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Stress et suicide dans la police, l’organisation policière en question

Cérémonie à l'École nationale de police à Nîmes, le 24 mars 2017. Sylvain Thomas/AFP

En 2017, 48 policiers français ont mis fin à leurs jours. Une année noire pour la police et une problématique récurrente chez les policiers qui avaient déjà connu une vague de suicides en 2014. Et avec deux nouveaux cas, début janvier, l’année 2018 s’annonce déjà difficile. Selon un rapport de l’Inserm datant de 2010, le risque de suicide dans la police est supérieur de 36 % par rapport au reste de la population.

Si de manière générale, les causes de ce phénomène ne sont pas nécessairement imputées au travail (soucis d’ordre privé, maladie, séparation…), ces chiffres invitent à prendre du recul quant au métier de policier. Ils semblent en effet indiquer un malaise persistant qui puise ces racines dans le travail de policier.

Aussi, pour endiguer le phénomène, le ministère de l’Intérieur a récemment annoncé une série de mesures visant à allouer des fonds supplémentaires à la prévention des risques psycho-sociaux, avec notamment le recrutement de psychologues, la redynamisation des cellules de veilles et de référent.

Si ces premières mesures sont salutaires, elles apparaissent très largement insuffisantes pour endiguer un malaise beaucoup plus profond. En effet, notre étude académique, menée auprès d’un échantillon de 718 policiers répartis dans 70 équipes, montre que l’organisation de la police – et plus particulièrement sa structure et son management – contribue à créer un climat de stress chez les policiers et à réduire leur performance.

Il faut donc intervenir, de manière urgente, et prendre des mesures visant à réformer en profondeur le fonctionnement de l’institution.

Le poids de l’organisation

Pour l’observateur extérieur, il est aisé d’identifier en quoi le métier de policier est générateur de stress. Confrontés au quotidien à la misère humaine, à la violence, à la mort et au terrorisme, les facteurs de stress sont nombreux.

Néanmoins, contrairement à l’image véhiculée par le cinéma et la littérature du policier poursuivant les criminels et mettant constamment sa vie en danger, le travail policier est beaucoup plus routinier et de nombreux policiers consacrent une bonne partie de leur temps à effectuer des tâches administratives.

Ainsi, les recherches distinguent généralement deux sources majeures de stress chez les policiers : les facteurs opérationnels font référence aux aspects du travail inhérents au métier (par exemple, l’exposition au danger ou à la violence) et les facteurs organisationnels, qui représentent les caractéristiques de l’organisation et les comportements mis en œuvre par les policiers pour faire face aux injonctions de l’organisation.

Or, nos précédents travaux indiquent que les policiers semblent percevoir les facteurs organisationnels comme une source de stress plus importante. Peut-être parce qu’ils sont jugés oppressants, inutiles, dont on ne peut se défaire et surtout sur lesquels les policiers n’ont aucun contrôle.

Comme l’explique très justement Christian Mouhanna, l’organisation policière est avant tout caractérisée par la considérable autonomie opérationnelle des policiers et de leur encadrement sur le terrain.

Dès lors, plusieurs problèmes émergent de cette contradiction entre les principes de la bureaucratie et l’essence même du métier de policier qui nécessite de la réactivité et de la souplesse.

De l’importance de penser collectif…

Comme de nombreux métiers de contact (infirmiers, enseignants…), les policiers ont un travail qui est physiquement mais surtout émotionnellement exigeant. Les policiers sont ainsi particulièrement vulnérables au syndrome d’épuisement professionnel qui représente un état de stress persistant, négatif, relatif au travail et qui s’accompagne d’une certaine détresse. Cet épuisement professionnel se développe graduellement et à des conséquences désastreuses sur la santé des individus qui dans les cas extrêmes peuvent conduire au suicide.

Aussi, la majorité des études qui traitent du stress ont adopté une approche individuelle de la personne, négligeant les dynamiques de groupe. Le stress est souvent traité comme un problème individuel, lié par exemple à une personnalité fragile. Pourtant, si les prédispositions individuelles jouent dans le passage à l’acte, nos travaux montrent que l’organisation policière a également sa part de responsabilité dans l’était d’épuisement des policiers.

En effet, les travaux récents menées en psychologie montrent que cet épuisement est contagieux et peut se transmettre entre les individus. Notre étude montre ainsi que l’organisation policière, au travers des facteurs organisationnels et son management, contribue à créer un climat de stress (stress collectif) qui se diffuse à l’ensemble des policiers.

Contagion émotionnelle

Ce climat de stress émerge selon le principe de la contagion émotionnelle. Il s’agit d’un mécanisme non conscient qui renvoie à la tendance à reprendre automatiquement les diverses expressions du visage, mouvements et postures d’une autre personne et donc de converger émotionnellement avec elle. L’expression des émotions amène ainsi les membres de l’équipe à se sentir homogènes au niveau de l’affect.

Ce sont les soucis et les changements quotidiens qui déterminent les états émotionnels des individus et influencent notre manière de penser et de nous comporter au travail. Les émotions constituent ainsi un lien critique entre le contexte de travail et les comportements des individus.

Ainsi, les policiers qui évoluent dans un contexte collectif, travaillent ensemble, dans la même équipe, sont amenés à partager des croyances et des expériences similaires, à ressentir des émotions collectives et des humeurs collectives. À force de voir leurs collègues épuisés, lessivés, etc., les policiers font le constat que leur équipe est un environnement qui « abîme les individus », comme le souligne notre étude.

Cercle vicieux

Dès lors, lorsque les policiers font face à des facteurs organisationnels élevés, sur lequel ils n’ont aucun contrôle, ils épuisent leurs ressources mentales et physiques et ont donc des ressources limitées pour gérer les exigences physiques et cognitives induites par leur métier.

Ce stress collectif qui se diffuse dans les équipes a un effet direct sur le travail des policiers. Comme le montre notre étude, déjà citée, les policiers épuisés vont faire davantage d’erreurs, dépasser certaines limites, être davantage absent et rendre le travail de leurs collègues plus difficile… ce qui aura pour effet d’épuiser les autres collègues. Un cercle vicieux… qu’il est nécessaire de casser.

Demain, second volet de l’analyse des deux auteurs sur le malaise au sein des forces de l’ordre : « Police, une remise en question nécessaire de l’organisation et du management ».

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