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Semaine de quatre jours : la France doit-elle s’inspirer de la Nouvelle-Zélande ?

La première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, a proposé fin mai à ses concitoyens de moins travailler pour relancer l’économie du pays. Marty Melville / AFP

En 2018, une entreprise néo-zélandaise spécialisée dans la sécurité, Perpetual Guardian, adopte définitivement la semaine de quatre jours de travail, en apportant, chiffres à l’appui des conclusions inattendues et un bilan très positif.

Cette expérience grandeur nature a inspiré le gouvernement néo-zélandais qui, par la voix de sa première ministre, Jacinda Ardern, a annoncé en mai dernier que ce modèle devrait être dupliqué à l’échelle du pays comme une solution pour sortir de la crise économique post-Covid.

Dans le même temps, en France, le Medef prône une solution radicalement opposée en demandant au gouvernement, aux mêmes fins de relance économique, l’allongement du temps de travail. Alors que de nombreux économistes estiment que la réduction du temps de travail constitue une progression logique d’une société de plus en plus productive et où les loisirs tiennent une place primordiale, faut-il en conclure que les milieux patronaux français veulent nous renvoyer vers l’âge de pierre ?

Moins de stress

Andrew Barnes, le PDG de Perpetual Guardian, est parti d’une constatation simple : ses employés subissaient un stress permanent lié à la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et personnelle. L’entrepreneur a donc décidé, avec l’appui de l’Université d’Auckland, de réduire le nombre de jours de travail à quatre par semaine en maintenant le même salaire.

Les résultats de cette expérience se sont révélés édifiants : sur un échantillon de 240 salariés, la productivité hebdomadaire est restée la même, impliquant une meilleure productivité horaire. Le niveau de stress est passé de 45 % à 38 % et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle de 54 % à 78 %.

D’autres éléments ont également progressé considérablement comme la stimulation et l’engagement dans l’entreprise. Andrew Barnes explique ces chiffres par une meilleure concentration de ses employés et un stress et une fatigue moindres.

Le Medef, présidé par Geoffroy Roux de Bézieux, préconise d’allonger le temps de travail temporairement pour faire face à la crise. Eric De Piermont/AFP

D’autres expériences ont également été concluantes comme celle de Microsoft au Japon. Les chiffres de la productivité et le « bonheur » des salariés ont augmenté considérablement. L’entreprise a par ailleurs réalisé des économies non négligeables en papier, locaux, électricité, etc.

En macroéconomie, l’un des facteurs de production qui contribuent à la croissance d’un pays est le capital humain. On le mesure à l’échelle d’un pays par la performance au travail et les compétences des travailleurs. Si les compétences sont acquises par l’instruction et l’accumulation de l’expérience, la performance ou la productivité sont liées à plusieurs facteurs, notamment l’état de santé des travailleurs, mais aussi le repos (un des facteurs qui expliquent pourquoi la surcharge de travail au Japon réduit la productivité).

Autrement dit, un salarié en bonne santé, reposé, est plus performant qu’un salarié anxieux, malade ou fatigué. De nombreuses entreprises ont vu les performances de leurs salariés augmenter pendant le confinement, ce qui s’explique par des salariés moins stressés par les déplacements ou par les horaires de sorties d’école, moins fatigués (assez d’heures de sommeil, temps de déplacement accordé au repos, etc.), en meilleure santé car ayant une alimentation saine et équilibrée.

Aujourd’hui, un employé qui souhaite se rendre chez un médecin pour obtenir un certificat d’aptitude physique à l’exercice d’une activité sportive de son enfant, ou tout bonnement pour réceptionner une livraison, refaire sa carte d’identité ou autre, sera amené à poser un jour de congé, donc invariablement perturber le fonctionnement de son entreprise, modifier son planning, et générer du stress.

Un coup de pouce au tourisme

L’expérience néo-zélandaise a démontré qu’un jour de congé par semaine (choisi à la suite d’une concertation employé/employeur), souvent en milieu de semaine, permettait aux salariés de gérer leurs problèmes quotidiens, d’ajouter des activités sportives en journée, ce qui contribue au long terme à des employés moins malades et donc moins enclins à prendre des arrêts maladie et d’encombrer le système de soins.

On en revient à nouveau au capital humain. Les salariés se sentaient plus motivés et moins enclins à des distractions auxquelles les entreprises font la chasse comme les sites Internet et les réseaux sociaux. Mieux ! L’expérience a montré que les cadres de Perpetual Guardian se sont lancés dans des formations et dans la recherche pour augmenter leurs compétences et leur performance sur leurs postes de travail pendant leur jour libre, contribuant ainsi à l’amélioration de la performance des entreprises.

La première ministre Jacinda Ardern n’a pourtant pas évoqué cette expérience lorsqu’elle s’est adressée aux entreprises, même si le gouvernement néo-zélandais a reçu les conclusions des études et s’en est clairement inspiré. Ce pays, qui a relativement bien géré la crise de la Covid-19 avec peu de décès, en adoptant rapidement une stratégie de fermeture des frontières, a connu une baisse de son PIB liée à l’effondrement du secteur du tourisme.

En relançant le tourisme intérieur, la réduction du temps de travail constituerait un coup du pouce au secteur en Nouvelle-Zélande. Yunsun Kim/Shutterstock

C’est cet argument que la jeune première ministre a avancé, en soulignant que le tourisme intérieur pourrait être développé si les salariés travaillaient un jour de moins par semaine.

À l’échelle macroéconomique, l’augmentation de la demande dans le secteur du tourisme mènera invariablement à la création d’emplois (des emplois non« délocalisables » d’ailleurs). Une entreprise plus performante est également une entreprise qui embauche (à moyen terme, Perpetual Guardian a décidé d’augmenter sa masse salariale) et qui produit plus.

À crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles

En France, la création de nouveaux emplois pèserait également positivement sur les comptes publics et donc sur le financement du système de protection sociale. Or, lors de son discours d’ouverture de l’université d’été du Medef en août, le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux a déclaré que « la richesse d’un pays, c’est la quantité de travail par individu multipliée par le nombre de gens qui travaillent ».

Pourtant, si la richesse d’un pays se mesurait simplement aux nombres de personnes multipliées par leurs heures de travail, les pays très peuplés comme la Chine et l’Inde devraient avoir un PIB par habitant vertigineux !

Certes, la réduction du temps de travail pourrait être contre-productive dans certains secteurs industriels dont la performance se mesure par le temps et non pas par la productivité (agents de sécurité, d’accueil, techniciens, coiffeurs, etc.). Ce sont donc les professions intellectuelles qui devraient être visées en premier lieu par la réduction du temps de travail, car la performance intellectuelle n’est pas extensible et la fatigue baisse la productivité.

Si on veut relancer une économie après une crise exceptionnelle, il s’agit en effet d’envisager des mesures tout aussi exceptionnelles, ainsi qu’un consensus social où l’effort des salariés sera à la hauteur des efforts des entreprises. La réduction du temps de travail représenterait un progrès économique et social, ainsi qu’un coup de pouce inespéré pour le secteur des loisirs qui paie aujourd’hui le plus lourd tribut de la crise économique.

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