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« The Dig » : un été archéologique à Sutton Hoo

Ralph Fiennes joue le rôle de Basil Brown, archéologue autodidacte qui fouilla le premier le bateau-tombe de Sutton Hoo. Allociné

L’image de l’archéologue est souvent associée à celle, improbable et sympathique, d’Indiana Jones. Si la réalité est toute autre, il reste un intéressant personnage cinématographique. Simon Stone vient d’en faire la preuve avec brio en adaptant à l’écran le roman de John Preston, The Dig (La fouille), inspiré par une découverte archéologique extraordinaire bien réelle.

À partir d’une histoire vraie, il réalise un film – diffusé actuellement sur Netflix – dont la portée est presque philosophique autour de deux mots antinomiques qui forment un tout : la mort et la vie. L’archéologie tisse ici le lien entre les deux. The Dig est une parabole.

Au nom de la vie

Le film commence par des images de la campagne anglaise dans les chaudes lumières de l’été. Un homme traverse la rivière sur un bateau en emportant son vélo. Cette douceur est éphémère : nous sommes à l’été 1939 et la guerre est imminente. On se dit qu’un tel événement devrait occuper les esprits, qu’il n’y a rien de plus important à faire que de se préparer à combattre et gagner pour assurer l’avenir du monde.

Pourtant, à Sutton Hoo (Suffolk), Edith Pretty (1883-1942), une riche veuve, veut savoir ce qu’il y a sous les étranges buttes qui se trouvent sur les terres de son manoir. Elle contacte le musée local d’Ipswich comme le veut la loi, et engage un fouilleur (« excavator » en anglais dans le film qui se distingue d’« archaelogist », soulignant ainsi la distinction entre l’employé et le chercheur professionnel) qui travaille régulièrement pour le musée qui ne veut plus conduire de chantier avant la guerre.

C’est ainsi que Basil Brown (1888-1977) commence les fouilles à Sutton Hoo, en 1938 en réalité, 1939 n’étant que la deuxième campagne. La plus dramatique dans le contexte et la plus incroyable également. À ses côtés, Charles, le jeune fils d’Edith, est impatient de suivre tous les détails de l’opération.

Les personnages se mettent en place en même temps que le chantier. La mort les accompagne très rapidement : celle du défunt présent depuis des siècles dans la tombe, celle à laquelle échappe de justesse l’archéologue allant à sa rencontre dans la sépulture, celle qui emportera inéluctablement Edith condamnée par une maladie incurable, celle que les avions qui passent dans le ciel annoncent. Edith le dit : « nous creusons pour rencontrer les morts ». Plus tard dans le film, alors que l’histoire bascule, Basil Brown lui répond par une proposition différente qui donne tout son sens à l’archéologie, y compris – et a fortiori – alors que l’urgence semble ailleurs : « c’est la vie que nous mettons au jour. C’est pour cela que nous creusons ».

Basil Brown (au premier plan) et le lieutenant colonel J.K.D. Hutchison fouillant les vestiges du bateau du VIIᵉ découvert en 1939 à Sutton Hoo. Wikimedia

Un incroyable bateau

Bientôt, Basil Brown dégage une des extrémités du bateau, ou plutôt de son empreinte puisque le bois a disparu dans le sol acide. La découverte est assez extraordinaire pour que le monde académique vienne et prenne le relais, ne gardant Basil Brown que parce qu’Edith Pretty l’exige et qu’il finit par l’accepter.

L’homme est autodidacte, passionné d’astronomie et d’archéologie, sur le terrain depuis qu’il est enfant. Il finira sa carrière au musée d’Ipswich, mais durant l’été 1939 il ne fait guère le poids face à Stuart Piggott (1910-1996) qui fit une brillante carrière plutôt sur la période néolithique (–6000/–2200 pour l’Europe ; – 4000 en Grande-Bretagne), son épouse Peggy (1912-1994) qui se spécialisa sur le Néolithique et les âges des métaux (–2200/1er siècle de notre ère pour une partie de l’Angleterre), et surtout Charles Phillips (1901-1985) arrivant de Cambridge et qui prit la direction du chantier.

Les 27 mètres du bateau sont dégagés. Le 21 juillet, Peggy Piggott trouve les premiers fragments en or à l’emplacement probable du corps. Les hypothèses de Basil Brown sont confirmées, il s’agit d’une sépulture « anglo-saxonne » du début du VIIe siècle, antérieure aux Vikings. La fouille s’achève le 14 août et Edith Pretty décide de faire don de l’ensemble à l’Angleterre et choisit qu’il soit exposé au British Museum où il se trouve aujourd’hui.

Le casque découvert à Sutton Hoo, ici au British Museum. Michael Wal/Wikimedia, CC BY

Une tombe exceptionnelle du début du VIIe siècle

Le tumulus 1 de Sutton Hoo, est le plus exceptionnel d’une nécropole comptant une quinzaine de monuments. C’est une tombe où avait été enterré un bateau, sur lequel une chambre funéraire avait été ajoutée accueillant un individu inhumé, le tout ensuite recouvert d’un tertre qui l’a préservé pendant des siècles. Le bois avait disparu, les ossements du défunt également.

Les dernières analyses attestent qu’un corps était bien présent, les pieds à l’est, la tête à l’ouest d’après la position des objets. Il s’agissait d’un homme de très haut rang social avec un très riche mobilier : un casque très particulier (de type spangenhelm), un bouclier, une épée en fer de 85 cm de long, une côte de maille, des lances, une hache, des textiles, trente-sept monnaies d’or et trois pièces blanches non frappées ainsi qu’un petit lingot d’or, des vaisselles à boire, une paire de cornes d’aurochs décorées de feuille d’argent, un plat en argent byzantin du règne de l’empereur Anastase 1er (491-518), du mobilier métallique de provenance méditerranéenne plus récente, de la parure métallique dite « cloisonnée » avec des grenats, etc. L’hypothèse la plus avancée, est que l’occupant serait le roi Rædwald, d’East-Anglie, le quatrième Bretwalda (mort vers 624) de la liste des sept rois anglo-saxon donnée par Bède le Vénérable (672-735 env.) en vieil anglais dans son Histoire ecclésiastique du peuple des Angles.


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Servir la connaissance

The Dig est un mélodrame qui peut se suffire à lui-même. Vu sous l’angle de l’archéologie, c’est un film riche d’enseignement. La tombe de Sutton Hoo est antérieure à l’arrivée des Vikings, qualifiée parfois de « Dark Ages » sur lesquels elle apporte une lumière. Elle constitue une sorte de « preuve » que les souverains de cette période étaient très riches, qu’ils échangeaient sur de longues distances, qu’il ne s’agissait pas de « brutes » sauvages et sanguinaires. Un thème récurrent – voire une obsession – dans toutes les histoires nationales : pouvoir prétendre que les populations « autochtones » (un concept flou sur la très longue durée) n’ont pas attendu l’arrivée d’autrui pour être « éduquées » (ou même « civilisées »).

Sutton Hoo joue donc un rôle déterminant dans la construction du mythe des origines (tardives là aussi au vu du temps long) de la Grande Bretagne. Basil Brown incarne quant à lui une époque révolue, celle des amateurs compétents, passionnés et instruits qui fouillaient selon des protocoles précis, et qui n’ont rien de commun avec les détectoristes actuels qui détruisent les contextes archéologiques pour n’y déterrer que du métal. En Grande-Bretagne, la loi ne rend pas illégale cette atteinte au patrimoine archéologique, même si le sujet commence à faire sérieusement débat. En France, l’utilisation de détecteurs de métaux est interdite à des fins de recherche et le Code du Patrimoine depuis juillet 2016 intègre (article L510-1) la notion de « contexte » dans la définition de l’archéologie.

On imagine le massacre qu’aurait pu être le dégagement de la tombe de Sutton Hoo par des chercheurs de trésor, des détectoristes : juste des kilos de métaux sous diverses formes, mais aussi des pièces très abîmées ignorées (le casque par exemple), aucun prélèvement permettant de retrouver la présence de tissus et, bien sûr, aucune trace de cet incroyable bateau. Les archéologues professionnels luttent contre ces pratiques pour que de telles catastrophes ne se produisent pas. Ils ne gagnent hélas pas tous les jours. Sutton Hoo est une magnifique découverte, The Dig un très beau film. L’archéologie en sort grandie et légitimée. Espérons qu’ensemble ils aideront à porter ce discours d’une impérieuse nécessité de l’archéologie (la vraie) dans son ensemble, qu’il s’agisse d’un site exceptionnel ou plus modeste car, chacun à leur manière, ils nourrissent la connaissance.

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