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Taïwan et la rivalité sino-américaine : le monde peut-il basculer ?

La présidente taïwanaise salue à un pupitre fleuri. Derrière elle, une image d'avion de chasse.
Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise, durant une cérémonie tenue le 18 novembre 2021 à l’occasion de la mise en service d’une version améliorée du F-16 américain à la base militaire de Chiayi, dans le sud de l’île. Sam Yeh/AFP

Chacun a pu entendre parler, dans l’actualité internationale récente, des tensions autour de Taïwan et de leur aggravation. Elles furent au centre des échanges entre Xi Jinping et Joe Biden lors de leur sommet virtuel dans la nuit du 15 au 16 novembre dernier.

Ces tensions mettent directement aux prises plusieurs acteurs clés : la République de Chine – mieux connue sous le diminutif de « Taïwan » –, la République populaire de Chine (RPC), les États-Unis et les États géographiquement proches qui, évidemment, auraient tout à craindre d’un affrontement militaire sur le territoire taïwanais et sur les territoires maritimes adjacents.

Le Japon, les Philippines et, peut-être dans une moindre mesure, la Corée du Sud ou le Vietnam ne peuvent qu’être préoccupés par l’accentuation des discours martiaux et parfois menaçants des deux principales parties : la République populaire de Chine et les États-Unis d’Amérique.

L’intensification des tensions

Ces tensions se sont intensifiées dans la période récente sous le double effet, notamment, de la multiplication des incursions et de la pression militaires chinoises, et des expressions voire des actions de soutien de la part des États-Unis au bénéfice de Taïwan.

La Chine a effectué plusieurs opérations aériennes au cours desquelles un nombre considérable (plusieurs dizaines par opération) d’appareils ont traversé la zone d’identification aérienne de Taïwan. Nous ne détaillerons pas l’activité navale chinoise, également très intense, et plus largement la multiplication de manœuvres.

Intrusion record d’avions militaires chinois dans le ciel de Taïwan (France 24, 3 octobre 2021).

De leur côté, les États-Unis ont affirmé être prêts à défendre Taiwan en cas d’intervention militaire chinoise et ont confirmé la présence de conseillers et d’instructeurs militaires américains sur le sol taïwanais.

Il faut rappeler au passage que cette région est l’objet de vives tensions depuis longtemps, puisqu’à proximité immédiate de Taïwan se trouvent également les îles Senkaku, contrôlées aujourd’hui par le Japon mais revendiquées à la fois par la RPC et par la République de Chine. Ces îles font partie de l’archipel des Ryūkyū et de la préfecture d’Okinawa, territoire japonais où stationnent de très importantes forces navales et aériennes américaines depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Une querelle issue d’oppositions anciennes

Les tensions actuelles autour de Taïwan sont le fruit d’une histoire ancienne. Celle-ci résulte d’abord de l’affrontement entre nationalistes et communistes après l’effondrement de la première République chinoise, en 1949. C’est alors que les seconds, victorieux, obligèrent les premiers à se réfugier sur l’île de Taïwan.

Dans la plupart des rivalités et des frictions géopolitiques, sinon dans toutes, les parties prenantes rivales s’opposent des arguments presque toujours de deux types : des arguments historiques, et des arguments juridiques. Ici, l’un des principaux arguments avancés par le régime de Pékin pour obtenir de gré ou de force la réintégration de la « province rebelle » – c’est ainsi qu’il désigne la démocratie taïwanaise – est d’affirmer que Taïwan a toujours été chinoise.

Pourtant, l’argument historique est en réalité plus faible qu’il n’y paraît : il n’y a eu ni présence ni souveraineté chinoises sur l’île avant la fin du XVIIᵉ siècle. De plus, l’île de Taïwan fut sous contrôle japonais de 1895 à 1945. Enfin, la fin de la Seconde Guerre mondiale a coïncidé avec la défaite des nationalistes et leur regroupement sur l’île de Taïwan tandis que, sur le continent, la République populaire de Chine était proclamée par Mao Zedong en 1949.

On voit donc que l’antériorité multiséculaire d’un pouvoir chinois sur l’île de Taïwan est plus limitée que ce que l’intuition suggérerait. D’autant plus que l’on doit l’apparition et le renforcement d’une présence « chinoise » non pas à l’action résolue de l’empire chinois, mais à l’action intéressée des premiers « colonisateurs », si l’on peut dire, à savoir des Portugais, qui, au XVIe siècle, firent venir dans un but de valorisation économique des populations chinoises sur l’île de Taïwan d’où elles étaient donc absentes auparavant. Les populations natives étaient aborigènes et austronésiennes.

Autre problème historique : jusqu’en 1971, c’est la République de Chine – autrement dit Taïwan – qui représente la Chine à l’ONU. Et non pas la République populaire de Chine. Ce n’est que cette année-là que la communauté internationale – notamment les États-Unis – dut se résoudre à reconnaître l’importance politique indiscutable de la Chine maoïste et à lui attribuer le siège détenu jusqu’alors par Taïwan.

Dès lors, le déclin diplomatique de Taïwan sur la scène internationale a été quasiment inexorable, quoique lent. Car, jusqu’à une période récente, Taïwan fut reconnu diplomatiquement par des dizaines d’États à travers le monde. Ce n’est que sous l’effet d’un lobbying agressif de la part de la Chine que la plupart des États qui avaient des relations diplomatiques avec Taïwan y ont renoncé : ils ne sont plus qu’une quinzaine (notamment de petits États des Caraïbes) et la liste continue de fondre avec le choix récent du Nicaragua de ne plus reconnaître que la RPC. La menace de rétorsions économiques à généralement suffi à convaincre de petits États à « abandonner » Taïwan à son sort face au géant émergent.

Quel est le risque réel de dérapage militarisé ? Quand pourrait-il se produire ?

Il est évidemment impossible de répondre à ces questions avec certitude : le problème de l’évaluation des gains et des coûts par chacune des parties peut difficilement être résolu.

Mais on peut faire plusieurs constats. D’abord, il y a le précédent de Hongkong qui, en pleine crise pandémique a été réduite au silence. Ses (jeunes) activistes prodémocratie ont été envoyés en prison et maltraités, des lois liberticides ont été votées et appliquées à la demande de Pékin et, plus largement, la démocratie hongkongaise a été démantelée.


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Ce précédent est tout à fait essentiel pour bien appréhender la montée des tensions autour de Taïwan. Il faut bien comprendre que, pour le régime actuel de Pékin, toute expérience chinoise d’un système politique à caractère démocratique représente une menace vitale. Cela explique que l’une de ses lignes de positionnement, depuis fort longtemps, est de prétendre que les valeurs promues par les puissances occidentales n’ont rien d’universel et que les Chinois entendent avoir leur propre régime politique, fidèle à leurs propres valeurs, et que cela ne passe pas par la promotion de la démocratie. Évidemment.

Autrement dit, toute expérience démocratique qui fonctionne et qui réussit par, avec et pour des citoyens chinois est une menace car elle fait la démonstration que les Chinois peuvent tout à fait « rester chinois » et fonctionner dans un système démocratique. Si en plus ces Chinois vivant en démocratie sont prospères, c’est une menace encore plus vitale pour le régime actuel de Pékin.

Par-delà la volonté de défendre la thèse d’« une seule Chine », de récupérer un territoire présumé historiquement chinois, etc., il faut bien voir le caractère vital que prend, pour le régime actuel de Pékin, le fait d’entraver, voire de faire cesser, toute expérience démocratique chinoise.

Taïwan : la guerre aura-t-elle lieu ? Le dessous des cartes (Arte, 24 novembre 2021).

Il faut également souligner l’importance géostratégique de Taïwan pour l’affirmation de la puissance chinoise. L’examen rapide d’une carte des territoires maritimes autour de Taïwan et de la RPC (eaux territoriales et zones économiques exclusives notamment) montre un fait simple : nulle part la Chine de Xi Jinping n’a d’accès direct et totalement libre au grand large. Contrôler Taïwan territorialement, c’est améliorer cette donnée géostratégique pour une puissance militaire qui entend bientôt rivaliser avec celle des États-Unis.

Enfin, pour comprendre la montée actuelle des tensions autour de Taïwan, il faut peut-être les mettre en relation avec la montée des tensions, concomitante, d’une part dans l’est de l’Ukraine et d’autre part à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Une hypothèse ne doit pas être écartée : une entente entre la puissance chinoise et la puissance russe qui pourrait leur permettre, au moment opportun, d’ouvrir un double front.

Ouvrir un front dans le Pacifique nord-ouest autour de Taïwan et ouvrir un front dans l’est de l’Europe aurait l’énorme avantage pour les deux puissances, si leur action était ainsi coordonnée, d’obliger les Occidentaux, et en particulier les Américains, à se positionner sur deux zones très éloignées simultanément.

Aujourd’hui, la puissance militaire nominale des Américains reste très supérieure à celle des Chinois, surtout si l’on y ajoute l’ensemble des alliés sur lesquels peuvent compter les Américains. Mais si ces derniers doivent positionner des forces sur deux fronts simultanément, la situation est très différente. Un tel scénario n’aurait rien à envier au meilleur des préceptes stratégiques que l’on peut trouver dans L’Art de la guerre de Sun Tzu ou dans un traité désormais célèbre comme celui des « 36 Stratagèmes »

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