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Uber et Frédéric Bastiat

Le 25 juin 2015, un taxi français en grève. Charles Platiau/Reuters

Le gouvernement et les chauffeurs de taxi français sont furieux contre Uber, l’entreprise d’origine californienne offrant le service populaire de partage de voiture. Fin juin 2015, la justice française a arrêté deux dirigeants d’Uber France, pour les juger en correctionnelle. Quant aux chauffeurs de taxi, ils ont été très loin dans leurs manifestations violentes, on s’en souvient, brûlant des voitures et agressant les chauffeurs et les passagers d’Uber.

Ces débordements ont eu au moins une conséquence positive pour les chauffeurs de taxi. Uber a suspendu l’opération d’UberPop, un service fourni par des chauffeurs non professionnels. Le Conseil Constitutionnel lui-même s'est penché sur la légalité d’UberPop.

Cette situation me fait penser à un économiste français, bien connu à son époque, mais relativement obscur aujourd’hui. Frédéric Bastiat, né en 1801 à Bayonne, a travaillé dans l’entreprise d’exportation fondée par sa famille avant d’être élu à l’Assemblée nationale. Son expérience commerciale a nourri les idées économiques qu’il a théorisées dans un certain nombre d’essais polémiques publiés dans les années 1840. Malheureusement, il a contracté la tuberculose pendant un de ses tours en France. Retiré à Rome pour tenter de se soigner, il y est mort en 1850.

Frédéric Bastiat (1801-1850) Wikimedia

L’expérience de Bastiat confirme qu’il est possible de changer l'orientation de sa vie professionnelle, même à un certain âge. Il a fait publier son premier essai sur les sciences économiques en 1844 dans le Journal des Économistes, auquel il a fourni des articles jusqu’à sa mort. Ce changement de carrière lui a permis de gagner une renommée internationale qu’il n’aurait jamais pu acquérir en restant commerçant ou même homme politique.

Son essai le plus célèbre est une satire qui s’applique fort bien à la situation contemporaine d’Uber France. Malgré le fait qu’il est né 200 ans avant la fondation d’Uber et qu’il n’entendait rien au partage de voiture, aux applications, et aux smartphones, son analyse de la frilosité des propriétaires de petites entreprises, tels les chauffeurs de taxi, est aussi pertinente aujourd’hui qu’en 1845, la date de la publication de Pétition des fabricants de chandelles. Cet essai prend la forme d’une supplique des fabricants de bougies au Parlement français. La pétition demande au gouvernement « de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd’hui à une lutte si inégale ».

Autrement dit, les fabricants de bougies veulent démontrer les effets nuisibles d’un « concurrent étranger » (le soleil) sur l’économie de la France. Fait aggravant, non seulement le soleil peut fournir le même « produit » que les bougies, mais il le fait gratuitement. Bastiat affirme – ironiquement, bien sûr – que si la population française utilisait uniquement des bougies, toutes sortes d’entreprises auxiliaires comme l’agriculture, le transport, et l’exploitation minière pourraient aussi prospérer.

« Humble Proposition » à la française

Bastiat fait partie de la tradition des grands écrivains satiriques comme l’Irlandais Jonathan Swift, l’auteur de Humble Proposition. Dans cet essai, Swift propose la notion de manger des bébés pour – en même temps – nourrir le peuple et réduire la surpopulation. La brillance de la satire de Bastiat réside dans la démonstration prétendue des effets nuisibles du soleil et l’exposition de l’illogisme absurde de cet effort de protéger les fabricants de bougies d’un « rival étranger qui possède des avantages compétitifs ». Si on remplace le soleil par Uber et les fabricants de bougies par les chauffeurs de taxi, on peut voir la même myopie aujourd’hui qu’en 1845.

Pétition des fabricants de chandelles est un texte d’à peine 1 600 mots. Mais malgré sa brièveté, l’essai illustre parfaitement la vision de Bastiat de la notion classique de la liberté économique, ainsi que son opposition au protectionnisme. En plus, l’essai révèle – pour le meilleur ou le pire – pourquoi ses idées ont été privilégiées par des chefs d’État contemporains comme Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Et par la nouvelle vague libertarienne. Cet essai – et d’autres par Bastiat – sont à lire d’urgence, surtout pendant que le Conseil Constitutionnel étudie la légalité d’UberPop et la direction que peut prendre l’économie française.

Andy Koppel, docteur en littérature française à Tufts University, a été le co-auteur de la version française de cet article. Il a été vice-président du marketing technique et relations OEM à North Atlantic Publishing Systems. Il n’a pas de relation, d’investissement ou de connexion particulière a un quelconque service d’auto-partage.

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