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photo d'un champ de mil
Les plantes cultivées absorbent et stockent le carbone plus ou moins longtemps selon les variétés. Ici, une parcelle expérimentale de culture de mil dans une station de recherche au Sénégal. Laurent Laplaze, IRD, Fourni par l'auteur

Stocker le carbone dans les sols pour limiter les impacts du changement climatique

Outre le réchauffement climatique global de la Terre, les aléas climatiques extrêmes, comme les canicules, sécheresses, crues ou moussons exceptionnelles, sont de plus en plus fréquents. Ils peuvent affecter les rendements agricoles et donc la sécurité alimentaire.

Le nombre de jours de sécheresse devrait augmenter jusqu’à près de 70 jours par an à la fin du siècle, contre une vingtaine de jours par an actuellement, d’après un rapport de 2020 des ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Pour faire diminuer le taux de CO2 atmosphérique et limiter les impacts du changement climatique, plusieurs approches sont envisagées et notamment des solutions appelées « technologies à émissions négatives », qui incluent le stockage de carbone dans les sols.

Stocker le carbone dans le sol grâce aux plantes

Parmi ces technologies à émissions négatives, celles qui consistent à utiliser le stockage de carbone ou à ralentir son déstockage grâce à la production végétale concernent en particulier la reforestation.

L’augmentation du stock de carbone dans les sols passe aussi par la mise en œuvre des principes de l’agroécologie. De fait, une méta-analyse conduite sur 537 observations dans 16 pays a permis de mettre en évidence que le changement d’usage des sols avait un très fort impact sur le stock de carbone dans les sols : par exemple + 19 % dans le cas du passage d’une grande culture à une prairie, pouvant s’expliquer par le fait que les prairies sont constituées de plantes pérennes alors que les plantes de grande culture (blé, riz, maïs, colza, tournesol…) sont annuelles. En revanche, la suppression du labour semble avoir un faible effet positif indirect sur le stockage de carbone dans les sols, comme le démontre une méta-analyse réalisée sur 5 ans.

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Une approche complémentaire consiste à considérer la plante en croissance comme un moyen de transférer directement le CO2 atmosphérique vers le sol. Grâce à la photosynthèse, les plantes fixent le carbone du CO2 dont une partie est libérée dans le sol par leurs racines sous forme de composés organiques simples comme le glucose, via un processus appelé exsudation racinaire.

Deux photos de racines et la terre qui y adhère
Une agitation mécanique permet de récupérer le sol adhérant aux racines de mil. Sitor N’Dour/IRD-UCAD, Marcel Nahim-Diouf/IRD-UCAD, Fourni par l'auteur

Ces exsudats racinaires sont une source de carbone et d’énergie pour les microorganismes du sol. Ces molécules simples sont, en retour, transformées en macromolécules telles que les polysaccharides, connus pour « coller » les particules du sol aux racines sous la forme d’un manchon de sol protecteur. Le fait de coller le sol aux racines est très important car il permet d’établir un continuum de film d’eau entre le sol et la racine. Toute rupture de ce continuum (eau remplacée par de l’air) est perçue par la plante comme un stress hydrique conduisant à la fermeture des stomates des feuilles et à l’arrêt de la photosynthèse.

De plus, ces polysaccharides modifient la structure du sol autour des racines en modifiant la taille de ses agrégats et donc sa porosité. L’optimisation de cette porosité permet un meilleur stockage et un transfert optimal de l’eau et des éléments nutritifs comme l’azote et le phosphore du sol vers la plante. Tous ces éléments permettent à la plante de mieux résister à la sécheresse.

Ces polysaccharides vont également augmenter le stock de carbone organique dans le sol. Or l’enrichissement du sol en matière organique est la clé de la fertilité des sols. Tous ces processus allant de la photosynthèse au stockage de carbone dans les sols permettent de coupler la réduction d’un gaz à effet de serre (CO2) à l’augmentation du stock de carbone dans les sols permettant d’améliorer la sécurité alimentaire, deux objectifs majeurs du développement durable.


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Cette prise en compte de la nécessité de coupler les solutions pour le climat et la sécurité alimentaire est à l’origine de l’initiative « 4 ‰ », qui a pour objectif d’accroître la sécurité alimentaire, de s’adapter au changement climatique et de l’atténuer grâce à la séquestration de carbone dans les sols des agrosystèmes et les écosystèmes.

Le stockage du carbone autour des racines des plantes dépend des variétés

Nous avons récemment fait la preuve de concept pour le mil, la vesce commune et l’arabette des dames qu’il existe, en fonction du génotype de la plante, des variabilités significatives de masse de sol adhérant aux racines – le « manchon de sol ». L’amplitude de ces différences peut aller du simple au triple entre les variétés produisant peu de sol adhérant aux racines et celles en produisant beaucoup.

Ayant récemment démontré, chez le mil, que cette masse de sol adhérant aux racines était déterminée génétiquement, au même titre que l’architecture racinaire, il est désormais envisageable de sélectionner de nouvelles variétés par des croisements en considérant la masse de sol adhérant aux racines.

Tests sur le terrain

La première validation de cette approche est en cours sur la vesce commune, en partenariat avec la société Cérience. Sur cette espèce, nous cherchons à vérifier que le gain en carbone stocké dans le sol est compatible avec les performances attendues de ces espèces d’interculture, à savoir de recouvrir un sol de manière la plus permanente possible au cours de la période où les sols ne sont pas occupés par les cultures.

La prochaine étape sera d’évaluer sur des espèces fourragères, puis de grandes cultures que cette sélection est compatible avec les objectifs relatifs non seulement au rendement mais également à l’adaptation à la sécheresse. Dans la mesure où la formation d’un manchon de sol autour de racines favorise la tolérance au stress hydrique et la nutrition minérale des plantes, la sélection sur ce phénotype devrait se traduire par une croissance et une santé des plantes améliorées, tout en réduisant potentiellement le recours aux intrants (besoin en eau et engrais).

Mieux comprendre ce type de stockage, vers un possible déploiement

L’efficacité et la pérennité du stockage restent à mesurer sur plusieurs années (5 à 10 ans). Il s’agit en particulier d’évaluer la capacité à augmenter progressivement le stock de carbone, en particulier dans les sols les plus appauvris en matière organique, en vérifiant que l’apport de carbone récent (polysaccharides bactériens) n’induit pas de déstockage de carbone ancien (« priming effect »).

S’il n’y a pas de conflit d’usage des sols avec les nouvelles variétés d’interculture et encore moins avec celles des espèces fourragères ou de grande culture, l’impact à long terme de la sélection de plantes investissant plus de carbone dans les sols sur leur rendement et leur résilience doivent être analysés là encore sur un temps long. En effet, cet investissement de carbone vers la rhizosphère pourrait se faire aux dépens de la biomasse aérienne et donc du rendement. Le pari est ici que le gain de fertilité des sols lié à l’apport de carbone vienne compenser cette perte pour donner des rendements équivalents ou améliorés pour des sols pauvres et dans des systèmes à faibles intrants. Au final, le temps de développement de cette approche est celui de la création variétale (plusieurs années).

En conclusion, la sélection de variétés reposant sur leur capacité à augmenter le stock de carbone dans les sols apparaît donc comme une approche prometteuse, privilégiant la transformation directe du CO2 atmosphérique en matière organique du sol, compatible avec les autres solutions proposées par l’agroécologie, et mérite d’être évaluée pour un déploiement le plus rapide possible.

En tirant parti de ces leviers, l’agriculture pourrait jouer un rôle important dans l’atténuation de l’impact du changement climatique tout en continuant à nourrir la planète.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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