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Sénégal : comment assurer la continuité des soins de santé mentale en temps de Covid-19 ?

Centre de santé mentale « Dalal Xel » de Thiès
Tentes d’attente dans l’enceinte du centre pour éviter le rassemblement des patients et leurs accompagnants dans la salle d’attente. Ibra Diagne, Author provided

Le risque de contamination par la Covid-19 a contraint les acteurs des services psychiatriques à adapter le parcours thérapeutique afin d’assurer la continuité des soins durant cette période, alors que le secteur de la santé mentale est ordinairement sous tension. L’offre en santé mentale est en effet réduite dans nombre de pays africains – absence de politique en santé mentale (Kastler 2011), faiblesse des investissements (Saxena et al. 2007) (Charlson et al. 2017) – alors que l’impact morbide de ces pathologies est significatif (Vigo, Thornicroft, et Atun 2016), et qu’elles affectent le développement (Patel et al. 2018). Le Sénégal n’échappant pas à cette situation (Tine 2019), la pandémie constituait un risque de voir des patients renoncer à leur traitement ou se diriger vers la médecine traditionnelle.

Le cas du Centre de santé mentale Dalal Xel à Thiès permet d’illustrer la manière dont les acteurs de ce secteur se sont mobilisés durant la première vague, en mars-septembre 2020. Depuis 2002, cette structure privée catholique spécialisée dans la prise en charge des troubles psychiques est homologuée par le ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS), qui y affecte des psychiatres et des internes. Le personnel se compose d’une trentaine de personnes dont douze soignants : un psychiatre, appuyé par des internes et trois infirmiers spécialisés.

Dalal Xel développe des actions visant à rapprocher les communautés des soins psychiatriques grâce à une stratégie mobile de consultations psychiatriques, en gardant un contact téléphonique avec les patients, en effectuant des visites de médiation à domicile, des séances de sensibilisation et en garantissant l’accès aux soins aux personnes démunies. Les malades pris en charge effectuent parfois des centaines de kilomètres pour consulter (Petit 2019).

Repenser les soins face à la pandémie

Le comité de gestion de crise a repensé l’organisation de la prise en charge médicosociale face au risque de voir le centre se transformer en cluster. Pour cela, de nouvelles pratiques ont été établies. ****

L’objectif principal a été de protéger l’ensemble des acteurs de la chaîne de soins. La question de la sécurité du personnel médical, paramédical et de soutien a constitué un enjeu essentiel compte tenu du déficit de personnel qualifié en santé mentale. Un nombre de contaminations trop élevé parmi les soignants aurait rendu impossible la continuité de soins de qualité. Plusieurs dispositions ont été adoptées : diminution de l’effectif du personnel soignant, prise régulière de la température à chaque prise de service, port systématique d’un masque chirurgical durant toute la durée du travail pour l’ensemble du personnel en s’appuyant sur les directives nationales et les recommandations de l’OMS.

Des mesures de distanciation physique ont été imposées dans les salles de consultation et d’attente. Le nombre d’accompagnants par patient est limité à une personne. L’effectif des visiteurs dans la salle d’attente est limité avec une distanciation physique des sièges, et la consommation d’aliments est prohibée dans les unités de consultation et d’hospitalisation. Les mesures d’hygiène sont systématisées : mise à disposition de gel hydroalcoolique, port d’une sur-blouse, lavage des mains avant et après chaque contact avec un patient, désinfection des surfaces après chaque journée de consultation. Une attention particulière est portée aux conditions d’entrée et d’attente des patients, ceux-ci sont filtrés à la réception, une grande tente est installée comme nouveau lieu d’attente afin d’éviter des concentrations dans les espaces habituels, des personnels de soutien sont formés afin d’assurer la prise de la température, veiller au respect systématique du port de masque et repérer des signes d’alerte.

Le parcours des patients est réorganisé. Seuls les patients résidant dans le département de Thiès sont autorisés à accéder aux consultations de routine, les autres sont suivis en téléconsultation. Cette restructuration est rendue possible grâce à la qualité des liens tissés entre le centre, ses patients et leurs familles via les actions de santé mentale primaire. Seules les consultations qui nécessitent la présence du patient sont maintenues en fonction du degré d’urgence évalué par les psychiatres – aussi les hospitalisations sont drastiquement réduites. Les psychiatres effectuent des opérations de triage (Lachenal, Lefève, et Nguyen 2014) inhabituelles dans une structure attachée à l’accueil des malades.

Afin de détecter rapidement les cas de Covid-19, les visiteurs sont interrogés à l’accueil quant à la présence de symptômes afin d’être pris en charge dans le circuit spécifique national. En cas de symptômes, le patient est isolé et le médecin responsable des soins avertit le Groupe multisectoriel de coordination opérationnelle et de suivi régional. Si le test PCR s’avère positif, le patient, s’il est stabilisé, est conduit dans un Centre de traitement de l’épidémie (CTE) ; si son état de santé requiert des soins psychiatriques, il est conduit à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye. Dalal Xel n’a cependant pas eu à gérer cette situation.

Résilience chronique ou conjoncturelle ?

Face à l’urgence de la crise sanitaire, Dalal Xel, à l’instar des autres structures de santé, a réagi avec célérité. Le centre a mobilisé ses ressources propres afin de faire face à la situation sans attendre l’aide de l’État. Celle-ci est arrivée ensuite, alors que ces structures endurent chroniquement un déficit d’investissements et doivent quotidiennement s’adapter aux problèmes de recrutement de personnel spécialisé, aux ruptures de médicaments, à l’absence de prise de charge des traitements par la CMU, et au manque de reconnaissance institutionnelle.

L’accès aux soins a pu être préservé autant qu’il était possible. Cette continuité des soins est essentielle dans le cas de malades présentant fréquemment des maladies chroniques. Connaissant les difficultés que rencontrent les personnes affectées par un trouble psychique (Petit 2020), on pouvait redouter l’effet des restrictions sanitaires sur le suivi des patients. Après la levée des restrictions de circulation entre régions, les malades sont d’abord revenus au compte-gouttes à Dalal Xel. Puis, dès octobre, un afflux de patients est observé : des patients suivis jusqu’alors régulièrement, d’autres qui étaient en rupture de suivi, et surtout un nombre important de nouveaux patients dont certains vivaient difficilement le contexte épidémique.

Cette expérience laissera peut-être un souvenir amer aux acteurs de la santé mentale. Alors qu’il n’a jamais été autant question, dans les discours politiques et scientifiques, de « résilience » de « suivi psycho-social » des situations de crise, de « deuxième vague épidémique », la question de la santé mentale ne semble pas bénéficier de davantage de reconnaissance alors que les défis auxquels elle est confrontée n’ont pas disparu et semblent même augmenter. Il est à craindre qu’elle soit encore oubliée et que les plaidoyers appelant à « sortir la santé mentale de l’ombre » (Mnookin 2016) ou affirmant « No health without mental health » (Collins et al. 2011) restent des vœux pieux.


Cet article a été co-écrit avec Abdoulaye Danfa (psychiatre, Centre de santé mentale Dalal Xel de Thiès) et Étienne M. Sène (directeur du Centre de santé mentale Dalal Xel de Thiès).

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