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Transformation des aliments : ce que nous mangeons façonne notre microbiote intestinal

C’est aujourd’hui un fait bien établi. Diverses pathologies chroniques sont associées à une mauvaise alimentation, notamment via force produits ultra-transformés, ou encore à un dysfonctionnement de la communauté de microorganismes installée dans notre tube digestif – c’est-à-dire notre microbiote intestinal : l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardio-vasculaires, des cancers, des maladies psychiques, des maladies digestives, etc. Or ces associations, constatées par des scientifiques de disciplines différentes mais complémentaires, conduisent naturellement à s’interroger sur les liens qui se sont tissés, au cours de l’évolution, entre les facteurs abiotiques (les caractéristiques de nos aliments) et biotiques (les microorganismes) de l’écosystème intestinal humain.

Si notre alimentation a un impact sur notre santé, c’est sans nul doute parce qu’elle affecte la diversité et les activités du microbiote intestinal, ce sur quoi nous allons nous pencher dans cet article. Et nous ne pourrons que souligner l’intérêt d’une alimentation non seulement variée, mais aussi riche en fruits, légumes et autres produits végétaux dont le contenu nutritionnel doit être aussi proche que possible de ce qu’il est avant leur cueillette.


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Quels sont les nutriments issus des végétaux ? Leur paroi forme un réseau complexe comprenant majoritairement des polymères glucidiques (jusqu’à 90 % de cellulose, hémicelluloses, pectines), mais aussi des polymères non glucidiques (lignine, protéines, lipides), des minéraux et diverses substances variables selon les espèces. Et c’est dans les premiers qu’est concentrée une grande partie de l’énergie issue de la photosynthèse.

Structure schématique de la paroi végétale. DR, Author provided

La cohésion entre les différents constituants de la paroi est assurée par des liaisons chimiques dont la complexité n’est pas encore parfaitement élucidée. On sait toutefois qu’elle est construite par un enchevêtrement de microfibrilles de cellulose, lesquelles sont insérées dans une matrice lâche d’hémicellulose et de pectine. Mais la paroi est également incrustée de lignine : celle-ci augmente sa rigidité et lui confère une grande résistance mécanique et chimique. Enfin, suivant les espèces, on peut observer une minéralisation (silice, calcaire) ou une gélification (gommes, mucilages) des parois, par accumulation de substances d’incrustation et d’adcrustation (cires, subérines, cutine, sporopollénine, etc.).

La matrice végétale, nourriture du microbiote

La cellulose est un homopolymère linéaire constitué d’unités de D-glucose. Le degré de polymérisation est compris entre 250 et 15 000, et l’assemblage parallèle de 16 à 18 chaînes de cellulose constitue une microfibrille. Chaque microfibrille présente des zones cristallisées hautement agencées, et d’autres régions dites amorphes où les chaînes sont peu ordonnées. Quant aux fibres, chacune est un agencement de macrofibrilles elles-mêmes composées par l’association de microfibrilles.

L’hémicellulose, de son côté, est un hétéropolymère. Elle se lie aux microfibrilles de cellulose, dans lesquelles elle peut se trouver piégée, par des liaisons hydrogène. Sa structure est caractérisée par une chaîne principale linéaire de glucose, de mannose et/ou de xylose. La plupart des chaînes principales sont branchées et contiennent des pentoses, des hexoses et des acides uroniques. Selon leur structure primaire, elles sont classées en quatre groupes : les xyloglycanes (xylanes et arabinoxylanes), les mannoglycanes (glucomannanes et galactomannanes), les β-glucanes, et les xyloglucanes dont la proportion varie en fonction de l’espèce végétale et du tissu biologique.

La pectine, autre composé essentiel de la paroi végétale, est riche en acide galacturonique (70 % de la molécule). On peut y trouver jusqu’à 17 monosaccharides différents, avec plus de 20 types de liaisons. Et elle peut en outre être fortement estérifiée par des groupements méthyl et acétyl : on distingue ainsi des pectines hautement méthylées (DM > 50 %), et d’autres faiblement méthylées (DM <5 0 %). Enfin, on classe les polymères pectiques en trois groupes, à savoit les homogalacturonanes (HG), les rhamnogalacturonanes-I (RG-I) et les rhamnogalacturonanes-II (RG-II) – bien que d’autres galacturonanes peuvent plus rarement s’y substituer (xylogalacturonanes et les apiogalacturonanes).

Plus de traitements, moins de fibres

Les traitements technologiques – par exemple le raffinage des céréales ou le pressage des fruits – diminuent les teneurs en fibres des produits végétaux. Et dans les aliments ultra-transformés, qui consistent souvent en recombinaisons d’ingrédients purifiés et d’additifs, elles sont considérablement réduites.

De fait, on estime que chaque Français ingère autour de 20 g de fibres par jour, quand il est recommandé d’en consommer environ 30 g/jour. Et à ce sujet, il convient de noter que prises sous forme de compléments alimentaires, les fibres n’ont pas la complexité structurelle et donc la richesse des produits naturels. En pratique, les apports sont insuffisants au regard des besoins du microbiote intestinal de chacun. Or ce microbiote assure nombre de fonctions essentielles…

Chez l’être humain comme chez les animaux, ce microbiote se caractérise par son extrême diversité spécifique (plusieurs centaines d’espèces appartenant aux Archaea et Bacteria, mais aussi des virus de bactéries ou bactériophages). Il a par ailleurs la responsabilité de fonctions essentielles que seuls les microorganismes peuvent remplir : digestion des principaux constituants des végétaux, synthèse de vitamines, mais aussi production de divers métabolites comme le butyrate, qui constitue une source d’énergie pour les cellules de l’épithélium intestinal et dont le rôle protecteur contre le cancer du côlon est bien établi.

Un travail à la chaîne pour digérer les fibres

Le microbiote intestinal n’est pas réparti de façon homogène tout au long du tube digestif. Sa concentration et sa diversité sont en effet maximales (10 milliards de cellules par ml de contenu) dans le colon, et c’est là que sont digérées les fibres végétales apportées par les fruits et légumes. Dans l’intestin grêle, la communauté microbienne est beaucoup moins abondante, et intervient surtout dans le développement et la stimulation de notre système immunitaire.

Insistons sur le fait que la digestion des fibres végétales est uniquement assurée par les microorganismes. Car eux exceptés, tous les êtres vivants y compris l’homme sont dépourvus des enzymes assurant la dégradation des différents polymères qui les constituent – à savoir la cellulose, l’hémicellulose et la pectines. Le processus est complexe. Il fait intervenir plusieurs groupes microbiens, organisés en chaîne trophique pour contrecarrer la grande spécialisation des microorganismes. Et cette chaîne assure la circulation de la matière (donc de l’énergie biochimique) entre les divers constituants de l’écosystème, en assurant sa cohésion et sa stabilité. Elle se déroule en plusieurs étapes.

Dans la première, des microorganismes hydrolytiques (fibrolytiques) dégradent les polyholosides des parois végétales et libèrent des molécules simples fermentescibles : notamment de nombreux fragments osidiques. Avec l’aide d’autres bactéries constituant le second maillon de la chaîne trophique, ces espèces hydrolytiques utilisent ensuite les composés solubles comme sources d’énergie pour la fermentation. Les processus en cause génèrent alors des acides gras à courtes chaînes (AGCC), des métabolites intermédiaires (acides lactique, succinique, formique) et des gaz (H2 et CO2).

Si les premiers sont des sources d’énergie connues chez l’être humain, les seconds sont rapidement consommés par des bactéries. Quant à l’hydrogène, il est utilisé par des microorganismes hydrogénotrophes qui représentent le troisième maillon de la chaîne. Enfin selon les individus, on trouve des Archaea qui réduisent le CO2 en méthane, des bactéries qui forment de l’acétate, et d’autres qui produisent de l’hydrogène sulfuré.

Pourquoi la diversité microbienne est-elle importante ?

La réponse tient surtout à la multitude de fonctions que le microbiote doit assurer pour dégrader et fermenter les aliments. Mais il faut aussi avoir à l’esprit les autres rôles qu’il doit jouer, rôles également primordiaux pour notre nutrition comme pour notre santé : stimulation de système immunitaire, production de vitamines, production de métabolites indispensables à notre système cardio-vasculaire et notre cerveau, etc. In fine, les différentes communautés microbiennes sont très spécialisées dans leurs fonctions.

À l’intérieur de chaque groupe fonctionnel, les espèces occupent des niches écologiques qui varient selon plusieurs paramètres. D’abord, en fonction de caractéristiques physiologiques : affinité pour le substrat, rendement énergétique, énergie de maintenance, capacité d’adhésion au substrat, résistance à l’acidité, réponse aux gradients de concentration des substrats, etc. Ensuite, suivant la nature des nombreuses interactions qu’ont tissées les espèces entre elles : compétition, synergie, transfert d’hydrogène, complémentarité nutritionnelle, etc.

La complexité des structures végétales, leur très grande hétérogénéité, leurs propriétés, la diversité des liaisons chimiques à l’intérieur des polymères comme entre eux, ou encore celle des composés des tissus végétaux exigent de la part des microorganismes une large diversité de stratégies et de mécanismes parfaitement adaptés : adhésion aux fibres, fragilisation et déstructuration des tissus, multiplicité et complémentarité des enzymes hydrolytiques.

Ces mécanismes, qui diffèrent selon les espèces, sont complémentaires. Et ils s’appuient sur une organisation spatiale, fonctionnelle et métabolique des espèces microbiennes, avec d’innombrables niches écologiques correspondant chacune à un biotype microbien spécifique.

Quel est l’impact des aliments ultra-transformés ?

Par sa nature, sa présentation, ses quantités, la fréquence avec laquelle il est ingéré, un aliment a nécessairement un impact sur l’équilibre du microbiote intestinal. De lui dépend en effet l’apport en nutriments et en énergie de la communauté de microorganismes. Et en étant dégradé et fermenté, il agit sur les paramètres physico-chimiques du milieu, lesquels conditionnent à leur tout l’équilibre des populations de microbes.

De ce point de vue, un aliment ultra-transformé n’a pas les mêmes propriétés qu’un produit naturel. S’il peut avoir une composition en macronutriments équivalente, il lui manque souvent l’effet « matrice ». De plus, les interactions entre ses composés et sa teneur en fibres n’étant pas les mêmes, il n’offre pas un nombre aussi grand de niches écologiques. La circulation de l’énergie dans l’écosystème en sera altérée. Et partant, la nature et la concentration des métabolites formés par les bactéries seront différentes (avec par exemple moins d’AGCC). Enfin, à l’instar des édulcorants et des émulsifiants, certains additifs peuvent perturber l’équilibre microbien.

Diminution de la diversité des microbiomes intestinaux humains parmi différentes populations : nombre moyen de genres bactériens observés par individu chez les singes sauvages et les populations humaines (les barres d'erreur correspondent à des IC à 95% et les astérisques indiquent des différences significatives à P < 0,001). D’après Moeller et al. (2014)

On sait que le microbiote des grands singes (gorilles, bonobos, chimpanzés) est nettement plus varié que celui des humains. Il est par ailleurs riche en Fibrobacter, genre bactérien fortement impliqué dans la dégradation des polyholosides végétaux. Alors que le microbiote humain, lui, peut renfermer beaucoup de Bacteroides, bactéries impliquées dans la digestion des protéines et des matières grasses. Ces différences s’expliquent par les changements de régime alimentaire, les grands singes se nourrissant essentiellement d’aliments végétaux naturels. Quant à la baisse de la diversité, elle est plus marquée dans les pays très industrialisés, notamment aux États-Unis, où la part des produits ultra-transformés dans l’alimentation est plus importante qu’en Europe ou en Asie.

D’une façon générale, au cours de l’évolution, les humains ont réduit leur aptitude à digérer les composés végétaux. Or la perte de diversité du microbiote intestinal qui en découle diminue sa capacité de résilience face aux perturbations alimentaires ou environnementales, ce qui le rend plus vulnérable.


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Comme nous venons de l’évoquer dans cet article, il existe donc un lien étroit entre les caractéristiques de nos aliments et notre microbiote intestinal. Par les métabolites qu’il produit en décomposant ce que nous mangeons, ce peuple de microbes agit directement sur notre nutrition. Mais son fonctionnement dépend de la nature et des propriétés des aliments, et notamment de leur matrice fibreuse.

Un tel constat, qui fait consensus chez les microbiologistes, donne du poids au discours des nutritionnistes : ces derniers recommandent de privilégier des produits végétaux peu transformés et variés (règle des 3V), de manière à apporter quantité de fibres différentes au microbiote, sous une forme matricielle préservée. Mais naturellement, d’autres paramètres peuvent altérer le fonctionnement du microbiote : antibiothérapie, stress, etc. Et il faut donc éviter que leurs effets s’additionnent ou, pire, agissent en synergie. Une vision holistique des questions alimentaires (effet « matrice » des aliments, modes de production et de consommation), d’hygiène de vie et de santé est plus que jamais indispensable.

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