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Becca Tapert/Unsplash

Sexualité au féminin : quand les rapports font mal

Cet article est extrait du livre « Les femmes et leur sexe » (Editions Payot), de Heidi Beroud-Poyet et Laura Beltran, psychologues cliniciennes et sexologues.


Toutes les femmes ont dit « aïe » un jour pendant un rapport sexuel, sans que cela ne les inquiète plus que ça. Une petite gêne, une maladresse, une douleur qui passe – jusque-là, rien de grave. Il y a un problème quand la douleur se répète et qu’elle devient une souffrance. Faire l’amour n’est pas censé faire mal.

La dyspareunie correspond à un rapport sexuel douloureux, le plus souvent lors de la pénétration. Les dyspareunies affectent 8 à 22 % des femmes à un moment au cours de leur vie, selon l’article publié en 2013 par la dermatologue Clarence de Belilovsky.

Lorsqu’une femme a mal au sexe, celui-ci se verrouille. La femme se débranche alors de cette partie de son corps et de l’activité sexuelle. Une femme peut avoir mal tout le temps, ou seulement quand on touche son sexe. Certaines se sentent irritées, d’autres ressentent une douleur aiguë à un endroit très précis. La diversité des cas est infinie, mais une chose est sûre : la douleur n’est jamais complètement physique ou complètement psychologique. Le plus souvent, c’est une combinaison des deux. Et pour la majorité des femmes, cette douleur se soigne.

C’est « foutu », pensent certaines femmes

Certaines femmes pensent que c’est « foutu » parce qu’elles n’ont jamais pu être pénétrées. Elles n’ont pas voulu, elles n’ont pas osé, elles n’ont pas pu… Cela n’a jamais marché, ça ne passe pas, c’est fermé. Les tampons ne sont jamais rentrés. Même chez le gynécologue, c’est impossible.

D’autres ont toujours eu mal. La première fois, passe encore, mais la douleur n’est jamais partie ; être pénétrée, pour elles, c’est avoir mal. Ces femmes ont la sensation d’avoir un vagin trop petit, serré, étroit, « anormal ». Elles serrent les dents dès qu’elles ont un rapport, elles se mettent la pression : « Est-ce que ça va passer cette fois ? Est-ce que ça va faire mal ? »

D’autres encore ont suivi de nombreux traitements parce que leur sexe gratte, ou brûle, ou pique. Leur sexualité dépend du rythme des infections, des traitements, des ordonnances médicales.

D’autres, enfin, n’ont jamais rien ressenti pendant l’amour. À force de ne rien ressentir, et de s’ennuyer, elles perdent de l’intérêt pour la sexualité. Comme il n’est pas simple de dire à l’autre : « Je m’ennuie ferme pendant nos câlins ! », dire « j’ai mal » leur permet de fournir une raison objective et d’éviter la « corvée ».

Elles se disent que ça va passer

Au début, quand les rapports sexuels sont douloureux, les femmes ne s’inquiètent pas ; elles se disent que ça va passer, elles pensent qu’il est normal d’avoir mal. Et puis, au bout de quelque temps, elles finissent par consulter.

Quand elles en parlent, elles évoquent une « gêne » très importante et leurs descriptions sont souvent imagées. Il y a la brûlure-coupure : des sensations de coups de couteau, de lames de rasoir. Il y a la brûlure-blessure : sensation d’une écorchure, d’une plaie à vif, d’une déchirure. Il y a la brûlure-piqûre : comme le dit l’une d’elles, « J’ai l’impression d’avoir un oursin dans ma culotte ».

Les douleurs ou les brûlures apparaissent le plus souvent au toucher, ou encore au contact des vêtements, ou des tampons. Elles sont ressenties au niveau des organes génitaux externes et s’associent parfois à une douleur au moment des relations sexuelles.

Des sensations de brûlure, ou vulvodynie

Dès lors qu’une femme se plaint de douleurs sur la région vulvaire, et qu’il n’y a pas de cause évidente à l’examen médical, elle est susceptible d’entendre le diagnostic de vulvodynie. Ces sensations de brûlure ont chacune hérité d’un « petit nom » scientifique en fonction de la zone où elles se situent : quand ça fait mal sur tout le sexe, c’est la vulvodynie ; à l’entrée du vagin, c’est la vestibulodynie ; sur le clitoris, c’est la clitoridynie.

Environ 15 % des femmes souffrent de vulvodynie, selon une étude allemande publiée en 2005 et une autre, plus ancienne. Or elles sont rarement bien diagnostiquées, comme le montre une étude américaine de 2011. Ces douleurs commencent tôt. Dans une étude australienne publiée en 2007, 75 % des patientes avaient moins de 35 ans. Le délai moyen entre le début de la douleur et le diagnostic était d’environ 6 ans. « Or les patientes pensent que le retard au diagnostic a contribué à la sévérité de leurs symptômes », écrit la dermatologue Clarence de Belilovsky, dans l’article déjà cité.

Assez souvent, les femmes repèrent une période de leur cycle menstruel qui est plus douloureuse. Certaines décrivent une gêne pour s’asseoir. Les douleurs jouent également sur leur style vestimentaire : les femmes remisent leurs pantalons serrés et préfèrent des vêtements amples ou des matières souples.

Les femmes limitent la durée des rapports

Les femmes qui souffrent d’une vulvodynie n’interrompent pas forcément leur vie sexuelle, elles l’adaptent en évitant de stimuler les zones sensibles ou en limitant la durée des rapports. Cependant, si les douleurs sont très fortes ou durent trop longtemps, la vulvodynie peut mettre à mal l’estime de soi et influencer négativement le désir.

Prenons l’exemple de Céline (les prénoms ont été changés), 27 ans. Ses douleurs ont débuté il y a trois ans, alors qu’elle faisait l’amour avec Olivier, son premier et unique partenaire sexuel. Ils sont en couple depuis quatre ans. « Avant, ça m’arrivait d’avoir une mycose ou d’être irritée, dit-elle, mais ça passait vite. Maintenant, c’est à chaque rapport. J’ai l’impression que je vais tomber folle avec ma douleur. J’ai des brûlures super fortes, du coup je n’ai plus envie et j’évite tout rapport sexuel. »

Elles consulte trois gynécologues. L’un d’eux lui dit qu’elle a une vulvodynie et lui conseille de faire des séances de kiné pour détendre le périnée, le muscle situé entre le vagin et l’anus. Cela l’aide à mieux se connaître, mais le désir ne revient pas et Céline appréhende toujours de faire l’amour. Son copain ne lui met pas la pression :

« Il est patient, mais à force d’essayer et de se faire rembarrer, il n’essaie même plus. Ça fait plus d’un an qu’on n’a rien fait, ce n’est plus naturel, on ne sait plus comment s’y prendre. »

Les douleurs peuvent avoir des répercussions négatives sur le désir. quin stevenson/unsplash

Céline doute de sa relation, elle se demande si les problèmes sexuels sont liés à ses doutes. Elle est aussi très stressée par le travail, elle a un niveau d’exigence élevé et ne se laisse pas souvent aller. Elle aime sentir qu’elle maîtrise ce qui lui arrive. Elle n’en peut plus de cette vulvodynie qui ne passe pas, qui l’amène à consulter jusque chez le psychologue-sexologue. Elle aurait voulu un traitement et basta ! Mais cela semble un peu plus compliqué…

Ces femmes n’ont pas « rien »

« Le pire, c’est de se sentir incomprise, regardée comme une fille douillette », confie une patiente. L’examen gynécologique des femmes qui souffrent de vulvodynie est le plus souvent normal, et c’est cela qui les inquiète. Or, elles n’ont pas « rien », elles ont mal pour de vrai.

C’est justement cela, la vulvodynie : l’examen visuel est normal, mais l’examen au toucher fait mal. En général, le médecin spécialiste examine sa patiente en utilisant un coton-tige, ce qui lui permet d’identifier avec précision la zone douloureuse à partir de la sensation.

Les causes précises de la vulvodynie sont mal identifiées. Mais il existe fort heureusement des manières de s’en sortir. Pour cela, il faut penser à trois choses : la muqueuse, le muscle, et le mental – ce qu’on nomme les « 3 M ».

Il existe des consultations spécialisées dans lesquelles les médecins connaissent bien ces symptômes. Pour avoir de bonnes chances de guérir, nous conseillons aux femmes de rencontrer un médecin spécialiste (dermatologue vulvaire ou gynécologue spécialisé) qui travaille en réseau avec des kinésithérapeutes et des psychologues sexologues. Si une femme sort de chez le médecin en ayant l’impression qu’il ne sait pas trop ce qu’elle a ou qu’il n’a pas manifesté la moindre empathie, alors il faut changer d’adresse.

Des crèmes et la détente du périnée

Commençons par la « muqueuse », le premier des trois M. Si c’est une vulvodynie, les médecins peuvent prescrire des traitements locaux, des crèmes, afin que la zone soit bien hydratée, et parfois des anesthésiques. Ils peuvent aussi proposer des traitements qui agissent contre les douleurs chroniques.

Si le problème est une mycose, c’est-à-dire une affection causée par un champignon parasite, un prélèvement doit être effectué et analysé pour être sûr du diagnostic. Dans ce cas-là, les crèmes et les ovules sont adaptés. Si l’on traite sans avoir fait de prélèvement, le risque est de « sur-traiter » sans raison. Dans les cas de mycose à répétition, des traitements par voie orale sur un long terme peuvent être très efficaces.

Le « muscle », le deuxième M, peut aussi être en cause. Dans le cas d’une hypertonie du périnée, le traitement majeur est la kinésithérapie. La relaxation périnéale doit impérativement être pratiquée avec des kinésithérapeutes ou des sages-femmes spécialisées. Ces spécialistes connaissent les symptômes et pourront aider les femmes à prendre conscience de cette zone du corps grâce à des exercices et des massages. Les muscles qui entourent le vagin se détendront et apporteront du confort et un soulagement. Les mêmes professionnels peuvent aussi proposer une approche de relaxation plus « globale », sans nécessairement se focaliser sur le périnée.

Quand le mental est en jeu

Le « mental » est le troisième M. Nous recommandons aux femmes de se tourner vers un professionnel de santé (médecin ou psychologue clinicien) qui soit spécialisé en sexologie. L’intérêt de cette spécialisation est que le thérapeute aura une connaissance solide de la « mécanique sexuelle ». Ainsi il pourra s’en distancier et déchiffrer les aspects personnels et inconscients d’un symptôme. Une consultation avec un thérapeute sexologue se déroule le plus souvent sous la forme d’un entretien en face à face pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure, en séance individuelle ou en couple.

La première piste pour comprendre le problème est physiologique, car bien des douleurs, des brûlures ou des démangeaisons ont pour origine un problème gynécologique qui a déclenché une inflammation. Mais une femme qui a des douleurs n’est pas qu’un corps. La deuxième piste amène donc à visiter l’histoire personnelle, l’éducation, les croyances, les propres représentations des hommes et des femmes.

Les douleurs, les brûlures ou les démangeaisons s’entretiennent bien souvent chez des femmes qui n’ont pas eu l’occasion de faire l’apprentissage de leur sexualité. Sans un « savoir minimum » sur leur fonctionnement sexuel, elles s’ennuient très vite dans cette activité. Le problème est qu’elles n’ont pas les « cartes » pour s’en sortir, car elles n’ont jamais vraiment appris à être bien avec leur sexe et dans leur sexualité.

« Les Femmes et leur sexe », de Heidi Beroud-Poyet et Laura Beltran, éditions Payot. Author provided

Se pose aussi la question des traumatismes sexuels vécus personnellement ou encore indirectement, via le récit d’un proche. On recherche, encore, du côté des troubles psychologiques : une anxiété démesurée, des troubles alimentaires comme l’anorexie ou la boulimie, ou encore une dépression.

Enfin, il faut s’intéresser au couple, se demander comment il fonctionne, si la communication est bonne, si les sentiments sont sécurisants. Il est important de voir comment la sexualité marche pour le partenaire, et comment il ou elle réagit face aux difficultés.

Ces douleurs se soignent, et il faut le dire. Dans notre expérience, la majorité des femmes guérissent ou voient leur état s’améliorer considérablement grâce à l’association des différentes approches que nous venons de décrire.

L’amélioration se produit dans des délais variables. Les femmes attendent souvent un déclic qui va tout changer du jour au lendemain. Mais le plus souvent il s’agit d’une démarche progressive, un parcours avec des étapes. Plus que jamais dans les cas de vulvodynie, les femmes ont à traiter un symptôme qui est multifactoriel. Elles gagneront à bénéficier d’une approche pluridisciplinaire au sein d’une équipe à l’écoute de ces causes multiples.

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