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Sécheresse, crise énergétique et nucléaire en France, quels liens ?

paysage de centrale nucléaire en france
Centrale nucléaire de Givet à Chooz, près de la frontière entre la Belgique et la France. Shutterstock

L’année 2022 a été marquée par des records de canicule sans précédent en France depuis 1947, et d’un déficit pluviométrique de 25 %. Les flammes ont ravagé plus de 72 000 hectares de forêts, dévastant la biodiversité et entraînant une chute drastique des revenus touristiques estivaux.

Le secteur énergétique n’a pas été épargné par la sécheresse exceptionnelle, qui a considérablement réduit la production d’hydroélectricité. Les contraintes dues au manque d’eau ont également affecté la production nucléaire, déjà limitée par la fermeture pour maintenance de 65 % des centrales nucléaires en activité.

La France, exportateur net d’électricité depuis 40 ans, a ainsi dû l’importer d’Allemagne, d’Espagne, de Belgique et de Grande-Bretagne. 60 % des 16,5 TWh importés ont été utilisés entre juillet et septembre, quand les réserves pour alimenter les centrales hydroélectriques étaient au plus bas.

Évolution saisonnière de la production mensuelle d’électricité (TWh) en France par filière. RTE, CC BY-NC-SA

L’impact de la sécheresse sur la production d’énergie nucléaire est plutôt structurel, imposant des limitations à la fois sur la prise d’eau des bassins environnants et sur le moment de leur restitution dans l’environnement : d’une part, le faible niveau d’eau et le besoin de garantir un débit minimal pour assurer la vie des écosystèmes naturels empêchent la prise des débits nécessaires pour le refroidissement des réacteurs ; d’autre part, une température plus élevée des eaux prélevées réduit l’efficacité du processus de refroidissement.

Restrictions légales

Ainsi, la puissance produite doit être potentiellement réduite pour respecter les contraintes. Dans le cas des systèmes de refroidissement à circuit ouvert, des limitations s’ajoutent à la température des eaux restituées à l’environnement, afin de garantir la protection et la qualité écologique du fleuve récepteur.

L’écart de température maximale est défini par la directive 2006/44/CE du Parlement européen, qui prévoit toutefois que les États membres peuvent s’écarter des paramètres de la loi lors de circonstances météorologiques exceptionnelles ou dans le cas de conditions géographiques spéciales.

Coûts économique et environnemental

Au cours de l’été 2022, cette dernière stratégie a été nécessaire pour cinq centrales françaises (Bugey, Saint Alban, Tricastin, Blayais et Golfech) afin d’assurer la fourniture du service sans affecter les réserves de gaz et d’eau requises pour l’hiver. Tout en fonctionnant en dérogation, certains réacteurs ont malgré tout dû subir un arrêt forcé en raison des faibles débits fluviaux.

L’ensemble de ces conditions défavorables a considérablement réduit l’approvisionnement en énergie nucléaire par rapport à la moyenne des années précédentes. Bien qu’il n’y ait pas eu d’interruptions significatives de l’approvisionnement des utilisateurs, les limitations constatées ont accentué une crise d’ordre économique, faisant monter le prix de l’énergie pour inclure également une prime de risque.

À cela s’ajoute le coût environnemental lié à l’utilisation excessive des centrales thermiques, entraînant une augmentation des émissions de CO2eq d’environ 3,5 Mt par rapport à 2021. L’hiver particulièrement sec de début 2023 a exacerbé les préoccupations pour l’été à venir.

Petites centrales et circuit fermé

D’ici à 2030, la nouvelle stratégie France 2030 proposée par le gouvernement français prévoit une augmentation significative de petites centrales nucléaires d’une capacité installée inférieure à 300 MW. Conformément à la réglementation en vigueur, celles-ci seront obligatoirement équipées d’un système de refroidissement à circuit fermé avec tour d’évaporation.

Ce choix reflète la nécessité d’une meilleure gestion du risque climatique : les besoins de refroidissement des centrales sont en effet proportionnels à la capacité installée, une taille plus petite garantirait donc la réduction de la consommation d’eau des centrales elles-mêmes.

Les petites installations sont en outre généralement de conception plus simple et répondent à des contraintes techniques moins importantes, ce qui facilite l’identification de zones appropriées pour leur implantation et leur distribution sur le territoire national.

Mais, à très court terme, que peut faire la France pour gérer l’urgence énergétique dans un climat de plus en plus chaud et sec ?

Nécessaire rénovation du parc

En suivant l’exemple de l’Espagne voisine, qui compte sur le nucléaire pour plus d’un cinquième de sa production d’électricité malgré un climat beaucoup plus aride, la France devra probablement faire davantage appel aux dérogations accordées par la directive 2006/44/CE sur la température maximale autorisée pour les eaux de rejet.

Cette solution ne minimiserait toutefois que les pertes d’efficacité dues aux vagues de chaleur et non celles dues à une pénurie de ressources en eau. Dans ce dernier cas, il sera nécessaire de procéder à une rénovation de la partie du parc nucléaire qui repose actuellement sur des systèmes de refroidissement à cycle ouvert (qui tendent à prélever plus d’eau), en se dotant des systèmes de refroidissement hybrides avec une tour supplémentaire avant le rejet des eaux dans l’environnement.

C’est précisément le cas de la centrale espagnole d’Ascó qui a été la première au monde à suivre ce type de reconversion après sa mise en service en 1986, afin de mieux faire face aux périodes de faible débit de la rivière Èbre et d’éviter le rejet d’eaux trop chaudes.

Accélération du nucléaire

Ces réflexions s’inscrivent dans le contexte du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

Développé sur 3 axes, il est fondé sur la réduction de la consommation d’énergie par la sobriété et l’efficacité énergétique, l’accélération des énergies renouvelables afin de garantir une électricité abordable et décarbonée et la relance du programme nucléaire.

paysage lac asséché
Le lac de Serre-Ponçon, dans les Alpes, où Emmanuel Macron a dévoilé son plan sur l’eau. Nicolas Tucat/AFP

Cette dernière prévoit la construction de six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR2, chacun d’une puissance électrique générée de 1 670 MW) en 25 ans avec un investissement de 51,7 milliards, et la prolongation des réacteurs en service – la durée de vie utile des réacteurs existants est d’environ de 40 ans, mais ils atteindront une moyenne d’âge de 45 ans en 2030.

Un choix critiqué par les opposants au nucléaire, qui soulignent la détérioration déjà existante du parc, alors que le texte ne modifie ni le processus d’autorisation environnementale ni le niveau d’appréciation du cadre de sûreté.

L’énergie, 51 % des prélèvements en eau

Cette situation montre la nécessité d’un plan de gestion intégré qui prenne en compte les synergies complexes entre environnement, système énergétique et disponibilité saisonnière et de long terme des ressources en eau. Un enjeu qui concerne aussi la production hydroélectrique.

Lors de sa présentation du nouveau « plan eau » qui prévoit 10 % d’économie dans tous les secteurs, le 3 mars 2023, Emmanuel Macron a annoncé un programme d’investissements pour réaliser des économies dans le secteur énergétique, notamment en faisant passer les centrales en circuit fermé.

Avec le nucléaire et l’hydroélectricité, l’énergie représente 51 % des prélèvements et 12 % de la consommation ; et des 4,1 milliards de m3 d’eau prélevés chaque année en France, le refroidissement des centrales constitue le 3ᵉ consommateur (12 %) après l’agriculture (58 %) et l’eau potable (26 %).

Changements de débits à anticiper

Ainsi, bien que la France ne connaisse pas encore de déficit chronique mais seulement saisonnier, l’efficience en matière d’usage de l’eau pour la production d’énergie reste une priorité pour lutter contre le changement climatique. Cette stratégie requiert aussi une planification locale des ressources, notamment du rythme des barrages, pour répondre aux enjeux du climat – mais en accord avec les différents usages d’eau prédominants dans chaque territoire.

Des études à l’échelle du bassin hydrologique seront essentielles pour anticiper les débits fluviaux et leur évolution à long terme : une première étude est en cours sur le bassin du Rhône où est générée ¼ de la production électrique nationale (nucléaire et hydroélectrique).

En ce qui concerne la production nucléaire, le changement de débit du fleuve pourrait forcer à une réduction de puissance théorique, qui pourrait aller jusqu’à 20 %-25 % en saison estivale.

Projection des baisses de production électrique sous l’effet du changement climatique. EARRMC, CC BY-NC-ND

Fin de l’abondance

La production annuelle d’hydroélectrique estimée, qui dans le bassin s’élève à plus de 17 000 GWh et couvre 3,4 % de la demande nationale, serait en revanche globalement stable. Avec des écarts saisonniers marqués par une tendance à la hausse des débits disponibles pour la production d’hydroélectricité en automne, mais à la baisse entre juillet et octobre.

Ces analyses ne concernent que le Rhône, qui est caractérisé pour des installations au fil de l’eau, et ne prennent pas en compte ses affluents. Aussi, que ce soit pour l’hydroélectrique ou pour le nucléaire, ils ne considèrent pas l’évolution de la demande en électricité à laquelle l’offre répond.

La planification intégrée à long terme et saisonnière entre secteurs serait donc la seule solution pour un futur durable. C’est véritablement « la fin de l’abondance », comme le disait Macron en août 2022.

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