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Tourisme en Asie du Sud-Est, la reprise post-Covid au défi du climat

Homme dans une barque sur l'eau au Vietnam
Au Vietnam, la plage de Cua Dai, site hautement touristique classé au patrimoine mondial de l’Unesco, est menacée par l’érosion. Dale de la Rey / AFP

Au cours des dernières décennies, l’industrie touristique a été le secteur le plus porteur de croissance dans les pays du Sud-Est asiatique : entre 2000 et 2019, le nombre total de visites dans l’Asean a augmenté progressivement, passant de 39,1 millions de personnes à 143,5 millions, avec un taux de croissance annuel moyen de 6,7 %. En dix ans, de 2010 à 2019, la contribution du tourisme au PIB a presque doublé, augmentant de 197,3 milliards de dollars à 393,12 milliards de dollars – et atteignant ainsi les 12 % du PIB de l’Asean à la fin de cette période.

Mais les perturbations de la mobilité mondiale induites par le Covid-19 et ses multiples vagues ont eu une incidence considérable sur l’industrie, le plaçant dans une position précaire.

Selon ASEANStats, en 2020, le nombre de visiteurs visitant l’Asean a subi son premier creux depuis 2000, avec seulement 26,1 millions de personnes, soit une baisse de 81 % par rapport à 2019. La Thaïlande, en tant que destination touristique populaire, a connu la plus forte chute des arrivées de voyageurs, de 39,9 millions en 2019 à 6,7 millions en 2020. Une récente estimation de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) met en évidence que l’Asean a perdu environ 8,4 % de son PIB total.

À ces pertes considérables générées par le Covid-19 se greffent celles causées par l’aggravation des catastrophes naturelles. Alors que les économies de la région reprennent progressivement leur activité touristique, notamment grâce à une vaccination rapide, l’intégration des projections climatiques au tourisme sud-est asiatique apparaît plus que jamais nécessaire.

Une reprise freinée par le changement climatique

Car la multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes avec des tempêtes, des inondations et des sécheresses plus fréquentes, ne sera pas sans effet sur les flux touristiques. Deux effets conjoints expliquent cet impact :

Il est probable, d’une part, que les touristes vont progressivement fuir les zones où les conditions météorologiques deviennent imprévisibles et dangereuses, pour privilégier des endroits moins risqués.

Les conséquences du changement climatique, d’autre part, vont obliger les entreprises touristiques présentes dans les zones concernées à investir dans des mesures d’adaptation : construire un remblai, acquérir des équipements écologiques, réparer les dégâts des tempêtes, etc. Autant de frais qui seront inévitablement répercutés sur les consommateurs sous la forme d’une stratégie de prix plus élevés pour les produits et services touristiques.

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Cela pourrait inciter les touristes à se tourner vers des destinations plus économiques et, dans un cercle vicieux, diminuer les ressources des entreprises touristiques pour s’adapter au changement climatique. Pour l’Indonésie, l’un des pays les plus vulnérables au changement climatique, les dernières études montrent que chaque augmentation de 1 % de la température et de l’humidité relative est associée à une baisse du nombre de touristes internationaux de 1,37 % et 0,59 %, respectivement.

Les ressources naturelles endommagées

Au-delà des risques et du prix, les ressources naturelles qui font l’attractivité touristique de l’Asie du sud-est souffrent en elles-mêmes du changement climatique : les plages et les récifs coralliens de l’Asean sont par exemple déjà gravement endommagés. Sur la plage de Cua Dai au Vietnam, l’érosion atteint ainsi 150 mètres sur 3 kilomètres. En Indonésie, aux Philippines et en Thaïlande, on observe une augmentation significative du blanchissement des coraux.

Coraux de l’île de Raja Ampat, en Indonésie. Les récifs coralliens, menacés par le blanchissement, font partie des joyaux naturels du pays. Gho Chai Hin/AFP

Le trésor culturel se voit également affecté, puisque trois sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco en Asie du Sud-Est sont parmi les plus vulnérables aux tempêtes et aux inondations : le risque de glissements de terrain dans l’ancienne Hoi An au Vietnam, le changement de végétation du parc national de Komodo en Indonésie et l’érosion des sols dans les rizières en terrasses des Cordillères aux Philippines.


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Malgré les confinements massifs dans de nombreux États, qui ont réduit les émissions de gaz à effet de serre dans le monde de 7 % en 2020, cette baisse atteint à peine les objectifs de l’Accord de Paris.

Le Climate Action Tracker a d’ailleurs qualifié l’action climatique de l’Indonésie et du Vietnam de « très insuffisante » et a trouvé celle de Singapour et de la Thaïlande « critiquement insuffisante » – des pays pourtant très touchés par le changement climatique.

Un guide d’action pour le tourisme régional

Une action collective fondée sur des principes communs plutôt que des actions et des initiatives individuelles est donc indispensable. Pour l’industrie du tourisme, il existe actuellement un plan stratégique du tourisme de l’Asean 2016-2025, qui met l’accent sur la préservation de l’environnement et les mesures d’adaptation au changement climatique dans la croissance du tourisme.

Pour aller plus loin, l’Asean pourrait s’inspirer des projets menés dans d’autres régions, comme le Guide stratégique d’Eco-union pour l’adaptation au changement climatique des destinations touristiques pour la Méditerranée. Il offre des cadres et des pratiques spécifiques pour le tourisme d’adaptation au changement climatique à choisir et évaluer avec les acteurs locaux. Le processus de planification stratégique devra ensuite définir et attribuer des rôles et des devoirs aux parties prenantes afin de transformer les objectifs d’adaptation en actions.

Grand lézard au premier plan, paysage d’une île en fond
Le dragon de Komodo est le plus grand lézard vivant dans l’habitat naturel au monde. Paysage de l’île de Rinca, dans le parc national de Komodo en Indonésie, inscrit au patrimoine de l’Unesco et menacé par les modifications de végétation. Shutterstock France

Les métropoles, qui sont des sites très populaires de l’Asean ne doivent pas non plus être négligées. Le Guide de l’OMC sur l’adaptation au changement climatique dans les villes suggère à ces dernières de modifier leurs plans directeurs en matière d’utilisation des terres et de transport, tout en investissant dans les infrastructures pour accroître la résilience – comme l’amélioration du réseau routier dans une plaine inondable densément peuplée, par exemple.

Les rapports soulignent aussi la nécessité de collecter des données afin de suivre, vérifier et évaluer l’efficience et l’efficacité des efforts d’adaptation au changement climatique.

Des pays inégaux face aux enjeux

L’Asean est par ailleurs une région hétérogène en matière de développement. Les pays les plus « avancés » de la zone, comme Singapour et la Malaisie, possèdent les ressources pour promouvoir un tourisme mieux adapté au changement climatique.

La Thaïlande, le Vietnam ou le Myanmar sont les plus lourdement concernés à long terme par le changement climatique mais ne disposent pas de moyens (financières, technologiques) abondants pour faire face.

Dans l’urgence actuelle, la stratégie de réouverture dans ces pays à la fois vulnérables aux dérèglements et très dépendants du tourisme doit se pencher attentivement sur les enjeux environnementaux. Car si les catastrophes climatiques dégradent les attractions touristiques, cette attractivité deviendra difficile à conserver.


Thu Giang Nguyen, enseignante-chercheuse à la Faculté d’économie internationale de l’Université du commerce extérieur du Vietnam, a contribué à la rédaction de cet article. Cet article est une version développée d’un article publié pour la première fois dans Fulcrum, le site de commentaires et d’analyses de l’ISEAS-Yusof Ishak Institute.

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