Menu Close

Traité sur l’Antarctique : les 60 ans d’un accord international pas comme les autres

Les délégations françaises et japonaises lors de la signature du Traité sur l'Antarctique, en 1959. M. Rolland/Antarctic Treaty Image Bank, CC BY-SA

Il y a 60 ans, le 1er décembre 1959, était signé, à Washington, le Traité sur l’Antarctique, fruit d’un travail de coopération entre scientifiques de différentes nationalités mené lors de l’Année géophysique internationale (AGI) entre juillet 1957 et mars 1958.

Pendant cette période, les scientifiques avaient choisi de dépasser les difficultés liées aux prétentions territoriales des différents États qui lorgnaient le pôle Sud. Des stations ont ainsi été établies là où l’intérêt scientifique les justifiait, sans que ces revendications ne soient un frein à leur installation.

L’esprit de coopération était alors tel que les États ont cherché à le prolonger dans le cadre de la signature d’un accord. C’est ainsi que les États-Unis inviteront les pays intéressés ayant pris part à l’AGI, et notamment l’URSS, à participer à une conférence internationale pour conclure un traité.

Traité original de 1959. Mbreen/Wikimedia, CC BY-SA
Le représentant des États-Unis signant le Traité de l’Atlantique, le 1ᵉʳ décembre 1959. Herman Phleger/Antarctic Treaty Image Bank, CC BY-SA

Signé par 12 États, dont la France, le texte est entré en vigueur en 1961. Depuis l’adhésion de la Slovénie en avril 2019, on compte à l’heure actuelle 54 États parties. Les 60 années qui se sont écoulées ont montré la force du Traité sur l’Antarctique, qui reste aujourd’hui un accord exceptionnel sur la scène internationale. Ses principes guident en effet toujours la coopération entre les États, dont l’esprit a marqué les évolutions du texte en fonction des enjeux du moment.

États-Unis et URSS réunis en pleine guerre froide

En 1959, le texte visait ainsi avant tout à faire de la région une terre de paix. Les États reconnaissaient ainsi « qu’il est de l’intérêt de l’humanité tout entière que l’Antarctique soit à jamais réservé aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu de différends internationaux » (préambule du traité).

Le fait qu’il ait été adopté en pleine guerre froide, à la fois par les États-Unis et l’URSS, est en soi exceptionnel. En outre, le texte consacre non seulement la non-militarisation de l’Antarctique, mais aussi sa non-nucléarisation. On aurait pourtant très bien pu trouver dans l’Antarctique un lieu idéal, loin de toute vie humaine, pour déposer les déchets nucléaires dont personne ne veut.

Mais surtout l’article 4 du traité consacre par ailleurs ce qu’on appelle communément un « gel » des prétentions territoriales qui étaient émises en 1959 par sept États (Argentine, Australie, Chili, France, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni).

Revendications territoriales des différentes nations concernées. IPEV/DR

Lorsque l’on observe la carte de l’Antarctique, on remarque que les prétentions de l’Argentine, du Chili et du Royaume-Uni se chevauchent, alors qu’une partie du continent n’est pas revendiquée. L’un des objectifs principaux du traité était donc d’empêcher les différends sur les revendications.

Les approches territoriales des États restent ainsi préservées. Pour certains, l’Antarctique est un espace qui a été partagé entre un nombre d’États limité. Pour d’autres, il est un espace international qui n’appartient à personne ou à tout le monde. Le traité reconnaît qu’ils peuvent avoir une conception de la région différente. Entre l’internationalisation de l’Antarctique et la reconnaissance des prétentions territoriales, les États ont, en 1959, choisi de ne pas choisir : ils ont consacré un statu quo territorial. Le traité interdit toutefois toute nouvelle revendication.

La recherche scientifique avant tout

Ce gel territorial permet donc à des États qui ont des conceptions opposées d’un territoire de travailler néanmoins ensemble. Le traité consacre la liberté de la recherche scientifique et la coopération telles qu’elles ont été pratiquées durant l’AGI. C’est ainsi que les observations et les résultats scientifiques de l’Antarctique seront échangés et rendus librement disponibles (article 3). Le choix du lieu d’établissement de stations scientifiques répond donc à des critères scientifiques et non à des critères territoriaux.

Si la France a, par exemple, construit la station Dumont d’Urville en Terre Adélie, sur un territoire qu’elle revendique, la station franco-italienne Concordia a été établie dans un secteur revendiqué par l’Australie. L’Institut polaire français Paul-Emile Victor entretient en outre des liens étroits avec les organismes partenaires et les autres agences scientifiques présentes dans la région.

La station Dumont d’Urville Station, en Terre Adélie. Samuel Blanc/Wikimedia, CC BY-SA

Un traité vivant

À l’origine, le Traité sur l’Antarctique ne mentionnait que peu l’environnement ou comment il devrait être protégé. Lorsque les enjeux environnementaux ont pris le pas sur les problématiques géopolitiques, les États signataires ont réussi à adapter le texte aux nouvelles préoccupations, en adoptant notamment le Protocole de Madrid en 1991.

Ce dernier texte fait de l’Antarctique une réserve consacrée à la paix et à la science. Il prévoit notamment qu’il appartient désormais aux porteurs de projets en Antarctique de mener systématiquement des évaluations d’impact sur l’environnement préalables et que les procédures à suivre dépendront de l’intensité des impacts identifiés. Le protocole interdit également les activités relatives aux ressources minérales, sauf à des fins scientifiques (article 7 du protocole). En 2016, les États ont choisi d’insister sur ce point en réaffirmant leur « engagement permanent » envers l’interdiction de toute activité relative aux ressources minérales en Antarctique, autre que pour la recherche scientifique .

Aujourd’hui encore, les États cherchent systématiquement à répondre aux difficultés de gestion de nouvelles activités dans la région, par exemple l’emploi de drones utilisés à des fins touristiques. En raison de risques pour la sécurité humaine et des risques pour la protection de l’environnement, la gestion des activités touristiques qui se développent dans la région devrait donc constituer le sujet des prochaines évolutions du traité.

En effet, les touristes sont de plus en plus nombreux en Antarctique. Si on comptait, par exemple 25 319 touristes en 2002-2003, ils étaient évalués à 56 168 pour la saison 2018-2019. L’offre et les activités touristiques se diversifient également. Ainsi aux traditionnelles croisières se sont ajoutées d’autres formes de tourisme avec des activités plus sportives (kayak, escalade, etc.).

Le tourisme, grand sujet des prochaines évolutions du Traité sur l’Antarctique ? Ayamik/Shutterstock

En juillet 2019, les États ont renouvelé leur attachement au traité sur l’Antarctique. Par la Déclaration de Prague formulée à l’occasion du 60e anniversaire de l’accord, ils « réaffirment leur engagement ferme en faveur des buts et objectifs du Traité sur l’Antarctique, de son protocole relatif à la protection de l’environnement et d’autres instruments du système du Traité sur l’Antarctique ».

Même si rien n’est jamais acquis, les États restent donc attachés à la coopération unique qu’ils ont bâtie dans l’intérêt de la paix internationale, mais également dans l’intérêt de la recherche scientifique. Soixante ans après sa signature, les gouvernements ont d’ailleurs réaffirmé vouloir prolonger l’esprit du texte de 1959 en soulignant, dans la Déclaration de Prague de 2019, « la capacité du système du Traité sur l’Antarctique à évoluer afin de s’adapter et faire face aux défis actuels et à venir, y compris les défis d’envergure planétaire », ainsi que « l’importance de s’appuyer sur les meilleures connaissances scientifiques et techniques disponibles pour répondre à ces défis ».

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,000 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now