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Syrie : la coalition et… la partition

Le porte-avions Charles-de-Gaulle quitte la rade de Toulon pour le littoral syrien, le 18 novembre. Anne-Christine Poujoulat/AFP

Les attentats du 13 novembre à Paris ont contraint le président François Hollande à définir une nouvelle priorité dans la crise syrienne : Daech est ainsi devenu la cible principale. On a abandonné le « ni-ni » (ni Bachar al-Assad, ni Daech). Pour les Russes, il y avait là une opportunité à saisir afin de se rapprocher des Européens, pour ne plus être perçus comme un adversaire et tenter de mettre le dossier de l’Ukraine sous le tapis. À cet effet, Moscou surjoue la coopération : le président Poutine demande ainsi à sa flotte de considérer les navires français en véritables alliés. C’est la Grande Alliance qui fait son retour.

Les Russes accomplissent une grande partie du chemin dans le rapprochement en cours avec les Occidentaux. Car depuis quelque temps, déjà, Moscou fait en sorte de différencier le régime de Damas de Bachar al-Assad lui-même. Le sort du président syrien leur importe finalement moins que le maintien du régime auquel ils sont alliés. Or les Russes sont quelque peu déçus des résultats de la campagne militaire qu’ils ont lancée voici quelques semaines en Syrie.

Limites de l’action militaire

En intervenant aux côtés de Bachar al-Assad, la Russie avait un objectif de court terme : empêcher Daech de conquérir de nouveaux territoires. C’est le cas en Syrie, tandis qu’en Irak, l’État islamique perd du terrain sous l’effet de l’action menée par la coalition dirigée par les Occidentaux. Dans une seconde phase, une offensive de reconquête devrait être lancée par l’armée syrienne. Mais les Russes se sont aperçus que celle-ci était en bien plus mauvais état qu’ils ne le pensaient.

La situation semble stabilisée sur le front militaire en Syrie. Ces derniers jours, on n’a pas assisté à de grandes percées de part et d’autre. En revanche, on risque d’aboutir à une partition de fait du pays, le gouvernement (avec ou sans Assad) contrôlant une partie du territoire et l’État islamique maintenant ses positions.

Du point de vue de la dynamique du système international, ce dernier pourrait être comparé à la France révolutionnaire de l’après-1789 : une puissance révisionniste entourée de puissances conservatrices, qui veut renverser la table. Il suscite en retour une alliance visant à contenir son expansionnisme. Mais s’il y renonce, comme la France après Napoléon, autrement dit si Daech se concentre sur l’administration des territoires déjà conquis, il peut être socialisé au sein du système, c’est-à-dire, accepté de facto par ses voisins.

Un technicien français inspecte l’un des aéronefs du porte-avions Charles-de-Gaulle. Anne-Christine Poujoulat/AFP

Pour anéantir Daech militairement, il faudrait déployer le volume de trois divisions américaines, soit environ 50 000 soldats, face aux quelque 20 000 à 25 000 hommes de l’EI. Les Occidentaux ne sont pas prêts à le faire, et l’armée syrienne n’en a pas les moyens. Quant à l’armée irakienne, elle est en pleine reconstruction.

Du côté du gouvernement français, les frappes menées par l’aviation française sur Rakka permettent de montrer qu’on fait quelque chose. Depuis les attentats du 13 novembre, la coopération avec les Américains en matière de renseignement a augmenté très sensiblement. Toutefois ce n’est pas par les airs que l’on pourra « éradiquer » Daech. En l’état actuel des choses, un tel objectif est très ambitieux, mais peu crédible.

Un rapprochement lourd d’ambiguïtés

Le terme de « grande coalition », voulue par François Hollande, est pour le moins vague. Il est incorrect de parler d’« alliance » comme on l’entend (nos alliés sont les membres de l’OTAN), mais nous ne sommes pas non plus dans le cadre d’une coalition multinationale à laquelle Moscou participerait. Va-t-on intégrer, demain, les Russes dans les structures de commandement et de planification occidentales ? C’est peu probable. En revanche, on améliore la coordination, notamment pour éviter tout accident dans les zones où les aviations des uns et des autres interviennent. Le choix des mots est important : une alliance impliquerait un traité, une coalition un accord minimum sur les objectifs politiques et une intégration militaire bien plus poussée. Il est évident que ce n’est pas le cas.

En effet, le rapprochement en cours ne signifie pas pour autant que les deux parties partagent désormais les mêmes objectifs politiques. Pendant trois ans, les Russes ont refusé catégoriquement l’idée que Bachar al-Assad puisse être écarté du pouvoir. Aujourd’hui, ils laissent entendre dans des canaux officieux qu’ils pourraient être prêts à le sacrifier, ce qui ne veut pas dire qu’ils le feront tout de suite. Le président syrien leur sert, en quelque sorte, de monnaie d’échange, d’atout final. Dès 2012, lors des discussions à Genève, les Occidentaux militaient de leur côté pour la mise en place d’un gouvernement de transition sans Assad, mais avec des « éléments » de son régime.

Moscou souhaite visiblement que le rapprochement en cours sur le dossier syrien permette de tourner la page de la brouille suscitée par le conflit en Ukraine sur le mode : « On vous aide en Syrie, vous oubliez l’Ukraine. » Mais certains alliés – les Pays baltes ou la Pologne – vont veiller à ce que le dossier ukrainien demeure bien un sujet de préoccupation majeure pour les Occidentaux.

Le fantôme de la Libye

De son côté, Moscou reste très marqué par l’épisode libyen. La chute de Kadhafi en 2011, suite à l’intervention des Occidentaux, a confirmé à leurs yeux que ces derniers continuent à vouloir changer les régimes à leur guise, à l’image de ce qui s’était passé en Ukraine (en 2004) et en Géorgie (2005). Moscou reste en effet persuadé que ces événements ont été fomentés par la CIA.

La guerre en Libye a provoqué un changement de rapport de force au sein du Kremlin, où les faucons sont montés en puissance. Ceci explique, en grande partie, pourquoi les Russes se sont montrés aussi fermes sur le sort de Bachar al-Assad. Aujourd’hui, les lignes sont en train de bouger. Mais on a perdu trois ans, au cours desquels il y a eu des dizaines de milliers de morts et l’émergence de l’État islamique.

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