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Séparatisme : une loi est-elle vraiment nécessaire ?

Emmanuel Macron Palais de l'Elysée
Emmanuel Macron doit s'exprimer le 2 octobre sur la question des ‘séparatismes’ en France. Christophe PETIT TESSON /AFP

La préparation d’un projet de loi de lutte contre le(s) séparatisme(s), promis désormais pour décembre 2020, est l’aboutissement d’un long cheminement. Le discours très attendu d’Emmanuel Macron aux Mureaux le vendredi 2 octobre s’inscrit dans cette démarche.

Le président de la République avait, dans un premier temps, plutôt envisagé de faire évoluer l’instance représentative de l’Islam de France, le Conseil français du culte musulman (CFCM), peu efficace pour lutter contre la progression de l’islam radical.

Mais, confronté à la poursuite des attentats terroristes sur le territoire français, Emmanuel Macron a fini par fondre dans une même approche la lutte contre la radicalisation et la réponse à la progression des « communautarismes » – rebaptisés « séparatismes ».

Ceux-ci se définissent comme des tentatives par des groupes religieux prosélytes de séparer une partie des communautés confessionnelles – implicitement, l’islam est le principal sujet de préoccupation – du reste de la nation, en refusant de partager les mêmes modes de vie, de respecter certains principes fondamentaux de la République (notamment égalité et fraternité), et de placer les prescriptions religieuses au-dessus des lois.

Pourtant, la montée des séparatismes est un phénomène ambigu voire qui reste à prouver, et si l’arsenal juridique peut être amélioré, les pouvoirs publics possèdent déjà l’essentiel des instruments nécessaires.

L’essor ambigu des expressions du communautarisme

La notion de séparatisme tend à faire l’amalgame entre lutte contre l’islamisme et lutte contre la radicalisation. Cette deuxième, qui s’est développée véritablement à partir de 2014, a visé dans un premier temps les djihadistes et candidats à l’action terroriste, considérant le comportement de ceux-ci comme singuliers et relevant d’une certaine forme d’enfermement mental. En fait, parler de séparatisme revient à considérer qu’il existe un « continuum » idéologique entre l’intégrisme religieux et la radicalisation violente. Le séparatisme a été préféré par l’Élysée au terme « communautarisme », afin d’insister sur la rupture que l’attitude d’un intégrisme religieux portait à la cohésion nationale.

Répondre à la ghettoïsation du peuplement urbain

La réponse adéquate devrait d’abord viser à lutter contre la ghettoïsation du peuplement urbain, conséquence habituelle d’une concentration du logement social sur certains quartiers. cette dernière entraîne une concentration spatiale des populations immigrées, entravant l’intégration dans la culture majoritaire. Or, pour beaucoup d’immigrés sont issus de sociétés de départ gagnées par une réislamisation des modes de vie et des normes sociales.

En France, ils se confrontent aussi au retour du religieux, avéré depuis les années 1990, en particulier dans les quartiers sensibles – et beaucoup moins parmi les individus vivant dans des quartiers mixtes.

Employees mount wood panels on the windows of the Langevin primary school that was set on fire the night before during clashes between French police and residents in Gennevilliers, in the northern suburbs of Paris, on April 22, 2020. Nine people were arrested overnight between April 21 and April 22 in the Paris area where several municipalities have been the scene of urban violence, and a school was partially damaged by a fire in Gennevilliers, according to the authorities. Christophe Archambault/AFP

Les discriminations ou le ralentissement des possibilités de mobilité sociale des jeunes issus de l’immigration ont favorisé l’essor d’un fondamentalisme religieux largement « bricolé », individualisé et traduisant une revendication identitaire contre la société des gagnants.

Un purisme impressionnant à relativiser

Au demeurant, l’adhésion à cette idéologie est elle-même ambiguë et réversible. Et, au sein des communautés musulmanes, caractérisées par ailleurs par leur hétérogénéité des origines nationales, les salafistes ne représentent qu’une minorité de quelques dizaines de milliers de personnes au plus.

Leur purisme impressionne une partie de la population des quartiers qui pensent trouver dans le rigorisme des pratiques religieuses un refuge face à la dureté d’une condition sociale et à un manque de perspectives.

Mais les quartiers freinent les trajectoires sociales sans les empêcher, et sont abusivement conçus comme des ghettos : l’enquête administrative récente sur le bilan des politiques publiques de Roubaix montre au contraire le caractère dynamique des parcours individuels et des liens avec le reste de l’agglomération.

Quelle menace pour les pouvoirs publics ?

L’islamisme se caractérise aussi par un projet politique, nécessaire à la diffusion de ses normes cultuelles.

Les pouvoirs publics s’inquiètent aujourd’hui aussi des soutiens venant de l’étranger, que ce soit pour le financement des lieux de culte ou le détachement d’enseignants (pour les Enseignements des langues et cultures d’origine, appelées à disparaître) ou d’imams prosélytes. Ces initiatives peuvent être le fait de mouvements non étatiques transnationaux, comme les Frères musulmans (organisation islamiste créée en Égypte en 1928), ou encore le Tabligh (d’origine indo-pakistanaise).

Mais si l’Arabie saoudite a financé la propagation du salafisme dans le monde, elle n’envisage pas d’instrumentaliser les bénéficiaires en France contre les pouvoirs publics. Il en est de même pour le Qatar, dont les financements visent plutôt à améliorer son image au sein de l’oumma face aux autres États du Golfe.

L’émir du Qatar et propriétaire du club de foot du PSG Tamim bin Hamad Al-Thani (assis à gauche) lors d’un match de la Ligue des Champions de son équipe contre le Real Madrid, au Parc des Princes en septembre 2019. GEOFfroy Van Der Hasselt/AFP

L’attitude de la Turquie, en revanche, est plus préoccupante car l’islamo-nationalisme de Recep Tayyib Erdogan utilise les instances religieuses encadrant la diaspora en Europe, afin de la mobiliser pour soutenir son pouvoir et peut-être pour faire pression sur des États européens.

Une proposition de loi qui laisse perplexe

La mobilisation politique de l’islam, lorsqu’elle existe, est plutôt le fait d’acteurs locaux. La proposition de loi du sénateur Bruno Retailleau visait à exclure des élections les candidats ayant « ouvertement mené une campagne communautariste » en tenant des propos contraires à la souveraineté nationale, la démocratie, la laïcité…

Or, tant les textes constitutionnels que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme s’opposent à une telle initiative : dans son arrêt REFAH contre Turquie de 2003, la Cour a considéré que :

« un parti politique qui s’inspire des valeurs morales imposées par une religion ne saurait être considéré d’emblée comme une formation enfreignant les principes fondamentaux de la démocratie ».

Les listes ouvertement confessionnelles restent très marginales. L’échec de l’Union des démocrates musulmans français aux dernières élections municipales le confirme ; toutefois, il faut reconnaître que dans certaines communes, des groupes islamistes bien organisés savent marchander leur influence sur le quartier pour obtenir gain de cause auprès des édiles.


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Un arsenal juridique déjà bien important

La progression des convictions et attitudes islamistes parmi les jeunes est un phénomène ancien mais que l’Éducation nationale a mis du temps à reconnaître. Le rapport Obin, produit par des inspecteurs du ministère en 2003, alertait pourtant sur les atteintes répétées à la laïcité et aux règles de l’école au nom de préceptes religieux.

Le responsable du rapport a expliqué comment le ministère avait tenté d’étouffer cette mise en garde, et, dans un récent ouvrage, il confirme que la situation dans certains établissements scolaires s’est encore dégradée.

L’attitude de certains jeunes, révélée au grand public aux moments des attentats de 2015 (« je ne suis pas Charlie »), et les conclusions inquiétantes de certaines enquêtes sociologiques sur la progression de la radicalité chez les jeunes, a sans doute accéléré la prise de conscience et la réponse de l’Éducation nationale.

Des adolescents mobilisés lors du festival de la BD d’Angoulême pour s’exprimer sur la liberté d’expression en 2016. Georges Gobet/AFP

Un meilleur suivi statistique des incidents liés au rejet de la laïcité a été mis en place : il révèle, sur l’année scolaire 2018-2019 783 signalements pour atteinte à la laïcité et 349 signalements d’actes racistes ou antisémites – mais de très nombreux faits, peu graves, ne sont pas signalés au ministère.

Surveiller le contournement de l’institution scolaire

L’islamisme se développe également au sein de nombreux établissements hors contrat ou par l’instruction à domicile.

Le nombre des élèves dans ce cas a doublé en dix ans, sans qu’il soit possible de préciser si cette tendance fait suite à des motivations religieuses.

Le contrôle des obligations des familles est insuffisant. Par ailleurs, le nombre des établissements hors contrat a doublé mais ce phénomène concerne également beaucoup d’établissements proposant une pédagogie alternative.

La loi Gatel (2018) a obligé ces établissements à préciser les origines de leur financement, mais ces obligations pourraient encore être renforcées.

Des obligations encadrées depuis… 1905

Un certain nombre de faits divers impliquant des lieux de culte et des imams prosélytes ont inquiété l’opinion publique : des prêches incitant à la haine, des prises de contrôle de mosquées par des salafistes, etc.

La loi permet déjà d’expulser tout étranger qui trouble l’ordre public, et la loi du 9 décembre 1905 sanctionne, entre autres, les faits d’outrage et de diffamation commis par un ministre des cultes ainsi que les comportements portant directement atteinte à la liberté de conscience et au principe du libre exercice du culte.

Par ailleurs, la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme dite loi « SILT », permet au préfet de fermer, pour une durée maximale de 6 mois, de tout lieu de culte dans lequel

« les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination… ».

Les associations cultuelles et culturelles peuvent être dissoutes, notamment si leur objet est illicite – provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes –, ou qu’elles portent atteintes au territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement soit par voie judiciaire, soit par décret en conseil des ministres. Mais la lourdeur de la procédure fait qu’elle est rarement mobilisée.

Un contrôle plus lucide sur les acteurs de la société civile

Le prosélytisme et le séparatisme sont dénoncés dans le comportement de nombreuses associations, notamment dans le domaine sportif. Si le droit commun défini plus haut repose sur la solidité de la liberté associative, certains aménagements sont souhaitables. La commission d’enquête « sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre » a avancé, dans son rapport rendu au mois d’août, quelques propositions qui devraient nourrir le futur projet de loi.

Par exemple, mettre en place une procédure de suspension des activités d’une association séparatiste, inspirée de la procédure existante pour sanctionner les associations de supporters auteurs d’actes de hooliganisme.

Par ailleurs, pour pouvoir bénéficier d’une subvention versée par l’État ou l’un de ses opérateurs, le représentant légal de l’association s’engage à respecter les principes et valeurs de la Charte des engagements réciproques du 14 février 2014, au titre desquels figurent les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Un tel engagement pourrait être étendu à toutes les demandes de subventions publiques.

Le projet de loi viendra compléter plus que révolutionner les dispositifs de lutte contre les acteurs et les comportements ne respectant pas les principes fondamentaux de la république, tout en évitant de faire du salafisme un délit d’opinion.

Mais, dans un combat culturel de cette ampleur, c’est aussi la mobilisation de l’administration et des associations refusant la fracture au sein de la société qui décidera de l’issue. Or, il est important que les moyens des services publics et le financement de ces associations dans les quartiers sensibles soient revalorisés.

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