du Conseil Léon Bourgeois en 1892, et faire entrer la France entrer dans l’ère de la modernité en la dotant de vraies universités dont notre pays ne dispose toujours pas aujourd’hui.

En effet, avec les réformes Le Drian du 15 décembre 2015, l’X a créé des « Bachelors » internationaux qui attirent de très bons étudiants étrangers. Aujourd’hui des lycéens français brillants admis dans de très bonnes classes préparatoires commencent par le « bachelor » de l’X. Ce fait porteur d’avenir vient en complément d’un autre « signal faible » : depuis 15 à 20 ans, dans certains milieux aisés et informés, un enfant brillant est directement envoyé dans un bon « College » américain ou anglais, car le bilan des avantages et inconvénients des CPGE (Classes préparatoires aux Grandes Écoles) est désormais regardé à la loupe. L’X a aussi créé un « graduate degree de l’école polytechnique » de niveau master (bac +5) dispensé en Anglais, pour le moment.

L’X peut devenir sérieusement scientifique et former ses élèves par la recherche, par exemple en intégrant dans ses rangs des laboratoires de recherche associé du CNRS ou une partie des laboratoires de recherche du CEA qui n’a plus de raison d’être – mise à part la partie recherche sur les armes nucléaires – comme me l’avait dit, il y a bien longtemps, l’ancien ministre Pierre Guillaumat.

Une occasion de refonder l’enseignement supérieur et la recherche en France

Alors quid de l’excellence sur le plateau de Saclay ? Il est possible d’y créer – comme à Boston – plusieurs universités scientifiques et technologiques. Au moins trois : l’une fondée sur l’actuelle université de Paris-Orsay (ex Paris Sud), une autre autour de l’École Polytechnique ; une troisième autour de l’École Centrale de Paris, regroupée avec SUPELEC, et d’autres établissements telle que l’ancienne École Normale Supérieure de Cachan. Aux établissements – tels qu’Agro-ParisTech ; par exemple et l’INRA ou Chimie-ParisTech – dans une logique « bottom up », de décider où se rattacher à partir de l’affectio societatis.

À l’État de jouer son rôle en accompagnant les dynamiques locales, et surtout en mettant les établissements à armes égales : ce qui suppose l’autonomie donnée à l’Université d’Orsay. Ce qui implique une réforme nécessaire : l’autonomie pour les universités françaises. En effet de telles synergies, comme à Saclay permettant de doter la France de vraies universités se retrouvent dans les régions, à Strasbourg ou à Lyon et dans d’autres villes.

L’X est la clé de voûte du système baroque français, et la faire entrer dans la modernité c’est permettre la refondation du système d’enseignement supérieur. La décision prise à Saclay, d’acter son divorce de l’ex–Université de Paris-Saclay n’est pas, contrairement à ce qu’ont pu dire de fins observateurs, un échec, mais peut-être interprétée comme un facteur d’avenir. La décision annoncée le 27 octobre 2017 consacrant l’échec de la COMUE de Saclay peut paraître comme un renoncement à l’idée de « Construire un Cambridge à la française » (Le Monde du 27 octobre 2017).

Au contraire la réforme de l’X, telle qu’elle est actée, est – c’est mon interprétation – la reprise de l’idée de ParisTech créant un « Caltech » ou une « École Polytechnique Fédérale de Zurich » à la française. La nomination de J.L. Chameau, comme coordonnateur de NewUni en est le signe. Le prochain Président de l’X, plutôt que d’être issu d’un cabinet ministériel, devrait avoir dans son cursus un doctorat ès science d’une grande université étrangère.

L’X peut s’adapter enfin au monde moderne et devenir une université scientifique à part entière, aux côtés de l’École centrale – son ennemi de toujours – pilier d’une université technologique et aux côtés de l’Université d’Orsay, renforcée par l’intégration de certains laboratoires d’organismes de recherche étatique qui n’auraient plus de raison d’être dans un système d’enseignement supérieur et de recherche adapté au XXIe siècle. La dynamique du plateau de Saclay redeviendrait positive, grâce aux synergies créées depuis 60 ans et sans « mariage forcé ». Si tel est le cas, on pourrait dire que la France, de ce point de vue, entre dans l’ère de la modernité, notamment si la maïeutique d’autres COMUE, notamment à Paris se concrétise.

Doter enfin la France de véritables universités, comme dans tous les pays du monde

En 1954, par l’importance accordée à la recherche scientifique, Pierre Mendès-France reprenait le flambeau de Jean Zay ministre du gouvernement de Léon Blum en 1936. En 1959 de Gaulle reprenait l’action en faveur de la recherche que la IV° République n’avait pu mener à bien, en créant ce qui deviendra la Délégation à la Recherche Scientifique et technique. Jean Zay, Pierre Mendès-France et Charles de Gaulle confrontés aux « rigidités » de l’École Polytechnique « qui dévitalise la recherche française » et « au grand corps mou » qu’est l’Université (Jean Louis Cremieux- Brilhac), s’appuyèrent sur les grands organismes de recherche étatique.

Dans la France des années 50 et 60, ce jacobinisme était probablement la seule réponse efficace. Mais Mendès France comme de Gaulle (Discours de 1959 à l’Université de Toulouse) soulignaient l’importance de la liberté et de la mobilité dans les activités de recherche parfois incompatibles avec l’autorité de l’État. Le Président Macron le sait bien.

Des prises de conscience récentes ont conduit par les lois de 2006, 2007, 2013 à enclencher une réorganisation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche par la mise en place de PRES et la création de COMUE dont celle de Saclay qui a montré les limites de ces politiques.

En 1956, lors du colloque de Caen, Mendès France pouvait dire

« Pourquoi tant de barrières entre grandes écoles et universités, entre facultés, entre cadres de la Recherche et de l’Enseignement. Comment justifier cette ossification des matières d’enseignement. Pourquoi cette muraille de Chine entre recherche fondamentale et industrie ? »

Soixante-deux ans après, on pourrait presque écrire la même chose quand on entend certains propos tenus en privé par certains responsables.

Depuis 20 ans les structures et les mentalités ont profondément évolué. Dans de nombreuses villes, les EPSCP (dénomination officielle des universités actuelles) collaborent avec des laboratoires de recherche étatique et des Écoles d’ingénieurs, dans les grands centres comme Strasbourg ou Lyon, mais aussi dans des villes moyennes. Je fais l’hypothèse que le Président Macron et son gouvernement, par cette décision forte et symbolique, actant le refus des mariages forcés à Saclay, donnent le signal qu’ils vont prendre à bras le corps la nécessaire réorganisation de l’enseignement supérieur (universités et écoles) et des organismes de recherche étatiques.

Voudront-ils mettre en place, en France comme dans tous les grands pays, de véritables universités gérées de façon autonome ? Ces évolutions et ce renouveau supposeront aussi d’avoir un État plus efficace : une gestion de l’enseignement supérieur et de la recherche profondément transformée, par la création d’une « administration de mission » légère et efficace se substituant à la technostructure actuelle (le « mammouth ») et moins coûteuse. La détermination du Président devrait permettre cette « Révolution », à condition d’éviter l’erreur de Léon Bourgeois en 1892 : l’État ne doit pas décider dans quelles villes de France seront mises en places ces « vraies » universités. Il doit accompagner les villes dans lesquelles les acteurs locaux sont prêts à avancer et le veulent.

L’État central doit agir par le « bottom up » remplaçant le vieux jacobinisme colbertiste et néo-marxiste, inadapté au XXIe siècle. Des « États généraux de l’enseignement supérieur et de la recherche », comme le colloque de Caen en 1956, dont le rapport a été repris par le général de Gaulle trois ans plus tard, pourraient permettre d’accompagner la réflexion et l’action de l’État et celles de tous les acteurs concernés.

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