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Sexisme dans le football : où en sommes-nous?

Un match de l'ASNL Nancy contre l’ ESAP de Metz en 2017. alainalele1 / Flickr

Cristiano Ronaldo et Lionel Messi ont reçu plusieurs fois le Ballon d’Or et font partie des meilleurs joueurs de tous les temps. Comment les fans de football réagiraient-ils si Messi et Ronaldo refusaient de jouer pour leur sélection nationale pendant la Coupe du monde ? La huitième édition de la Coupe du monde de football féminin (CMFF) organisée en France du 7 juin au 7 juillet était celle qui à ce jour comptait le plus grand nombre de sélections nationales participantes, avec 24 pays. Et le monde du football n’a pas pu admirer le talent de la norvégienne Ada Hegerberg, récipiendaire du premier Ballon d’Or féminin remis en 2018. Hegerberg a démissionné de sa sélection nationale en 2017, après avoir accusé la Fédération norvégienne de sexisme et de discrimination.

Selon Hegerberg, les footballeuses norvégiennes ne bénéficient pas du même respect de la part de leur Fédération nationale que leurs homologues masculins. Si l’équipe féminine a toujours obtenu des meilleurs résultats internationaux que l’équipe masculine, et qu’un accord historique en 2017 a conduit à l’obtention des mêmes salaires pour les femmes que pour les hommes, la ligue féminine reçoit 10 % de moins que la ligue masculine. Les femmes sont moins bien équipées, et les investissements en communication et en marketing sont très faibles, ce qui contribue au taux de remplissage ridiculement bas des matches féminins.

Aujourd’hui, le sexisme est toujours présent dans le monde du football. Que révèlent ces faits relatifs aux discriminations femmes/hommes hors du terrain et sur le terrain ? La diversité des genres dans le football a-t-elle vraiment progressé ?

Antisexisme ou diversité des genres ?

Le sexisme se définit comme suit : « Attitude discriminatoire adoptée à l’encontre du sexe opposé (principalement par les hommes qui s’attribuent le meilleur rôle dans le couple et la société, aux dépens des femmes reléguées au second plan, etc.) ».

Bien que les manifestations de sexisme dans le football soient essentiellement – et le plus souvent – l’apanage du genre masculin, les croyances sexistes sont présentes à la fois chez les femmes et les hommes. La Coupe du monde de football a donné lieu à des formes variées de sexisme, aussi bien parmi les joueuses ou les entraîneur·es que les commentateurs·rices à la télévision et à la radio, ou les journalistes de la presse sportive. De plus, les fédérations et les ligues n’ont pas toutes la même attitude : le sexisme y est tantôt perpétré, tantôt combattu.

Le sexisme institutionnalisé est évident lorsque l’inégalité des genres dans le sport devient une norme si enracinée qu’elle est à peine reconnue et encore plus rarement remise en cause. La sociologue Marie-Cécile Navès a souligné l’intériorisation de l’infériorité quand l’équipe de France féminine a été obligée de déménager de Clairefontaine peu de temps avant sa Coupe du monde pour laisser la place et les meilleures installations sportives à l’équipe masculine. L’entraîneure française Corinne Diacre a tenté de déminer la polémique en faisant remarquer qu’il en a toujours été ainsi. Ses propos ont suscité des critiques acerbes de la part de la presse nationale.

Les femmes décisionnaires dans le monde du football semblent préférer l’expression diversité des genres au terme sexisme. « Nous ne parlons pas de lutter contre le sexisme et la discrimination ou les préjugés de genre », explique Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF. « Avoir une politique antisexiste est souvent moins efficace que de dire que vous avez une politique favorable à la diversité des genres ».

Deux poids deux mesures

Les médias jouent un rôle clé dans la perception publique du sport, par le jeu de la couverture médiatique, mais aussi des formats proposés – directs et émissions spéciales avant/après les événements sportifs.

Dans la plupart des pays, la Coupe du monde de football féminin n’est pas diffusée comme celle des hommes. En Allemagne, tous les matches de football masculin sont diffusés en direct, quelle que soit l’heure de la rencontre, y compris en prime time entre 20h et 23h. Les matches féminins, surtout pendant le premier tour, ne sont pas télévisés en prime time, ni rediffusés avant 20h.

Certes, d’anciennes joueuses professionnelles sont embauchées comme expertes pour analyser les matches de la Coupe du monde féminine. Mais lorsque la BBC a choisi une équipe 100 % féminine pour commenter un match de football féminin, des voix – hommes et femmes – se sont élevées pour accuser la chaîne anglaise de sexisme (contre les hommes).

Du côté des commentaires pendant le match, rares sont encore les femmes qui commentent des matchs masculins aux côtés de leurs collègues hommes – même si elles étaient plus nombreuses lors de la dernière coupe du monde féminine – alors qu’on trouve souvent des équipes mixtes pour commenter le football féminin.

Il faut aussi compter avec le sexisme bienveillant, difficile à détecter, qui persiste dans les commentaires paternalistes de certains journalistes sur le comportement des athlètes femmes, lorsque ceux-ci insistent sur la timidité ou la prudence. Au contraire, le même comportement chez les hommes est souvent associé à des tactiques d’économie de temps ou d’énergie. Ces stéréotypes sont inconsciemment ravivés et partagés avec des millions de spectateurs.

Enfin, la visibilité donnée aux résultats du football féminin dans la presse sportive reste symbolique. Une étude de 2017 portant sur 188 journaux montre que le football féminin ne représente que 2 % de l’ensemble des pages consacrées au football.

Une gouvernance qui se féminise… lentement

Au plan organisationnel, la place des femmes s’est améliorée sur le terrain.

Depuis 2012, le nombre de licenciées en France a presque quadruplé, de 53 000 à 180 000, et on est passés de 25 000 à 35 000 responsables d’équipe, de 600 à 800 femmes arbitres, et de 1 000 à 3 000 éducatrices.

Le nombre d’entraîneures pendant cette dernière Coupe du monde a significativement augmenté : une seule (sur douze équipes) en 1991 et neuf (sur 24 équipes) en 2019.

Quant aux femmes arbitres elles n’étaient que 6 sur 20 pendant la première Coupe du monde féminine en 1991. En 2019, tout le corps arbitral (soit 75 arbitres) était composé de femmes.

Cependant, dans les strates plus hautes, le Conseil de la FIFA ne compte que six membres sur 37, le minimum prescrit par la constitution de l’instance internationale.

Vers l’égalité des genres

La diversité des genres est loin d’avoir remporté son match contre le sexisme. La presse sportive a une responsabilité très importante au plan de la promotion du sport féminin et de l’accompagnement des mentalités sur la voie du changement. Les spectatrices jouent également un rôle clé, notamment par leur soutien dans les stades. C’est grâce à ces stades remplis que le football féminin sera de plus en plus médiatisé et sponsorisé.

Il reste encore des écarts importants au plan du financement du football. Avec ses quatre Coupes du monde, l’équipe étatsunienne a généré des pics d’audience inégalés, alors que les hommes ne se sont même pas qualifiés pour la phase finale de la dernière Coupe du monde FIFA. Malgré tout, l’équipe masculine américaine continue à recevoir un financement supérieur à celui des femmes.

Trois mois avant le début de la CMFF 2019 en France, l’équipe nationale féminine des États-Unis a assigné la Fédération nationale USSF en justice pour pratiques discriminatoires. L’argument juridique était double : écarts de financement et inégalité des genres. Aux États-Unis, on se dit que le fair play commence avec le fair pay.

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