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Trouble bipolaire et Covid : le double effet bénéfique des médicaments à base de lithium

Une pilule marquée lithium est posée sur un fond gris
Les sels de lithium, utilisés notamment dans le traitement des troubles bipolaires, ont un effet antiviral et anti-inflammatoire. Sonis Photography / Shutterstock

Lithium est aujourd’hui surtout associé dans les esprits à un usage industriel, puisqu’il est un des constituants clefs des batteries… Ce qui est moins connu, c’est que ce métal mou a également de nombreux usages biologiques.

Prescrit sous forme de sels, il s’est ainsi installé depuis les années 1970 comme le chef de file des traitements « thymorégulateurs » (ou régulateurs de l’humeur). Mais en cette période de pandémie, ce sont ses propriétés anti-inflammatoires et antivirales qui ont particulièrement suscité de l’intérêt dans la communauté scientifique.

Découverts il y a deux siècles, les sels de lithium sont utilisés au milieu du XIXe siècle contre les rhumatismes, les épisodes de « manie aiguë » ou comme sédatifs… Mais ces débuts sont également marqués par des accidents, leur niveau de toxicité n’étant pas connu. Il faut en effet attendre les années 1950 pour que le seuil permettant un usage médical sans danger pour les patients soit établi, et qu’ils soient autorisés par la Food and Drug Administration américaine.

Ils s’imposent dès lors rapidement pour le traitement des épisodes dépressifs ou maniaques des troubles bipolaires et la prévention des rechutes, comme pour la réduction du risque suicidaire. Leur rôle bénéfique sur la plasticité neuronale découlerait de leur capacité à améliorer la communication entre les neurones au niveau de la substance grise de notre cortex.

Un effet antiviral pour les sels de lithium

Mais d’où proviendrait leur effet antiviral ?

De très nombreuses études ont suggéré que les sels de lithium pouvaient bloquer le cycle de réplication de plusieurs virus, dont certains coronavirus. Dès 1979, des chercheurs avaient montré que des patients bipolaires infectés par le virus de l’herpès et traités avec du lithium pour leur trouble mental présentaient des signes de rémission clinique.

Les données les plus récentes soulignent même que l’effet antiviral du lithium est particulièrement marqué sur les virus à ARN et ADN.

Après plus de deux années marquées par le Covid, l’identification de molécules conférant une protection contre l’infection par le SARS-CoV-2 ou limitant les risques de développer une forme grave de la maladie continue d’être une priorité. Notamment afin de limiter les risques pour les personnes les plus vulnérables.

Or, les grandes études internationales, dont les nôtres, ont toutes démontré que les patients affectés par des maladies mentales présentaient un surrisque d’être infecté : près de huit fois plus que la population générale. Mais, surtout, ils montraient un risque deux fois plus élevé de développer une forme grave de Covid-19, ou de ne pas recevoir une prise en charge adéquate.

Dans ce contexte, la possibilité d’identifier un médicament faisant déjà partie de l’arsenal thérapeutique de certains troubles psychiatriques et qui conférerait une protection contre le virus constitue une perspective séduisante.

En l’occurrence, plusieurs travaux publiés depuis le début de la pandémie ont déjà fait état d’un éventuel effet protecteur de plusieurs antidépresseurs dont la fluoxétine et la fluvoxamine. Les données scientifiques sont encore toutefois insuffisantes, et l’agence du médicament française exclut pour le moment la Fluvoxamine de l’arsenal thérapeutique de lutte contre le Covid.

De plus, d’autres travaux semblent mettre en évidence des effets négatifs pour d’autres traitements (comme la Clozapine, un antipsychotique utilisé dans le cas de schizophrénie, qui semble aggraver le pronostic en cas de Covid).

D’où l’importance d’investiguer en conditions réelles tous les effets de cet arsenal thérapeutique, utilisé dans le cadre de la santé mentale, afin d’estimer ses possibles bénéfices antiviraux mais aussi les risques inattendus.

Une réduction du risque réelle

Nos travaux, qui viennent de faire l’objet d’une publication dans The British Journal of Psychiatry, sont les premiers à apporter des données concluantes, issues de la « vie réelle », que la prise de lithium à dose thérapeutique est aussi associée à un risque réduit d’être infecté.

Nous avons étudié les données de 26 554 individus, issues d’une large base de données anonymisées américaines. Nous disposions pour ces personnes d’informations relatives à leurs niveaux sériques (dans le sérum sanguin) de lithium ainsi qu’à des diagnostics de Covid-19 et/ou des résultats de tests PCR (un à six mois après dosage).

En analysant ces données, nous avons montré que les personnes prenant du lithium avec un taux sanguin thérapeutique avaient un risque plus faible d’avoir eu un diagnostic de Covid-19 et un test PCR positif. Et ce indépendamment de leur diagnostic de trouble psychiatrique ou de leur statut vaccinal.

Notre échantillon d’individus traités avec du lithium était néanmoins trop faible pour déterminer si le médicament avait un effet bénéfique pour réduire le risque de formes graves chez les patients infectés par le SARS-CoV-2. Toutefois, une incidence plus faible de la maladie telle que constatée dans notre étude est probablement associée à un risque moindre de complications dans cette population.

Vers une explication du phénomène ?

Les mécanismes expliquant les effets antiviraux du lithium ne sont pas encore élucidés. Cependant, quelques pistes se dessinent : des études in vitro ont indiqué que ce médicament inhibe la réplication de l’ARN du virus.

Nous avons aussi trouvé dans l’échantillon de population analysé que les effets du lithium sont particulièrement puissants sur le SARS-CoV-2 mais moins sur d’autres virus respiratoires : ce qui suggère des mécanismes biologiques propres à ce coronavirus. Des efforts de recherche doivent donc être poursuivis afin de consolider les connaissances sur le sujet.

S’il n’est pas envisageable de repositionner le lithium comme un médicament accessible à la population générale pour lutter contre le Covid-19, du fait de ces effets secondaires (hypothyroïdie, tremblements, problèmes rénaux…), nos résultats doivent être mis dans la balance au moment où un clinicien évalue les risques et les bénéfices de prescrire ce traitement à des patients atteints de troubles bipolaires, particulièrement fragiles en période de pandémie.

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