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La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly en conférence de presse en compagnie du ministre de la Sécurité publique Marco Mendocino à Vancouver, le 27 novembre 2022. La Presse canadienne/Darryl Dyck

Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique : distance avec la Chine, mais l’obsession pour le « miracle asiatique » demeure

La nouvelle Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, annoncée en grande pompe par la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly, marque un retour du bon sens après 25 années d’illusions canadiennes.

Malgré de sérieuses lacunes qui montrent que les dirigeants canadiens ont encore besoin de réfléchir, cette stratégie fait tout de même table rase de l’objectif d’engagement avec la Chine. Malgré leurs allégeances opposées, les gouvernements de Jean Chrétien et de Stephen Harper rêvaient d’imbriquer la Chine dans « l’ordre international fondé sur des règles », si cher aux dirigeants canadiens.

Les choses ne se sont pas passées ainsi.

L’ascension de la Chine a été « rendue possible par les mêmes règles et normes internationales que ce pays méprise de plus en plus », lit-on dans la politique.

Cette affirmation, quoique juste, omet le rôle du Canada, qui a activement soutenu et encouragé la Chine dans son entreprise de modification des normes internationales dans l’espoir de rafler sa part du gâteau.

Mieux connaître la région

Cette évolution tardive vers une vision moins étriquée de la Chine est la bienvenue.

Il faut se réjouir que le Canada souhaite réinvestir dans la connaissance de la Chine et de la région. Depuis un certain temps, il ne finançait plus les études asiatiques au Canada ni les études canadiennes en Asie, alors qu’elles sont pourtant un moyen précieux de diplomatie culturelle.

Malheureusement, la nouvelle stratégie retombe trop aisément dans les vieilles platitudes. Dès l’introduction, par exemple, les stratèges se révèlent toujours aussi obnubilés par le vaste potentiel commercial du marché asiatique.

Un homme portant des lunettes discute avec un homme asiatique dans un décor orné, avec une grande peinture murale derrière eux
Stephen Harper et le président de l’Assemblée nationale populaire, Zhang Dejiang, à Pékin en novembre 2014. La Presse canadienne/Adrian Wyld

Les yeux fermés sur une pauvreté bien enracinée

On ne constate aucune évolution depuis les années 1990 lorsque les décideurs politiques rêvaient à voix haute du potentiel phénoménal de ce marché florissant — sans tenir compte des récessions à répétition ni d’une pauvreté endémique qui sabotait la pérennité du « miracle asiatique ».

Les auteurs de la stratégie font encore valoir ce potentiel grandiose. Un tiers de toute l’activité économique mondiale ! La moitié du PIB mondial ! Cinq économies qui, ensemble, surclassent l’Union européenne !

Bref, le vieux disque des années 1990 recyclé presque sans changement pour un nouveau siècle.

Une image montre des faits et des chiffres sur la région indopacifique
Illustration tirée de la toute nouvelle Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Gouvernement du Canada

Les termes sont à peu près identiques à ceux du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, en visite au Japon dans les années 1970, pour qui l’Asie n’était plus l’Extrême-Orient, mais l’ « Ouest nouveau ».

Aucun danger de voir la police montée débarquer pour faire régner la loi et un nouvel ordre colonial : le Canada voulait juste sa part du gâteau commercial.

Et pourtant, cette rhétorique n’a pas été un grand succès de diversification : le commerce avec le Japon est presque au même pourcentage, et les États-Unis ont capturé la part du lion du commerce canadien.

Et les droits de la personne ?

La nouvelle stratégie ne mentionne pratiquement pas les droits de la personne, une question importante dans toute la région depuis des décennies. Malgré ce qu’en dit Mélanie Joly, ils ne figurent pas parmi les cinq piliers de sa stratégie : paix et sécurité, commerce, liens entre les peuples, environnement et engagement actif du Canada.

Les précédentes prises de position leur avaient tout de même fait un clin d’œil, mais les droits de la personne sont désormais relégués à une sous-section. La stratégie ne mentionne même pas les détenus canadiens en Chine, comme Huseyin Celil, injustement emprisonné depuis près de 20 ans.

Le Canada avait autrefois la réputation de soutenir financièrement les organisations non gouvernementales en Asie sous la rubrique « renforcement de la société civile ».

La nouvelle stratégie, lit-on, « accroîtra le financement canadien et les activités de défense des droits de la personne dans la région indopacifique, notamment pour les femmes et les filles, les minorités religieuses, les personnes des communautés 2ELGBTQI+ et les personnes handicapées ».

Pour y arriver, il faudra revenir à un soutien à plus long terme des organisations de défense des droits basées en Asie.

Des manifestants tiennent des pancartes
Manifestants contre les Jeux olympiques d’hiver de Pékin devant le consulat de Chine à Vancouver en février 2022. La Presse canadienne/Darryl Dyck

Renforcer les liens avec les démocraties

Enfin, la stratégie veut resserrer les liens avec les démocraties comme le Japon et la Corée du Sud et les intensifier dans le Sud-Est asiatique.

Pourtant, elle ne mentionne nulle part la démocratie la plus fonctionnelle de la région, le Timor oriental — jadis prioritaire et aujourd’hui largement abandonnée par Ottawa.


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Après un quasi génocide, ce pays indépendant depuis 20 ans a tenu de nombreuses élections libres et équitables en plus de relever son faible niveau de vie.

Un homme chauve parle dans un microphone sur un podium portant l’insigne de l’ONU
José Ramos-Horta, président du Timor oriental, à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2022. (AP Photo/Julia Nikhinson)

C’est même le Timor oriental qui a ravi à l’Iran son siège au conseil d’administration d’ONU Femmes — siège que ce pays ne méritait absolument pas si l’on en juge par le traitement réservé aux Iraniennes.

Si le Canada veut réellement que ses liens avec les démocraties régionales aient un sens, il doit y inclure les plus petites et les plus pauvres, et pas seulement les plus grosses et les plus riches.

Il doit se faire le défenseur des droits au lieu de s’accrocher à de vieilles illusions sur la richesse de l’Asie.

Et il devra adopter une stratégie soutenue plutôt que de la modifier à chaque changement de ministre.

This article was originally published in English

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