La France se prépare à accueillir les Jeux olympiques, la ville de Paris est sous cloche et des milliers de policiers sont mobilisés pour contrecarrer de possibles attaques terroristes et maintenir l’ordre.
Dans le même temps, depuis plusieurs semaines, divers accès de violence ont occupé l’actualité médiatique. Un automobiliste halluciné fonce sur des gens attablés en terrasse, à Paris, le 17 juillet. Deux jours avant, un individu schizophrène s’écriant « Dieu est grand ! » poignarde un militaire.
Un fidèle de Daesh est arrêté la veille de la fête nationale. Un autre l’avait été en avril pour un attentat envisagé à l’été.
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Un homme de 22 ans, faisant partie de l’ultradroite a été mis en examen le 8 mars dernier pour des projets d’attentats.
Dans certains cas, il s’agit de passages à l’acte qui ont l'allure idéologique ou religieuse, dans d’autres, il s’agit d’actions violentes qui le sont vraiment. La responsabilité des individus impliqués diffère, de même que les services compétents : la psychiatrie et/ou la justice. Comment, alors, différencier ce qu’on appelle « les passages à l’acte » et les actions violentes ?
Qu’est-ce qu’un passage à l’acte ?
Certains solutionnent dans un passage à l’acte leur état dissociatif et délirant, comme le jeune marocain persuadé d’être « poursuivi par la mafia » dans le métro de Lyon en mai dernier. Il s’est défendu de son sentiment de persécution en attaquant des voyageurs. Le droit ne tient pas compte de la responsabilité de celui qui est dépourvu de discernement.
Christian I., schizophrène, s’est écrié « Dieu est grand ! » le 15 juillet, en poignardant un militaire, « parce que, dit-il, des militaires tuent des gens dans son pays ». Un individu peut s’inspirer de faits réels pour alimenter un délire paranoïde et puiser en la religion une posture, par exemple mystique, mégalomaniaque, ou de rédemption, pour agir.
Mais tout passage à l’acte ne résulte pas d’une rupture du lien de l’individu à la réalité. Souvenons-nous de l’attaque au centre culturel kurde, rue d’Enghien à Paris, en 2022 : dépressif, William Malet a agi par « fantasmes sadiques » pour se venger d’un sentiment de préjudice qu’il estimait lui être causé par « des étrangers ». Son discernement a été reconnu, le mobile raciste retenu.
Comme le montrent l’agresseur du métro de Lyon, stoppé net dans son accès d’angoisse par sa rencontre avec les forces de l’ordre, ou Christian I., interpellant dieu, un individu délirant peut être instrumentalisé par son rapport psychiquement défectueux à la loi ou à l’autorité. D’autres, comme William Malet, défient des lois qu’ils reconnaissent, pour se faire justice.
Dans le cadre pénal, la question de la responsabilité d’un assaillant se pose à la psychiatrie et au droit. L’auteur de la conduite transgressive avait-il conscience au moment des faits de la limite qu’il a franchie ? Selon qu’il avait son discernement aboli, altéré ou intact, il ne sera pas jugé mais soigné, il purgera une peine atténuée et suivra des soins, ou il verra sa peine appliquée.
Le lien entre action violente et idéologie
Lorsqu’un individu défie des lois, il peut arriver que l'idéologie arrive dans un deuxième temps. Nombre de délinquants se sont radicalisés au nom de l’islam lors de leur incarcération. Certains individus hésitent, pour assouvir leurs pulsions antisociales, entre deux idéologies du chaos : l’islam radical et l’ultradroite. Pour d’autres, l’idéologie est première et l’action violente, seconde.
Qu’est-ce qu’une idéologie ? Elle explique le cours de l’histoire par un système discursif. Elle s’assortit parfois d’éléments langagiers religieux pour encourager « l’éveil ». Lors de l’installation du régime nazi, des individus d’abord critiques ont dissous leur disposition réflexive en « déclarant leur foi » en le Führer et leur « enthousiasme ».
Nul besoin d’être mystique pour souscrire au fanatisme politico-religieux : la croyance peut s’autoalimenter, déborder l’individu et l’amener à s’émanciper de la réalité empirique.
Nul besoin non plus d’être délirant pour rendre sa croyance hermétique, exploiter l’actualité pour y déceler des signes concordants et s’engager sur les rails de la certitude.
Pétri d’idéal, le passionné, politique ou religieux, ne met plus de limites à ses actions pour faire triompher sa cause : il peut sacrifier la vie des autres comme la sienne. Ainsi, un terroriste conjugue son idéologie et le choix de l’action violente.
En France, l’islam radical reste la première menace terroriste. Chaque année, la DGSI évalue la dangerosité de 5000 individus et en suit 1300 via le fichier FSPRT.
La menace d’ultradroite la talonne. Cette mouvance est forte de 1500 à 2000 militants. Quelques-uns sont partis vers le conflit ukrainien en guise de formation tactique. 1 300 sont fichés S. Certains sont encouragés par les récents scores électoraux du Rassemblement National.
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L’exercice de la violence au nom d’une idéologie, contre des cibles identifiées et au mépris des institutions républicaines est au cœur de leurs actions, mais leurs points communs s’arrêtent là.
Les enjeux idéologiques des deux premières menaces terroristes en France
Avec l’islam radical, le moudjahid, le combattant, veut remplacer les lois qu’il juge impies, incarnées par l’armée ou la police, par des lois sacrées, sur son chemin vers Allah.
S’affilier à l’Oumma, la communauté musulmane supposée homogène, mythique, haïr les mécréants ou les kouffar pour se purifier de son ancienne djahilia, son état d’ignorance d’antan, permet à un djihadiste de souscrire à l’ordre sexuel prescrit par la charia, et de condamner le shirk, la souveraineté du peuple. Se laver de ses humiliations, incarner l’ennemi public pour se faire respecter d’une communauté sans frontière, l’exalte dans sa quête d’identification à son idéal.
En conjuguant la terreur et le martyre, il sacralise des pulsions de mort qu’il assouvit au nom de la vengeance et du sacrifice. Aujourd’hui, le djihadisme low cost ne demande plus l’hijra ou la migration et s’adresse à quiconque veut contribuer : qui veut peut, au moyen d’attaques au couteau, ou de voitures bélier.
Les adeptes d’ultradroite n’aspirent pas davantage à la respectabilité institutionnelle. Ils font de l’usage de la violence une priorité, et le gage d’être reconnus au sein de leur groupe de pairs suprémaciste et hiérarchisé, y compris en s’en prenant à des élus.
L’ultradroite se distingue de l’extrême droite en rejetant la logique des partis. Hétérogènes, ses adeptes font preuve de xénophobie, d’islamophobie, d’antisémitisme, dans des proportions variables. Ils se retrouvent souvent dans les enjeux de la « manif pour tous », conjuguant à l’identitarisme et au suprémacisme, un ordre sexuel à garantir par le virilisme et la violence.
En France, dix actions terroristes, d’inspiration néonazie, accélérationniste – consistant à précipiter une guerre raciale pour l’emporter –, raciste ou complotiste, ont été déjouées depuis 2017. Leurs adeptes, arcboutés sur l’idée qu’ils se font de leur identité, façonnent l’aile de rue de ce fascisme contemporain.
Psychiatrie et prison
Les passages à l’acte délirants plus ou moins idéologisés pointent l’aggravation du manque de moyens et d’effectif en psychiatrie. Des patients souffrant d’affections psychiques lourdes sont exposés à des carences de soin.
Sont aussi concernés les détenus : près de la moitié souffre d’addictions, 30 % des hommes et 50 % des femmes souffrent d’affections thymiques.
Enfin, rappelons quel incubateur de délinquance est la prison : le taux de récidive à la sortie est conséquent, à défaut de leviers d’insertion ou de réinsertion pensés et appliqués dès l’incarcération.
Peut-être est-il temps d’interroger la responsabilité du politique de penser l’inscription du citoyen, a fortiori malade ou délinquant, dans la vie de la cité ?