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Homard bleu et macaron à la rose… Ces aliments rois de la politique

Le diner avec Charles III s'est tenu dans la galerie des Glaces au chateau de Versailles. Daniel Leal/AFP

Du homard bleu, de la volaille de Bresse et du macaron à la rose… Le tout servi dans une porcelaine de Sèvres dans la galerie des Glaces du château de Versailles.

C'est un menu royal qui a été servi à Charles III et à Camilla pour leur visite officielle en France de trois jours.

Mais au delà du faste et du prestige, l’alimentation a toujours entretenu un lien étroit avec la politique. Aussi bien pour les simples dîners en ville que pour les banquets républicains.

La table est un espace de pouvoir qui sert à mobiliser des réseaux, afficher sa puissance et porter un discours politique à travers ce que l’on mange et ce que l’on boit.

Pour le célèbre gastronome Anthelme Brillat-Savarin

« Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s’est décidé dans un banquet. Ceci n’est ni un paradoxe, ni même une nouveauté, mais une simple observation des faits. Qu’on ouvre tous les historiens, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, et on verra que, sans même en excepter les conspirations, il ne s’est jamais passé un grand événement qui n’ai été conçu, préparé et ordonné dans les festins. »

Dès lors, au fil des siècles et des régimes politiques, des aliments et des plats ont été revêtus d’un sens politique fort dont les évolutions s’inscrivent tout à la fois dans les transformations de la gastronomie française et de l’histoire politique de la France.

Afficher son pouvoir

La profusion des mets est considérée pendant des siècles comme un signe évident de puissance. Sur les tables royales au Moyen-Âge, l’abondance et la prodigalité permettent au roi de montrer qu’il est le premier des seigneurs. La profusion de nourriture impose une hiérarchie. Mais, la rareté des aliments servis participe aussi du prestige de la table pour les différents pouvoirs, notamment à travers l’emploi d’épices en nombre (girofle, cannelle, muscade).

Il s’agit d’avoir ce que les autres n’ont pas. Lorsque Louis XIV réclame des petits pois en primeurs cultivés dans le potager du roi à Versailles, il montre ainsi qu’il peut tout contrôler, même la nature. Pendant longtemps, le luxe fut une caractéristique majeure des tables des politiques.

Les Grandes Chroniques de France de Charles V. Wikimedia

Les mets les plus recherchés, les plus rares, les plus prisés se devaient d’y figurer. Au Moyen-Âge, paons, hérons, cygnes ou marsouins sont présentés comme des mets d’exception, véritables spectacles, lors des banquets princiers comme ceux donnés au milieu du XVe siècle à la cour de Bourgogne par Philippe le Bon puis Charles le Téméraire pour éblouir leurs invités.

Toutes les institutions politiques assoient leur prestige sur des repas d’apparat. Dans la France du XVIIIe siècle, les corps de ville donnent des banquets où sont présentés les plats à la mode du temps comme des poulardes aux huîtres, des tourtes de pigeons garnies de truffes et de champignons ou des pâtés chauds de bécasses.

Ils affichent ainsi leur pouvoir et le prestige de la cité. Au moment de la Révolution, ces fastes culinaires suscitent néanmoins des critiques. Les caricatures de Louis XVI le présentent ainsi comme un affameur du peuple contraint de lui fournir les nourritures les plus précieuses (vins de Bordeaux, Champagne, pâtés de canards d’Amiens, etc.).

Le Ci devant Grand Couvert de Gargantua Moderne en Famille vers 1791. parismuseescollections.paris.fr, CC BY

Se distinguer

Les aliments ont une dimension symbolique forte dans une société d’ordres marquée par les hiérarchies. La consommation de gibiers à plumes représente ainsi un trait distinctif des tables des élites politiques de l’Ancien Régime. Les perdrix, les grives ou les cailles sont placées au sommet d’une hiérarchie des aliments fondée, dans une perspective religieuse, sur la proximité avec le ciel. Dictée par un principe d’incorporation et d’élévation spirituelle, leur consommation, comme celle des fruits, est jugée plus raffinée que celle des nourritures qui poussent dans la terre (légumes, tubercules).

Mais ces oiseaux renvoient aussi aux privilèges nobiliaires et à l’exercice de droits seigneuriaux à travers la chasse, synonyme de pouvoir, qui différencie la noblesse du peuple.

Maité explique comment manger l’ortolan à la serviette (INA, 1987).

Cette valorisation gastronomique lorsqu’elle est associée au goût de l’interdit, comme, à la fin du XXe siècle, dans le cas de François Mitterrand et des ortolans (petits oiseaux interdits de chasse, engraissés, puis rôtis qu’il fallait manger en entier), devient l’illustration d’un pouvoir politique hors du droit commun.

Entretenir ses réseaux d’influence

Le choix des aliments par et pour les hommes de pouvoir intervient aussi dans l’entretien des réseaux d’influence. Durant l’Ancien Régime, il est ainsi d’usage pour les villes de province d’honorer la famille royale, le contrôleur général des finances, les ministres ou les intendants par des présents en début d’année ou lors de visites officielles.

Pour les villes, ces dons auxquels sont consacrées parfois des sommes importantes, sont un moyen de s’assurer la protection et la bienveillance des puissants. Chacune offre alors des aliments jugés emblématiques de la gastronomie locale et dignes d’être envoyés à de grands personnages : Périgueux offre ainsi des pâtés de perdrix aux truffes, Bayonne des jambons, Amiens des pâtés de canards, Montélimar des nougats blancs, Reims des vins de Champagne, etc.

Sous l’Ancien Régime, la ville de Bayonne envoyait ses emblématiques jambons aux puissants pour s’assurer leur protection. Gaizka Iroz/AFP

La table peut également servir à montrer la cohésion politique de la nation comme lors du célèbre banquet des maires de France dans les jardins des Tuileries à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 en pleine période troublée de l’affaire de Dreyfus et de contestations de la République. Les plats servis aux 22 000 convives symbolisent une démarche fédératrice en rassemblant les plats emblématiques de la grande cuisine française de l’époque (darnes de saumon glacées parisiennes, filet de bœuf en Bellevue) et les aliments qui font la réputation des régions françaises (canetons de Rouen, poulardes de Bresse).

22 000 convives ont pris part au grand banquet des maires de France, le 22 septembre 1900. www.parismuseescollections.paris.fr, CC BY

Cuisine et communication politique

L’alimentation sert de point d’appui à un discours politique ; elle peut être porteuse d’un message ou bien support de critiques comme contre Louis XVI.

Les nombreux banquets organisés sous la IIIe République au lendemain de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace-Lorraine témoignent souvent d’un choix politique des mets.

Saumons du Rhin ou écrevisses de la Meuse figurent, par exemple, au menu du banquet offert par la ville de Cahors à Léon Gambetta, président de la Chambre des députés le 28 mai 1881. La dénomination des plats sert à ancrer malgré tout les provinces perdues dans la gastronomie nationale.

Avec la Ve République et la médiatisation des chefs étoilés, les liens entre la cuisine et la politique demeurent toujours très étroits. Suivant les évolutions de l’art culinaire, le luxe et l’abondance ne sont plus seulement les fondements de la distinction. La dimension politique s’exprime surtout dans les valeurs associées aux nourritures choisies. En 1975, à l’occasion de la remise de sa Légion d’honneur par Valérie Giscard d’Estaing, le chef Paul Bocuse crée une soupe aux truffes noires qu’il baptise « Soupe aux truffes VGE » en l’honneur du président.

La recette de la soupe « VGE ».

Cet épisode montre que l’alimentation des présidents de la République devient un objet politique. Ceux-ci savent alors s’en emparer pour façonner leur image, soit du côté du raffinement et de l’excellence française, soit, à l’inverse, en affichant l’image plus populaire d’un amateur de tête de veau comme Jacques Chirac, promoteur de la cuisine de terroir, expression politique de l’ancrage et de la proximité.

Aliments et spécialités culinaires deviennent alors support d’une communication politique, plus ou moins maîtrisée, que l’on retrouve des campagnes électorales aux visites médiatiques au salon de l’agriculture.

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