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Des professionnels de la santé enterrent un enfant mort du virus Ebola dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. La propagation du virus ne donne aucun signe d'essoufflement. Hugh Kinsella Cunningham/EPA

Trois solutions radicales pour arrêter la propagation d'Ebola en Afrique

Le virus Ebola terrorise une fois de plus une nation africaine. L’épidémie actuelle en République démocratique du Congo (RDC) continue de s’étendre depuis sa première apparition il y a de cela 10 mois. À la mi-mai, on décomptait 1847 cas (dont 1759 confirmés et 88 probables). Au total, on compte 1223 décès (dont 1135 confirmés et 88 probables), et 487 personnes y ont survécu.

Les décès dus à cette épidémie représentent 10 % du nombre total des décès enregistrés en Afrique de l’Ouest lors de l’épidémie de 2014, qui avait fait plus de 11 000 victimes.

Si cette épidémie n’a pas suscité autant d’attention à l’international, c’est en partie à cause de nouveaux développements prometteurs, plus spécifiquement le vaccin anti-Ebola expérimental qui a été administré à 100 000 personnes. De plus, de nouveaux traitements expérimentaux pour les patients infectés ont été mis en œuvre.

Des leçons ont également été tirées depuis l’épidémie de 2014 dont la propagation ultra-rapide a été en partie due à la lenteur de l’intervention internationale et la mauvaise affectation des fonds. Cette fois, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a réagi avec célérité.

Ces bonnes nouvelles ne peuvent cependant masquer le fait que l’épidémie d’Ebola en cours demeure l’une des plus complexes, mortelles et impitoyables qui soient.

Il est important de comprendre pourquoi. Et tout aussi important que les autorités responsables adoptent des approches radicales afin d’enrayer l’épidémie. Certaines méthodes - comme le versement d’allocations aux dirigeants locaux ou l’incorporation de groupes de rebelles dans le processus préventif - ont déjà été essayées ailleurs et devraient être reproduites.

Un environnement complexe et des occasions manquées

Tour d’abord, étudions le climat politique. Dans ce cas, l’Ebola s’étend en pleine zone de guerre. En une convergence terrifiante, le virus s’est en premier propagé au Béni, épicentre d’un conflit persistant qui a fait des victimes tant au sein de la population civile que parmi les Casques bleus.

Combattre l’Ebola est compliqué et risqué, même sans la menace de violences. Dans une zone de guerre, la tâche s’avère pratiquement impossible : le personnel sanitaire se bat contre le virus tout en étant ciblé par des forces rebelles.

Le ministère congolais de la Santé a déjà recensé 132 attaques contre des équipes sanitaires, qui ont causé la mort de quatre personnes et fait des dizaines de blessés.

Les attaques sont quasi quotidiennes. Récemment, deux centres de traitement opérés par Médecins sans frontières ont été pris d’assaut en l’espace d’une semaine. Et l’un des médecins de l’OMS a été assassiné par une milice armée.

De plus, les leçons essentielles à la survie apprises à la suite de l’épidémie en Afrique de l’Ouest ne sont pas mises en pratique. Il est vrai que les circonstances rencontrées en RDC rendent certaines mesures difficiles à appliquer.

Par exemple, une des plus importantes conclusions tirées de l’épidémie de 2014 est l’importance du rôle que joue la peur dans les communautés touchées par l’Ebola. Au Liberia, les gens étaient au départ tellement effrayés par le personnel médical qu’ils refusaient d’être soignés et ne respectaient pas les consignes interdisant la mise en quarantaine auto-imposée.

En tant que l’un des coordinateurs principaux de la lutte nationale contre l’Ebola au Liberia, l’une de mes tâches principales a été d’apaiser la crainte généralisée. Nous l’avons fait en impliquant les gens des communautés locales. Nous les avons embauchées pour nous aider de diverses manières, y compris en les envoyant à la recherche des cas infectés et en menant les négociations auprès des membres hostiles à notre intervention.

Mais le manque de confiance persiste, illustré par d’inquiétants rapports indiquant que beaucoup refusent de se faire vacciner. Nous ne savons pas encore pourquoi. Les gens sont pourtant réceptifs à d’autres types de traitements contre l’Ebola.

Mes expériences précédentes m’ont appris que le personnel sanitaire doit trouver un moyen de briser les barrières pour ouvrir la voie à l’efficacité des campagnes de vaccination - et de s’assurer que la résistance initiale ne se transforme pas en rejet systématique des protocoles de soin en général.

La tragédie est évidente: l’épidémie d’Ebola en cours est en voie de dissémination à un rythme soutenu. Et le risque de contagion aux pays voisins ainsi qu’une internationalisation possible sont des perspectives terrifiantes.

Trois solutions non conventionnelles

Il nous a fallu réfléchir en dehors des conventions de l’intervention d’urgence.

Tout d’abord, regardons du côté des dirigeants et des leaders des communautés touchées. Ils peuvent motiver les responsables communautaires (chefs, guérisseurs, femmes, prêtres) en leur versant des allocations fixes afin qu’ils dirigent leurs efforts dans leurs villages et villes respectifs. Cela permettra de créer un réseau de messagers inspirant confiance et capables de communiquer effectivement avec une population effrayée et confuse. Nous l’avons fait au Liberia. Et cela peut être accompli en RDC, malgré les défis que représente l’état de guerre.

Au Liberia, nous avons motivé une bande locale qui présentait des symptômes d’infection en leur offrant de la drogue illégale. Méthode peu conventionnelle - il n’existe pas de mode d’emploi pour ce type d’intervention - mais ça a fonctionné: nous avons négocié la mise en quarantaine de 32 sans-abris faisant partie de leur bande. Nous avons également offert de la nourriture à des voleurs armés en échange d’un droit de passage vers le bidonville de West Point.

Deuxièmement, la nourriture peut servir à motiver une réponse communautaire et une mise en quarantaine volontaire. La nourriture a historiquement été utilisée comme arme de guerre, mais nous l’avons détournée au Liberia afin de l’utiliser pour endiguer l’Ebola. Nous avons réussi en collaboration avec le Programme alimentaire mondial. Nous avons fourni de la nourriture pour tous les habitants de villages contaminés par l’Ebola. Les dirigeants de ces villages ont décidé que pendant 21 jours, personne ne quitterait le village ou n’y entrerait. En offrant de la nourriture et en satisfaisant les besoins de base de leurs villages, les dirigeants locaux ont acquis l’autorité nécessaire pour inciter leurs administrés à contenir l’épidémie.

Troisièmement, il faut employer tous les moyens nécessaires pour motiver les forces rebelles et les rendre parties prenantes de la lutte. Une tierce partie de confiance - comme la Communauté de développement d'Afrique australe, l’OMS, ou autre organisme - doit convaincre le gouvernement central de leur permettre d’aller à la rencontre des factions belligérantes et de leur donner les ressources nécessaires à une action au niveau de leurs territoires respectifs.

Idéalement, il faudrait demander aux diverses factions une trêve de 42 jours afin de permettre une intervention massive. Cela s’est fait au Salvador grâce aux efforts de James P. Grant, distingué ancien président de l’UNICEF, aujourd’hui décédé. Il a mis en route les « Jours de tranquillité » afin que les factions acceptent un cessez-le-feu le temps d’immuniser les populations. Il a réussi en se servant de l’influence de l’Église catholique.

En RDC, les principaux acteurs pourraient être rassemblés afin de soutenir un cessez-le-feu de 42 jours contre Ebola.

Si nous voulons gagner le combat en cours contre l’Ebola, il nous faut utiliser des approches non conventionnelles, au risque de susciter la controverse. Le fait est que les gens pauvres et négligés sont les plus exposés aux maladies infectieuses, et ne font pas confiance aux autorités. La méfiance envers l’autorité, la guerre civile, et l’Ebola constituent un cocktail explosif et ce, malgré les réponses coûteuses et les contre-mesures médicales.

Le temps presse…

This article was originally published in English

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