Les épreuves de tennis fauteuil s’ouvrent ce vendredi 30 août sur la terre battue de Roland-Garros. Après Novak Djokovic et Zheng Qinweng qui repartira avec les médailles d’or ? La France a de réelles chances de médaille avec Stéphane Houdet, double médaillé d’or en double à Rio et à Tokyo. On suivra également chez les femmes Pauline Déroulède et Ksénia Chasteau, récente vainqueure de Roland-Garros chez les juniors.
Les règles sont similaires au tennis à l’exception notable que les joueurs ont la possibilité de frapper la balle après deux rebonds. Ce sport, comme d’autres disciplines en fauteuil roulant, repose sur un système de classification qui garantit l’inclusion de personnes ayant différents niveaux de capacités. Dans le tennis fauteuil, deux catégories principales existent : la catégorie Open, réservée aux joueurs et aux joueuses avec une atteinte aux membres inférieurs, et la catégorie Quad, destinée à ceux ayant des atteintes aux membres inférieurs et supérieurs.
L’amélioration des performances lors des récents Jeux paralympiques s’explique en grande partie par l’évolution de l’équipement. Stéphane Houdet en est un parfait exemple : en parallèle de ses qualités de jeu au tennis, il est constamment à la recherche d’innovations pour perfectionner son fauteuil. Les athlètes se déplacent de plus en plus rapidement et frappent désormais souvent après le premier rebond pour conserver la vitesse de la balle, ce qui les rend plus menaçants. Les athlètes n’utilisent pas des fauteuils de vie quotidienne, mais des fauteuils de sport spécialement conçus pour répondre aux exigences des différentes disciplines. Ils sont reconnaissables par leur légèreté, leurs grandes roues inclinées, et leurs petites roues arrière dites « anti-bascule », assurant stabilité, vitesse et maniabilité, offrant ainsi aux athlètes une mobilité optimale sur le terrain.
Optimiser la mobilité de l’athlète
La performance en tennis fauteuil repose sur deux grands domaines fondamentaux. Tout d’abord, comme chez les joueurs valides, les capacités physiques et mentales, ainsi que la maîtrise technique, notamment la variation et la précision des frappes de balle, sont cruciales et nécessitent un entraînement rigoureux. Cependant, la particularité de ce sport réside dans la mobilité de l’athlète avec son fauteuil, qui demeure essentielle en raison de la rapidité du jeu et de l’étendue du terrain à couvrir.
C’est précisément cet aspect que j’examine dans le cadre de ma thèse. Dans le but d’accompagner les athlètes vers le plus haut niveau de performance, la Fédération Française de Tennis a décidé de soutenir le développement de ce projet de recherche. L’objectif principal est d’aider le staff à orienter les athlètes dans le choix et les réglages de leur fauteuil en fonction des différentes surfaces de jeu (terre battue, dur, herbe), avec pour finalité une optimisation personnalisée des réglages. Une multitude de paramètres peuvent être ajustés en fonction de la morphologie de l’athlète et de son positionnement dans le fauteuil : la profondeur et la largeur de l’assise, la hauteur du dossier, le carrossage (l’angle des roues par rapport à la verticale), la taille des roues, l’avancée de l’assise, et bien d’autres encore.
Le tennis fauteuil est une activité aérobie intermittente, ce qui signifie qu’elle combine des phases d’endurance à intensité faible ou modérée, marquées par des mouvements continus et réguliers pour se repositionner et anticiper les coups adverses, avec des phases plus intenses impliquant des mouvements rapides, comme des sprints ou des changements de direction brusques, pour récupérer une balle au filet ou à l’opposé du court.
La terre battue, une surface exigeante
Pour optimiser la mobilité des joueurs et réduire l’effort nécessaire pour se déplacer, il est essentiel de considérer l’interaction entre les pneumatiques et les roulettes avec la surface de jeu. Ce contact crée une résistance au roulement, phénomène physique s’opposant au roulement, qui entraîne une perte d’énergie et peut diminuer la capacité de l’athlète à se déplacer. Cette résistance force les joueurs à déployer davantage d’effort, notamment au niveau des membres supérieurs, augmentant ainsi les risques de blessures.
À l’occasion des Jeux paralympiques, organisés sur la mythique terre battue de Roland Garros, la question de la configuration optimale des roues et des roulettes pour minimiser la résistance au roulement a été examinée en collaboration avec la Fédération. Une étude antérieure a notamment démontré que, pour une même configuration, la résistance au roulement sur la terre battue est 1,5 fois supérieure à celle des terrains durs. La surface la plus contraignante reste le gazon, qui présente une résistance 5 fois plus élevée que celle des terrains durs. Cependant, jusqu’à présent, aucune étude ne s’était penchée précisément sur la meilleure combinaison de roues et de roulettes à adopter.
Pour y répondre, nous avons testé différentes combinaisons en utilisant des « chariots de décélération ». Ces chariots, spécialement conçus pour l’expérience, nous ont permis d’analyser l’effet de plusieurs paramètres des grandes roues, comme le carrossage, la pression et le type de pneumatique, ainsi que ceux des roulettes, en tenant compte de leur diamètre, dureté, matériau et profil.
L’expérience consistait à pousser manuellement le chariot sur une ligne droite, puis à le laisser ralentir naturellement jusqu’à l’arrêt complet. Grâce à des centrales inertielles (des capteurs légers et compacts), nous avons mesuré la vitesse linéaire du chariot puis calculé le taux de décélération. En multipliant ce taux par la masse du système, nous avons pu déterminer la force de résistance au roulement. Une force plus faible indiquait une configuration plus performante, avec moins de résistance.
Les résultats ont montré que le type de pneumatique et sa pression sont des éléments essentiels pour choisir la meilleure configuration. Les caractéristiques des roulettes se sont également révélées importantes et ne doivent pas être sous-estimées. Par exemple, pour les roues arrière, la pression des pneumatiques a un impact considérable sur les frottements. À configuration égale (masse, carrossage, pneumatiques identiques), une pression optimale permet de réduire la résistance de 1,42 fois par rapport à une pression moins adaptée. De même, en utilisant « la meilleure » roulette testée, les frottements sont réduits de 1,8 fois par rapport à la « pire » roulette. Ces tests ont été essentiels pour guider les athlètes dans le choix optimal de leurs pneumatiques et roulettes, afin de minimiser la résistance au roulement sur la terre battue.
Analyser les mouvements des joueurs
En parallèle, pour optimiser la performance locomotrice, il est essentiel, dans un contexte sportif, de pouvoir analyser les caractéristiques des déplacements réalisés au cours d’un match.
Tandis que des technologies comme les GPS et l’analyse vidéo sont couramment utilisés chez les athlètes valides, leur application dans les sports en fauteuil roulant se révèle plus complexe et contraignante. Le tennis fauteuil se pratique principalement en intérieur, où le GPS n’est pas fonctionnel, et les dimensions des terrains sont relativement petites (~ 12 x 5,5 m pour un demi-terrain). Cela exige un niveau de détail et de précision que le GPS ne peut actuellement pas offrir. Quant à l’analyse vidéo, elle nécessite une équipe d’analystes pour noter manuellement chaque déplacement, une tâche très laborieuse et chronophage.
Pour contourner ces limites, l’installation de centrales inertielles sur le fauteuil de l’athlète, combinée au développement d’un algorithme de détection des tâches locomotrices, a permis de reconnaître six types de mouvements en tennis fauteuil : la phase statique, la propulsion en ligne droite vers l’avant, la marche arrière, la rotation sur place, la rotation serrée, la rotation large.
Les capteurs recueillent des données telles que la vitesse linéaire, la vitesse de rotation, et le rayon de giration (qui représente la distance entre le centre de masse du fauteuil et le point autour duquel il tourne). Ces signaux sont ensuite analysés, et leur combinaison permet d’identifier les six tâches locomotrices mentionnées précédemment. Comme illustré sur la photo, chaque tâche locomotrice est codée par une couleur, et des paramètres comme la vitesse, l’accélération, la distance sont extraits pour caractériser les déplacements, offrant ainsi un outil simple et efficace à destination du staff de la Fédération pour suivre les déplacements tout au long d’un match.
Enfin, ce projet s’inscrit dans une démarche à long terme, visant à optimiser de manière individualisée les réglages des fauteuils roulants. Bien que certaines connaissances soient déjà disponibles, il n’existe actuellement pas de méthode standardisée pour tester l’impact des différents réglages sur la biomécanique de propulsion. Pour combler cette lacune, le CERAH (Centre d’études et de recherche sur l’appareillage des handicapés) développe un ergomètre multiréglage, conçu comme un fauteuil roulant, qui permettra d’évaluer l’impact des principaux ajustements sur les déplacements en tennis fauteuil et sur les contraintes articulaires, notamment au niveau des épaules. Cette innovation pourrait marquer une avancée significative dans la personnalisation des équipements pour maximiser les performances et minimiser les risques de blessures.
Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.