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Semi-conducteurs : une pénurie appelée à durer

En 2020, l’industrie mondiale des semi-conducteurs représentait 439 milliards de dollars, contre 314 milliards il y a 10 ans. Shutterstock

Depuis la fin 2020, le monde de l’industrie s’inquiète d’une pénurie de semi-conducteurs, ces circuits intégrés micro et nanoélectroniques qui permettent de traiter l’information, la sauvegarder ou la transférer.

Présents dans nos téléphones, nos ordinateurs mais aussi nos réfrigérateurs ou nos voitures, ces composants, mal connus car microscopiques et dont la production est complexe, pourraient même venir à manquer durablement. Comment l’expliquer ?

La première raison tient à une forte augmentation de la demande en matériel informatique depuis 20 ans et qui s’est accélérée depuis le début de la crise de la Covid-19. L’industrie mondiale des semi-conducteurs, qui rassemble l’ensemble des firmes engagées dans la conception ou la fabrication des circuits intégrés, représentait en 2020 439 milliards de dollars contre 314 milliards de dollars en 2010.

Cette tendance reflète l’élargissement du marché grâce à l’exploration de nouveaux domaines d’application dans des secteurs clés de la société contemporaine comme le médical ou l’environnement. Cette diversité des usages et des débouchés a été stimulée par la miniaturisation des composants qui augmente la performance de ce produit intermédiaire, tout en en diminuant les coûts de production et en conséquence le prix à la vente.

Un marché instable

La deuxième explication de la pénurie est liée à la complexité du marché qui freine l’adaptation de l’offre à la demande. L’industrie microélectronique reste en effet structurellement fragile en raison du produit en lui-même et des évolutions instables des ventes.

D’abord, comme nous l’avions montré dans un travail de recherche sur le sujet en 2012, les semi-conducteurs sont des produits de haute technologie à durée de vie courte car l’innovation tient une place centrale dans cette industrie. La recherche et développement représente depuis les années 2000 entre 12 et 18 % du chiffre d’affaires des entreprises.

Intel domine l’investissement en R&D dans l’industrie des semi-producteurs, avec une part d’environ 19 % du total de ce secteur en 2020. (Source : Vipress) Shutterstock

Ensuite, le marché est cyclique et très sensible aux évolutions macroéconomiques. En effet, on assiste, lorsque l’économie va bien, à une augmentation de la demande et donc une hausse des prix. Cela pousse les entreprises à investir à long terme pour accroître les capacités de production. S’en suit une période durant laquelle les capacités de production finissent par effectivement être plus importantes permettant une baisse des prix et donc une baisse des investissements. Ces phases alternent depuis maintenant de nombreuses années.

Aujourd’hui, la situation se complexifie encore car le choc – lié à la pandémie et au confinement associé – est particulièrement violent : les capacités de production ne peuvent s’adapter à moyen/court terme à une demande de produits électroniques qui a explosé. Par conséquent, les industries utilisatrices de semi-conducteurs, l’informatique bien sûr, mais aussi l’automobile, sont elles-mêmes bloquées dans leur production. Et le consommateur risque de devoir faire face à une hausse des prix de leurs produits.

Dépendance à l’Asie

Dans un secteur aussi central et stratégique, la concurrence est intense à l’échelle des États. En effet, l’industrie électronique a toujours intéressé les pouvoirs publics qui ont souvent choisi d’intervenir sur le marché par l’intermédiaire d’aides à la recherche ou d’entreprises nationales. Des investissements étatiques ont aussi favorisé le développement de l’électronique grand public au Japon dans les années 1980, par exemple.

Aujourd’hui, la production de semi-conducteurs reste très mal répartie dans le monde et clairement l’Europe est en situation de faiblesse sur ce point. Ainsi, fin 2019, la capacité de production mondiale équivalait à 19,4 millions de wafers (tranches de matériau semi-conducteur utilisées pour fabriquer des composants) et la production européenne n’était déjà, à ce moment, que de 1,1 million de wafers.

« Le marché mondial des semi-conducteurs », Mounia Van de Casteele (Xerfi Canal, 2019).

En guise de comparaison, le Japon produisait à l’époque 3,2 millions de wafers, les États-Unis 2,4 et la Chine 2,6. Cette dernière a continué d’investir pour accroître ses capacités ces dernières années et diminuer son retard vis-à-vis de ses puissants voisins, Taïwan et la Corée du Sud. Ils dominaient le marché et se répartissaient à peu près équitablement 8,4 millions de wafers. À ce constat sur les quantités produites s’ajoute le fait que la production européenne ne concerne pas les technologies les plus avancées, majoritairement produites en Corée du Sud.

Si l’Europe veut limiter sa dépendance à l’extérieur et accroître ses capacités de production, un important travail va donc devoir être réalisé pour augmenter les investissements dans le secteur et rattraper une partie du retard cumulé. Cependant, ce rattrapage ne sera pas suffisant, car l’Europe devra aussi accéder aux matériaux de base permettant la production de semi-conducteurs, en l’occurrence les terres rares.

Un avantage stratégique pour la Chine

Les terres rares forment une famille de dix-sept éléments chimiques aux propriétés électromagnétiques et électrochimiques proches et exceptionnelles. Certaines interviennent de façon cruciale dans la production de certains semi-conducteurs, et d’autres dans la production de nombreux autres composants nécessaires aux nouvelles technologies.

Comme la plupart des ressources stratégiques – minérales ou biologiques –, les terres rares ne sont pas réparties de façon homogène à la surface du globe et/ou ne sont également pas exploitables partout où il s’en trouve (conditionnalités environnementales, technologiques et économiques). Or, aujourd’hui, plus de 80 % des terres rares produites dans le monde le sont en Chine. En 2006 et 2010, ce ratio était monté à… 98 % !

La Chine a mis 20 ans à construire, délibérément, cet avantage stratégique. Le dirigeant Deng Xiaoping n’avait-il pas d’ailleurs prophétisé, au début des années 1990 : « il y a le pétrole en Arabie saoudite, il y a les terres rares en Chine » ?

Près de 20 ans plus tard, son vœu de tirer un avantage stratégique de cette ressource géologique est exaucé : personne ne peut, à court ou moyen terme, desserrer significativement cette mainmise sur des substances dont, dans une majorité de domaines de haute technologie, on sait ne pas pouvoir se passer. Or, nous avons montré dans un travail de recherche en 2016 sur la géoéconomie des terres rares que la Chine s’en sert comme une arme dans ses confrontations géopolitiques et géoéconomiques avec les Occidentaux et les Japonais.

La pénurie de semi-conducteurs souligne à quel point les tensions géopolitiques peuvent s’immiscer dans notre quotidien : la clé pour sortir de cette pénurie ne saurait être seulement technologique ou logistique mais dépend grandement de l’évolution dans les mois venir des relations entre les principales puissances géoéconomiques impliquées, notamment les Occidentaux et la Chine.

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