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Les RH dans tous leurs états

Télétravail : entre le salon et la cuisine, n’oubliez pas de mettre votre smartphone en mode avion

Télétravail. En quel lieu ? En quel temps ? Author provided

S’il vous est arrivé de travailler à la maison, peut-être êtes-vous devenu sans le savoir un « télétravailleur », travailleur connecté et nomade, satellite de l’entreprise !

Un cadre légal solide et évolutif

Le télétravail rompt l’unité de lieu d’une situation de travail et favorise le nomadisme. À ce titre, le contrôle que peut exercer votre employeur et le temps passé à répondre aux sollicitations méritent votre attention.

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (JO du 9 août 2016), instaure à compter du 1er janvier 2017 (art. 55) un droit à la déconnexion pour tous les salariés ainsi qu’une concertation relative au télétravail (art. 57).

Cela concerne donc directement les situations de télétravail où la frontière vie personnelle/vie professionnelle est parfois fragile.

Le télétravail a été introduit dans le Code du travail à l’article 1222-9 par la loi du 23 mars 2012 (l’article 46 de la loi dite Warsmann définit le télétravail). Cette loi prévoit des mesures de protection des données et de préservation de la vie privée. L’Accord National Interprofessionnel du 19 juillet 2005 dans son article premier donne du télétravail la définition suivante :

« Le télétravail est une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière ».

Le nombre de télétravailleurs est en augmentation puisque 16,7 % des salariés français déclarent télétravailler au moins huit heures par mois en 2014, contre 12,4 % en 2012 (source : LBMG Worklabs, Le télétravail en France, 2012).

Pour un meilleur équilibre… sous contrôle

Le télétravail a souvent été associé dans la littérature à une amélioration de l’équilibre travail/vie familiale (Jenson 1994 et Madsen 2003). La qualité de vie familiale est présentée comme meilleure (étude Obergo, Lasfargue et Fauconnier 2010). Mais qu’en est-il de l’intrusion de l’employeur dans la sphère privée ?

Dans son étude, Laurent Taskin (2006) a observé l’émergence de nouvelles normes de contrôle social. En effet, les contrôles sont facilités par la miniaturisation et la baisse des coûts de la vidéo. Les nouvelles techniques de contrôle rendent le salarié transparent

Habituellement, au sein de l’entreprise le contrôle s’effectue par des indicateurs de résultats, un reporting régulier, une supervision directe (horaires, comportement, présence). Dans une situation de télétravail

« le contrôle social dévolu à l’entreprise est transféré vers l’environnement familial, activité pour laquelle les intéressés ne sont ni légitimes, ni reconnus et encore moins rémunérés […] » (JL Metzger 2007).

Ce décentrage du contrôle social contribue à importer au sein de la sphère familiale un risque jusqu’ici supporté par l’entreprise, ajoutant une responsabilité et/ou une compétence d’auto-organisation au télétravailleur. La vidéo permet également un contrôle à distance par le manager. Les formes de contrôles sont donc diverses et probablement intrusives.

Aux frontières « pro »/« perso »

Dumas et Ruiller (2014) quant à eux s’intéressent aux frontières vie personnelle/vie professionnelle. L’absence de régulation entre les sphères privées et professionnelles présente des risques pour l’efficacité de l’équipe de travail. L’organisation doit donc anticiper la perméabilité de la frontière travail/famille.

Le télétravail ne doit pas devenir uniquement un outil de flexibilité risquant de détruire les identités professionnelles et menaçant la performance et la capacité d’agir du groupe de travail. Le télétravail « gris » correspond à un « débordement » des activités professionnelles induit par les diverses sollicitations (mails, smartphone, forums…). (Y. Lasfargue Obergo)

La possibilité d’être connecté en permanence rend le collaborateur disponible et provoque parfois une situation subie, une forme d’invasion. De plus en plus de salariés tentent d’éviter la submersion en traitant les mails professionnels hors temps de travail. Bill Gates aurait réinventé la « servitude volontaire de la Boétie » (Ray, 2010). « L’espace de travail […] peut amener une certaine confusion entre le lieu de travail et l’univers familial » (Tremblay 2001).

Les TIC (technologies de l’information et de la communication) permettent de gérer des tâches dans l’urgence et d’améliorer l’exécution de certaines missions. Mais, cela favorise l’immiscion dans la vie personnelle des salariés. Les salariés sont poursuivis dans leur intimité par les moyens modernes de communication. Les responsables semblent alors être la hiérarchie et les organisations à flux tendus, où les réponses doivent être immédiates, Internet ayant en quelques années complètement brouillé la frontière entre la vie professionnelle et privée.

L’extension du « lieu » de travail

Selon une étude de l’Apec de fin 2014 citée par le ministère du Travail, à peine 23 % des cadres « débranchent » systématiquement, une fois la lumière de leur bureau éteinte. Près de neuf sur dix estiment que les outils connectés contribuent à les faire travailler hors de l’entreprise.

La plupart des Français ne disposent pas d’une pièce supplémentaire dans leur logement dédiée au télétravail. L’absence de frontière « physique » risque de provoquer une interpénétration des valeurs d’une zone à l’autre. Le cumul de deux identités en même temps et en un même lieu peut être destructeur et déstabilisant. Le sas entre le domicile et le travail, représenté par le temps de transport, peut également venir à manquer à certains télétravailleurs.

Aucune frontière réelle ne sépare plus désormais la cuisine, le salon du bureau. La difficulté est alors de s’organiser par manque de repères, de références par rapport au travail d’autrui. Quand l’activité commence-t-elle, quand finit-elle ? Le sentiment de ne jamais quitter son travail est grandissant. Telle idée survient pendant le dîner, telle autre tard le soir… Les réseaux (famille, travail, loisirs) se mélangent alors.

De l’imbrication à la déconnexion

On assiste donc à une imbrication des lieux privés et professionnels. Le télétravailleur apparaît donc comme une victime du harcèlement constant des technologies. Cependant, il convient de rappeler que si l’on envisage une évolution sociologique des modes de travail, on constate que de tout temps, il y a eu confusion entre vie professionnelle et vie personnelle pour un grand nombre de métiers. Ce fut le cas des agriculteurs, artisans, professions libérales, commerçants. Le chevauchement est ici dû à la coexistence du lieu de travail et de vie.

Ainsi, les télétravailleurs devront s’adapter à cette absence de frontière en créant leurs propres limites entre travail, famille, loisirs. Les directions des ressources humaines devront les y aider en organisant le travail et en fixant des objectifs réalistes. En réponse à ces excès et au débordement de la vie professionnelle au sein du foyer, la meilleure solution consiste à manager par objectifs. Ceci est plus adapté, mais nécessite la mobilisation de moyens adaptés pour définir les objectifs, les quantifier, en assurer le suivi…

Ainsi, en situation de télétravail, le salarié découvre que sa zone d’autonomie ressemble à une peau de chagrin. Joignable à tout moment avec son téléphone portable, il ne profite guère de l’éloignement de son supérieur hiérarchique et reste toujours disponible (messagerie).

Espérons que le 1er janvier prochain, les entreprises appliquent le « droit à la déconnexion » !

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