La fusillade du 4 septembre à la Apalachee High School, dans la petite ville de Winder en Géorgie, a fait quatre victimes, abattues par un adolescent de 14 ans. Cet État est plutôt permissif quant au contrôle des armes à feu : le gouverneur républicain Brian Kemp autorise depuis 2022 le port d’armes sans permis, en vue de mieux protéger l’ensemble des « citoyens respectueux de la loi ». Mais au sein des établissements, seulement trois districts autorisent le corps enseignant au port d’armes avec permis.
À l’échelle fédérale, la question de la présence d’armes à feu dans les écoles avait été tranchée en 1990 par le Gun-Free School Zones Act qui interdit leur présence jusqu’à 300 mètres autour d’un établissement, tout en laissant la possibilité aux États de décider par eux-mêmes de possibles exceptions. Du fait de cette souplesse fédérale, on comptabilise aujourd’hui jusqu’à 33 États qui, dans certains établissements, autorisent le port d’armes aux enseignants, en plus des School Resource Officers, ces agents de police de proximité déjà présents dans plus de la moitié des établissements américains.
Convient-il d’étendre davantage l’armement des enseignants ? Cette question ressurgit à chaque manquement des interventions des forces de l’ordre lors des fusillades dans les établissements scolaires – et tout spécialement en cette période de dernière ligne droite de la campagne présidentielle.
Augmentation des exercices préventifs
La politique du « Run-Hide-Fight » (courir – se cacher – combattre) mise en place sous les recommandations du US Department of Homeland Security dès 2013 détaille le comportement que les élèves doivent avoir en cas d’intrusion armée. Elle préconise avant tout de se mettre à l’abri, et de ne chercher à riposter qu’en dernier recours, si possible collectivement avec ses camarades, en employant des armes improvisées telles que des ciseaux, des extincteurs, voire des livres.
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Les exercices de simulation d’éventuelles attaques par armes à feu font dorénavant partie du paysage éducatif américain, et ce en complément de nombreux exercices déjà récurrents : Shelter-in-Place (contre d’éventuels produits toxiques), Lockdown (contre des catastrophes naturelles) ou Evacuation (contre les incendies).
Toutefois, la fréquence et la nature de ces protocoles relèvent de la direction de chaque établissement. Ces exercices varient et font débat au sein des instances éducatives : certains districts préconisent un rythme de deux par an quand d’autres vont jusqu’à une dizaine d’exercices par an, soit un par mois. Les études soulignent une augmentation d’environ 40 % du niveau d’anxiété des élèves suite à la répétition de ces exercices.
Pour éviter ces excès, les syndicats d’enseignants recommandent d’éviter des entraînements trop réalistes et préfèrent ne pas y inclure les élèves, préconisant de réserver ces exercices aux équipes pédagogiques.
Tandis que certains États interdisent aujourd’hui ce type de simulations, les enseignants pointent du doigt un déficit de temps d’apprentissage ainsi qu’une politique sécuritaire outrancière qui conduit à placer les élèves et le personnel en situation de stress excessif.
Scepticisme du corps enseignant
Suite à la fusillade de Parkland en 2018 (un ancien élève âgé de 19 ans avait tué 17 personnes dans un lycée de cette ville de Floride), le leitmotiv républicain du « durcissement des écoles » voulu par Donald Trump, alors président, se traduit par la création d’une nouvelle commission fédérale, la Federal Commission on School Safety, dont l’objectif est d’enrayer la violence à l’école en aidant les établissements volontaires à armer leurs propres enseignants.
Mais encore faut-il les convaincre : en réponse à la tuerie d’Uvalde en 2022 (massacre de 19 enfants et deux adultes par un homme de 18 ans dans une école élémentaire), le Texas lance un projet de loi bipartisan qui envisage d’allouer d’importantes sommes allant jusqu’à $25 000 par enseignant pour les encourager à s’armer en échange de cours de tir, d’entraînement aux premiers secours et de reconnaissances de signes de troubles mentaux.
Un an plus tard, c’est au tour de l’État de Géorgie de proposer $10 000. Ces sommes sont révélatrices de la méfiance des éducateurs sur la question de leur armement. Lors d’un sondage effectué deux semaines après la tuerie d’Uvalde, 76 % des membres des équipes pédagogiques se sont prononcés contre ces propositions.
Les enquêtes soulignent plutôt une inquiétude des enseignants concernant la hausse du harcèlement et celle du trafic de drogue. Cette perception de la violence concorde avec la grande majorité des études en criminologie qui, jusqu’à récemment, observent que les établissements sont aujourd’hui plus sûrs que dans les années 1990.
Si les tueries à l’école causent désormais en moyenne plus de morts qu’auparavant, elles restent numériquement très marginales et, contrairement à ce qu’affirme Kamala Harris, ce phénomène ne relève pas de l’épidémie. En raison du nombre de morts que ces fusillades occasionnent en un temps record, les tueries de masse suscitent une surreprésentation médiatique au détriment de la hausse statistiquement inquiétante des suicides et des homicides, trop souvent sous-représentés.
Le business de la sécurité et de la fortification des écoles
En 2018, Donald Trump s’attaque aux Gun-Free Zone affirmant que cette mesure met les écoles en danger car elle revient à « une incitation à y faire rentrer tous ces fous ».
Reste que l’introduction légale d’armes à feu dans des zones où celles-ci étaient autrefois interdites divise le camp républicain. Les moins radicaux évoquent le sentiment de menace qui pourrait s’accroître à l’intérieur des établissements si les Gun-Free Zones étaient supprimées et préfèrent s’orienter vers des mesures de fortification des écoles : portes de classes verrouillées ou blindées, caméras vidéo en cours ou détecteurs de métaux à l’entrée.
De fait, si l’on se dirige vers des écoles bien plus armées du fait de la présence de patrouilles de surveillance tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, les établissements prennent de plus en plus l’allure de forteresses dont la militarisation s’accroît proportionnellement au budget alloué par le gouvernement fédéral en direction des États. Sous forme de subventions, les sommes importantes injectées depuis le STOP School Violence Act de 2018 ont fait apparaître un marché de la sûreté des écoles au profit d’acteurs privés qui font pression sur le gouvernement après chaque tuerie médiatisée.
Dès lors, le budget national consacré à la sécurité des écoles entame celui originellement destiné à l’éducation et à l’apprentissage. En 2021, selon certaines études, ce marché serait évalué à 3,1 milliards de dollars. Ces stratégies matérielles, qui contribuent à donner un nouveau visage aux écoles états-uniennes, se popularisent par un impact visuel puissant, donnant ainsi l’illusion d’une protection infaillible grâce à la conjonction de la symbolique dissuasive des armes à feu et du confort lié aux nouvelles technologies.
La question des armes dans la campagne présidentielle
Après l’attaque de Winder, sans pour autant directement évoquer la question de l’armement des enseignants, Donald Trump a réitéré son rejet de toute régulation supplémentaire du port d’armes, alors que c’est ce que réclame le camp démocrate.
Si la plupart des Américains ne souhaitent pas retirer de la Constitution le droit au port d’armes, ils ne sont pas opposés à une meilleure régulation de leur mise en circulation, par exemple à travers l’introduction d’une vérification plus exigeante des antécédents des acheteurs. Reste que cette position peine à susciter une grande mobilisation.
Sous l’impulsion du renouveau démocrate incarné par Kamala Harris, la question des armes à l’école va se jouer sur la gestion des signes avant-coureurs des jeunes élèves en difficulté mentale et, plus généralement, sur l’accessibilité controversée des armes d’assaut de type AR15. La question de la libre circulation des fusils d’assaut reste un sujet particulièrement clivant. Car s’il est question de rendre disponibles des armes de poing pour une minorité issue d’un corps éducatif peu entraînée au tir, la plupart des assaillants ont, quant à eux, facilement recours à des armes militaires dernier cri d’une létalité sans faille.