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Séries et sport en streaming : comment limiter le piratage face à l’éclatement de l’offre ?

Les grands acteurs du streaming ont plusieurs options pour limiter la hausse du piratage qu'entraîne la fragmentation de l'offre. Ivan Marc / Shutterstock

Plusieurs études citées dans l’article « Séries et sport en streaming : quand l’abondance d’offres encourage le piratage », publié récemment dans ces colonnes, montrent que les plus gros consommateurs de streaming combinent généralement des offres légales et non légales pour accéder aux contenus dont ils sont friands. Ils ne sont donc pas mus par le désir ou la volonté de ne pas payer. Et le développement des services légaux, ces dernières années, a démontré leur attrait dès lors qu’ils étaient simples et accessibles. Dès lors, comment les entreprises peuvent-elles lutter contre la nouvelle vague de piratage qui risque de découler de la multiplication et de l’éclatement des offres légales ?

Organiser la riposte

Les réponses sont multiples. Légales, tout d’abord, en renforçant un arsenal législatif pourtant déjà bien fourni. Sans surprise, de nombreux producteurs et diffuseurs plaident en ce sens, notamment les détenteurs de droits sportifs. Les diffuseurs de la Premier League, le championnat de football britannique, ont d’ailleurs obtenu de sévères peines à l’encontre de diffuseurs de flux illégaux, qui leur avaient permis de générer plus de 5 millions de livres de revenus.

La riposte s’organise aussi sur le front des formats de consommation du streaming audiovisuel. Avec le dernier épisode de sa série à succès Black Mirror, intitulé Bandersnatch, Netflix a proposé à ses clients de diriger eux-mêmes les évolutions de l’épisode sur un format « livre dont vous êtes le héros ». Un tel format s’est révélé impossible à pirater, sauf à perdre complètement l’expérience utilisateur interactive que proposait Netflix – ce pour quoi certains ont tout de même opté, se retrouvant néanmoins confrontés à un visionnage particulièrement complexe.

Bande-annonce officielle de Black Mirror : Bandersnatch.

Côté sports, la diffusion de matchs de football en réalité virtuelle pour vivre l’expérience la plus immersive possible, l’utilisation de la réalité augmentée pour afficher sur son smartphone des informations sur les sportifs ou des statistiques en temps réel durant une rencontre, ou encore des offres toujours plus affinées (en ne proposant par exemple que le dernier quart-temps d’un match de NBA pour un tarif réduit) sont autant de pistes déjà explorées.

Paradoxalement, enfin, une autre réponse possible au piratage serait de pousser au maximum la logique d’offres exclusives, qui sont pourtant la raison principale de son probable renforcement. À terme, ces exclusivités pourraient être une garantie de survie, voire de victoire dans un univers ultra-concurrentiel.

S’imposer à coups de milliards de dollars

Actuellement, ces exclusivités résultent soit de partenariats entre producteurs et diffuseurs, soit de productions assurées directement par les plates-formes de diffusion. Or, comme nous l’avons expliqué précédemment, les producteurs de contenus rentrent progressivement dans des logiques d’intégration verticale aval : ils s’appuient sur leurs propres contenus pour créer leurs services de diffusion en streaming – ce que fait par exemple Disney, ou ce à quoi songe sérieusement Warnermedia. De cette façon, ils assèchent une partie du catalogue de ceux qui sont actuellement leurs diffuseurs (Netflix, Amazon, etc.), même si cela est coûteux à court terme. Disney a, par exemple, fait une croix sur 150 millions de dollars de revenus en coupant ses liens avec Netflix.

Le film Six Underground, dont le tournage s’est déroulé en 2018, est l’un des contenus produits directement par Netflix. Maserrac/Shutterstock

À l’inverse, ces derniers renforcent leurs productions originales (modèle de Canal+ depuis très longtemps), procédant à une intégration verticale amont : ils remontent la chaîne de valeur en partant de la diffusion, pour assurer la production de leurs propres contenus. Pour attirer (et conserver) le plus grand nombre de clients, ces productions se veulent de qualité. Pour cela, toutes ces entreprises se livrent à une guerre sans merci pour débaucher les acteurs et créateurs les plus renommés. Amazon s’était ainsi attaché les services de Julia Roberts pour sa série Homecoming, et vient de signer avec Jonathan Nolan et Lisa Joy, les créateurs de la série à succès Westworld, qui vont ainsi arrêter de travailler pour Warner (à l’exception de Westworld, qu’ils vont continuer).

Face à cette concurrence accrue et aux ressources financières limitées des consommateurs, le but de chaque plate-forme est de convaincre ces derniers de l’inclure dans le nombre limité de celles auxquelles ils seraient prêts à souscrire (plutôt que d’en pirater les contenus). Exclusivités et amélioration permanente de l’expérience utilisateur semblent un cocktail prometteur pour atteindre cet objectif. Et surtout, toute entreprise réussissant à capter un maximum de clients serait en position de force vis-à-vis de ses concurrents. Cela permettrait soit de les sortir du jeu et de récupérer les droits de diffusion (puisque les perdants préféreront certainement exploiter un catalogue en licenciant leurs droits, plutôt que de poursuivre l’exploitation d’un service de streaming déficitaire), soit de créer des offres couplées regroupant différents services de streaming, dont ils capteraient l’essentiel de la valeur. Ces enjeux et cette probable dynamique concurrentielle expliquent les sommes astronomiques évoquées pour la production desdites exclusivités : 12 milliards de dollars en 2018 pour Netflix (avec une prévision à 15 milliards pour 2019), 5 milliards pour Amazon Prime Video, ou encore 1 milliard annoncé pour Apple.

En d’autres termes, le marché pourrait très bien évoluer dans un premier temps vers une balkanisation très marquée, caractérisée par une guerre à couteaux tirés entre des acteurs dont chacun essaierait de tisser une relation directe avec les consommateurs en s’appuyant sur son catalogue d’exclusivités et son interface utilisateur. Jusqu’au moment où, de guerre lasse, le ou les acteurs les moins rentables se décideront de nouveau à proposer leurs contenus sous licence à leurs concurrents afin d’en tirer un maximum de revenus – voire à accepter de se faire racheter. Alors même que nous n’en sommes encore qu’aux prémices de cette guerre de contenus, il est cependant fort probable que celle-ci induira une consolidation du marché.

À moins que la croissance du streaming vidéo ne soit stoppée en faveur de celle d’autres sources de divertissement, comme les jeux vidéos. Ce n’est sans doute pas par hasard que Netflix a indiqué, dans son dernier rapport annuel, que le jeu Fortnite, véritable coqueluche des jeunes générations, était vu comme un concurrent supérieur à Disney

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