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Vue d'une plaquette à demi ouverte de Ritaline
La médication est normalement réservée aux cas les plus sévères de Trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Mais de nombreuses prescriptions sortent du cadre officiel. Aninka Bongers-Sutherland. /Shutterstock

Trouble de l'attention (TDAH) : la dangereuse explosion du traitement médicamenteux de l'enfant

Le Trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est considéré comme le trouble mental le plus fréquent chez l’enfant et l’adolescent.

Or, dans la mesure où il n’existe aucun marqueur ni test biologique susceptible de contribuer au diagnostic, le TDAH est exclusivement défini sur la base de symptômes comportementaux : un déficit d’attention associé ou non à de l’impulsivité excessive et de l’hyperactivité. Pour cette raison, sa prévalence (fréquence de survenue d’un phénomène de santé dans une population pour une période donnée) varie considérablement d’un pays à l’autre : en 2012, il était d’environ 10 % aux États-Unis et inférieur à 1 % en Grande-Bretagne.

En France, l’industrie pharmaceutique a financé une étude publiée en 2011 concluant à une forte prévalence du TDAH (entre 3,5 et 5,6 % en 2008) alors même que la méthodologie et les données fournies pour étayer cette conclusion étaient très contestables.

Les recommandations concernant le traitement du TDAH diffèrent aussi selon les pays et les régions. En France, et dans la majorité des pays européens, une approche éducative, sociale et psychothérapeutique est officiellement préférée. La médication y est, en principe, réservée aux cas les plus sévères.

Le méthylphénidate, seul traitement autorisé

Le méthylphénidate (MPH) est le seul traitement médicamenteux autorisé en France pour le Trouble déficitaire de l’attention. De manière générale, il est reconnu utile s’il favorise l’accès au travail de parole, de soin et d’éducation. Réciproquement, il n’existe pas d’autre indication thérapeutique pour cette molécule.

Le MPH est commercialisé sous forme simple (Ritaline®) ou sous forme retard (Ritaline-LP®, Concerta®, Quasym®, Medikinet®). Il est indiqué chez l’enfant à partir de six ans « lorsque les mesures correctives psychologiques, éducatives, sociales et familiales seules s’avèrent insuffisantes » (ANSM, 2017).

Une ado se tient la tête en tentant de faire ses devoirs
Le traitement par méthylphénidate n’est préconisé que pour les troubles sévères de l’attention… Or, le simple fait d’être le plus jeune de sa classe entraine un risque accru de médication. fizkes/Shutterstock

De nombreuses études contre placebo ont prouvé son action pour diminuer les symptômes du TDAH… Mais elles sont de court terme. Les bénéfices d’un traitement au long cours restent toujours à démontrer.

Plusieurs enquêtes américaines ayant suivi de larges cohortes d’enfants pendant des années montrent par ailleurs que le traitement par psychostimulants (dont la Ritaline®) ne présente aucun bénéfice à long terme sur les risques d’échec scolaire, de délinquance et de toxicomanie associés au TDAH.

Le méthylphénidate n’est pas une panacée

Autre point : si les effets secondaires de court terme semblent mineurs, ceux de long terme sont largement inconnus.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) mentionne ainsi une liste relativement importante d’effets indésirables comprenant notamment nervosité, troubles du sommeil, céphalées, amaigrissement, risques d’aggravation de pathologies psychiatriques et de passages à l’acte violents ou suicidaires, risques de maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires (pp. 18-22).

Pour ces raisons, et dans la mesure où le MPH est un psychostimulant classé stupéfiant (Vidal), sa prescription a toujours été soumise à un encadrement et à des conditions de délivrance stricts : prescription initiale et renouvellements annuels réalisés en milieu hospitalier par des médecins spécialistes (jusqu’au 13 septembre 2021), renouvellements mensuels sur ordonnance sécurisée, identification du pharmacien exécutant l’ordonnance.

Notre récente étude, réalisée dans les bases de données de la Sécurité sociale, pointe pourtant une augmentation inexorable de son emploi chez l’enfant et l’adolescent, ainsi qu’une rupture systématique des obligations réglementaires de prescription.

Hausse continue de la prescription de méthylphénidate chez l’enfant

En effet, ce travail réalisé auprès de l’ensemble des enfants et des adolescents français (0-17 ans) ayant bénéficié d’au moins une prescription de MPH entre 2010 et 2019, montre que la consommation a plus que doublé ces dix dernières années : +56 % pour l’incidence (ici, nombre de nouvelles prescriptions par an entre 2010 et 2019), et +116 % pour la prévalence. Cette hausse s’inscrit dans un continuum puisque de précédents travaux faisaient déjà état d’une augmentation de +65 % entre 2003 et 2005, puis +135 % entre 2005 et 2011.

Un rapport de l’ANSM montre également qu’entre 2008 et 2014, la prévalence de la prescription pour les enfants de 6 à 11 ans a augmenté de +63 % et presque doublé chez les 12-17 ans.

Le graphe montre 3 courbes : une première (enfants de 3 à 5 ans) qui reste stable et basse ; deux autres, à la croissance parallèle (6-11 et 12-17 ans) entre 2010 et 2019
Évolution du taux de prévalence de la prescription de MPH. Ce taux est exprimé en pourcentage de la population générale pour chaque tranche d’âge et chaque période. S. Ponnou et coll., in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2022), Author provided

Cette augmentation se double d’un allongement considérable des durées de traitement : la durée médiane de la consommation chez les enfants de 6 ans en 2011 était de 5,5 ans et jusqu’à plus de 8 ans pour 25 % d’entre eux. Plus préoccupant encore : les enfants les plus jeunes sont ceux pour lesquels les durées de traitement sont les plus longues.

Ces durées sont sans comparaison avec celles mises en exergue dans le courant des années 2000 : la durée médiane de prescription de MPH chez l’enfant en 2005 en France était alors de 10,2 mois.

Des conditions de prescription bafouées

En France, l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) est accordée par l’ANSM après une procédure d’évaluation du bénéfice/risque du médicament. Cette autorisation peut être assortie de conditions et de recommandations de prescription, comme c’est le cas pour le méthylphénidate. Or l’analyse des bases de données de santé montre une multiplication du nombre de prescriptions hors des cadres réglementaires :

  • Avant l’âge de 6 ans, contrairement aux indications de la mise sur le marché,

  • Avec des durées de traitement particulièrement longues et en constante augmentation. Les recommandations de prescription mentionnent clairement des usages de court terme et des réévaluations constantes des bénéfices du médicament,

  • Des premières prescriptions (25 %) et des renouvellements annuels (50 %) qui ne sont pas effectués par un spécialiste hospitalier, contrairement aux obligations réglementaires en vigueur jusqu’au 13 septembre 2021,

  • Avec un suivi médical et psychoéducatif des enfants qui ne semble pas toujours réalisé de manière satisfaisante : 84 % des enfants ne bénéficient d’aucune consultation médicale par le service hospitalier prescripteur dans les 13 mois suivant l’initiation. Entre 2010 et 2019, le nombre de consultations en centres médico-psychopédagogiques (CMPP) a été divisé par quatre tandis que la prévalence de la consommation de MPH a plus que doublé. Ces résultats suggèrent un risque de substitution des pratiques psychothérapeutiques et socio-éducatives par des prescriptions médicamenteuses.

  • Une prescription qui n’est pas nécessairement associée au diagnostic de TDAH, pourtant sa seule indication autorisée. A fortiori, lorsqu’un diagnostic psychiatrique est posé, il ne correspond pas toujours à l’indication thérapeutique définie par l’AMM. Or, le Résumé des caractéristiques du produit (RCP) précise que « les psychostimulants ne sont pas destinés […] aux patients atteints d’autres pathologies psychiatriques primaires ».

  • Un quart (22,8 %) des enfants et adolescents consommateurs de MPH reçoivent un ou plusieurs autres médicaments psychotropes dans l’année suivant la première prescription : neuroleptiques (64,5 %), anxiolytiques (35,5 %), antidépresseurs (16,2 %), antiépileptiques (11 %), hypnotiques (4,8 %) et antiparkinsoniens (3 %). Ces co-prescriptions sont souvent très éloignées de leur zone d’AMM et se situent hors des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS). Or ces associations avec d’autres psychotropes – en particulier les antipsychotiques – présentent de sérieux risques pour la santé et devait être évitées.

Effet des facteurs scolaires et sociaux

L’étude montre également que le système scolaire contribue de manière significative à la prescription de psychostimulants : les enfants les plus jeunes de leur classe – nés en décembre plutôt qu’en janvier – présentent un risque accru de médication de +44 à +60 % (+54 % en moyenne au fil de la période 2010-2019).

Pourtant, il semble normal que les capacités d’attention des enfants les plus jeunes de leur classe soient potentiellement moins soutenues que celles de leurs camarades plus âgés, sans que cela n’engage de conclusion en termes de pathologie, de handicap ou de médication.

Le graphe montre que les enfants les plus jeunes d’une classe sont les plus concernés par les prescriptions ; et que le niveau de prescription générale monte tous les ans
Enfants et adolescents ayant reçu une prescription de MPH selon leur mois de naissance en France entre 2010 et 2019 (cohorte de 144 509 enfants). S. Ponnou et coll., in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2022), Author provided

De plus, les enfants issus des classes sociales les plus défavorisées ou présentant des conditions sociales défavorables ont un risque accru de médication.

En 2019, 21,7 % des enfants recevant du MPH vivaient dans des familles bénéficiant de la Couverture maladie universelle (CMU) ou d’un dispositif apparenté. Ceci alors que, selon l’Insee, ces aides n’étaient attribuées qu’à 7,8 % de la population française. La prescription est donc significativement plus fréquente chez les enfants des familles bénéficiaires de la CMU, et cette tendance a augmenté entre 2010 et 2019.

Si l’on considère également les enfants consommateurs de MPH disposant d'un diagnostic de défavorisation sociale (touchés par exemple par des difficultés liées à l’éducation, à l’alphabétisation, à l’emploi et au chômage, à l’environnement physique, au logement, aux conditions économiques ou à l’environnement social, etc.), le pourcentage d’enfants avec des difficultés sociales atteint 25,7 %.

Ces éléments pointent un risque de médication de l’enfant selon son âge ou ses origines sociales. Ces discriminations s’ajoutent à des ruptures des réglementations de prescription qui forgent le pacte démocratique entre les citoyens et leur système de santé.

Face à cette situation, ni l’AMM, ni les recommandations ou les lettres de rappel de l’ANSM, ni les alertes des chercheurs ou des professionnels de santé ayant dénoncé ces abus depuis de longues années ne semblent pas avoir été entendues.

Quelles pratiques et quelles politiques de santé ?

Ces enjeux sont d’autant plus vifs que le 13 septembre 2021, la HAS a décidé la fin de la Prescription initiale hospitalière (PIH) pour le MPH – une mesure qui avait pour fonction de garantir l’accompagnement des enfants et de leurs parents.

Cette décision augure une poursuite du phénomène, ainsi qu’une accentuation du non-respect des conditions de prescription. Or, les travaux scientifiques sont particulièrement réservés quant à la prescription de médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent, et insistent sur l’importance de la surveillance et sur le rôle des agences de santé et de sécurité du médicament.

Ces réserves s’expliquent par la rareté d’études robustes sur l’efficacité des traitements, des effets indésirables importants et une balance bénéfice/risque qui conduit à un nombre limité d’autorisations de mise sur le marché pour les psychotropes en population pédiatrique.

En revanche, les pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales orientées par la parole font leurs preuves dans la clinique et sont recommandées en première intention en France dans le soin des enfants et des adolescents.

Quels bénéfices attendre d’une médicalisation croissante des comportements de l’enfant, et d’une dérégulation progressive de la prescription de psychostimulants voire de psychotropes : enfants, adolescents et famille peuvent-ils y trouver un meilleur soutien ? L’accueil des patients et les pratiques de soin peuvent-ils en être améliorés ? Le lien entre la population, les praticiens et les services de santé peut-il en sortir renforcé ?

Le modèle américain, qui fait référence en termes de médicalisation de la souffrance psychique, montre que ce serait plutôt le contraire.

Ces questions interrogent à la fois les capacités de régulation de la communauté médicale, des agences de santé et des pouvoirs publics. Mais elles touchent aussi à des choix de société : quelles pratiques et quel modèle de soin souhaitons-nous pour nos enfants et les prochaines générations ? Ces enjeux sensibles et complexes méritent a minima un débat scientifique, politique et citoyen éclairé et contradictoire.

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