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Somnolent ? Gare à ne pas avouer un crime que vous n’avez pas commis !

Interrogatoire de police, des heures durant. Shutterstock

Si vous faites partie des millions de gens qui ont écouté « Serial » en podcast ou regardé sur Netflix la série « Making a murderer », vous pouvez imaginer qu’il y a des innocents en prison. Mais bien avant que les cas d’Adnan Syed, Steven Avery et Brendan Dassey soient portés à l’attention du public, nous avons travaillé dur, ainsi que d’autres chercheurs, pour examiner comment des innocents se retrouvent parfois derrière les barreaux à expier des crimes qu’ils n’ont pas commis. En fait, un rapport récent a mis à jour, pour 2015, un nombre record de disculpations criminelles aux États-Unis.

Il est difficile, voire impossible, de déterminer le nombre de personnes qui ont été condamnées à tort aux États-Unis, mais des cas d’espèce vécus dans la vie réelle révèlent quelques-unes des raisons habituelles aboutissant à des décisions judiciaires erronées. En plus des témoignages visuels pas du tout fiables et des preuves relevées lors d’expertises médico-légales qui s’avèrent défectueuses, l’une des raisons principales de verdicts injustifiés, ce sont les faux aveux.

Oui, vous avez bien lu : des innocents en sont capables, ils confessent des crimes horribles qu’ils n’ont jamais commis. Les faux aveux représentent environ 25 % des disculpations par l’ADN. Alors que vous, personnellement, vous pensez n’avoir jamais à avouer un viol ou un meurtre que vous n’avez pas commis, la recherche a montré que les innocents sont particulièrement vulnérables lors d’un interrogatoire de police. Pourquoi cela ?

La police interroge Brendan Dassey, dont le cas est détaillé dans « Making a murderer ».

Pour quelles raisons un innocent s’accuse-t-il ?

Spécialistes des faux aveux, Richard Leo et Steven Drizin expliquent de façon convaincante que trois chemins mènent à ce comportement. En premier lieu, les officiers de police concluent à tort qu’un suspect innocent est coupable. Dans les premiers temps de l’entretien préliminaire ou de l’interrogatoire, ils s’efforcent d’établir la culpabilité ou l’innocence du prévenu à travers son attitude, le son de sa voix, le langage de son corps. Le danger, dans ce cas, c’est que les officiers de police, en voulant détecter la tromperie, recueillent couramment des informations entachées d’erreurs.

Ensuite, entrent en jeu des tactiques de coercition. L’interrogatoire peut être truffé d’accusations affirmant que le suspect est coupable, qu’il ment et qu’il existe contre lui une preuve accablante (aux États-Unis, la police a le droit légal de vous mentir ), tout cela accompagné de promesses d’indulgence et de gestes de sympathie. L’interrogatoire peut durer plusieurs heures, voire, dans certains cas, plusieurs jours.

Une fois que l’innocent a reconnu sa culpabilité, alors la police (peut-être par mégarde) contamine la mémoire du suspect. Il ne suffit pas de dire « Je suis coupable » encore faut-il faire un récit détaillé de son crime de telle façon qu’il colle aux preuves supposées. Que ce soit réalisé en posant des questions tendancieuses (comme ce fut le cas dans l’interrogatoire de Brendan Dassey ) ou bien en montrant des photos de la scène du crime, ou encore en jouant sur la mémoire du suspect, le but est de pousser l’intéressé à des aveux détaillés.

Les chercheurs ont aussi découvert que, pour faire ce genre d’aveux qui n’en sont pas, certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres. Par exemple, les jeunes sont à haut risque. Par rapport aux adultes, les enfants sont moins aptes à mesurer les conséquences à long terme, plus enclins à approuver les suggestions qu’on leur présent, et plus faciles à focaliser sur une récompense immédiate (par exemple « si j’avoue maintenant, je peux rentrer à la maison ce soir » ). Les personnes atteintes de troubles cognitifs et/ou de maladies mentales présentent également un risque accru d’avouer un crime qu’elles n’ont pas commis. Certains types de personnalité sont également exposés. Des gens plus influençables et/ou plus accommodants deviennent vulnérables une fois dans une salle d’interrogatoire.

Un autre risque : la privation de sommeil

Pour notre nouvelle étude publiée dans la revue « Proceedings of the National Academy of Sciences », nous avons mis au jour un autre facteur susceptible d’inciter aux faux aveux : la privation de sommeil. Même si nous savons que les officiers de police interrogent parfois les suspects pendant les heures normales de repos nocturne (de minuit à huit heures du matin), il n’y a pas eu d’études empiriques pour montrer l’effet de la privation de sommeil sur les fausses confessions. Pour examiner ce point, nous avons recruté 88 élèves de lycée afin de participer à une expérience.

Les sujets sont arrivés au laboratoire du sommeil et ont effectué plusieurs travaux sur ordinateur. Au cours d’une procédure adaptée à partir de l’expérience de l’expert en faux aveux Saul Kassin et de sa collègue Katherine Kiechel, nous avons sévèrement et à plusieurs reprises averti les participants de ne jamais appuyer sur le bouton « Escape » de leur clavier d’ordinateur. Nous leur avons fait croire que cela entraînerait la perte de données importantes.

Près d’une semaine plus tard, les participants sont revenus au laboratoire. Ils ont dormi sur place ou sont restés éveillés toute la nuit. Le matin suivant, nous leur avons montré un document détaillant les activités antérieures de chacun dans le laboratoire. Point crucial, le document mentionnait faussement que le participant avait pressé la touche « Escape » pendant la première visite au laboratoire. Puis nous avons pressé les participants d’authentifier l’information donnée dans le document en signant de leur nom.

Comparés aux participants reposés, ceux qui avaient été privés de sommeil étaient bien plus susceptibles d’authentifier le document consignant leurs supposés aveux. Après juste une seule demande de notre part, 18 % des participants reposés ont signé le document, contre 50 % de ceux qui avaient souffert d’un manque de sommeil. Quand on a sollicité à nouveau ceux qui avaient d’abord refusé d’approuver leurs « aveux » en apposant leur signature, 39 % des participants reposés et 68 % de ceux privés de sommeil ont finalement signé.

Deux mesures simples et aux données faciles à enregister avaient également permis de prévoir les taux de faux aveux dans notre échantillon. Les participants privés de sommeil y étaient davantage enclins s’ils manifestaient un tempérament enclin aux décisions impulsives tel qu’il est mesuré par le test de réflexion cognitive (CRT). De plus, les participants ayant indiqué être particulièrement sujets à la somnolence (selon la mesure sur l’échelle de veille de Stanford ) ont encouru plus de risque de faux aveux, qu’ils aient dormi ou non cette nuit-là.

Nos nouvelles découvertes s’ajoutent aux recherches toujours plus nombreuses qui s’intéressent aux causes et aux conséquences des faux aveux. D’autres travaux futurs qui étudieraient leur formation deviennent cruciaux dans la mesure où les faux aveux – et plus généralement les condamnations injustifiées – ont des implications incalculables. Non seulement les innocents en souffrent (au prix d’années de prison potentielles), mais les coupables restent libres de commettre encore plus de crimes.

Par Shari R. Berkowitz, Steven J. Frenda, Elizabeth F. Loftus et Kimberly M. Fenn.

This article was originally published in English

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