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Toits potagers en ville, ce n’est pas que pour faire joli

Sur le toit d’AgroParisTech. François Grunberg/Mairie de Paris, Author provided

Cet article est republié dans le cadre du séminaire « Agro-écologie et systèmes alimentaires durables en Ile-de-France : Quels acquis et quels besoins pour la recherche ? », organisé par la Région IdF, l’INRA, l’Irstea et AgroParisTech et dont The Conversation France est partenaire. Cet événement aura lieu ce mercredi 10 octobre 2018 à Paris.


En ville, la gestion des déchets, les épisodes de canicule, les risques d’inondations et l’approvisionnement alimentaire sont autant de défis à relever pour soutenir un développement durable des centres urbains.

Face à ces défis, les scientifiques s’intéressent de près à la végétalisation des zones urbaines : celle-ci peut en effet contribuer à produire des ressources alimentaires et à retenir de l’eau. Ces dernières années, de tels espaces verts se sont multipliés, notamment sur les toits, compte tenu de l’espace urbain limité. Ces espaces peuvent-ils vraiment faire la différence ?

Les promesses des toits urbains

Pour répondre à cette question, nous avons mis à l’épreuve de la science la pratique innovante des potagers sur les toits. Nos résultats – publiés en décembre 2017 dans la revue Agronomy for Sustainable Development – tirent un bilan positif. Le niveau de récoltes sur l’espace testé, à savoir le toit potager de l’école AgroParisTech, est bon et certains « services écosystémiques » sont au rendez-vous : rétention d’eau de pluie, recyclage des biodéchets et stockage du carbone.

C’est la première fois qu’une équipe de recherche mesure les services écosystémiques rendus par ces potagers ; à noter que dans ce cas précis, le toit potager est alimenté uniquement par des déchets urbains. Au vu de ces résultats, l’agriculture urbaine sur les toits pourrait bien devenir plus qu’un phénomène marginal au cœur des mégapoles.

Les toits peuvent en effet représenter jusqu’à 32 % des surfaces horizontales des villes. Il faut également souligner que le phénomène de conquête agricole de ces lieux est aujourd’hui porté par de nombreuses collectivités ; ainsi de Paris, au travers des appels à projets « Parisculteurs » ou encore de l’« Objectif 100 hectares » d’espaces végétalisés dans la capitale d’ici à 2020. Ces expérimentations ont par ailleurs contribué à l’émergence de Topager et Cultures en ville, deux entreprises aujourd’hui bien implantées.

Compost, vers de terre et terreau

C’est donc sur le toit de l’école AgroParisTech – baptisé « Bertrand Ney », du nom du professeur à l’origine de sa création – dans le Ve arrondissement de Paris que notre équipe de recherche a mis en place un potager aérien. Trois objectifs pour ce projet : valoriser les ressources de la ville ; concevoir un système de culture low-tech simple à conduire ; ne pas recourir à l’utilisation d’intrants chimiques (pesticides ou engrais).

Les résultats présentés en décembre dans Agronomy for Sustainable Development correspondent à deux années (de mars 2013 à mars 2015) où ont été cultivées salades, tomates cerises et engrais verts dans 9 bacs en bois (type compostières de 90x90x40cm).

S’inspirant d’une technique utilisée dans les jardins depuis les années 1980 – la culture en lasagne –, les chercheurs ont comparé deux compositions de sol différentes à un sol témoin.

Le premier bac contient un « Technosol » (désignant un sol constitué de matériaux apportés par l’homme) ; il est composé à parts égales de compost de déchets verts et de bois broyé, issus de l’entretien des espaces verts. Le second bac est de même composition que le premier, mais avec l’ajout de trois différents types de vers de terre, en vue d’accélérer la biodégradation des résidus organiques. Le troisième bac contient un sol témoin, composé de terreau industriel disponible en jardinerie.

Quels services rendus ?

L’équipe s’est concentrée sur quatre services écosystémiques : l’approvisionnement alimentaire (quantité et qualité des récoltes), le recyclage de déchets, la régulation des eaux de pluie (quantité d’eau de pluie retenue et qualité des eaux de drainage) et le stockage de carbone lié à l’utilisation de matériaux riches en matière organique.

• Résultats pour l’approvisionnement alimentaire

Les niveaux de production atteints sont supérieurs à ceux de jardins familiaux en plein sol et proches de ceux de maraîchers professionnels en agriculture biologique en Île-de-France. Les plus forts niveaux de rendement sont atteints dans les Technosols en présence de vers de terre (bac 2). La qualité est aussi au rendez-vous : aucune des récoltes ne dépasse les normes pour les métaux lourds mesurés et réglementés.

• Résultats pour le recyclage des résidus urbains

C’est au Technosol enrichi en vers de terre (bac 2) que revient encore la palme de l’efficacité, avec une diminution de 50 % de l’épaisseur du substrat sur la première année (par tassement et par consommation des éléments nutritifs du « sol » par les plantes). Le Technosol sans vers (bac 1) et le bac témoin (bac 3) montrent quant à eux une diminution de l’épaisseur du substrat de 36 et 31 % respectivement ; cela traduit une consommation annuelle moindre de déchets par le système de culture.

• Résultats pour la régulation des eaux de pluies

Les résultats sont ici semblables entre le témoin (bac 3) et les Technosols (bacs 1 et 2), avec de 74 à 84 % des eaux de pluies retenues. Par rapport à un toit nu, cette expérience montre tout l’intérêt d’installer des bacs de culture pour lutter contre le ruissellement des eaux de pluie.

En ce qui concerne l’impact de l’installation sur les eaux de drainage sortant des bacs, les Technosols (bacs 1 et 2) retiennent, sur les deux années d’expérimentation, plus de nitrates qu’ils n’en rejettent. À la différence du terreau (bac 3) et ce tout particulièrement en début d’expérimentation.

C’est en revanche l’inverse pour le carbone perdu sous forme dissoute (pouvant, en grande quantité, provoquer l’asphyxie d’un milieu aquatique) dans les eaux de drainage : le terreau (bac 3) en libère moins que le Technosol (bac 1) ; la présence de vers dans le bac 2 aboutissant au rejet le plus important.

Ces résultats montrent la nécessité d’optimiser la composition du Technosol et/ou du système de culture en place pour aboutir au rejet le plus faible possible de carbone et d'azote dans les eaux en sortie de toiture. Par ailleurs, l’analyse de deux types d’éléments (le carbone-élément constitutif des Technosols et l’azote-élément nutritif), met bien en évidence deux comportements différents vis-à-vis de la lixiviation.

Agriculture urbaine et circuits courts

À la lumière de ces résultats, on comprend qu’un équilibre reste encore à trouver entre un sol suffisamment riche pour assurer une bonne alimentation des plantes tout en limitant les pertes d'éléments (carbone en particulier) dans l’eau.

Le bilan de ces installations reste toutefois très positif : elles permettent de recycler des déchets organiques voués aujourd’hui majoritairement à l’enfouissement ou à l’incinération. La réutilisation des déchets des villes permet en outre d’éviter l’importation de terreau, l’utilisation de fertilisants minéraux de synthèse, ainsi que la prise en charge du traitement et du transport des ordures vers les décharges, au profit d’une valorisation locale.

La liste des autres bénéfices potentiels de cette agriculture sur les toits peut encore s’élargir : depuis la prévention des inondations (par la rétention d’une partie des écoulements) au rafraîchissement de la ville. Cette agriculture peut participer à la préservation de la biodiversité, favoriser la pollinisation, servir d’espace pédagogique où à visée sociale, tout en rompant avec la monotonie grisâtre des paysages urbains.

À l’heure où il est beaucoup question des circuits courts, l’agriculture urbaine représente une opportunité de transcrire cette logique au cœur des mégapoles.


Pour plus d’informations, consultez la page dédiée au projet T4P sur le site d’AgroParisTech.

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