tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/economie-numerique-22857/articleséconomie numérique – The Conversation2024-01-16T16:19:06Ztag:theconversation.com,2011:article/2209482024-01-16T16:19:06Z2024-01-16T16:19:06ZMusique, films, logiciels : quand les messages anti-piratage encouragent… le piratage !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568817/original/file-20240111-19-uv4d8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=340%2C12%2C1703%2C992&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exemple de campagne de communication affichée aux États-Unis dans les années&nbsp;2000.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/thomashawk/12246570">Flickr/ Thomas Hawk</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/piratage-26347">piratage</a> est un acte courant (<a href="https://www.telerama.fr/ecrans/piratage-de-films-la-pandemie-a-propage-le-virus-de-la-fraude-7010172.php">14 millions de pirates en France en mars 2020</a>) qui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/26/etrange-epoque-ou-pirater-des-films-ou-des-series-est-encore-assimile-a-un-geste-cool_6074492_3232.html">pénalise de nombreux secteurs</a>, aux premiers rangs desquels figurent les industries musicale et cinématographique, ou encore les producteurs de jeux et de logiciels. Les estimations montrent que 37 % des logiciels dans le monde sont piratés, ce qui représente un <a href="https://gss.bsa.org/wp-content/uploads/2018/05/2018_BSA_GSS_Report_en.pdf">manque à gagner qui dépasse les 46 milliards de dollars</a>. Face à ces pratiques illicites, les professionnels et le régulateur ont conçu et mis en place des stratégies, parfois agressives, visant à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/04/08/le-gouvernement-presente-son-projet-de-loi-pour-lutter-contre-le-piratage-audiovisuel_6076059_3234.html">décourager de tels comportements</a>.</p>
<p>En mai 2023, le Centre national du cinéma et de l’image animée CNC et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ont lancé une campagne de spots radio pour appeler à soutenir la création en évitant les pratiques illégales.</p>
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<iframe style="width:100%;height:100%;position:absolute;left:0px;top:0px;overflow:hidden" frameborder="0" type="text/html" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x8l4oja" width="100%" height="100%" allowfullscreen="" title="Dailymotion Video Player"> </iframe>
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<p>Depuis les années 2000, il est ainsi fréquent que les utilisateurs soient exposés à des messages anti-piratage dans les médias ou au début d’une œuvre. Or, en dépit des intentions claires des concepteurs de ces messages, les effets de ces derniers sont parfois atténués ou, pire, contre-productifs.</p>
<p>Voici donc toute l’ironie de la situation : certaines campagnes visant à décourager le piratage contribuent peut-être finalement à l’encourager. La raison ? Une méconnaissance de certains ressorts du comportement humain.</p>
<h2>« Voleriez-vous une voiture ? »</h2>
<p>Comment dès lors concevoir une campagne pertinente sur un tel sujet ? Les sciences comportementales viennent au secours des secteurs concernés en mettant en évidence trois erreurs fondamentales susceptibles de favoriser le piratage au lieu de le décourager. Ces trois erreurs fréquentes reposent sur le raccourci mental qui laisse penser que <a href="https://doi.org/10.1080/01972243.2022.2095683">« plus est toujours préférable à moins »</a>.</p>
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<a href="https://theconversation.com/series-et-sport-en-streaming-quand-labondance-doffres-encourage-le-piratage-114754">Séries et sport en streaming : quand l’abondance d’offres encourage le piratage</a>
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<p>La première de ces erreurs est d’asséner au public une longue liste d’arguments contre le piratage. Les concepteurs de ces messages pensent que les arguments s’additionnent les uns et aux autres et donc qu’un plus grand nombre d’arguments sert mieux la cause défendue. Malheureusement, l’audience a plutôt tendance à adopter un raisonnement à la moyenne : les arguments les plus forts en termes de pouvoir persuasif sont dilués par la présence simultanée d’arguments <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11002-014-9286-1">faibles</a>.</p>
<p>Par exemple, le spot vidéo « Le piratage c’est du vol », diffusé au Royaume-Uni au début des films dans les années 2000 commençait par « Voleriez-vous une voiture ? Jamais ! » En comparant le piratage à des exemples raisonnablement pertinents (voler un DVD) tout en y ajoutant des exemples a priori incongrus comme voler une voiture, le message s’en trouvait dilué. Ce spot a ainsi par la suite donné lieu à de nombreuses parodies ou détournements qui le tournent en ridicule.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HmZm8vNHBSU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Spot « Piracy it’s a crime » (Le piratage c’est du vol) diffusé dans les salles de cinéma au Royaume-Uni dans les années 2000.</span></figcaption>
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<p>Une deuxième erreur consiste, comme le fait la <a href="https://www.getitrightfromagenuinesite.org/the-law-what-it-means/">campagne actuellement en cours au Royaume-Uni</a>, à expliquer l’impact du piratage au moyen de nombreux chiffres, comme le nombre d’emplois perdus ou le montant des dommages causés aux industries concernées. Ces statistiques sont souvent froides, incapables de susciter des émotions et d’une certaine façon, déshumanisantes.</p>
<p>Une <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/mort-homme-tragedie-mort-million-hommes-statistique-13144.php">citation</a> attribuée à Staline résume bien cette idée :</p>
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<p>« La mort d’un homme est une tragédie, celle d’un million d’hommes est une statistique ».</p>
</blockquote>
<p>Le fait que les gens ne puissent s’identifier à une victime bien définie et ressentir des émotions prive certains messages anti-piratage d’un pouvoir émotionnel pourtant bien nécessaire.</p>
<h2>« Tout le monde le fait ! »</h2>
<p>La troisième erreur consiste à souligner à quel point le piratage est répandu. Affirmer, comme l’a fait récemment une <a href="https://www.km.gov.lv/lv/jaunums/biedriba-par-legalu-saturu-uzsak-pretpiratisma-socialo-kampanu-0">publicité en Lettonie</a> que « 46 % de la population a déjà piraté des films sur Internet » signale involontairement une norme sociale. Le pirate potentiel peut donc juste sentir qu’il se comporte comme tout le monde.</p>
<p>Au bilan, ne pas pirater « comme tout le monde » reviendrait à être « le dindon de la farce ». Récemment, une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/1467-8721.01242">expérience</a> édifiante l’a encore montré : en cherchant à diminuer le vol de bois fossilisé, le parc national de la « Petrified Forest » en Arizona a en réalité conduit à une augmentation du nombre de vols lorsque les pancartes mentionnaient qu’un grand nombre de visiteurs volaient.</p>
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<p>Même si ces erreurs sont très répandues, des tactiques relativement simples permettent de les corriger. Une première piste serait de sélectionner les arguments les plus puissants. Une autre piste serait de remplacer ou de combiner les statistiques souvent arides avec des récits de victimes du piratage bien identifiées, capables d’éveiller des réactions émotionnelles fortes. Enfin, pour éviter le piège de la norme sociale, il semble souvent préférable d’insister sur l’injonction à ne pas pirater ou de mentionner le nombre de personnes ayant décidé de ne plus pirater.</p>
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À lire aussi :
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<p>Le comportement humain est complexe et les raccourcis habituels du type « plus est préférable à moins » peuvent sembler convaincants. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’influencer efficacement le comportement humain, les sciences comportementales peuvent aider à concevoir des campagnes plus efficaces. Il apparaît donc comme urgent de les intégrer à la réflexion de manière précoce, y compris pour d’autres enjeux cruciaux comme le changement climatique ou la lutte contre la pauvreté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220948/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les sciences comportementales relèvent trois erreurs de communication qui peuvent expliquer les effets contre-productifs de certains messages visant à lutter contre les pratiques illégales en ligne.Gilles Grolleau, Professor, ESSCA School of ManagementLuc Meunier, Professeur de Finance, ESSCA School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2169342023-11-07T17:29:15Z2023-11-07T17:29:15ZÉconomie numérique : le bilan comptable reflète mal la valeur économique des entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557292/original/file-20231102-25-fzu1md.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C24%2C2208%2C1758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La valeur comptable de Google ne s’élève qu’à 61&nbsp;774&nbsp;millions de dollars alors que la capitalisation boursière du géant du numérique atteignait 1&nbsp;148&nbsp;milliards de dollars fin 2022.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1439975">Mohamed Hassan/Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les processus de création de valeur ont connu d’importantes évolutions ces dernières années. Comparons par exemple Google (Alphabet), un étendard de la nouvelle économie et une entreprise relevant du secteur industriel traditionnel, comme le constructeur automobile General Motors. La réussite de Google apparaît au travers de sa capitalisation boursière, celle-ci atteignant <a href="https://abc.xyz/assets/d4/4f/a48b94d548d0b2fdc029a95e8c63/2022-alphabet-annual-report.pdf">1 148 milliards de dollars pour environ 190 234 salariés</a> fin 2022. General Motors affiche pour sa part une capitalisation boursière vingt fois plus faible, de <a href="https://investor.gm.com/static-files/12adf215-2927-498e-a958-66345e607b98">47,79 milliards de dollars, avec plus de 86 000 salariés</a>.</p>
<p>Cet écart témoigne d’un bouleversement profond du processus de création de valeur. Par ailleurs, la valeur comptable – c’est-à-dire la valeur que l’entreprise peut communiquer à travers ses états financiers – ne s’élève qu’à 61 774 millions de dollars pour Google, sans comparaison avec le niveau atteint par sa capitalisation boursière. Pour General Motors, l’écart entre ces deux valeurs existe certes, mais dans une moindre mesure.</p>
<h2>Problèmes d’évaluation</h2>
<p>Il convient donc de bien distinguer la valeur comptable de la valeur de marché. La valeur comptable retrace l’historique de l’entreprise, traduit par des entrées ou des sorties de trésorerie, son résultat réalisé. La valeur boursière est quant à elle une valeur actualisée des anticipations de la création de valeur de l’entreprise (les prévisions de flux de trésorerie disponibles). Il est donc normal que la valeur de marché soit différente de la valeur comptable.</p>
<p>Cependant, lorsque ce différentiel devient considérable, cette déconnexion peut témoigner d’une défaillance de l’outil de suivi (en l’occurrence la comptabilité) à capter la valeur présente dans l’entreprise. Les outils de traçabilité de la valeur financière ne permettent alors plus de transmettre une valeur de l’entreprise qui soit proche de sa valeur de marché. La recherche a par exemple démontré que les investissements en <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w7223/w7223.pdf">recherche et développement</a> (R&D) et en <a href="https://www.jstor.org/stable/3665583">publicité</a> entraînaient une hausse des résultats, et que par conséquent ils étaient positivement associés à la valeur des sociétés.</p>
<p>La reconnaissance des actifs incorporels identifiés reste cependant liée à des problèmes d’évaluation. Le modèle comptable actuel ne reconnaît pas de nombreux actifs incorporels fondés sur la connaissance. Cela peut soulever des inquiétudes quant à la capacité réelle des investisseurs à valoriser les sociétés à forte intensité de capital immatériel.</p>
<h2>Des évolutions très lentes</h2>
<p>Un <a href="https://econpapers.repec.org/article/eeejfinec/v_3a26_3ay_3a1990_3ai_3a2_3ap_3a255-276.htm">travail de recherche</a> publié en 1990 montrait déjà que les entreprises de haute technologie qui annonçaient une augmentation des dépenses de R&D connaissent des rendements anormaux positifs. Cette étude soulignait également qu’une intensité de R&D plus élevée que la moyenne de l’industrie ne conduisait à une augmentation des cours boursiers que pour les entreprises des secteurs de haute technologie.</p>
<p>Pourtant, l’évaluation comptable n’a que très peu évolué depuis. La dernière <a href="https://www.ifrs.org/issued-standards/list-of-standards/ias-38-intangible-assets/">modification de la norme internationale IAS 38</a> – Immobilisations incorporelles – remonte à mars 2004. Cependant, l’International Accounting Standards Board (IASB), normalisateur comptable international, s’intéresse à nouveau à la question de la reconnaissance comptable des immatériels et à la diffusion d’informations financières les concernant. Le dernier <a href="https://www.ifrs.org/content/dam/ifrs/project/third-agenda-consultation/thirdagenda-feedbackstatement-july2022.pdf">programme de consultation de l’IASB</a> publié en 2022 place les immatériels en haut de la liste.</p>
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<p>L’IASB souligne que « La plupart des personnes interrogées ont jugé hautement prioritaires les projets potentiels sur les risques liés au climat, les cryptomonnaies et les transactions associées, ainsi que les actifs incorporels ».</p>
<p>De même, l’édition 2023 de <a href="https://eaa-online.org/eaa-iasb-research-forum-2023-2/">l’IASB Research Forum</a>, qui a eu lieu à l’IÉSEG School of Management, les 2 et 3 novembre 2023, avait pour sujet les actifs immatériels, et en particulier la reconnaissance au bilan des immobilisations incorporelles développées en interne.</p>
<p>Le normalisateur français, l’autorité des normes comptables (ANC) avait déjà consacré son édition 2017 des <a href="https://www.anc.gouv.fr/sites/anc/accueil/recherche/etats-generaux-de-la-recherche-c/7emes-etats-generaux--2017.html">États généraux de la recherche comptable</a> au sujet de l’économie numérique. Dans ce cadre, nous avions publié un <a href="https://www.anc.gouv.fr/files/live/sites/anc/files/contributed/ANC/3_Recherche/D_%C3%89tats%20generaux/2017/Policy%20papers/Policy%20paper%20Anne%20Jeny%20VF.pdf">article</a> intitulé « Quel impact de l’économie numérique sur la comptabilité ? ». L’enjeu de la reconnaissance des actifs immatériels ». Un groupe de travail sur les problématiques de comptabilisation de ces transactions a en parallèle été lancé.</p>
<p>Le 18 décembre 2020, le Collège de l’ANC a rendu son <a href="https://www.anc.gouv.fr/files/live/sites/anc/files/contributed/ANC/2_Normes_internationales/NI%202020/ANC_Letter-CL-on-Goodwill-and-Impairment.pdf">commentaire</a> sur le document de réflexion DP/2020/1 de l’IASB relatif aux regroupements d’entreprises – notes annexes, goodwill et dépréciation (Business Combinations – Disclosures, Goodwill and Impairment). L’ANC y encourage la reconnaissance de plus d’actifs immatériels individuels au moment des regroupements d’entreprises, plutôt que leur reconnaissance dans le <em>goodwill</em>, c’est-à-dire l’écart entre le montant de l’achat et la valeur réelle de l’entreprise.</p>
<p>Autrement dit, la prise de conscience de l’importance de sujet s’étend, mais reste encore à savoir comment une meilleure comptabilité des actifs immatériels se traduira concrètement dans les faits.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Jeny ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les règles comptables actuelles ne reconnaissent pas de nombreux actifs incorporels comme la R&D, les dépenses de publicité ou les brevets déposés.Anne Jeny, Professor, Accounting Department, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2077412023-06-26T09:50:45Z2023-06-26T09:50:45ZL’impact environnemental du numérique, un enjeu encore mal pris en compte par les entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532002/original/file-20230614-17-w5lvhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=156%2C91%2C997%2C695&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En quelques années, les outils comme les ordinateurs portables ou les smartphones se sont imposés dans le travail. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wallpaperflare.com/person-in-front-of-laptop-computer-on-table-technology-office-wallpaper-zbwth">Wallpaperflare.com</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/internet-des-objets-21322">Internet des objets</a> (IoT), la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/blockchain-28780">blockchain</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">l’intelligence artificielle</a> (IA) ou encore le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/big-data-23298">big data</a> sont devenus incontournables dans notre société. Ces dernières années, les organisations ont ainsi largement accompagné cet essor des technologies en menant à bien la <a href="https://theconversation.com/transformation-numerique-et-intelligence-artificielle-deux-revolutions-a-ne-pas-rater-pour-les-entreprises-96598">transformation numérique</a> de leurs activités.</p>
<p>Or, la diffusion massive de ces nouveaux outils a un <a href="https://theconversation.com/informatique-frugale-a-quand-un-numerique-compatible-avec-les-limites-planetaires-204625">impact direct sur notre empreinte carbone</a>. Les organisations se retrouvent donc confrontées à un dilemme : la digitalisation est perçue comme essentielle à leur survie, mais semble être en contradiction avec une approche de sobriété numérique nécessaire à l’heure où les exigences en matière de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises (RSE)</a> se renforcent.</p>
<p>Comment se dilemme est-il résolu en entreprise ? Pour le savoir, nous avons rencontré, dans le cadre d’un récent <a href="https://www-sciencedirect-com.sidnomade-2.grenet.fr/science/article/pii/S0040162523003554">travail de recherche</a>, 33 individus au sein d’entreprises de services numériques (ESN). Il ressort notamment de l’analyse des pratiques existantes que la prise de conscience de l’impact environnemental des outils numériques reste particulièrement limitée à l’heure actuelle.</p>
<h2>Perceptions diverses</h2>
<p>Tout d’abord, nous relevons que le terme « sobriété numérique » demeure équivoque pour nos participants, laissant place à l’ambiguïté. Si certains répondants semblent en avoir une vision éclairée, pour d’autres, le concept n’évoque « pour l’instant pas grand-chose », comme l’admet une ingénieure pédagogique lors d’un entretien.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-les-3-dimensions-de-la-sobriete-cette-notion-cle-de-notre-epoque-197660">Comprendre les 3 dimensions de la sobriété, cette notion-clé de notre époque</a>
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<p>La diversité de ces perceptions laisse transparaître différents niveaux de maturité de sobriété que l’on observe dans les organisations interrogées. Nous en avons identifié cinq principaux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532977/original/file-20230620-21-sg6s76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sobriété numérique : les 5 niveaux de maturité.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tout d’abord, le niveau de <strong>réfutation,</strong> qui désigne une résistance à la sobriété numérique. Les participants dans cette situation se montrent peu convaincus par l’intérêt de la démarche. À l’inverse, certaines entreprises se caractérisent par une <strong>inaction</strong> malgré la prise de conscience des enjeux.</p>
<p>Les répondants qui se situent à ce niveau se disent prêts à s’engager si l’État ou leur entreprise prennent des mesures incitatives en faveur de la sobriété numérique. Comme le souligne le référent RSE d’une entreprise que nous avons rencontré :</p>
<blockquote>
<p>« À notre échelle, c’est pas nous qui pourrons changer quoi que ce soit. »</p>
</blockquote>
<p>Au-delà de cette inaction, on observe un niveau de <strong>substitution</strong> qui se distingue par une prise de conscience plus marquée de l’utilité de la sobriété numérique. Les participants à notre enquête se caractérisent par la réalisation de petites actions concrètes, comme le nettoyage régulier des boîtes e-mail.</p>
<p>Ensuite, au niveau de l’<strong>optimisation</strong>, les participants à notre enquête s’engagent activement à modérer, voire réduire la fréquence d’utilisation des technologies de l’information, dans le but de minimiser leurs effets négatifs. Un consultant justifie sa démarche :</p>
<blockquote>
<p>« Le numérique est une ressource non renouvelable et du coup il faut l’économiser. […] C’est une solution […] mais c’est aussi un problème si on en fait n’importe quoi. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, le niveau de <strong>désadoption</strong> ou de <strong>décroissance</strong> se caractérise par une volonté de mettre fin à l’utilisation des technologies de l’information ou d’éviter leur utilisation et leur adoption. Cette démarche radicale reflète une réelle prise de conscience et un choix de réduire drastiquement l’empreinte numérique. Un responsable RSE que nous avons interrogé explique qu’il tente ainsi de réduire l’adoption de nouveaux outils numériques dans son entreprise :</p>
<blockquote>
<p>« Une fois qu’on a adopté un truc, on s’habitue et il devient quasiment impossible de le “désadopter”. »</p>
</blockquote>
<h2>Pourquoi mener une démarche de sobriété numérique ?</h2>
<p>En plus de <a href="https://www.notre-environnement.gouv.fr/actualites/breves/article/loi-sur-la-reduction-de-l-empreinte-environnementale-du-numerique-quelles">répondre aux exigences environnementales</a>, l’adoption d’une démarche de sobriété numérique offre un double avantage : d’abord, dans un contexte où le recrutement devient de <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/plan-de-reduction-des-tensions-de-recrutement-phase-2">plus en plus compétitif</a> pour de nombreuses organisations, la sobriété numérique constitue un atout majeur pour leur <a href="https://www.researchgate.net/publication/263326597_The_employer_brand">image de marque en tant qu’employeur</a> ; ensuite, selon nos participants, l’adoption d’une approche de sobriété numérique génère un impact positif sur le bien-être des employés, notamment via la diminution du nombre d’e-mails reçus.</p>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>La sobriété numérique représente un défi majeur pour catalyser un changement écologique et social. Cependant, notre étude révèle des résistances de certains individus face aux changements nécessaires qui permettent de réduire leur empreinte numérique. Face à l’urgence liée à la crise climatique, il devient impératif d’explorer en profondeur ces enjeux au sein des organisations mais aussi dans les milieux académiques qui les accompagnent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207741/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Perea a reçu des financements de L'université Grenoble Alpes. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jessica Gérard a reçu des financements de l'Université Grenoble Alpes.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien de Benedittis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude a identifié des prises de conscience variables face aux conséquences de l’essor des outils numériques dans les organisations.Céline Perea, Professeure associée en sciences de gestion, Université Grenoble Alpes (UGA)Jessica Gérard, Maitre de Conférences, Grenoble IAE Graduate School of ManagementJulien de Benedittis, Maître de Conférences en Management des Systèmes d'Information, Mines Saint-Etienne – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010202023-03-27T16:47:12Z2023-03-27T16:47:12ZVote sur les trottinettes : vers l’invention d’une régulation locale de l’économie numérique ?<p>« Pour ou contre les trottinettes en libre-service à Paris ? » Telle est la <a href="https://www.paris.fr/pages/interdiction-des-trottinettes-en-libre-service-les-parisiens-voteront-22954">question</a> à laquelle les Parisiens sont invités à répondre ce dimanche 2 avril dans leur mairie d’arrondissement.</p>
<p>L’annonce de la consultation à la mi-janvier par l’exécutif parisien a rapidement ouvert le débat sur les avantages et inconvénients de ce nouveau moyen de déplacement urbain. Le camp de la maire socialiste Anne Hidalgo, tout en indiquant que le vote des citoyens <a href="https://www.leparisien.fr/politique/anne-hidalgo-face-a-nos-lecteurs-quon-arrete-les-trottinettes-electriques-en-libre-service-dans-paris-14-01-2023-NW4SISO7TRAXJFRL53O6UME3KQ.php">« sera respecté »</a>, n’a pas caché sa préférence pour le « contre ».</p>
<blockquote>
<p>« Que les Parisiens aient leur propre trottinette, pas de souci. <a href="https://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/paris-est-la-ville-deurope-ou-lon-utilise-le-plus-les-trottinettes-electriques-en-libre-service-16-11-2022-YO5UU5777ZA25D7JW7XUACEUP4.php">Mais on a un vrai problème avec le free floating</a>. Ce n’est pas écolo. Les salariés de ces sociétés ne sont pas correctement protégés. Mon idée, c’est qu’on arrête », a-t-elle répondu à des lecteurs du Parisien.</p>
</blockquote>
<p>David Belliard, adjoint à la Transformation de l’espace public et aux Mobilités a, lui, défendu cette position au nom d’un « espace public apaisé ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1627965419725152256"}"></div></p>
<p>De nombreuses <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/faut-il-interdire-les-trottinettes-en-libre-service-a-paris-952026.html">questions</a> ont été portées au débat : l’accidentologie est-elle plus élevée que pour les vélos ? Ce nouveau moyen se substitue-t-il à l’usage de la voiture ou réduit-il seulement la part de la marche à pied ? Les trois opérateurs, auxquels le marché est réservé (Lime, Dott et Tier) et dont le contrat arrive à échéance fin mars, ont, eux, <a href="https://www.20minutes.fr/paris/4024497-20230220-paris-guerre-declaree-trottinettes-libre-service">fustigé le mode d’organisation du scrutin</a> dont ils doutent de la sincérité : sans consultation électronique, ni vote par correspondance, représentera-t-on bien l’avis des plus jeunes moins enclins à se déplacer dans les bureaux de vote que leurs aînés ? On retrouve pourtant parmi eux de nombreux utilisateurs du service, leur moyenne d’âge étant de 33 ans.</p>
<p>Il importe aussi, et cela a été l’objet de <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/la-privatisation-numerique/">recherches</a> menées avec Simon Cottin-Marx au Laboratoire techniques territoires et sociétés, de s’interroger en amont sur ce qui fonde l’intervention de la ville de Paris sur ce sujet. À nos yeux, il y a là quelque chose qui s’invente, à contre-pied d’un mouvement global qui fait remonter toujours plus haut la régulation de l’économie numérique, vers l’État, l’Union européenne et des accords internationaux.</p>
<h2>Des raisons pour se saisir du dossier</h2>
<p>Les premières trottinettes en libre-service sont arrivées dans les rues de Paris au début 2019. Le service est dit en <em>free floating</em>, pour signaler le fait que ces engins ne sont pas attachés à des stations fixes, comme le sont par exemple les Vélib’, et qu’ils peuvent être déverrouillés par un Smartphone dans tout l’espace public.</p>
<p>Certes, les trottinettes sont un bien matériel, mais l’infrastructure en arrière-plan est toute numérique, du système de location et tarification au repérage GPS dans l’espace. La recharge des batteries à l’origine reposait sur des auto-entrepreneurs payés à la tâche sur le mode des chauffeurs de VTC Uber.</p>
<p>Le déploiement a été très rapide. À l’été 2019, <a href="https://www.lemonde.fr/blog/transports/2019/06/06/enquete-inedite-utilisateurs-trottinettes-electriques/">12 sociétés</a> mettaient à disposition 20 000 trottinettes dans la capitale. C’est alors que les critiques ont commencé à monter. Les réactions des pouvoirs publics se faisaient elles aussi entendre et les rapports étaient plutôt tendus avec les opérateurs comme le montrent ces tweets d’Emmanuel Grégoire, Premier adjoint d’Anne Hidalgo. Nous les avons suivies et mises en perspective dans notre enquête.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1126374932945022976"}"></div></p>
<p>Du point de vue de l’État et de ses compétences, le seul enjeu était celui de la sécurité. La trottinette a ainsi fait l’objet d’un chapitre supplémentaire du Code de la route. La discussion de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/loi-dorientation-des-mobilites">Loi d’orientation sur les mobilités</a>, publiée au Journal officiel en décembre 2019, tombait à point nommé pour régler cette question. Ce qui est alors dénommé « engin de déplacement personnel motorisé », pour recouvrir d’autres offres technologiques comparables, est interdit de circulation sur les trottoirs, limité à 25km/h et l’usage est restreint aux zones limitées à 50 km/h. Il est également interdit de circuler à deux et tout cela vaut pour les trottinettes en libre-service comme pour celles possédées à titre individuel. La loi ne distingue pas le <em>free floating</em> du reste.</p>
<p>Pour la Mairie de Paris, néanmoins, les trottinettes constituent un problème beaucoup plus large que la sécurité. C’est d’abord une appropriation non autorisée de l’espace partagé des trottoirs, utilisés dans les premiers temps tant pour rouler que pour stationner. C’est aussi un choix de politique de transport, l’offre de transport en libre-service à courte distance étant déjà couverte par des vélos en libre-service, les Vélib’, gérés par une entreprise délégataire, Smovengo. La municipalité s’était d’ailleurs montrée beaucoup plus conciliante avec l’offre de scooters électriques, sans doute plus complémentaire de cette offre contrôlée par le public.</p>
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<p>C’est ensuite un enjeu d’environnement, la façade verte des trottinettes électriques tombant lorsqu’une étude menée dans le Kentucky conclut en 2019 que leur durée de vie n’est que de <a href="https://www.tf1info.fr/societe/voi-lime-bird-la-duree-de-vie-des-trottinettes-en-libre-service-est-elle-seulement-de-28-jours-2133450.html">28 jours</a>. Sans doute l’étude était-elle limitée et le matériel est-il plus robuste aujourd’hui, mais les opposants arguent que la flotte se retrouve souvent dans la Seine et les canaux, avec de possibles fuites des batteries, et que ce sont des camionnettes thermiques qui les récupèrent pour la recharge.</p>
<p>C’est enfin un volet supplémentaire de l’ubérisation, alimentant des critiques sociales. La collecte des trottinettes, les batteries n’étaient pas amovibles, était effectuée, là encore aux premiers temps, par des autoentrepreneurs payés à la tâche. On pouvait les voir dans les rues se déplaçant avec plusieurs trottinettes superposées.</p>
<h2>Tentatives passées</h2>
<p>Une première tentative d’encadrement des véhicules en free floating avait été engagée en juin 2018 par la mairie de Paris. Elle portait alors sur l’offre de vélos et de scooters en libre-service. La ville a proposé alors aux opérateurs de signer une <a href="https://cdn.paris.fr/paris/2019/07/24/fe583248dd9af2a07bb0b01797a59482.pdf">charte</a> puis a tenté de réguler le nombre de véhicules déposés. Tirant un constat d’échec, un encadrement du marché avec une limitation du nombre d’entreprises autorisées et la précision d’un cahier des charges sur les aspects sécurité environnement et maintenance ont été privilégiés. La ville avait souhaité ajouter également des conditions concernant le statut d’emploi des agents en charge de la recharge des batteries mais cela contrevenait aux principes d’ouverture de la concurrence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des emplacements de stationnement dédiés aux trottinettes ont progressivement fait leur apparition dans la capitale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gilles Jeannot</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour les trottinettes qui se sont développées par la suite, un appel d’offre en mars 2020 a permis de retenir <a href="https://www.paris.fr/pages/trois-operateurs-de-trottinettes-autorises-a-deployer-leur-flotte-dans-paris-8113">trois opérateurs</a>, Dott, Lime et Tier. Les conditions plus serrées de la relation et la fin de la concurrence sauvage ont permis d’imposer des règles strictes comme la limitation ciblée de vitesse dans certaines zones ou la contrainte à déposer les trottinettes dans les petits parkings dédiés.</p>
<p>La discussion avec les opérateurs a également conduit à développer des solutions numériques originales pour que les usagers ne puissent valider la fin de la location sans être à proximité immédiate d’un parking dédié ou ne puissent outrepasser les vitesses plus réduites dans les zones précisées. Tous les Parisiens ont pu constater l’impact de cette nouvelle méthode sur le respect des espaces de stationnements mais aussi la persistance de pratiques dangereuses comme la circulation à deux passagers.</p>
<p>Une nouvelle étape est donc franchie avec l’organisation ce dimanche d’une consultation citoyenne. En abordant les désagréments des trottinettes de manière globale et à travers un contrôle de l’accès au marché et non par de simples règles de police de voirie, il faut bien comprendre que la ville prend au sérieux la spécificité de l’économie numérique.</p>
<h2>Plates-formes globales, mais politiques locales</h2>
<p>Cette action doit en effet être saisie dans un mouvement d’affirmation de l’autorité locale face à des défis associés aux possibilités de l’économie numérique. Il y a là en effet des interactions inédites entre les nouvelles offres économiques permises par les intermédiations numériques et certains domaines d’interventions des collectivités locales, en l’occurrence la responsabilité des espaces publics des villes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1601878390105161728"}"></div></p>
<p>La plus visible, peut-être, concerne <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0308518X19862286?journalCode=epna">Airbn’b</a> et ses répercussions sur la politique du logement. Le vote de ce dimanche peut aussi être rapproché d’autres actions visant à préserver le bien commun de l’espace public. La plus récente est l’action visant à <a href="https://theconversation.com/regulation-des-dark-stores-la-mauvaise-reponse-des-pouvoirs-publics-a-de-vrais-problemes-191380">limiter le développement des entrepôts relais</a> pour les livraisons à domicile, « dark stores » et autres « dark kitchen ». Ici aussi, l’usage des espaces publics est questionné avec les nuisances liées à la concentration de scooters autour de ces dépôts et la fermeture de devantures commerciales. La municipalité a tenté de mobiliser le droit pour interdire ces entrepôts non prévus dans le plan d’urbanisme. La démarche est aujourd’hui suspendue suite à une mise en cause par le tribunal administratif de Paris du <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/node/idark-storei-et-idark-kitcheni-nous-ne-sommes-pas-arrives-destination#.Y_dT0-zMLnU">moyen juridique utilisé</a>.</p>
<p>C’est une régulation par l’aval des effets de cette économie numérique qui s’invente sur ces sujets. Le fait mérite d’être souligné. Pour de nombreux domaines associés à ce secteur, la taxation des GAFAM, la possibilité d’un cloud souverain, les câbles sous-marins, la modération des contenus de l’Internet, la régulation semble devoir remonter à un niveau toujours plus haut, national européen et même mondial. Ici c’est une mairie qui intervient.</p>
<p>La votation d’avril 2023 se distingue, dans l’ensemble des interventions publiques locales, par sa dimension symbolique. Si la ville de Paris a développé depuis 2014 une pratique de participation des citoyens autour du budget participatif, celle-ci s’est construite autour du <a href="https://journals.openedition.org/netcom/2542">vote électronique</a> et non par une procédure proche de celle des élections municipales. Quel que soit le résultat de la votation, il y a déjà là un geste fort, une affirmation de la volonté d’une régulation locale de cette nouvelle économie numérique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201020/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Jeannot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On a parfois l’impression que la régulation des plates-formes doit se construire à une échelle toujours plus importante, celle des États ou de l’Union européenne. Ici, c’est une mairie qui intervient.Gilles Jeannot, professeur de sociologie, École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1991722023-02-13T20:38:16Z2023-02-13T20:38:16ZL'économie numérique va-t-elle provoquer une « fuite des cerveaux » à l’envers ?<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/transition-numerique-27801">Digitalisation de l’économie</a>, développement des <a href="https://theconversation.com/voyages-daffaires-low-cost-le-Covid-a-bouscule-le-secteur-du-transport-longue-distance-187317">transports low-cost</a> et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/teletravail-34157">télétravail</a> sont autant de facteurs ayant œuvré à l’émergence d’un nouveau mode de vie mêlant emploi et voyage touristique. Celles et ceux qui exercent leur activité professionnelle à l’aide des nouvelles technologies de l’information et de la communication tout en effectuant des migrations fréquentes sont nommés « nomades digitaux » et ce depuis plus de 25 ans. On doit l’appellation à <a href="https://www.wiley.com/en-us/Digital+Nomad-p-9780471974994">Tsugio Makimoto et David Manners</a>, respectivement docteur en informatique et écrivain, auteurs d’un ouvrage du même nom en 1997.</p>
<p>Bien qu’il reste difficile d’estimer aujourd’hui leur nombre précisément, <a href="https://www.twoticketsanywhere.com/digital-nomad-statistics/">plusieurs millions</a> de personnes dans le monde seraient concernées. Certains choisissent de tout lâcher pour vivre comme un « back packer » (ce que l’on peut traduire littéralement en « porteur de sac à dos » ou en « routard » éventuellement) ; d’autres préfèrent y consacrer seulement quelques semaines dans leur carrière en passant par des <a href="https://www.digitalnomadsoul.com/digital-nomad-programs/">agences spécialisées</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508056/original/file-20230203-14-kw4sw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Dans les pays occidentaux, la généralisation du télétravail a déjà conduit des centaines d’entreprises à revoir leur politique immobilière en délaissant les grands centres d’affaires métropolitains : on ne compte plus, par exemple, les mètres carrés de <a href="https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/06/11/qui-veut-encore-travailler-a-la-defense_6129788_4497916.html">bureaux vides à La Défense</a>. La frange de leurs salariés ayant choisi le nomadisme bénéficie d’une liberté d’installation, dans la mesure où ils répondent aux contraintes imposées par leur employeur.</p>
<p>Cette liberté bénéficie à certains territoires à fort potentiel touristique et où le coût de la vie reste moindre, particulièrement favorables à l’idée d’accueillir cette population qualifiée pour une durée plus longue que des vacances. De là à assister à un exode et à un décentrement géographique inédit ?</p>
<h2>Des nomades qui se sédentarisent</h2>
<p>Comme nous avons pu le constater au cours de <a href="https://ges.revuesonline.com/article.jsp?articleId=42016">nos recherches</a>, la répartition géographique des lieux privilégiés par ces nomades s’avère très inégale. On voit émerger des « capitales » du nomadisme digital. Elles se trouvent le plus souvent dans des pays du Sud où les prix des biens du quotidien restent relativement faibles comparativement aux revenus des nomades. Il y a par exemple Chiang Mai en Thaïlande ou Medellín, deuxième ville de Colombie en nombre d’habitants.</p>
<p>Encore considérée comme dangereuse il y a quelques années, base opérationnelle du cartel dirigé par Pablo Escobar des années 1970 à sa mort en 1993, la <a href="https://www.voyage-colombie.com/blog/terrain/digital-nomad-colombie">cité colombienne</a> au climat exceptionnel jouit aujourd’hui d’une excellente réputation auprès des nomades numériques. L’arrivée massive de ces individus exerçant leur activité à distance y a modifié la vie de certains quartiers spécialisés dans le tourisme et a conduit à des mutations dans la structure de leur économie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1592580587294183424"}"></div></p>
<p>A Bali où les espaces de <em>coworking</em> et <em>coliving</em> sont légion, on trouve même, comme preuve de l’institutionnalisation du phénomène, une <a href="https://www.greenschool.org/bali/">école</a> accueillant les enfants de nomades digitaux. Avec une partie des nomades numériques qui se sédentarise et, progressivement, cherche à s’ancrer localement, il semble que l’on assiste en fait à une sorte de « fuite des cerveaux à l’envers ».</p>
<p>À la manière des néoruraux, ces individus transportent leur capital social, intellectuel et culturel dans leur bagage. Partant d’un scénario où la transformation de séjours courts en déménagements (de migrations temporaires en migrations résidentielles pour utiliser les termes plus techniques) s’amplifie, cela conduira vraisemblablement certains territoires à atteindre une masse critique, avec l’émergence de véritables <em>clusters</em> de compétences.</p>
<p>Ces derniers bénéficieront aux entrepreneurs désireux de mettre à contribution une main-d’œuvre formée et disponible dans leur projet. Dès lors, cela pourrait renforcer une forme de renversement : les travailleurs qualifiés, souvent occidentaux, quitteront leur pays d’origine pour une installation durable dans certains pays du Sud jouissant d’aménités résidentielles et touristiques.</p>
<p>C’est ici la localisation des facteurs de production qui est questionnée. Après avoir attiré des capitaux pour développer leur industrie, certains territoires cherchent volontairement à capter ce flux de travailleurs mobiles.</p>
<h2>Vigilance tout de même</h2>
<p>À court terme, le phénomène apporte une manne financière supplémentaire avec l’arrivée d’un nouveau type de touristes-résidents séjournant plus longtemps. C’est pourquoi, sur l’archipel portugais de <a href="https://digitalnomads.startupmadeira.eu/about-us/">Madère</a>, le gouvernement régional mène un projet pilote de « village de nomades » en visant des retombées positives pour les habitants.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cet effet d’aubaine ne peut cependant pas être pris à la légère. L’attractivité nouvelle induit des conséquences négatives telles que la hausse du prix de l’immobilier accompagnée d’une forme d’« airbnbisation », voire de gentrification. Les ambitions ne doivent pas écarter, à plus long terme, la nécessité pour les territoires concernés de faire preuve de vigilance pour éviter le renforcement d’inégalités économiques et sociales déjà conséquentes en de nombreux endroits. Si une <a href="https://iamaileen.com/digital-nomad-visa-countries/">cinquantaines de pays</a> développe aujourd’hui des visas spécifiques pour nomades, ils doivent aussi se préoccuper de la façon dont ils gèrent l’arrivée de populations dont les revenus sont nettement supérieurs à ceux des populations locales.</p>
<p>Comment s’assurer de la bonne articulation avec les écosystèmes locaux et éviter le risque d’aboutir à des bulles d’activités économiques, des communautés hors sol, dont la production ne ruisselle pas localement, sans externalités positives ? Certaines initiatives tentent déjà d’y répondre. Au <a href="https://angkorhub.com/">Angkor Hub</a> à Siem Réap, au Cambodge, est poursuivi l’objectif d’un encastrement territorial par la rencontre des entrepreneurs locaux avec les nomades numériques, du mentorat et des formations. Pour les territoires concernés, l’institutionnalisation de cette pratique offre en tout cas sans doute autant d’opportunités que de problèmes à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199172/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Marinos a reçu des financements de l'Université Bretagne Sud</span></em></p>Avec le développement du télétravail, des « nomades numériques » commencent à se sédentariser, et de préférence dans des villes touristiques des pays du Sud où le coût de la vie est moindre.Clément Marinos, Maître de conférences en économie régionale, membre du Laboratoire d'Economie et de Gestion de l'Ouest, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1980012023-01-22T16:21:49Z2023-01-22T16:21:49ZLa place du numérique dans le secteur financier en Afrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504923/original/file-20230117-11094-ehxq9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C6000%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le paiement par carte ou par téléphone mobile se généralise rapidement sur le continent africain.
</span> <span class="attribution"><span class="source">i_am_zews/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’inclusion financière est un enjeu économique et social majeur dans le monde entier. Le numérique est de plus en plus utilisé comme levier, à travers notamment les technologies financières. Celles-ci connaissent un développement important et l’Afrique n’est pas en reste de cette dynamique. Comment un écosystème de Tech financière africaine se crée-t-il ? Quels sont ses acteurs, quel est son marché et quels sont les défis auxquels cet écosystème est confronté ?</p>
<h2>Le numérique en Afrique : un marché à haut potentiel</h2>
<p><em>Un engouement généralisé vis-à-vis des Technologies de l’information et de la communication</em></p>
<p>Avant d’évoquer l’inclusion et les technologies financières, il convient de s’arrêter très rapidement sur le contexte africain. Une des grandes richesses de l’Afrique est sans doute la jeunesse de sa population. En effet, 60 % environ de la population du continent a moins de 24 ans et la plupart des jeunes Africains sont fortement intéressés par les technologies numériques. De façon générale, en 2021, <a href="https://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Documents/facts/FactsFigures2021.pdf">83 % des Africains étaient abonnés à la téléphonie mobile et 33 % utilisaient régulièrement Internet</a>.</p>
<p>Ces chiffres, qui mettent en exergue l’engouement des Africains pour ces technologies, révèlent également que quelque 67 % de personnes restent hors ligne, dont une majorité vivant en milieu rural (15 % de connectés contre 50 % en milieu urbain). Ceux qui demeurent en marge d’Internet n’y ont pas accès du fait de multiples obstacles, dont le coût élevé des communications, l’absence de couverture et le manque de compétences nécessaires pour utiliser les outils technologiques.</p>
<p><em>Entre innovation inversée et Jugaad</em></p>
<p>Chose remarquable, le déploiement du numérique en Afrique met en exergue des sortes d’« innovations inversées » – autrement dit, des cas où les produits et services sont d’abord conçus dans les pays en développement avant de revenir, moyennant ajustements, dans les pays développés.</p>
<p>L’exemple du « mobile money » est emblématique avec, notamment, le développement de <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/12/31/les-services-bancaires-mobiles-au-kenya-l-exemple-de-m-pesa">M-Pesa au Kenya</a>. Créé en 2007, M-Pesa est un service électronique de paiement qui permet aux titulaires d’un numéro de téléphone portable d’accéder à une large gamme de services financiers autrement réservés aux détenteurs d’un compte bancaire, à partir de leur propre téléphone mobile. La solution kenyane de <em>mobile money</em> est maintenant utilisée dans dix pays, dont l’Inde et la Roumanie.</p>
<p>À côté des innovations inversées, une autre caractéristique de l’Afrique est le <a href="https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/management/0301334633966-le-jugaad-comment-innover-avec-des-ressources-limitees-320037.php"><em>Jugaad</em></a>, c’est-à-dire une recherche permanente de sobriété et de frugalité dans la mise en place des technologies. On assiste ainsi à des bricolages, à de la récupération et autres arts de faire qui permettent de s’adapter à ce contexte particulier. L’Afrique est donc un chantier immense, un creuset de talents, de créativité et d’innovation. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont poussé les grandes entreprises internationales à installer des centres de recherche en Afrique (<a href="https://www.ibm.com/planetwide/ng/">IBM au Nigéria</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/04/20/le-ghana-poste-avance-de-google-en-afrique_5452859_3234.html">Google au Ghana</a>, etc.).</p>
<h2>Le numérique au cœur de l’inclusion financière</h2>
<p><em>Des technologies qui viennent compenser des insuffisances structurelles</em></p>
<p>L’inclusion financière rend compte de la possibilité pour les individus et les entreprises d’accéder à toute une gamme de produits et de services financiers qui soient d’un coût abordable, utiles, adaptés à leurs besoins et proposés par des prestataires fiables et responsables. Or l’Afrique souffre d’un système bancaire très faible. C’est sur ce terreau qu’émerge la Fintech (« Financial Technology » ou « technologie financière ») africaine, en proposant des solutions qui permettent de dépasser les limites des systèmes financiers classiques. </p>
<p>Elle va au-delà des villes pour toucher les populations rurales, offre aux populations des moyens de paiement adaptés, des services bancaires comme les prêts, les assurances, les remises ; elle facilite les paiements, les transferts d’argent, etc. Le succès des entreprises Fintech tient également de l’augmentation de la possession de smartphones, de la baisse des coûts d’Internet et l’extension de la couverture du réseau.</p>
<p><em>Des mesures en faveur de l’utilisation des technologies financières</em></p>
<p>L’utilisation de la technologie financière, en particulier de la monnaie mobile, est devenue de plus en plus répandue dans un certain nombre d’États membres de l’Union africaine.</p>
<p>En Afrique, le paiement des transactions électroniques est pour l’essentiel effectué en espèces à la livraison (« cash on delivery »), notamment en raison du faible niveau de bancarisation des économies, du développement inégal de la monnaie électronique entre les pays, et de la faible adhésion au paiement avant la livraison, qui résulte souvent d’un manque de confiance des acheteurs en ligne.</p>
<p>Afin de régler les difficultés de transaction entre États, l’Union africaine a mis en place un <a href="https://papss.com/fr/a-propos-de-nous/">Système de Paiement et de Règlement Panafricain</a> (PAPSS) qui permet de faire circuler l’argent de manière efficace et sécurisée entre pays africains. Des systèmes de paiement régionaux numériques ont également vu le jour pour réduire le coût et le temps associés au commerce transfrontalier. C’est le cas du Système régional de paiement et de règlement du <a href="https://www.comesa.int/what-is-comesa/?lang=fr">COMESA</a> (Common Market for Eastern and Southern Africa) et du Système de règlement électronique régional intégré de la <a href="https://housingfinanceafrica.org/fr/regions/southern-african-development-community-sadc/">SADC</a> (Southern African Development Community).</p>
<h2>La montée des fintechs en Afrique</h2>
<p><em>Un marché en pleine croissance</em></p>
<p>La FinTech couvre des domaines variés. Ils vont du paiement mobile au crowdfunding en passant par la gestion d’épargne, l’assurance et crédit, le conseil financier en ligne, la néo-banque et la <a href="https://www.agenceecofin.com/finance/3005-98160-cryptomonnaies/blockchain-au-moins-304-millions-investis-sur-les-societes-actives-en-afrique-depuis-debut-2022">cryptomonnaie</a>. Il faut dire que la FinTech est un des moteurs de la croissance technologique africaine. Elle représente <a href="https://partechpartners.com/press-room/pr%C3%A9sentation-du-rapport-partech-africa-2021-l%C3%A9cosyst%C3%A8me-de-la-tech-africaine-poursuit-son-essor-avec-52-milliards-de-dollars-de-fonds-lev%C3%A9s-en-equity-et-6-milliards-en-incluant-la-dette/">3,2 milliards de dollars soit 63 % des financements</a>. Les cinq sociétés africaines devenues licornes en 2021 sont toutes, à l’exception d’<a href="https://andela.com/">Andela</a>, des entreprises du domaine de la Fintech (<a href="https://flutterwave.com/cm/">Flutterwave</a>, <a href="https://www.opayweb.com/">Opay</a>, <a href="https://www.wave.com/fr/about/">Wave</a>, <a href="https://chippercash.com/">Chipper Cash</a>).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504910/original/file-20230117-18-bdarwc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure n°1. Liste des grandes entreprises de la FinTech.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Données PARTECH PARTNERS, 2021</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2020, on dénombrait 674 entreprises FinTech actives en Afrique, dont environ 80 % d’origine nationale. Le secteur des paiements domine l’arène FinTech africaine, avec <a href="https://smartafrica.org/knowledge/blueprint-for-e-payments-for-the-facilitation-of-digital-trade-across-africa/">45 % des transactions et 24 % du capital-risque total</a>. Selon <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/development/dynamiques-du-developpement-en-afrique-2021_cd08eac8-fr">l’édition 2018 du rapport Africa’s Development Dynamics on Growth</a>, [CUA/OCDE], l’Afrique utiliserait plus les banques mobiles que toutes les autres régions en développement réunies.</p>
<p><em>Un développement inégal</em></p>
<p>Si le marché africain semble important, les réalités diffèrent en fonction des pays. On note par exemple qu’en 2020, plus de 40 % de la population a un compte de monnaie mobile actif au Bénin, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, correspondant pour chacun de ces trois pays à un volume de transactions en monnaie mobile de plus de 40 % de leur PIB national. À l’inverse, moins de 10 % de la population a un compte de monnaie mobile actif en Guinée Bissau et au Niger, pour un volume de transactions électroniques qui représente <a href="https://unctad.org/fr/webflyer/etats-membres-de-la-communaute-economique-des-etats-de-lafrique-de-louest-evaluation-de">moins de 5 % du PIB</a>.</p>
<h2>Une croissance soutenue attendue dans les prochaines années</h2>
<p>Si le développement de la FinTech africaine est une réalité, on ne saurait oublier de relever quelques fragilités, dont l’absence de véritable interopérabilité entre les plates-formes, le faible taux de bancarisation, la faiblesse des systèmes d’identification, et la taille encore réduite des entreprises de la Fintech.</p>
<p>Toutefois, malgré ses faiblesses on constate déjà une véritable dynamique avec des fortes incidences sur l’économie africaine. <a href="https://www.mckinsey.com/industries/financial-services/our-insights/fintech-in-africa-the-end-of-the-beginning">L’analyse du cabinet McKinsey</a> estime que le marché des services financiers en Afrique pourrait croître d’environ 10 % par an, atteignant environ 230 milliards de dollars de revenus d’ici 2025.</p>
<hr>
<p><em>Pour une analyse plus détaillée de ces questions, lire <a href="https://www.collectionreperes.com/l_economie_africaine_2023-9782348077654">« L’économie africaine 2023 »</a>, paru aux éditions La Découverte en janvier 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198001/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Kiyindou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La numérisation du secteur financier se déroule à grande vitesse en Afrique. Des multinationales y installent de grands bureaux et des sociétés locales spécialisées y éclosent.Alain Kiyindou, Professeur des universités, Chaire Unesco Pratiques émergentes et communication pour le développement, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1958412022-12-06T19:05:54Z2022-12-06T19:05:54ZNetflix, Amazon, Tesla… Derrière les modèles d’abonnements et de location, les déboires des clients<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498677/original/file-20221202-15-zhfn25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=262%2C19%2C928%2C743&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les services en ligne contribuent notamment à accroître le niveau de dépenses contraint des ménages.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixnio.com/media/banknote-cash-cost-investment-loan">Bicanski/Pixnio</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les années 2010 ont consacré l’âge de l’accès : fût-ce à travers l’abonnement ou la location, les consommateurs ont progressivement pris l’habitude – et même décidé – de se passer des droits de propriété que leur transférait le producteur à l’achat d’un bien. En d’autres termes, la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1509/jm.15.0109">valeur d’usage</a> des biens et services a progressivement supplanté la valeur d’échange de ces derniers.</p>
<p>Se sont ainsi développés des services aussi divers que ceux de streaming audio ou vidéo (location d’un catalogue auquel l’accès ne tient que tant que l’utilisateur est abonné au service – Netflix, Spotify, Deezer, etc.), l’accès à un véhicule à tout moment (Uber), à des vêtements (le Closet, Rent the Runway), ou même la location de couches lavables (Popopidoux, Coco couche).</p>
<p>Au-delà de l’accès au bien lui-même a aussi émergé, grâce à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/internet-des-objets-21322">Internet des Objets</a> (IoT pour « Internet of Things »), qui renvoie à la connectivité dont peut être doté tout type d’objet afin de se connecter à d’autres objets ou systèmes applicatifs), un accès de plus en plus fin à certaines caractéristiques du bien.</p>
<h2>Revenus récurrents</h2>
<p>Cela a généré de nouveaux types de <em>business models</em>, directement inspirés du fonctionnement des smartphones et de leurs écosystèmes d’applications mobiles (j’achète mon smartphone, et j’achète ensuite auprès du fabricant ou d’autres entreprises des applications qui vont en démultiplier sa valeur d’usage). Par exemple, les <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/automobile-la-revolution-des-options-a-la-demande-1880240">constructeurs automobiles</a> proposent maintenant des options à la demande disponibles uniquement sur abonnement : le client achète son véhicule, et peut ensuite décider s’il active ou non les sièges ou le volant chauffants, l’auto-pilote, etc.</p>
<p>Ce type de modèle économique comporte de multiples avantages. Pour les entreprises, tout d’abord, il permet de sécuriser des revenus récurrents et complémentaires (l’argent continue à rentrer après la vente du bien). Les clients, quant à eux, peuvent tester des options, en vérifier l’adéquation à leurs besoins (usages), et enrichir progressivement leur bien selon l’évolution de leurs revenus ou du progrès technique (achat ultérieur d’options inabordables ou inexistantes au moment de l’achat).</p>
<p>Enfin, l’environnement a également à y gagner : une simple mise à jour durant la vie du produit permet de l’améliorer, d’en prolonger l’existence ou d’en rectifier d’éventuels défauts sans nécessairement devoir le remplacer, ce qui est bien plus écologique.</p>
<h2>Au secours, ma porte ne me laisse plus sortir !</h2>
<p>Décrits de la sorte, de tels produits et modèles économiques semblent une panacée, au vu des problèmes que permet indéniablement de résoudre l’accroissement de leur valeur d’usage. Toutefois, ils portent en leur sein de nombreuses limites, dont certaines restent fortement sous-estimées. Or, ces dernières peuvent être à l’origine de ce que nous avions qualifié, dans un article de recherche publié en 2017, de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2394964317726451?journalCode=jcva">destruction de valeur</a> pour le client.</p>
<p>En premier lieu, les clients ne sont pas tous prêts à entendre que le produit qu’ils ont acheté est complet, mais qu’ils ne peuvent en retirer le plein usage qu’à condition de payer à nouveau – et ce, potentiellement pendant toute la durée de vie du produit. Outre que ce point n’est pas toujours d’une immense clarté à l’achat, cela contribue à accroître le niveau de dépenses contraint, non sans conséquences sur le pouvoir d’achat et le niveau d’endettement des consommateurs.</p>
<p>Ensuite, ceci provoque un changement radical de la relation entre un client et son fournisseur. En dépit d’un transfert des droits de propriété du second au premier, ces modèles économiques créent des asymétries en donnant un pouvoir très fort au fournisseur.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Philippe K. Dick l’illustre à la perfection dans son roman <em>Ubik</em>. Écrit en 1966 et publié en 1969 aux États-Unis, il y décrit la situation ubuesque de Joe Chip, un technicien dont l’endettement est tel qu’il ne peut plus sortir de chez lui, n’ayant plus les crédits nécessaires au paiement de chaque ouverture et fermeture de la porte de son logement. S’ensuit un dialogue savoureusement saugrenu entre lui et… sa porte, celle-ci étant automatisée et dotée de parole (et de capacité de prise de décision) grâce à une intelligence artificielle.</p>
<p>Surréaliste ? Tiré par les cheveux ? Vraisemblablement pas, quand on sait que <a href="https://www.theverge.com/2020/2/6/21127243/tesla-model-s-autopilot-disabled-remotely-used-car-update">Tesla a déjà retiré à distance</a>, en 2020, une fonctionnalité d’autopilote à un propriétaire ayant acheté son véhicule d’occasion, au motif qu’il n’avait pas payé le constructeur pour cette fonctionnalité lors de l’achat à l’ancien propriétaire – lequel en avait pourtant fait l’acquisition.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/498680/original/file-20221202-25-yz54vc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498680/original/file-20221202-25-yz54vc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498680/original/file-20221202-25-yz54vc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498680/original/file-20221202-25-yz54vc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498680/original/file-20221202-25-yz54vc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498680/original/file-20221202-25-yz54vc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498680/original/file-20221202-25-yz54vc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">En 2020, le constructeur Tesla avait retiré à distance une fonctionnalité d’autopilote à un propriétaire de véhicule.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Tesla,_Paris_Motor_Show_2018,_Paris_%281Y7A1919%29.jpg">Matti Blume/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De même, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/amazon-40118">Amazon</a> a, par le passé, <a href="https://www.zdnet.com/article/why-amazon-is-within-its-rights-to-remove-access-to-your-kindle-books/">supprimé des ouvrages</a> des Kindle (liseuse électronique) de certains clients. La question est donc de savoir jusqu’où peuvent aller des entreprises dont les revenus reposent sur ces modèles économiques.</p>
<p>Ces transformations s’accompagnent donc d’une double nécessité. Tout d’abord, plus de transparence et de clarté de la part des entreprises. Elles ne doivent plus se limiter à une accumulation de pages de conditions d’utilisation, formulées en des termes abscons dans lesquelles se noient leurs clients, mais à l’inverse expliquer clairement jusqu’où elles peuvent aller en termes de modification du produit après son achat – ou durant sa location.</p>
<h2>Situations invraisemblables</h2>
<p>Cependant, cette transparence ne pourra faire l’économie d’un accroissement simultané de la régulation, qui semble indispensable pour au moins deux raisons. La première, pour éviter des situations aussi extrêmes et (en apparence) invraisemblables que celle vécue par Joe Chip, dont on ne peut pourtant s’empêcher de penser qu’elles pourraient bien survenir un jour.</p>
<p>Imaginons un immeuble en feu qui refuserait de laisser sortir ses occupants au prétexte qu’ils n’auraient pas de quoi payer l’ouverture de leur porte ! La seconde raison relève de <a href="https://www.lesechos.fr/thema/mobilites-innovations/voitures-connectees-is-big-brother-watching-you-1140451">l’accès aux données personnelles</a> sur lesquelles s’appuient les entreprises pour leurs offres actuelles et futures, et qui renseignent sur le comportement, les préférences, les usages, etc. de leurs clients.</p>
<p>Outre les <a href="https://theconversation.com/series-et-sport-en-streaming-quand-labondance-doffres-encourage-le-piratage-114754">risques liés à des piratages</a> ou fuites, ces <a href="https://theconversation.com/fr/topics/donnees-personnelles-24311">données</a> utilisées dans le cadre de modèles économiques reposant sur l’usage doivent faire l’objet d’une protection accrue, et être rendues aux clients lorsqu’ils les réclament, au risque que les entreprises ne s’en servent pour encore plus enfermer leurs clients au sein de leur écosystème d’usage – posant de gros problèmes de concurrence. Il suffit de changer (ou d’essayer de changer) de service de streaming musical et de vouloir refaire ses playlists ou autres listes d’albums pour saisir la nature du problème.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Plé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les plates-formes proposant l’accès plutôt que la possession font florès dans tous les secteurs. Mais leurs avantages cachent de nombreuses limites, dont la portée reste largement sous-estimée.Loïc Plé, DIrecteur de la Pédagogie - Full Professor, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1951642022-12-06T19:02:17Z2022-12-06T19:02:17ZPlus ubérisé qu’Uber ? le microtravail numérique dans l’angle mort du droit<p>Vous connaissiez le <em>crowdfunding</em>, manière participative de financer un projet ? Place maintenant au <em>crowdworking</em>. Ces nouvelles formes de travail effectuées par « la foule », via un intermédiaire numérique, connaissent un essor certain mais se révèlent néanmoins être un phénomène difficile à évaluer.</p>
<p>Il repose sur des modèles plus flous encore qu’Uber ou Deliveroo : c’est par exemple <a href="https://www.wirk.io/intelligence-collective/">Wirk.io</a> ou <a href="https://www.malt.fr/">Malt</a>, qui font appel à des contributeurs volontaires, les contrôlent et les évaluent, pour aider des entreprises à être plus productives ; ce sont des sites tels que <a href="https://annuaire.cash/fiche/cashpirate/">CashPirate</a>, <a href="https://featurepoints.com/">FeaturePoints</a> ou <a href="https://www.winminute.com/">WinMinute</a> qui réalisent des sondages où les interrogés sont rémunérés.</p>
<p>Ce sont encore des plates-formes ou des applications proposant des microtâches, la plus connue étant Amazon Mechanical Turk, le « Turc mécanique d’Amazon » qui a donné lieu à la dénomination de <a href="https://www.lesechos.fr/2016/09/les-tacherons-de-lere-numerique-229868">« tâcherons du numérique »</a> pour désigner ceux qui effectuent les missions. Les équivalents français développent aussi un lexique dédié bien identifiable pour nommer leurs microtravailleurs : <a href="https://www.foulefactory.com/">« fouleurs »</a>, <a href="https://bemyeye.com/fr/earn-money/">« eyes »</a>, ou autres <a href="http://tv.clicandwalk.com/">« clicwalkers »</a> ont trouvé place dans les langages.</p>
<p>Ce microtravail numérique s’appuie sur des formes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a> qui bousculent le statut de salarié, la protection qui lui est liée et l’application de la réglementation sociale et fiscale. Les plates-formes classiques reposent sur du travail visible et officiellement indépendant : les chauffeurs Uber ou les livreurs Deliveroo sont inscrits en tant qu’autoentrepreneurs au registre du commerce.</p>
<p>Les microtravailleurs, eux, n’ont aucun statut et sont invisibilisés. Il suffit de s’inscrire sur la plate-forme en ligne ou de télécharger l’application, d’être ainsi réputé accepter les conditions générales d’utilisation et la relation contractuelle est formée.</p>
<p>En <a href="https://theconversation.com/fr/topics/droit-21145">droit</a>, c’est ce que l’on pourrait appeler un <a href="https://web.lexisnexis.fr/newsletters/avocats/10_2016/dossier5.pdf">« contrat d’adhésion »</a>. Contrat non négociable entre un professionnel et un particulier, à accepter dans sa globalité sans possibilité de le négocier, il se rencontre en droit de la consommation et entraîne l’application de mesures protectrices de la partie « faible », à savoir le consommateur, contre des clauses qui pourraient être abusives. Ici, ces relations, invisibles, restent pour l’instant dans l’angle mort de plusieurs branches du droit, celle du travail, de la consommation et même du droit civil classique.</p>
<h2>Un embryon de droits</h2>
<p>Selon les études disponibles, le « salaire » horaire moyen au niveau mondial via ces plates-formes est de <a href="https://www.ilo.org/global/publications/books/WCMS_721011/lang--fr/index.htm">2 euros de l’heure</a>, en violation des conditions minimales d’un travail décent. Mais bien difficile de faire appliquer le droit : face à l’invisibilité du microtravail numérique, il semble impossible de mobiliser les critères d’analyse traditionnels du travail salarié.</p>
<p>Quelles solutions juridiques alors ? Pour les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/plates-formes-31157">plates-formes</a> classiques, de livraison et de transport, un embryon de droits existe. En 2016, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000033013020/2016-08-10/">loi El Khomri</a> a prévu le respect de quelques obligations au bénéfice de leurs travailleurs qui ont un statut juridique d’indépendant. Ils ont également droit à une sorte de <a href="https://www.actu-juridique.fr/social/une-representation-collective-des-travailleurs-des-plateformes-numeriques-a-peine-ebauchee/">représentation collective</a> depuis 2021.</p>
<p>Les juges, eux, ont la possibilité de procéder à une requalification de ces relations contractuelles en relations de travail salarié. C’est ce qu’a fait la Cour de cassation avec <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037787075/">Take It Easy</a> ou <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042025162?isSuggest=true">Uber</a>. Cette reconnaissance a posteriori de la qualité de salarié du travailleur ubérisé est toujours envisageable et entraîne donc l’application du droit du travail.</p>
<p>Mais ce qui vaut pour les plates-formes de type Uber ou Deliveroo, vaut-il pour celles de microtâches ?</p>
<h2>Un statut juridique en question</h2>
<p>Pour l’instant, la réponse est non. Et une décision judiciaire récente montre que les réponses du droit restent aujourd’hui limitées et inadaptées.</p>
<p>Une affaire contentieuse mettant en cause une application de microtravail numérique, Clic & Walk, start-up lilloise, pour délit de travail dissimulé a donné lieu en avril 2022 à une première décision de la <a href="https://www.courdecassation.fr/decision/624bdb60b47c2015fe6b7828">chambre criminelle de la Cour de cassation</a>. Revenons sur cette affaire.</p>
<p>Click & Walk offre à des entreprises la possibilité de collecter des données sur leur clientèle et de bénéficier d’études de marché. Celles-ci proviennent de particuliers, les « clickwalkers » qui téléchargent librement l’application et effectuent des évaluations ou des missions en échange de quelques euros. Pour les juges, on ne retrouvait pas là les éléments caractéristiques d’un contrat de travail salarié que la jurisprudence a fait émerger : un travail réel, une rémunération et un lien de subordination.</p>
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<p>Ce dernier a été défini en 1996 par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007035180/">Cour de cassation</a>, comme un « pouvoir pour l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner le manquement de son subordonné ». Les juges ne l’ont pas observé en l’espèce.</p>
<p>Les <em>clickwalkers</em> sont, arguent-ils, « libres d’accepter ou non les missions disponibles sur l’application et de les abandonner » et « de gérer leur temps comme ils l’entendent ». Le contrôle n’interviendrait qu’après l’exécution de la tâche et non pendant ; la sanction est, elle, uniquement une non-rémunération, conséquence de la non-exécution d’un contrat souscrit volontairement.</p>
<p>Par ailleurs, ces « missions » effectuées par des consommateurs, recrutés pour leur profil et non pour leurs qualifications professionnelles, ne seraient pas des prestations de travail. Pour ces raisons, la Cour de cassation estime que les microtravailleurs ne sont pas des salariés : ainsi, pour les juges, Clic & Walk n’est-elle pas coupable du délit de travail dissimulé.</p>
<p>Une décision critiquable de notre point de vue, car ces tâches semblent avoir tout d’une réelle activité de travail. La possibilité de substituer des vacataires rémunérés voire des sondeurs et la valorisation économique des microtâches réalisées avec des marges énormes sur le client final sont les premiers arguments.</p>
<p>En observant l’existence de directives précises pour réaliser les photos des produits par exemple et un suivi des prestations effectuées ainsi que la possibilité de les rejeter et de ne pas les rémunérer, on pourrait bien identifier le lien de subordination. La <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/02/24/la-plate-forme-lilloise-clic-and-walk-condamnee-pour-travail-dissimule_6030615_3234.html">cour d’appel de Douai</a> avait d’ailleurs, elle, conclu en février 2020 à un délit de travail dissimulé sur la base d’un dossier pénal étayé et convaincant. Un intérêt tout particulier sera ainsi porté aux prochains contentieux par le projet universitaire que nous dirigeons.</p>
<h2>Un enjeu universitaire</h2>
<p>Comment encadrer et réguler cette dématérialisation de la relation d’emploi ? Pourquoi ne pas reconnaître l’existence de ce qui serait une forme particulière de travail dissimulé organisé par les applications numériques ? Peut-on appliquer d’autres cadres juridiques que celui du droit du travail ? Si oui lequel ? Le droit de la consommation et la protection des microtravailleurs contre les clauses abusives ? Le droit classique du droit des obligations et ses mécanismes d’indemnisation en cas d’inexécution contractuelle ?</p>
<p>Tels sont les enjeux d’un travail de recherche universitaire pluridisciplinaire associant chercheurs en droit, en économie et en gestion. Son approche se veut comparée entre France, Italie, Espagne, Belgique, Royaume-Uni et Québec, et européenne. Financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), le <a href="https://cercrid.univ-st-etienne.fr/fr/activites/les-projets-de-recherche/traplanum.html">projet TraPlaNum</a> a déjà conduit à un recensement des plates-formes ou applications numériques de microtravail de type marchand opérationnelles en France. Nous avons dénombré environ 1 000 plates-formes et 400 applications.</p>
<p>Ont été ciblées celles qui exploitent et valorisent, d’une manière ou d’une autre, une prestation de microtravail, moyennant une contrepartie financière, recherchée par la personne qui effectue la tâche. Les objectifs de cette étude empirique sont, outre leur repérage, de proposer une analyse de ces opérateurs pour comprendre leurs modèles économiques et leurs modalités contractuelles de fonctionnement notamment à travers les conditions générales d’utilisation qu’ils imposent.</p>
<p>Un premier <a href="https://livre.fnac.com/a17192143/Emmanuelle-Mazuyer-Regards-croises-sur-le-micro-travail-de-plateforme">ouvrage</a> sur le sujet va ainsi être publié en janvier 2023 et mettre en évidence les lacunes en termes de protection des microtravailleurs numériques et de régulation économique et d’encadrement juridique du microtravail de plate-forme. L’objectif est de sensibiliser les pouvoirs publics, les acteurs économiques et plus largement le grand public.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195164/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le projet TraPlaNum mentionné dans cet article a reçu un financement de l'ANR. Les crédits afférents sont gérés selon les règles habituelles par l'Université Lyon 2. </span></em></p>Les premières jurisprudences ne reconnaissent pas (encore ?) ceux qui participent à des sondages rémunérés ou postent des avis sur des plates-formes comme travailleurs.Emmanuelle Mazuyer, Directrice de recherche au CNRS en droit, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1931402022-10-31T19:09:53Z2022-10-31T19:09:53ZLe monde agricole n’a pas encore pris conscience de tous les avantages du numérique<p>L’agriculture est à la fois <a href="https://agriculture.gouv.fr/infographie-le-secteur-agricole-et-forestier-la-fois-emetteur-et-capteur-de-gaz-effet-de-serre">responsable et victime</a> du réchauffement climatique. Responsable car elle émet près de 20 % des gaz à effet de serre, lesquels sont composés de méthane, issus notamment de l’élevage, de protoxyde d’azote, issu des épandages d’engrais et de dioxyde de carbone provenant de la consommation d’énergie fossile à la ferme. Victime car le réchauffement climatique entraîne des épisodes météorologiques fatals à certaines exploitations agricoles : gels tardifs pour les vignobles, sécheresses pour les grandes cultures, inondations altérant les sols, etc.</p>
<p>La lutte contre le réchauffement climatique constitue donc un enjeu important pour les agriculteurs : un enjeu économique mais aussi sociétal. Le monde agricole et la société en général doivent donc proposer des solutions pour réduire les gaz à effet de serre issus de l’agriculture. Les outils numériques font partie de cet arsenal de solutions.</p>
<h2>Des outils à disposition…</h2>
<p>La digitalisation de l’agriculture, ou <a href="https://theconversation.com/lagriculture-4-0-peut-elle-etre-responsable-185803">agriculture « connectée »</a>, se présente aujourd’hui sous différentes formes. La plus connue est sans doute la modulation des intrants. Celle-ci consiste à utiliser des matériels connectés qui permettent d’épandre des engrais ou des produits phytosanitaires dans la quantité suffisante, au bon moment et bon endroit.</p>
<p>Plusieurs matériels peuvent être utilisés : des boitiers connectés installés sur les rampes d’épandage, des rampes entièrement connectées ou encore des drones qui repèrent dans les champs les endroits où la plante est en stress hydrique, en perte de croissance ou attaquée par des ravageurs. L’épandage d’intrants se fait ainsi de manière précise, ce qui limite le volume d’intrants sur une parcelle.</p>
<p>D’autres outils sont utilisés par les agriculteurs : des <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-oeil-du-web-alsacien/alsace/les-serres-connectees-de-my-food">serres connectées</a> qui permettent de connaître la température et l’hydrométrie à l’intérieure des serres, les capteurs de gel, de température extérieure, de chlorophylle de la plante, etc. Tous ces outils permettant de limiter l’émission de certains gaz à effets de serre et notamment du protoxyde d’azote.</p>
<h2>… mais une faible digitalisation</h2>
<p>Dans une <a href="https://studies.hu/wp-content/uploads/2022/08/2305_Condor.pdf">étude</a> récente, nous montrons cependant que, si le numérique est majoritairement perçu comme un moyen d’augmenter la productivité agricole tout en respectant la planète, les outils et pratiques restent relativement peu répandus dans le secteur agricole – encore moins que dans d’autres secteurs avec des entreprises de la même taille. Dans le même temps, les bénéfices perçus de la digitalisation paraissent plus faibles que dans les autres secteurs.</p>
<p>Si ces résultats peuvent sans aucun doute cacher une importante diversité entre les sous-secteurs du monde agricole et les tailles des exploitations, ils interpellent néanmoins.</p>
<p>Les agriculteurs ne perçoivent pas le sens de la digitalisation, comme si on leur racontait des histoires à propos de l’intérêt écologique et économique de la digitalisation. Ils en concluent qu’il est nécessaire d’envisager autrement la digitalisation, de la présenter sous un angle moins productif et plus social. L’agriculture est, en effet, traversée par de multiples changements qui ne peuvent pas se réduire au changement technologique et à la réduction des gaz à effet de serre.</p>
<p>En creusant un peu plus, nous avons relevé que, en règle générale, les outils digitaux ne s’inscrivaient pas assez dans une logique de transformation numérique globale. Or, l’agriculture n’est pas seulement animée par des enjeux de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.3763/ijas.2010.0583">production écologiquement intensive</a> : des enjeux sociaux sont également à prendre en compte, y compris au sein de la population des agriculteurs, lesquels justifient une nouvelle approche de l’agriculture connectée.</p>
<h2>Pas besoin des discours institutionnels</h2>
<p>Beaucoup d’exploitants aspirent aujourd’hui à changer de vie : à prendre des vacances, du temps avec leur famille, à gérer l’exploitation en distanciel, à être connectés avec leurs pairs, leurs partenaires ou leurs connaissances de manière rapide et fluide. L’agriculture est également traversée par des enjeux sociétaux comme le bien-être animal, la reconnaissance du travail de l’agriculteur, la <a href="https://theconversation.com/agriculture-urbaine-peur-sur-la-campagne-147144">lutte contre l’agri-bashing</a>, la vente directe, l’attractivité des métiers agricoles ou la transmission de l’exploitation.</p>
<p>Les agriculteurs sont aussi des entrepreneurs et des managers : ils ont donc besoin qu’on leur propose des outils de gestion prospectifs leur permettant d’être autonomes dans leurs prises de décision. Ils doivent disposer d’outils de pilotage de leur exploitation comme n’importe quelle entreprise.</p>
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<p>Plusieurs initiatives numériques sont révélatrices de ces changements : le recours à YouTube pour présenter son métier, l’utilisation d’un site marchand pour vendre les produits de la ferme, les colliers connectés pour connaître l’état de santé d’un animal à distance, les applications de gestion de la ferme ou la consultation en temps réel du cours des matières premières, des plates-formes interconnectant les agriculteurs, à des fins d’entraide notamment comme e-farm.com ou Agrifeel. Les exemples de ce type sont nombreux et tranchent avec la vision productive ou productiviste entourant l’agriculture connectée.</p>
<p>Ces nouvelles pratiques montrent qu’on se trompe probablement quant à la manière d’inciter les agriculteurs à se digitaliser. Ces derniers n’ont d’ailleurs probablement pas besoin des discours institutionnels pour le faire. Ils le font d’eux-mêmes, à leur rythme et transmettant la ferme de génération en génération. Ils ont toutefois encore besoin de nouveaux outils pour être plus réactifs en tant qu’agri-managers, pour vivre mieux au quotidien, pour mieux valoriser les métiers de l’agriculture et pour mieux transmettre leur exploitation.</p>
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<p><em>Cette thématique a été abordée les 4 et 5 juillet derniers, dans le cadre de la conférence <a href="https://www.em-normandie.com/fr/disruptechs-agora-dta-2022">DisrupTechs Agora « DTA22 »</a> lors d’un atelier dédié aux technologies disruptives et à l’agriculture. La troisième édition de cette conférence aura lieu les 26 et 27 juin prochain sur le thème des technologies disruptives et de la résilience.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roland Condor a reçu des financements du Crédit Mutuel, de Cerfrance et de la Région Normandie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathilde Aubry est responsable de la chaire Digitalisation et Innovation au sein des Organisations et des Territoires. Elle a reçu des financements du Credit Agricole Normandie et du groupe PTBG.
De plus, l’étude évoquée, dans cet article, a été permise par la mise en place d’une grande enquête menée par le Conseil régional de Normandie. Le Conseil régional de Normandie est à l’origine de la création d’un observatoire des transformations numériques en partenariat avec les chambres de commerce, d’agriculture et des métiers, deux laboratoires de recherche (le Metis de l’EM Normandie et le CEREQ de l’université de Caen Basse Normandie), la préfecture et la Banque des Territoires.</span></em></p>Selon une étude, la plupart des pratiques observées aujourd’hui chez les agriculteurs se constituent d’initiatives déployées à petite échelle.Roland Condor, Titulaire de la chaire « Modèles entrepreneuriaux en agriculture », EM NormandieMathilde Aubry, Enseignant-chercheur en économie, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925152022-10-26T18:40:05Z2022-10-26T18:40:05ZLe marketing digital est-il en voie de disparition ?<p>À l’occasion du <a href="https://www.colloquemarketingdigital.com/">21ᵉ Colloque du Marketing Digital</a> organisé en Sorbonne les 8 et 9 septembre 2022, la question de sa disparition possible s’est posée. Avec les premiers développements du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/metavers-111662">métavers</a>, le <a href="https://www.davechaffey.com/digital-marketing-glossary/digital-marketing/">marketing digital</a> tel que nous le connaissons est menacé. Ainsi, les dépenses publicitaires mondiales dans le digital pourraient atteindre un plafond dès 2026 avec une <a href="https://www.offremedia.com/les-depenses-publicitaires-mondiales-dans-le-numerique-dici-2026">croissance de « seulement » 6,8 %</a>. Le marché serait-il donc arrivé à saturation ?</p>
<p>Certes, ces perspectives ne sont pas inéluctables. Cependant, pour faire mentir les prévisions, les acteurs du secteur doivent désormais relever de nombreux défis d’ordre éthique, écologique, juridique et commercial.</p>
<h2>Santé publique et fraude</h2>
<p>En ce qui concerne l’éthique, les problématiques de santé publique sont au cœur des récents débats. Les <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/2910">problèmes d’addiction ou de dépression</a> liés aux réseaux sociaux sont pointés du doigt depuis longtemps. Les <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/definitions/internet-bulle-filtres-19642/">bulles de filtres algorithmiques</a> qui enferment l’internaute dans ses croyances sans possibilité de changer d’avis sont souvent dénoncées.</p>
<p>Par ailleurs, certaines pratiques sur le web posent question. Nous citerons la publicité digitale qui souffre de façon structurelle de fraudeurs à l’inventivité sans limites. Création de faux comptes, usage de bots, faux avis client… toutes ces techniques devraient coûter <a href="https://www.influencia.net/la-fraude-publicitaire-numerique-a-genere-697-milliards-de-dollars-de-pertes-en-2022/">697 milliards de dollars au marché en 2022</a>. L’industrie des faux influenceurs et faux followers représenterait <a href="http://blog.hivency.com/fr/les-marques-perdent-13-milliard-de-dollars-%C3%A0-cause-des-fake-influenceurs">1,3 milliards de dollars par an</a>. S’ajoute à ces chiffres, la perte de confiance, notamment des « millennials », <a href="https://www.airofmelty.fr/marques/80-jeunes-de-gen-z-ne-confiance-aux-avis-influenceurs-23988.html">envers les influenceurs</a>… Quelques initiatives comme la certification RSE (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises</a>) des influenceurs visent à regagner cette confiance, mais le mal semble déjà fait…</p>
<h2>Sobriété et empreinte carbone</h2>
<p>À l’heure de la sobriété énergétique, il semble en outre que le marketing digital ne soit pas vraiment écoresponsable… Les impacts écologiques du web sont réels. En 2019, le numérique représentait <a href="https://theshiftproject.org/article/climat-insoutenable-usage-video/">4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales</a>. Toutes les données stockées ne sont pas imputables au marketing digital, mais la part de celui-ci est importante.</p>
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<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044327272">loi REEN</a> (visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France et parue au Journal officiel du 16 novembre 2021), les data centers verts, la <a href="https://www.sri-france.org/2021/10/12/sri-publie-referentiel-de-calcul-de-lempreinte-carbone-de-diffusion-campagnes-digitales/">calculatrice de l’empreinte carbone</a> des campagnes digitales, les initiatives pour réduire cette consommation sont nombreuses mais encore timides.</p>
<h2>Coopération et protection des données</h2>
<p>Sur le plan juridique, la difficulté de créer de vrais partenariats entre acteurs aboutit à une suite ininterrompue de conflits : <a href="https://www.alain-bensoussan.com/avocats/droits-voisins-google-perd-contre-les-editeurs-de-presse/2020/10/09/">procès perdu de Google contre les éditeurs réclamant</a> la rémunération de leurs articles, <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/tracking-de-donnees-personnelles--apple-et-facebook-se-lancent-dans-une-guerre-et-nous-sommes-au-milieu-jean-paul-pinte">guerre Facebook-Apple concernant le tracking publicitaire</a>… Le chantier de la protection des données renvoie le marché à ses propres faiblesses. La fin des cookies tiers publicitaires pour des raisons de respect de la vie privée le déstabilise. Une multitude de solutions technologiques est imaginée, passant de la <a href="https://audreytips.com/glossaire-web/google-sandbox/">Sandbox de Google</a> (une pénalité pour les sites qui abusent des techniques de référencement), aux identifiants uniques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fin-des-cookies-tiers-ne-repond-pas-au-besoin-de-controle-des-internautes-sur-leurs-donnees-180612">La fin des « cookies tiers » ne répond pas au besoin de contrôle des internautes sur leurs données</a>
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<p>Cependant, le marché peine encore à trouver une solution unifiée et compréhensible pour les annonceurs au point que l’on parle aujourd’hui de « cookie apocalypse » renforcée par la tendance des consommateurs à refuser les cookies (<a href="https://www.seedtag.com/fr/">près du tiers des Français</a>, selon une étude de l'entreprise technologique Seedtag).</p>
<h2>Snack content, baisse de l’engagement</h2>
<p>Enfin, les défis d’ordre commercial touchent au cœur même le modèle économique du marketing digital fondé sur la publicité. En effet, celui-ci a conduit à des ratés. Preuve en est le réseau social Snapchat qui va supprimer près de 20 % de son effectif suite au ralentissement de la publicité numérique, principal revenu de l’application.</p>
<p>La baisse de l’engagement (clics, commentaires, partage) est parfois spectaculaire. Twitter génère un engagement de <a href="https://lempreintedigitale.com/podcast/taux-engagement-moyen-par-reseaux-sociaux/">0,05 % en moyenne</a>. En outre, <a href="https://www.cbnews.fr/etudes/image-44-francais-utilisent-bloqueurs-publicite-49496">44 % des consommateurs</a> utilisent un bloqueur publicitaire (AdBlock). Selon le Bernstein Research, la tendance du « Snack content » (contenu de quelques secondes diffusé sur des réseaux sociaux comme TikTok) empêche les publicités de s’installer car les <a href="https://www.bernsteinresearch.com/CMSObjectBR/Files/Recruiting/Global%20Internet%20-%20Has%20TikTok%20Ruined%20The%20Internet.pdf">formats sont beaucoup trop courts</a> pour créer attention et adhésion.</p>
<h2>Que faire ?</h2>
<p>Lors de notre intervention au 21<sup>e</sup> Colloque du Marketing Digital, nous avons tenté d’esquisser des axes d’amélioration possible pour faire face à ces nombreux défis. Nous en avons notamment relevé trois :</p>
<ul>
<li><p><strong>la stabilité</strong> : depuis son lancement, Google a connu <a href="https://blog.hubspot.fr/marketing/algorithmes-google">20 mises à jour majeures de son algorithme</a>. À chaque mise à jour, les sites Internet doivent s’adapter pour ne pas perdre leurs positions dans les premières pages du moteur. Les injonctions paradoxales (comme publiez tous les jours sur votre blog mais n’utilisez pas d’outils d’automatisation), les fermetures arbitraires de comptes sur des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter induisent un sentiment de dépendance à des acteurs qui peuvent décider du jour au lendemain de votre mort commerciale ou sociale. Un environnement plus stable permettrait ainsi de concevoir des stratégies de marketing digital moins exposées à ces changements.</p></li>
<li><p><strong>la pédagogie</strong> : La complexité accrue du marché, à cheval entre le marketing et l’informatique rend nécessaire des programmes de formation en libre accès pour les acteurs. Des initiatives existent, à l’image des ateliers numériques proposés par Google ou Facebook, mais elles restent trop parcellaires au regard de la sophistication des modes d’achat. Nous prendrons notamment l’exemple du programmatique (un mode d’achat d’espace en temps réel qui ressemble à ce qui est pratiqué en bourse) dont les différents types d’enchères <a href="https://www.strategies.fr/emploi-formation/management/1048973W/les-metiers-du-programmatique.html">obligent les directeurs marketing à maîtriser les pratiques</a> : en effet, le programmatique représente <a href="https://www.blogdumoderateur.com/publicite-digitale-2022-chiffres-cles-perspectives/">64 % du marché de la publicité en ligne</a>.</p></li>
<li><p>Enfin, <strong>l’interopérabilité</strong> : les acteurs du marketing digital travaillent, de plus en plus, en silo. Messenger ne communique pas avec Gmail. Partager une publication LinkedIn sur Twitter n’est pas prévue dans l’interface de LinkedIn. Cependant, cette prédominance d’écosystèmes fermés devrait se heurter rapidement à la volonté du législateur d’imposer des collaborations.</p></li>
</ul>
<p>Déjà <a href="https://siecledigital.fr/2022/05/17/pourquoi-la-chine-a-t-elle-discretement-developpe-une-plateforme-de-blockchain/">pratiquée en Chine</a>, l’interopérabilité, ou la capacité de systèmes, unités, matériels à opérer ensemble) fait l’objet d’une loi qui va en effet entrer en vigueur dans l’Union européenne, le DMA (ou <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0270_EN.html">Digital Market Act</a>). Ce texte va tenter de limiter les pratiques anticoncurrentielles et d’interdire certaines pratiques comme les applications préinstallées.</p>
<p>Ces trois impératifs pourraient décider de la survie du marketing digital face à un Web 3.0 de plus en plus conquérant et qui ne s’embarrassera pas des « vieux » acteurs du digital. Sans réponse à ces enjeux, Meta-Facebook, Google ou l’ensemble des réseaux sociaux tels que nous les connaissons pourraient alors être balayés par des sociétés issues de la blockchain, des cryptomonnaies et des jetons numériques non fongibles (NFT).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192515/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le ralentissement du marché oblige aujourd’hui les acteurs à relever des défis de plusieurs ordres : éthique, écologique, juridique et commercial.Maria Mercanti-Guérin, Maître de conférences en marketing digital, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolFabienne Torrès-Baranes, Docteure en Sciences de l'Information et de la Communication, Université Paris-Panthéon-AssasJean-François Lemoine, Professeur en sciences de gestion, spécialisé en marketing digital, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924232022-10-18T16:46:43Z2022-10-18T16:46:43ZDMA : la nouvelle législation européenne suffira-t-elle à encadrer les GAFAM ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489531/original/file-20221013-20-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C179%2C1144%2C718&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Parlement européen (photo) et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le Digital Markets Act l’été dernier.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Debate_European_Parliament_%27Copyright_in_the_digital_Single_Market%27_11-9-2018.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 12 octobre 2022, la version finale de la nouvelle législation de l’Union européenne sur les marchés numériques, dite <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0270_EN.html">Digital Markets Act</a> (DMA), était publiée. Cette réglementation du Conseil et du Parlement européen est entrée en vigueur le 1<sup>er</sup> novembre 2022, et ses principales règles commencent à s’appliquer ce 2 mai 2023. Cette loi inédite a vocation à réglementer les pratiques commerciales des « digital gatekeepers », que l’on peut traduire par « contrôleurs d’accès » aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/plates-formes-31157">plates-formes</a>.</p>
<p>Fournisseurs de services <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-asma-mhalla-les-services-des-gafam-sont-devenus-une-commodite-indispensable-170272">devenus essentiels</a>, les grandes sociétés de numérique, et en premier lieu les Google, Apple, Facebook, Amazon and Microsoft (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/gafam-45037">GAFAM</a>), constituent désormais un passage obligé pour les entreprises qui cherchent à se rapprocher de leurs utilisateurs finaux. L’incidence des contrôleurs d’accès sur le marché interne est donc non négligeable et leur positionnement commercial leur confère une domination présente ou future.</p>
<p>Si la DMA n’est pas une panacée, elle est le gage d’une réglementation bien plus efficace que le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/droit-europeen-107798">droit européen</a> de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/concurrence-22277">concurrence</a> pour limiter les positions de domination de marché des GAFAM et d’une refonte de leurs pratiques.</p>
<h2>Quelle finalité pour la DMA ?</h2>
<p>Cette loi répond aux constatations de plusieurs expertises ayant débuté en 2019, comme le <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/785547/unlocking_digital_competition_furman_review_web.pdf">UK Furman Report</a>, le <a href="https://www.chicagobooth.edu/research/stigler/news-and-media/committee-on-digital-platforms-final-report">US Stigler Report</a> et le <a href="https://ec.europa.eu/competition/publications/reports/kd0419345enn.pdf">EU Vestager Report</a> qui concluent que les cinq GAFAM règnent sans partage sur les marchés des plates-formes essentielles.</p>
<p>Ces rapports sont formels : la forte subordination du marché à cette poignée d’acteurs découle d’un concours de circonstances congénitales liées aux marchés des plates-formes : fort effet de réseau (la valeur d’un service s’accroit en fonction du nombre d’utilisateurs), haut rendement de l’utilisation des données, économies d’échelle et de gamme, facilité d’exploitation des inclinations des consommateurs en ligne, etc.</p>
<p>Additionnées, ces circonstances favorisent l’émergence sur le marché d’un ou deux acteurs hégémoniques. Une fois cet état de domination consommé, des obstacles à l’entrée découlant des facteurs précités entravent la concurrence, même lorsque l’offre alternative est de meilleure qualité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1171892685550096384"}"></div></p>
<p>La législation vise un double objectif : d’abord, abaisser les obstacles à l’entrée ; ensuite, créer des conditions plus équitables pour les entreprises et les utilisateurs finaux en encadrant les conditions d’utilisation. De ce fait, les « digital gatekeepers » visés seront tenus de respecter un ensemble de règles rigoureuses. Il est fort à parier que la Commission européenne, autorité de désignation des contrôleurs, signalera les GAFAM. Toutefois, certaines plates-formes européennes clés pourraient y échapper.</p>
<h2>Des règles draconiennes malgré les pressions</h2>
<p>Une fois visé, les contrôleurs d’accès disposeront de six mois pour se conformer aux 22 règles des articles 05 à 07 de la législation. Ils devront, par exemple, partager leurs données avec la concurrence et leurs clients, permettre les transferts d’applications (<em>side-loading</em>) effectués en dehors de leur magasin d’application, assurer l’interopérabilité de certains systèmes de communication, rendre publiques les techniques de fichage et s’abstenir de favoriser leurs propres services dans les résultats de recherche.</p>
<p>Il est difficile de prévoir comment, touchés en plein cœur, les GAFAM réagiront. Tout manquement sera en effet sanctionnable d’une amende sévère : à la moindre violation, le contrôleur encourra une amende de 10 % de son chiffre d’affaires à l’échelle planétaire. Un contrôleur récidiviste verra ce montant atteindre 20 %, et pourrait être interdit de toutes fusions et acquisitions. Cette législation sera appliquée par la Commission, sous le contrôle de la Cour de Justice de l’UE.</p>
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<p>Si d’autres juridictions majeures comme les <a href="https://www.promarket.org/2021/06/29/house-antitrust-bills-big-tech-apple-preinstallation/">États-Unis</a> et le <a href="https://www.gov.uk/government/consultations/a-new-pro-competition-regime-for-digital-markets/outcome/a-new-pro-competition-regime-for-digital-markets-government-response-to-consultation">Royaume-Uni</a> ont envisagé des réglementations analogues, cette législation est à ce jour la plus étendue et complète de toutes. Cette expérience juridique complexe impliquera d’ailleurs des coûts d’application importants pour la Commission et les contrôleurs.</p>
<p>La réglementation a ses détracteurs, notamment les sociétés technologiques américaines qui se plaignent d’un <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/24/technology/eu-regulation-apple-meta-google.html">traitement inéquitable</a>. Elles qui soutiennent que la législation, portant préjudice à la qualité des services et à l’innovation des GAFAM, nuira aux consommateurs européens.</p>
<p>Les GAFAM ont d’ailleurs mené une <a href="https://www.politico.eu/article/big-tech-boosts-lobbying-spending-in-brussels/">campagne de lobbying</a> soutenue pour faire dérailler ou écorner la proposition initiale de la Commission, mais force est de constater que ce fût peine perdue. Le texte final a même pris une tournure draconienne. Le Parlement européen a donc été un acteur décisif dans l’extension de la liste des services visés par la législation, l’ajout de nouvelles règles et le renforcement des pénalités.</p>
<h2>La demi-victoire des autorités nationales</h2>
<p>Les GAFAM ne sont pas les seuls mécontents. Pourtant d’accord sur le fond, les autorités de la concurrence des États membres, <a href="https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Downloads/M-O/non-paper-friends-of-an-effective-digital-markets-act.pdf">l’Allemagne, la France et les Pays-Bas</a> en tête, appelaient à davantage d’appropriation nationale dans la mise en œuvre.</p>
<p>Dans une rare <a href="https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/DMA--JointEUNCAspaper.pdf">déclaration conjointe</a>, les 27 autorités ont soutenu que, fortes de leurs compétences et ressources, elles étaient en mesure d’appuyer son application.</p>
<p>À noter qu’une fois en vigueur, cette législation ôtera aux autorités nationales leur compétence en matière de réglementation des contrôleurs et leur reléguera uniquement les questions de concurrence appelant à une évaluation ponctuelle de l’influence des acteurs économiques sur les marchés et les incidences de leurs pratiques. Par exemple, la section 19a de l’ambitieuse <a href="https://www.bundeskartellamt.de/SharedDocs/Meldung/EN/Pressemitteilungen/2021/19_01_2021_GWBNovelle.html">loi allemande contre les restrictions de la concurrence</a> (GWB), adoptée en janvier 2021 en vue de lutter contre les géants du numérique, pourrait être rendue caduque par la DMA.</p>
<p>Les autorités nationales n’ont finalement remporté qu’une victoire en demi-teinte. En effet, dans son ultime mouture, la législation habilite les autorités nationales à lancer des enquêtes et recueillir des éléments de preuve. Toutefois, afin d’harmoniser son application, la Commission reste seule compétente en matière d’appréciation des pratiques et de prise de décisions quant aux éventuelles atteintes.</p>
<h2>Le spectre de l’application privée</h2>
<p>L’application de la loi par la Commission sera certainement complétée par l’action privée. La DMA ne prévoit pas explicitement que les acteurs privés ayant subi un préjudice du fait du manquement au regard de la législation sont en droit réclamer des indemnisations à une plate-forme. Cependant, l’article 42 énonce que la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A32020L1828">directive 2020/1828 relative au recours collectifs</a>, opposable dans les cas d’infraction au droit communautaire, s’appliquera aux violations de la DMA. Il est donc probable qu’une fois que la Commission aura rendu ses premiers avis, des recours en justice soient entendus.</p>
<p>La DMA conjugue, à raison, de nombreux éléments clés du RGPD et demande instamment à la Commission de travailler avec les instances européennes de protection des données sur certains points. En effet, comme ne l’avions souligné dans un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4089978">article</a> de recherche récent, la réglementation des modèles commerciaux fondés sur l’exploitation des données appelle une approche interdisciplinaire et interinstitutionnelle, une donne longtemps peu connue du droit européen de la concurrence.</p>
<h2>Quelle adaptation possible des règles ?</h2>
<p>La législation a été critiquée pour son franc <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4021843">recours aux règles de principe</a>, à savoir les règles proscrivant une pratique donnée, sans obligation de démontrer ses effets délétères. Peu coûteuses et rapidement déployables, ces règles promettent d’être beaucoup plus d’efficaces que celles du droit de la concurrence.</p>
<p>En effet, l’abus des règles relatives aux positions dominantes énoncées dans <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A12008E102">l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE</a>), qui impose une appréciation économique approfondie du pouvoir de marché de l’acteur à l’examen et des effets potentiels de ses pratiques sur les conditions de concurrence, font durer les enquêtes pendant plus de 5 ans en moyenne.</p>
<p>Certes, les règles de principe ne sont pas sans défaut. Cette approche est inflexible et féconde d’erreurs : certaines pratiques non préjudiciables dans les faits peuvent être proscrites (faux positif), alors que d’autres, clairement néfastes, peuvent être autorisées (faux négatif). En outre, ces règles peuvent être contournées, si une société exploite les failles juridiques en modifiant ses pratiques de sorte que sa position de domination ne soit en rien affaiblie.</p>
<p>Cependant, la dernière version de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/digital-markets-act-dma-128496">DMA</a> est munie de dispositifs permettant à la Commission d’infléchir les règles contre-productives, et surtout, d’intervenir pour les mettre à jour, en vertu des règles de non-contournement.</p>
<p>S’il appartient à la Commission d’invoquer ces dispositifs et si la DMA est, par essence, plus tolérante vis-à-vis des faux positifs que des faux négatifs, Bruxelles peut adapter ses règles rapidement si elles ne produisent pas les résultats escomptés. L’on peut donc espérer que la Commission surveillera de près les incidences de la législation sur les entreprises et les consommateurs et qu’elle n’hésitera pas à intervenir, si nécessaire. Pour cela, les outils existent.</p>
<h2>La DMA répondra-t-elle à l’exercice ?</h2>
<p>Cependant, la DMA n’encadre pas la question de l’acquisition par des contrôleurs. Sur une période relativement courte, les GAFAM ont ensemble phagocyté plus de 800 sociétés, pour la plupart des start-up innovantes porteuses de technologies complémentaires. Malgré les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0003603X221082748?journalCode=abxa">inquiétudes croissantes</a> que suscitent ce phénomène et que nous observions dans une recherche récente, les autorités européennes de la concurrence et leurs homologues américaines n’ont jamais interdit ne serait-ce qu’une seule de ces acquisitions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-gafam-acquereurs-de-start-up-predateurs-ou-accelerateurs-de-linnovation-189603">Les GAFAM acquéreurs de start-up, prédateurs ou accélérateurs de l’innovation ?</a>
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<p>Il est donc légitime de se demander si les règles européennes existantes sur les fusions et acquisitions, élaborées à l’ère de l’économie des enseignes physiques, seront à la hauteur des enjeux du numérique. L’UE aurait pu profiter de l’occasion pour revoir les théories de préjudice et des normes de preuve utilisées dans le droit européen des fusions afin de l’adapter à l’économie des plates-formes.</p>
<p>La DMA ne s’applique que pour les services de plate-forme essentiels proposés aux utilisateurs établis ou situés dans l’UE, mais pas au-delà. Il reste à voir si <a href="https://www.brusselseffect.com/">« l’effet Bruxelles »</a> réapparaîtra et si les contrôleurs appliqueront d’eux-mêmes les règles européennes dans d’autres juridictions, ou, s’il est réaliste et rentable pour les contrôleurs de suivre des règles moins strictes dans les juridictions plus laxistes (voire totalement permissives). Il est permis de penser que la mise en conformité s’arrêtera là où les contreparties seront trop onéreuses pour les plates-formes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne C. Witt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Digital Market Act, qui doit entrer en vigueur prochainement, constitue la réglementation la plus ambitieuse à ce jour pour limiter les positions dominantes des géants du numérique.Anne C. Witt, Professor of Law, Augmented Law Institute, EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924262022-10-17T15:46:15Z2022-10-17T15:46:15ZLes six impacts de la blockchain sur la profession d’audit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489540/original/file-20221013-23-4wbcws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C31%2C1885%2C1238&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les cabinets d'audit investissent plusieurs milliards de dollars par an dans la technologie blockchain.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.publicdomainpictures.net/fr/view-image.php?image=373594&picture=blockchain">Publicdomainpictures.net</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/blockchain-28780">blockchain</a>, comme d’autres <a href="https://theconversation.com/technologie-numerique-robotique-pour-changer-le-monde-du-travail-de-demain-61421">nouvelles technologies numériques</a> (robotique, big data, analytics, intelligence artificielle, etc.), est en train de <a href="https://www.forbes.fr/business/reinventer-son-business-model-a-lheure-de-la-blockchain/">bouleverser les pratiques au sein des entreprises</a>, y compris dans les <a href="https://www.laprofessioncomptable.com/article/audit-commissaires-aux-comptes/blockchain-et-audit-decollage-imminent">cabinets d’audit</a>, qui ont pour mission de certifier les comptes et d’apporter du conseil aux entreprises. Si le système de traitement et de validation de l’information, qui est l’objet même de l’audit, est en train de changer avec la blockchain, cela impacte les activités des cabinets et la manière dont ils concevront à l’avenir leur modèle économique.</p>
<p>Conscients du potentiel de développement très important de la blockchain, les cabinets d’audit investissent <a href="https://ro.uow.edu.au/aabfj/vol12/iss4/6/">plusieurs milliards de dollars par an</a> dans cette technologie. Comme <a href="https://theconversation.com/comment-le-digital-et-les-big-data-vont-transformer-le-metier-des-cabinets-daudit-111656">d’autres technologies</a>, la blockchain présente des défis et des opportunités que les auditeurs doivent comprendre et saisir, au risque de voir leur profession exercée par d’autres sociétés technologiques. Comment la blockchain va-t-elle transformer le métier ? Quelle est la perception des auditeurs des implications possibles de cette technologie sur le <a href="https://www.l-expert-comptable.com/a/529542-la-methodologie-d-audit.html">processus d’audit</a> et le développement de leur métier ?</p>
<p>Sur la base d’une <a href="https://ideas.repec.org/a/cai/jiedbu/jie_pr1_0103.html">étude</a> qualitative menée sur un échantillon d’auditeurs impliqués dans cette technologie au sein des « big four », qui désignent les quatre cabinets d’audit dans le monde, nos résultats montrent que la blockchain pourrait impacter les cabinets d’audit au moins à six niveaux clés.</p>
<h2>1. Vers un audit plus pertinent</h2>
<p>La blockchain facilite la <a href="https://www.pimido.com/business-comptabilite-gestion-management/comptabilite/dissertation/dematerialisation-documents-comptables-539368.html">dématérialisation des documents comptables</a> qui ne sont plus des documents papiers mais des documents électroniques avec une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03319516/">identification unique et inviolable</a>. Cette procédure permet une diffusion simultanée et sécurisée des informations et documents, ce qui donne plus de confiance aux données communiquées entre les différentes parties prenantes.</p>
<p>L’information comptable, qui représentait une information spécifique à chaque entreprise, sera transformée, avec la blockchain, en un système d’information partagé et certifié collectivement.</p>
<p>Selon nos répondants, ce processus a un impact positif sur le travail de l’auditeur. Comme toutes les informations et tous les documents stockés sur une blockchain sont disponibles, les auditeurs pourront accéder à toutes ces informations sans avoir à attendre et à les demander à leurs clients. Un associé de l’un des « Big Four » s’en réjouit :</p>
<blockquote>
<p>« Le processus d’audit peut être effectué à distance, ce qui permet d’économiser du temps et des coûts précédemment consacrés à la collecte et à la vérification des preuves. »</p>
</blockquote>
<p>Ce gain de temps permettra aux auditeurs de se concentrer sur les activités à forte valeur ajoutée pour le client comme <a href="https://www.ifac.org/system/files/publications/files/FR-Audit-des-estimations-comptables-dans-un-environnement-perturbe-par-la-Covid-19_0.pdf">l’analyse des estimations comptables</a> en fin d’exercice, <a href="https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/feuilletage-les-risques-des-blockchains-N-11271-16257.pdf">l’évaluation des systèmes de contrôle au niveau de la blockchain</a>, <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02129159/document">l’estimation des zones de risques</a>, etc. Ceci a pour conséquence d’augmenter l’efficacité des audits réalisés et d’améliorer la qualité de l’audit.</p>
<h2>2. Vers un audit complet des données</h2>
<p>Actuellement, l’audit est basé sur des données historiques relatives aux états financiers de l’année précédente et ne fournit qu’un <a href="http://cac-associations.fr/dossier/les-diligences-du-commissaire-aux-comptes-lors-de-la-phase-finale-de-controle-des-comptes-annuels">niveau de certification raisonnable</a>. L’opinion de l’auditeur est principalement basée sur une <a href="https://www.cairn.info/l-audit--9782707152800-page-29.htm">approche fondée sur l’analyse des risques</a> associé à l’entreprise, son organisation et son <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=Tfu0VfMZeM4C">système de contrôle interne</a> et sur l’utilisation des <a href="https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-de-l-auditeur-financier-2e-ed--9782100811533-page-92.htm">techniques d’échantillonnage dans les travaux d’audit</a>. Or, comme le souligne un enquêté :</p>
<blockquote>
<p>« En plus d’offrir des informations authentiques et codées, la blockchain offre la possibilité de faire évoluer le processus d’audit d’un contrôle d’une partie raisonnable des informations disponibles à un contrôle exhaustif de toutes les données disponibles… »</p>
</blockquote>
<p>En effet, comme la blockchain offre l’accès à toutes les données de l’entreprise qui deviennent instantanément disponibles, l’auditeur peut, dans ce cas, réaliser un audit utilisant toutes ces données. Cela est notamment possible lorsqu’elle est combinée avec d’autres technologies comme le big data, la robotique et l’analytics.</p>
<h2>3. Vers un audit centré sur le test des contrôles</h2>
<p>Comme certaines transactions frauduleuses peuvent être glissées dans « la chaîne », l’efficacité des contrôles internes entourant la blockchain devient par ailleurs un élément crucial dans le processus d’audit. Ainsi, l’audit portera donc davantage sur le test des systèmes de contrôle mis en place dans la blockchain que sur les tests de transactions comme traditionnellement, souligne une personne interviewée :</p>
<blockquote>
<p>« La véritable question pour l’auditeur ne serait plus de vérifier l’authenticité des transactions conclues, mais plutôt de vérifier l’efficacité des systèmes de contrôle mis en place pour les sécuriser ».</p>
</blockquote>
<p>Face à une blockchain spécifique, l’auditeur devra se concentrer sur des éléments comme la qualité du code de la blockchain, les changements de protocole, la répartition du pouvoir entre les pairs, etc. plutôt que sur des tests de transactions directes pour s’assurer de la fiabilité des informations hébergées sur cette blockchain.</p>
<h2>4. Vers un audit continu</h2>
<p>Aujourd’hui, l’auditeur intervient pour vérifier des informations anciennes relatives à l’exercice passé. L’utilisation généralisée de la blockchain dans les pratiques commerciales va, selon nos répondants, offrir aux auditeurs la possibilité d’élargir leurs champs d’audit en mettant en place un processus <a href="https://revuefreg.fr/index.php/home/article/view/217">d’audit continu</a> permettant la validation des informations dès leur production.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>En effet, plusieurs vérifications d’informations qui faisaient partie du processus d’audit traditionnel (post-clôture) ne seront plus nécessaires si ces informations sont stockées et peuvent être examinées sur une blockchain. Par exemple, l’inventaire qui se faisait manuellement peut être réalisé rapidement et en continu avec la blockchain.</p>
<h2>5. Vers un rôle plus stratégique d’audit</h2>
<p>Une fois la technologie blockchain intégrée et appliquée plus largement, le rôle des cabinets d’audit évoluerait, selon nos répondants, vers un rôle plus stratégique. Compte tenu de la disponibilité des données via la blockchain, l’auditeur sera en mesure d’analyser ces données, de les interpréter pour leur donner du sens et les rendre utiles à la prise de décision des dirigeants. Comme le reconnaît un associé au sein d’un big four :</p>
<blockquote>
<p>« Nos clients ont très souvent perçu l’audit comme un centre de coût à faible valeur ajoutée. La blockchain donne aujourd’hui l’opportunité à la profession de rendre l’audit plus pertinent permettant aux clients d’identifier leurs faiblesses, de faire progresser leurs systèmes de contrôle et de développer leurs activités ».</p>
</blockquote>
<p>L’auditeur peut donc passer d’un simple contrôleur de la fiabilité de l’information à un conseiller stratégique pour son client et donc à un partenaire essentiel.</p>
<h2>6. Vers le développement de nouveaux services</h2>
<p>Enfin, la blockchain donne aux auditeurs l’opportunité de proposer de nouveaux services. Selon nos interviewés, les cabinets d’audit peuvent par exemple jouer le rôle de planificateur et de coordinateur des participants potentiels d’une blockchain. De même, ils peuvent tirer parti de leur expertise en matière <a href="https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Audit-informatique-page-2.html">d’audit informatique</a> pour développer de nouveaux services d’audit du contrôle interne des blockchains, y compris l’intégrité et la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/25/blockchain-securite-des-donnees-pour-les-uns-independance-pour-les-autres_6012937_3232.html">sécurité des données</a>, la gestion du changement et la <a href="https://theconversation.com/comment-la-blockchain-va-changer-la-gouvernance-des-entreprises-84079">gouvernance des blockchains</a> :</p>
<p>Pour que les cabinets d’audit puissent relever ce dernier défi, comme les cinq décrits précédemment, et réussir cette transition d’ampleur, ils doivent donc prendre les devants et investir massivement pour s’approprier la technologie. Cela peut notamment passer par le recrutement de nouvelles compétences technologiques dans l’analyse des données, l’acquisition de start-up spécialisées dans la blockchain et la formation du personnel existant afin qu’il puisse s’adapter aux défis futurs.</p>
<p>En outre, les cabinets d’audit doivent aussi développer une culture de l’innovation dans toutes leurs unités opérationnelles pour garantir l’évolution de leur offre de services et s’adapter aux nouveaux besoins du marché.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192426/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les premières applications dans les plus grands cabinets montrent notamment que les auditeurs devraient gagner du temps pour proposer des services à plus forte valeur ajoutée à leurs clients.Riadh Manita, Professeur associé, Neoma Business SchoolNajoua Elommal, Enseignant chercheur, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1865022022-09-12T22:46:27Z2022-09-12T22:46:27ZLa taxe mondiale sur les multinationales est-elle vraiment une opportunité pour l’Afrique ?<p>Avec l’essor mondial de géant comme Amazon, Facebook ou encore Netflix, les importations de services numériques ont considérablement augmenté en Afrique ces dernières années. Dans les États membres de l’Union africaine (UA), celles-ci sont ainsi passées d’un montant d’environ 19 milliards de dollars en 2007 à 37 milliards de dollars en 2017.</p>
<p><iframe id="rXnfz" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rXnfz/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cependant, les recettes fiscales prélevées sur leurs activités <a href="https://www.cfr.org/blog/when-services-trade-data-tells-you-more-about-tax-avoidance-about-actual-trade">restent faibles</a>. En effet, les entreprises numériques bénéficient de l’absence d’obligation directe de payer des impôts dans les pays où elles ne sont pas résidentes. Face à ce problème de déperdition fiscale, certains États mettent en œuvre des taxes directes sur les bénéfices de ces sociétés (dite taxe GAFA). En Afrique, le <a href="https://businessday.ng/bd-weekender/article/digital-taxation-an-infant-in-nigeria-a-giant-abroad-mobolaji-oriola/">Nigeria</a>, le <a href="https://theconversation.com/kenya-is-moving-aggressively-to-tax-digital-business-what-next-163901">Kenya</a> et le <a href="https://itweb.africa/content/kYbe97XDjgZ7AWpG">Zimbabwe</a> disposent désormais d’une législation qui impose directement les opérations numériques des multinationales non résidentes (entre 3 % et 6 %).</p>
<h2>1,3 milliard à récupérer</h2>
<p>Afin de proposer un cadre international harmonisé, le projet relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert des bénéfices (BEPS), réalisé sous l’égide de Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20, a permis d’approuver, en octobre 2021, un <a href="https://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/declaration-sur-une-solution-reposant-sur-deux-piliers-pour-resoudre-les-defis-fiscaux-souleves-par-la-numerisation-de-l-economie-octobre-2021.htm">cadre inclusif</a> reposant sur deux piliers pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie :</p>
<ul>
<li><p>Le premier pilier se concentre sur l’assiette d’imposition et a pour objectif la réaffectation des droits d’imposition vers la juridiction du marché concerné, indépendamment de la présence physique, et concerne de nombreuses entreprises du numérique (les industries extractives et services financiers réglementés sont exclus).</p></li>
<li><p>Le deuxième pilier se concentre quant à lui sur le taux d’imposition et la création de règles coordonnées répondant aux risques actuels provenant de montages financiers qui permettent aux multinationales de transférer des bénéfices vers des juridictions à faible imposition. Il propose ainsi l’adoption d’un taux d’imposition minimum de 15 % et aura peu d’impact sur les économies du continent qui ont déjà des <a href="https://data.worldbank.org/indicator/IC.TAX.PRFT.CP.ZS?locations=ZG">taux supérieurs</a> et peu de siège d’entreprises multinationales. Cependant, le <a href="https://worldinvestmentreport.unctad.org/world-investment-report-2022/chapter-3-the-impact-of-a-global-minimum-tax-on-f">rapport mondial sur l’investissement</a> note qu’en relavant le taux minimum à 15 % cela rendra relativement toutes les juridictions avec un taux supérieurs plus attractives.</p></li>
</ul>
<p>Sur les 25 pays africains membres du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS, 23 sont signataires de la déclaration d’octobre 2021 approuvant cette solution à deux piliers (Kenya et Nigeria ne l’ont pas encore <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/la-communaute-internationale-conclut-un-accord-fiscal-sans-precedent-adapte-a-l-ere-du-numerique.htm">signée</a>, ils devront abandonner leur taxe unilatérale s’ils participent).</p>
<p><iframe id="oNn8K" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oNn8K/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En s’appuyant sur la proposition du BEPS et en utilisant les données entreprises Orbis, il est possible de modéliser les scénarios du pilier 1 pour les services numériques. <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/taxe-sur-le-commerce-numerique-une-opportunite-pour-lafrique">Selon les estimations</a>, les recettes fiscales potentielles pour les 55 États membres de l’Union africaine (EMUA) sont de 1,3 milliard dollars américains par an, soit 0,05 % du PIB.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Comparativement, il s’agit d’un montant supérieur aux recettes qui seraient tirées d’une éventuelle taxe directe sur les services numériques fixée à 3 % des recettes brutes (800 millions de dollars). Il faudrait que celle-ci soit relevée à environ 5 % pour obtenir un montant proche.</p>
<p><iframe id="YNv3X" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YNv3X/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Il convient de noter qu’actuellement, certaines importations de services numériques peuvent déjà être taxées de manière indirecte dans le cadre de <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/9789264271401-en/index.html?itemId=/content/publication/9789264271401-en">taxes à la consommation</a>. Dix-huit des EMUA ont ainsi proposé (ou mettent déjà en œuvre) une taxe indirecte sur les opérations numériques des multinationales (de 12 à 20 %).</p>
<p><iframe id="sWtuM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/sWtuM/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Un pilier très large</h2>
<p>Cependant, si on appliquait les taux TVA et autres <a href="https://read.oecd-ilibrary.org/taxation/revenue-statistics-in-africa-2021_c511aa1e-en-fr#page1">taxes à la consommation existantes dans les 55 pays</a> au commerce de service numérique, en moyenne les recettes potentielles pour les EMUA auraient été de 0,22 % du PIB (en 2017) si les recettes étaient <a href="https://www.brookings.edu/research/mobilization-of-tax-revenues-in-africa/">effectivement collectées</a>. Les estimations indiquent que les revenus seraient donc nettement supérieurs ceux générés par une taxe directe proposée par le pilier 1 de la déclaration.</p>
<p><iframe id="N9MSI" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/N9MSI/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Si la mise en œuvre <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/9789264271401-en/index.html?itemId=/content/publication/9789264271401-en">complète et effective</a> de la collecte transfrontalière des taxes à la consommation existante sur les importations de service numérique pourrait théoriquement générer des recettes fiscales plus élevées que celles du pilier 1 du programme BEPS, il convient de noter que les propositions du premier pilier du BEPS vont au-delà des seules sociétés de services numériques et généreront probablement des revenus substantiels. En effet, ce piler 1 intègre en plus de ses sociétés numériques toutes les EMN dès lors qu’elles utilisent des canaux numériques de distribution. </p>
<p>Comment expliquer cet écart ? Le pilier 1 stipule qu’afin d’être éligibles à ce droit de taxation, les pays doivent recevoir au moins 1 million d’euros de recettes par multinationale concernée, ce qui exclut <em>de facto</em> les économies africaines de ce modèle d’allocation des recettes fiscales, à l’exception des 12 plus grandes économies du continent en termes de PIB (Soudan, Côte d’Ivoire, Tanzanie, Ghana, Kenya, Éthiopie, Maroc, Angola, Algérie, Égypte, Afrique du Sud et Nigeria).</p>
<p>Ceci dit, le cadre inclusif prévoit une exception pour les économies dont le PIB est inférieur à 40 milliards d’euros, en leur attribuant un droit d’imposition à partir d’un seuil de 250 000 euros. </p>
<h2>Une centaine des 500 plus grandes entreprises concernées</h2>
<p>En dépit de cet élargissement du périmètre, l’OCDE estime que la réattribution des bénéfices au titre du pilier 1 s’appliquera à seulement une <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/ecdb6a47-en/index.html?itemId=/content/component/ecdb6a47-e">centaine de multinationales enviro</a>. Il s’agit certes des plus importantes mais la disposition prévoit d’étendre le champ d’application à d’autres EMN qu'au bout de sept ans. Cependant, cela représente la tout de même la <a href="https://worldinvestmentreport.unctad.org/world-investment-report-2022/chapter-3-the-impact-of-a-global-minimum-tax-on-fdi/">majorité des IDE</a> dans le monde. </p>
<p>Toutes les grandes sociétés de services numériques ont des marges bénéficiaires avant impôt comprises entre 13 % (Netflix) et 39 % (Facebook), et allant jusqu’à 70 % pour Amazon, ce qui impliquerait donc des bénéfices réaffectés au niveau mondial (25 % du bénéfice résiduel). Les montants imposables diffèrent toutefois considérablement, Netflix, Adobe et PayPal se situant au bas de l’échelle ; et Meta, Alphabet (anciennement Google), Amazon, Microsoft et Apple se positionnant en haut de cette échelle.</p>
<p><iframe id="5RxVy" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/5RxVy/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La part qui est allouée aux économies africaines dans le cadre des nouvelles règles du pilier 1 semble <em>a priori</em> minime et il faudra attendre encore 7 ans avant une éventuelle extension du champ d’application de cette règle pour y inclure davantage de multinationales.</p>
<p>Il est donc primordial qu’un nombre plus important de pays du continent participe au cadre inclusif du BEPS, auquel 23 États ont jusqu’alors adhéré, les actions multilatérales étant plus propices à des résultats probants dans une économie mondialisée. D’autant que, les difficultés éprouvées par les pays du G20 lors de ces négociations montrent par analogie à quel point la capacité de négociation des EMUA seuls face aux géants du secteur serait réduite. En parallèle, les pays doivent travailler a mieux <a href="https://events.ataftax.org/index.php?page=documents&func=view&document_id=98&_ga=2.223340763.1748778267.1657606484-1483344514.1657606484">collecter</a> les <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/e0e2dd2d-en/index.html?itemId=/content/publication/e0e2dd2d-en">taxes indirectes sur les services numériques</a> afin de maximiser l’ensemble de revenus (directs et indirects) <a href="https://events.ataftax.org/index.php?page=documents&func=view&document_id=155&token=b60310bc53dbc2bda82aaebdceef3d85&thankyou">potentiels</a>.</p>
<hr>
<p><em>Nicolas Köhler-Suzuki, directeur d’International Trade Intelligence, et Rutendo Tavengerwei, conseillère en politique commerciale spécialisée dans l’Afrique ont participé à la rédaction de cet article, qui s’appuie sur l’<a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/taxe-sur-le-commerce-numerique-une-opportunite-pour-lafrique">étude</a> publiée le 9 septembre par <a href="https://theconversation.com/institutions/agence-francaise-de-developpement-afd-2711">l’Agence française de développement</a> (AFD) dans la collection « Questions de développement »</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le cadre inclusif international proposé fin 2021 par l'OCDE et le G20 prévoit une récupération de recettes fiscales sur les services numériques moindres qu'une taxation indirecte locale.Julien Gourdon, Economiste, Agence française de développement (AFD)Jean-Baptiste Pétigny, Coordinateur, Facilité française d'Assistance Technique auprès de l'Union africaine, Expertise France, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1877852022-07-28T19:54:42Z2022-07-28T19:54:42ZL’opération Vivendi-Hachette : une illustration de la globalisation de l’édition<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476295/original/file-20220727-21-7rwdkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C18%2C4200%2C2766&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">386 millions d'euros de livres sont vendus par Amazon chaque année.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-york-usa-may-20-2018-1135022744">ymgerman /Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Finalement, la fusion annoncée entre le groupe d'édition Editis, propriété de Vivendi, et Hachette, filiale de Lagardère, ne devrait pas avoir lieu.</p>
<p>Après des mois de bruits divers, Vincent Bolloré, le patron du géant des médias Vivendi, a décidé de céder le très franco-français Editis à un repreneur étranger pour ne pas avoir à faire face à des problèmes de concentration que lui promettaient déjà les régulateurs européens. </p>
<p>Une façon pour lui et Vivendi de mieux garder le contrôle d'Hachette et de réaliser ses ambitions d'envergure mondiale. </p>
<h2>La plus grande librairie du monde</h2>
<p>Cet échange croisé illustre l’internationalisation de l’industrie de l’édition et témoigne de la foi du secteur en son avenir.</p>
<p>Amazon offre, par exemple, un parfait cas d’école pour analyser la mondialisation du secteur du livre.</p>
<p>L’entreprise de Jeff Bezos n’est-elle pas devenue la <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/debattle/faut-il-s-inquieter-de-la-puissance-d-amazon-1986049">première librairie globale</a> ? Première à offrir une plate-forme de revente de livres dans de nombreux pays ; première par l’étendue du choix de langue écrite ; première par sa domination dans la commercialisation des livres imprimés, qu’ils soient neufs ou d’occasion. Première naturellement dans la vente de livres numériques. Première aussi, c’est moins attendu, dans le livre audio.</p>
<p>En un clic, des centaines de millions de lecteurs un peu partout sur la planète bénéficient désormais d’un accès immédiat ou après une attente de quelques jours au livre de leur choix parmi des millions de références disponibles.</p>
<p>Faut-il encore savoir quel livre choisir ! À l’image d’un Umberto Eco se dirigeant d’un pas tranquille, mais décidé, dans sa bibliothèque labyrinthique pour trouver celui qu’il cherche.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Czc_KjWji8E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La librairie personnelle d’Umberto Ecco.</span></figcaption>
</figure>
<p>Amazon est aussi la première plate-forme d’auto-édition. Elle propose plus d’un million de nouveaux titres chaque année dans plusieurs langues. Si vous faites partie des <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Actualites/Etude-sur-la-situation-economique-et-sociale-des-auteurs-du-livre-resultats">quelques 100 000 écrivains français du dimanche</a>, vous avez sans doute déjà regardé, sinon utilisé, les nombreux outils offerts par Kindle Direct Publishing, pour <a href="https://kdp.amazon.com/fr_FR?ref_=kdpgp_p_fr_psg_gt_hv_ad1">créer et publier un livre électronique, broché ou relié</a>. Vous avez sans doute aussi été déçu par les ventes de votre œuvre. <a href="https://www.nytimes.com/2010/05/27/opinion/27iht-%20edkeillor.html?scp=2&sq=garrison%20keillor&st=cse">À en croire un écrivain humoriste américain</a>, comptez en moyenne 14 exemplaires vendus dont plus de la moitié acquis par les membres de la famille.</p>
<p>Cette puissance de feu tous azimuts d’Amazon n’est pas sans inquiéter les entreprises de l’édition, d’autant qu’elle est progressivement devenue leur premier client. Leur besoin de mieux négocier leurs conditions de vente avec <a href="https://theconversation.com/logre-amazon-98896">l’ogre de Seattle</a> est d’ailleurs une motivation, affirmée avec force, de leurs projets de fusion et acquisition.</p>
<h2>Des fusions transfrontalières</h2>
<p>Une bonne illustration de ce phénomène est le rapprochement entre Penguin Random House (Bertelsman) et Simon & Schuster (Paramount Global). Cette opération, non encore finalisée, car en cours de jugement antitrust, fait suite à une vague de 30 ans de fusions et acquisitions internationales.</p>
<p>Trop nombreuses à lister ici, citons-en seulement quelques-unes : l’absorption de Collins (Royaume-Uni) – rappelez-vous de votre premier dictionnaire d’anglais ! – par Harper (États-Unis) ; celle d’Harlequin (Canada), connu pour ses romans sentimentaux publiés dans le monde entier, par Harper Collins ; le rachat de Random House (États-Unis) aux choix chanceux de publication, à l’instar de l’<em>Ulysse</em> de Joyce, par Bertelsmann (Allemagne) ; celui de Penguin House (Royaume-Uni) <a href="https://www.penguin.co.uk/articles/2020/september/penguin-books-logo-history-edward-young-allen-lane.html">au célèbre et inoxydable logo</a> par Bertelsman toujours.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Et donc aujourd’hui aussi le projet d’acquisition de Simon & Schuster, la maison d’édition de Stephen King, et John Grisham, entre autres ; sans oublier le projet de rapprochement désormais caduc entre Editis (Vivendi) et Hachette Livre (Largardère).</p>
<p>La constitution de géants de l’édition est la conséquence immédiate des fusions et acquisitions, en particulier transfrontalières. Six groupes occupent aujourd’hui le quart du marché mondial. L’industrie de l’édition n’a pas échappé au mouvement planétaire de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/entreprises-hyperpuissantes_9782738154989.php">l’ascension commerciale d’entreprises multinationales devenant des géants</a>.</p>
<h2>Innovations technologiques et des modèles d’affaires</h2>
<p>Comme dans les autres industries, l’innovation joue un rôle clef dans l’évolution du secteur. À commencer par l’innovation technologique. Le numérique a inondé la planète du livre, que ce soit à travers l’édition électronique, la logistique de la distribution, le marketing des succès, la vente de livres audio et de bandes dessinées ou encore le segment du livre professionnel. Or le numérique se caractérise par des coûts unitaires plus faibles, mais aussi par des coûts fixes plus élevés qui doivent donc être amortis sur de plus vastes marchés. Ce sont aussi des économies de réseaux qui favorisent quelques-uns par un effet boule de neige. Un seul ou une poignée de gagnants sont sélectionnés.</p>
<p>L’innovation concerne également les formats, utilisons ici les termes anglais consacrés, et finalement plus parlants, à l’instar de <em>webtoon</em>, <em>webnovel</em>, <em>graphic novel</em>, <em>serial fiction</em>, etc. Elle concerne aussi les modèles d’affaires comme les formules par abonnements – sortes de club du livre du monde d’aujourd’hui – ou la déclinaison tous médias et tous azimuts des titres à succès : séries, films, podcasts, jeux, colifichets et autres babioles. Bref, une sorte d’universalisation des récits et de leurs héros.</p>
<p><em>Le Petit Prince</em> lui-même, livre le plus traduit au monde après la Bible, n’a pas échappé à cette commercialisation effrénée. Il a bien sûr été adapté en film et en série et sa célèbre silhouette élancée a été reproduite sur <a href="https://www.lepetitprincecollection.com/fr/">tout et n’importe quoi</a>, porte-clefs, médailles, casquettes, et même coquetiers, étuis à lunettes et gourdes. Il y a du bon, du moins bon et du très mauvais, mais ne levez pas les yeux au ciel en regrettant ce commerce hors du livre. Le personnage de Saint-Exupéry a ainsi connu de nombreuses vies nouvelles, prolongeant pour certains le bonheur de la lecture ou engageant d’autres à s’y plonger.</p>
<h2>Les livres à succès</h2>
<p>Joue également une certaine uniformisation des goûts et des modes dont témoignent de nombreux livres et genres à succès internationaux. L’anatomie des best-sellers a été étudiée en comparant les données des caractéristiques textuelles des ouvrages qui figurent dans les <a href="https://livre.fnac.com/mp35551172/Bestseller-Code">listes des meilleures ventes</a> et ceux qui n’y figurent pas. Leur dissection fait apparaître, entre autres, que le succès réclame plutôt un langage simple, proche du parler, un nombre de thèmes principaux restreint à deux ou trois, et des montées et descentes d’émotion qui se succèdent. Trop d’adjectifs et de verbes sont à éviter. Idem pour les scènes de sexe ou la description des corps, sauf s’ils sont refroidis (les romans policiers sont légion parmi les livres à succès…).</p>
<p>Bien entendu, la connaissance complète des ingrédients à incorporer ou à éviter ne fournit pas pour autant la recette du succès. De la même façon que la liste des produits dans le garde-manger des cuisiniers de Top Chef ne suffit pas pour désigner à l’avance le vainqueur. Notez qu’il n’y a pas non plus de recette miracle pour deviner les genres et sous-genres à succès à l’instar du polar scandinave ou du manga d’action. C’est ici comme l’engouement mondial pour la pizza et le hamburger, ou plus récemment pour le poke bowl.</p>
<p>Terminons de filer la métaphore culinaire en rappelant que pour le livre comme pour la cuisine, les goûts et les préférences restent encore marqués par la culture locale. Ils diffèrent d’un endroit, d’un pays, d’un continent à l’autre. Les livres traduits ne représentent par exemple en France qu’un cinquième des ventes.</p>
<p>Même s’il fait rêver nombre d’auteurs, le livre à succès et ses déclinaisons restent une exception. En proportion du nombre d’exemplaires vendus et donc du chiffre d’affaires des éditeurs, c’est une autre affaire. Prenons l’exemple des États-Unis où le nombre moyen d’exemplaires par titre s’élève à quelques centaines : les 10 livres écoulés à plus d’un million d’exemplaires font autant de recettes que le <a href="https://www.publishersweekly.com/pw/by-topic/columns-and-blogs/soapbox/article/6153-a-bookselling-tail.html">million d’autres placés à moins de 100 exemplaires</a>.</p>
<h2>Un marché mondial qui perd du poids</h2>
<p>Par ailleurs, le nombre de tirages par nouveau titre diminuant mécaniquement à mesure que le nombre de nouveaux titres gonfle – une tendance depuis de longues années – les livres à succès deviennent plus importants pour l’équilibre des comptes. En effet, à la différence notable d’autres secteurs qui se sont internationalisés, <a href="https://masterenedicion.com/wp-content/uploads/2017/11/BookMap_How-big-is-global-publishing_prel-edition_final01.pdf">l’édition ne bénéficie pas d’un marché mondial qui explose</a>. Celui-ci ne croît même pas plus vite que la population ou la richesse mesurée par le PIB. Dans les pays développés, le marché se rétrécit en euros ou en dollar constants et les pays d’économie émergente n’ont pas pris le relais, et ce malgré les progrès de l’éducation et le développement universitaire qu’ils connaissent. En tout cas pas encore.</p>
<p>Dans les années 1960, la planète comptait 1,6 livre vendu par habitant, le <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780198794202.001.0001/oxfordhb-9780198794202-e-9">chiffre est tombé</a> à moins d’un dans les années 2000. En attendant, un retournement de tendance éventuel, on comprend pourquoi les géants de l’édition s’empressent de chercher de la croissance en dehors de leur marché géographique traditionnel et de rechercher des débouchés autres que la publication pour leurs titres imprimés ou électroniques à succès.</p>
<p>Le livre hors de ses frontières linguistiques grâce aux traductions, et textuelles grâce à ses adaptations en images, ne perd pas son âme. De même pour l’édition hors de ses bastions nationaux. Elle aide le livre à voyager. Le rapprochement entre Editis et Hachette faisait craindre à beaucoup la constitution d’un mastodonte français de l’édition écrasant tout le monde hexagonal sur son passage. Avec l’acquisition d’Hachette par Vivendi et celle future d’Editis vraisemblablement par un groupe étranger de l’édition, cette tentative va pousser finalement l’industrie française du livre à s’ouvrir encore un peu plus au monde.</p>
<hr>
<p><em>François Lévêque a publié chez Odile Jacob <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">« Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global »</a>. Son ouvrage a reçu <a href="https://www.melchior.fr/note-de-lecture/les-entreprises-hyperpuissantes-prix-lyceen-lire-l-economie-2021">le prix lycéen du livre d’économie 2021</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187785/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque a conseillé Vivendi à plusieurs reprises par le passé et à été consulté récemment comme économiste académique dans le cadre du rapprochement entre Vivendi et Largardère, plus particulièrement entre Editis et Hachette.</span></em></p>La globalisation du secteur de l’édition via l’émergence d’acteurs tels qu’Amazon est aussi précipitée par les rapprochements entre groupes d’édition.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1875472022-07-24T15:49:29Z2022-07-24T15:49:29ZLes followers, un actif immatériel au cœur de la discorde entre Elon Musk et Twitter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/475604/original/file-20220722-19-odxn32.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C44%2C1988%2C1257&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les faux comptes sont aujourd’hui estimés selon les parties prenantes à plus ou moins de 5&nbsp;%.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/yusamoilov/49896915841">Yuri Samoilov/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 8 juillet 2022, l’homme d’affaires <a href="https://theconversation.com/fr/topics/elon-musk-30803">Elon Musk</a> a annoncé mettre <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220708-%F0%9F%94%B4-le-milliardaire-elon-musk-renonce-finalement-%C3%A0-racheter-twitter">fin à son projet de rachat du réseau social Twitter</a>, au prix de 54,20 dollars par action, qui valorisait l’entreprise à environ 44 milliards de dollars (43 milliards d’euros). Le 13 mai, le milliardaire avait déjà annoncé <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/05/13/elon-musk-annonce-la-suspension-du-rachat-de-twitter-l-action-du-reseau-social-s-effondre_6125969_4408996.html">suspendre le rachat</a> à cause de son inquiétude quant au nombre réel de faux comptes sur le réseau social, faisant plonger l’action du groupe d’environ 20 %.</p>
<p>« Twitter <a href="https://www.liberation.fr/economie/economie-numerique/elon-musk-contre-twitter-le-proces-aura-lieu-en-octobre-un-bon-point-pour-le-reseau-social-20220719_TTNEPYRARRBIZKI6H7PY2FPOWI/">n’a pas respecté de multiples clauses de l’accord</a> et semble avoir donné des informations fausses et trompeuses sur lesquelles Elon Musk s’est basé pour s’engager dans l’accord d’acquisition », expliquent les avocats de l’entrepreneur à la SEC (Security and Exchange Commission), le gendarme de la bourse américaine.</p>
<p>Le désaccord repose principalement sur l’estimation du nombre d’utilisateurs de Twitter, les fameux followers, les faux comptes sont estimés selon les parties prenantes <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/06/08/twitter-va-fournir-les-donnees-sur-les-faux-comptes-a-elon-musk_6129446_4408996.html">à plus ou moins de 5 %</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-projets-delon-musk-pour-twitter-un-populisme-de-plate-forme-182006">Les projets d’Elon Musk pour Twitter : un populisme de plate-forme ?</a>
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<p>Les débats juridiques concernent donc la valorisation des utilisateurs de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/twitter-22707">Twitter</a>, c’est-à-dire ce que la finance appelle des actifs incorporels, et sur la publication d’informations financières à leur sujet. Si les marques, les brevets, le nombre de clients ou encore les technologies, savoir-faire et procédés de fabrication n’ont pas de substance physique, ces actifs incorporels contribuent néanmoins significativement à la création de valeur des sociétés qui les contrôlent. Pourtant, contrairement aux actifs corporels, les entreprises ne sont généralement pas tenues de publier des informations sur leurs actifs incorporels… sauf lors d’une acquisition.</p>
<h2>Une information financière utile</h2>
<p>Les actifs incorporels peuvent en effet jouer un rôle majeur lorsqu’une entreprise en rachète une autre. L’acquéreur peut par exemple réaliser l’opération dans le seul but de contrôler une marque ou une technologie détenue par une autre entreprise. Lors de ces opérations, l’acquéreur est donc obligé de reconnaître et de communiquer l’ensemble des actifs incorporels de l’entreprise acquise. Or cette obligation de publication est actuellement appliquée avec une rigueur variable d’une société à l’autre, conduisant à une information qui diffère grandement en fonction des opérations.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Pourtant, comme nous le montrons dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-comptabilite-controle-audit-2019-2-page-5.htm?ref=doi">article</a> de recherche récent, la publication d’information sur les actifs incorporels constitue un outil particulièrement utile aux analystes financiers. Nous avons étudié le contenu des informations publiées sur les actifs incorporels à la suite près de 500 de regroupements d’entreprises réalisées entre 2002 et 2011 aux États-Unis.</p>
<p>Dans l’ensemble, nos résultats indiquent que les informations fournies et les montants relatifs aux actifs incorporels récemment acquis fournissent des informations pertinentes aux analystes financiers.</p>
<p>L’acquisition de Skype par eBay en 2005, par exemple, est particulièrement illustrative. Si les actionnaires d’eBay avaient su que Skype ne détenait pas de nombreux brevets liés à des programmes exploités dans son activité, cela aurait été une raison suffisante pour avoir un impact négatif sur l’intérêt de l’opération. L’information n’a pas été partagée car ce type de publication n’est, dans le contexte actuel, pas obligatoire. En outre, cette acquisition s’est terminée avec la reconnaissance d’un <em>goodwill</em> (une survalorisation) de <a href="https://www.chegg.com/homework-help/questions-and-answers/ebay-inc-acquired-skype-2005-26-billion-total-purchase-price-23-billion-recorded-goodwill--q30451723">2 300 millions de dollars</a> sur un prix d’acquisition total de 2 600 millions de dollars.</p>
<h2>Une source de désaccords</h2>
<p>De même, après son acquisition de WhatsApp, Facebook a dû compléter l’affection du prix d’acquisition, c’est-à-dire allouer le prix d’acquisition consenti aux actifs acquis, notamment incorporels. Au moment de l’acquisition, le prix payé comprenait 4 milliards en cash, 12 milliards en actions et 3 milliards en actions bloquées (<em>restricted stocks</em>) pour les employés de WhatsApp. La valeur de l’action Facebook ayant grimpé depuis l’annonce de l’opération, le prix d’achat s’est finalement élevé à <a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/1455647-20141006-rachat-whatsapp-facebook-paye-finalement-22-milliards-dollars">près de 22 milliards de dollars</a> en 2014. Les actifs incorporels expliquaient manifestement une grande partie du prix consenti pour WhatsApp.</p>
<p>Dans une autre <a href="https://doi.org/10.1080/09638180.2019.1677259">étude</a>, nous avions par ailleurs montré qu’un faible niveau de transparence favorisait à la fois les désaccords entre analystes, traduisant l’incertitude de l’information, et les désaccords entre analystes et managers, indiquant une asymétrie de l’information. On voit avec le cas d’Elon Musk et de Twitter que ces désaccords peuvent concerner d’autres parties et aboutir à des actions en justice.</p>
<p>Ce problème est central pour toutes les sociétés qui cherchent à justifier une acquisition auprès de leurs actionnaires ou encore à éviter de mauvaises surprises. Si la valeur d’une entreprise dépend en grande partie de ces actifs incorporels, ne devrait-on pas alors exiger davantage d’information à leur sujet ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187547/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Jeny a reçu des financements de l’Autorite des Bormes Comptables. </span></em></p>Des éléments comme la marque, les brevets, ou encore le nombre d’utilisateurs d’un service, difficiles à quantifier, jouent un rôle essentiel dans le prix d’acquisition d’une entreprise.Anne Jeny, Professor, Accounting Department, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1843312022-06-21T19:21:37Z2022-06-21T19:21:37ZLe paradoxal passage à l’économie de la blockchain en Centrafrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/469342/original/file-20220616-24-pz2bbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C5946%2C3952&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La République centrafricaine va devenir le deuxième pays du monde après le Salvador à adopter le bitcoin comme monnaie officielle.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Au soir du 22 avril 2022, les médias furent unanimement interloqués par le virage que prenait la politique monétaire de la République centrafricaine : l’<a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220427-la-centrafrique-adopte-le-bitcoin-comme-monnaie-l%C3%A9gale">adoption du bitcoin comme monnaie officielle</a> au côté du franc CFA et la légalisation de l’usage des cryptomonnaies.</p>
<p>La présidence de la RCA affirme que « cette démarche place la République centrafricaine sur la carte des plus courageux et visionnaires pays au monde », étant donné qu’elle serait le deuxième État du monde à l’entreprendre, après le <a href="https://theconversation.com/salvador-le-pari-a-haut-risque-du-president-sur-le-bitcoin-164728">Salvador</a>, et le tout premier du continent africain.</p>
<p>Un optimisme pour les nouvelles économies de la blockchain que ne partagent pas nombre d’observateurs, à l’instar de Bill Gates, qui estime que les <a href="https://www.bfmtv.com/crypto/bitcoin/pour-bill-gates-les-cryptomonnaies-n-apportent-rien-a-la-societe_AV-202205240547.html">cryptomonnaies n’apportent rien à la société</a>. Cette position est également reprise par la directrice de la Banque centrale européenne Christine Lagarde, pour qui ces actifs digitaux <a href="https://www.journaldugeek.com/2022/05/24/pourquoi-la-banque-centrale-europeenne-pense-que-les-cryptomonnaies-ne-valent-rien/">ne valent rien</a>.</p>
<h2>La cryptomonnaie en RCA, un Far-West qui incite la méfiance</h2>
<p>Deux raisons semblent justifier les inquiétudes suscitées par la décision de Bangui.</p>
<p>La première est tout simplement le fait que la cryptomonnaie est animée par une prétention de « self-made » qui échappe aux traditions et au classicisme des économies et systèmes d’échange, dont les lois sont valables et identifiables à toutes les époques. Un véritable trou noir pour les adeptes du contrat social, qui estiment que les modes d’organisation qui ne sont pas soumis à l’autorité sont des Far-West sans foi ni loi.</p>
<p>La seconde raison est le gabarit économique de la République centrafricaine, qui est <a href="https://www.gfmag.com/global-data/economic-data/the-poorest-countries-in-the-world?page=12">l’un des pays les plus pauvres de la planète</a>. Regardons cela de plus près.</p>
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<figcaption><span class="caption">Centrafrique : le bitcoin devient la devise officielle (France 24, 28 avril 2022).</span></figcaption>
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<p>Le procès fait aux cryptoactifs n’est pas dénué de raison. Adopter la cryptomonnaie comme monnaie légale, c’est s’engager dans une géopolitique de l’inconnu, de l’incertitude et de la surprise – l’incertitude étant source d’insécurité, ne serait-ce que parce qu’elle facilite le développement d’intentions inconnues et le déploiement d’actions non maîtrisées. Déplacer les activités dépendantes du régalien vers une dépendance aux lois du marché ou des zones d’ultralibéralisme, créées justement pour échapper à la souveraineté des États et autres contraintes politiques, n’est pas sans risque. Dans cette course, les États faibles comme la République centrafricaine ne semblent a priori pas disposer des meilleurs atouts.</p>
<p>Et que dire de la volatilité, caractéristique intrinsèque de la cryptomonnaie qui <a href="https://theconversation.com/le-cours-du-bitcoin-condamne-a-toujours-plus-de-volatilite-163997">condamne le cours du bitcoin à une précarité perpétuelle</a> ? En 2021, les cours du bitcoin avaient flambé de plus de 150 %, atteignant un taux historique de 68 991 dollars, avant de s’effondrer. Même si le marché́ s’est assagi en 2022, les variations restent très fortes : -17 % en février, +8 % en mars et +10 % en avril. Le bitcoin s’échangeait le 27 avril 2022 à plus de 39 000 dollars ; sa valeur au 26 mai était de 29 494,60 USD ; au 21 juin, elle était de 20 033,31 USD.</p>
<p>L’expérience du Salvador, où 92 % des plus de 1 600 personnes interrogées dans un sondage ont manifesté leur <a href="https://coinacademy.fr/bitcoin/bitcoin-au-salvador-airdrop-massif-au-peuple-et-membre-du-congres-recalcitrant/">désamour du bitcoin</a> et 93,5 % leur réticence à être payées en bitcoins, est de nature à conforter cette méfiance.</p>
<p>Le bitcoin est régulièrement perçu comme une bulle spéculative à cause de l’alternance imprévisible entre les envolées de ses cours et <a href="https://www.cnetfrance.fr/news/bitcoin-la-valeur-degringole-de-50-en-six-mois-et-passe-sous-la-barre-des-32-000-dollars-39941769.htm">leurs chutes vertigineuses</a>. Pour bon nombre de spécialistes, la généralisation de son utilisation ne peut que susciter des pertes financières catastrophiques.</p>
<p>Les banques centrales lui reprochent de favoriser les déséquilibres financiers, le blanchiment d’argent et la fraude fiscale. Le Fonds monétaire international a <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-fmi-demande-au-salvador-de-renoncer-au-bitcoin-comme-monnaie-officielle-1382095">qualifié</a> la décision du Salvador de danger pour « la stabilité financière, l’intégrité financière et la protection des consommateurs ». Concernant la Centrafrique, Abebe Aemro Selassie, directeur Afrique du FMI, prévient qu’il ne faut pas considérer les cryptomonnaies <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/04/29/le-bitcoin-adopte-comme-monnaie-officielle-en-centrafrique-n-est-pas-une-panacee-avertit-le-fmi_6124157_3212.html">« comme une panacée contre les défis économiques »</a>.</p>
<p>Le bitcoin est également suspecté de faciliter les escroqueries, le financement du terrorisme et les trafics en tout genre à cause de son système de paiement anonyme crypté. Les transactions illicites permises par le bitcoin sont <a href="https://academic.oup.com/rfs/article-abstract/32/5/1798/5427781?login=false">estimées à 76 milliards de dollars par an</a>, soit 46 % des transactions en bitcoins.</p>
<p>En tout état de cause, pour se prêter institutionnellement à la mouvance des cryptoactifs et tirer son épingle du jeu, la RCA devrait disposer des infrastructures et de la complexité économique nécessaires pour absorber leurs évolutions. Or la sécurité économique et technologique du pays soulève bien des inquiétudes.</p>
<h2>L’insécurité économique de la RCA</h2>
<p>Selon la dernière évaluation risque-pays de la <a href="https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Republique-centrafricaine">Compagnie française d’assurance spécialisée dans l’assurance-crédit à l’exportation</a> (COFACE), les conditions sécuritaires et politiques en RCA sont source de fragilité et d’instabilité, ce à quoi s’ajoute l’extrême pauvreté de la population.</p>
<p>L’économie accuse une forte dépendance à l’égard des exportations de matières premières – une dépendance d’autant plus problématique que l’exportation d’or et de diamants, qui se déroule souvent dans l’illégalité, n’alimente que très peu les recettes publiques. Avec une inflation moyenne de 2,7 % sur les quatre dernières années, les prévisions de taux de croissance de 3,4 % pour 2022 ne doivent pas laisser oublier qu’il a été de -0,6 % en 2021. Autres indices défaitistes, le solde courant par rapport au PIB (-6,1 % en 2022) et le solde public par rapport au PIB (-1,2 % en 2022) sont tous négatifs depuis les trois dernières années.</p>
<p>Selon la Banque mondiale, depuis l’indépendance obtenue en 1960, la <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/centralafricanrepublic/publication/the-central-african-republic-economic-update-explained-in-5-charts">richesse par habitant a été réduite de moitié</a> en RCA. Une reprise économique durable, possible seulement si l’insécurité baisse nettement, est indispensable pour réduire la pauvreté (<a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/centralafricanrepublic/overview">70 % de la population vivrait sous le seuil de pauvreté en 2020</a>. Cette pauvreté explique la forte mortalité infantile, estimée à 882 pour 100 000 naissances vivantes, mais aussi le classement du pays à l’indice de développement humain de l’ONU, au 188<sup>e</sup> rang sur 189 pays en 2020.</p>
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<figcaption><span class="caption">La décision de la Centrafrique d’adopter le Bitcoin comme monnaie légale fait polémique (Jeune Afrique, 5 mai 2022).</span></figcaption>
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<p>La Banque africaine de développement fait un constat du même ordre en soulignant que le risque de surendettement de la RCA <a href="https://www.afdb.org/fr/countries/central-africa/central-african-republic/central-african-republic-economic-outlook">reste élevé en raison de sa grande vulnérabilité aux chocs extérieurs</a> et du risque de change lié au niveau élevé de sa dette extérieure. Ce gabarit économique montre combien les défis de développement y demeurent prioritaires et profonds.</p>
<h2>Décalage infrastructurel et faiblesse de l’éducation numérique</h2>
<p>L’opérationnalisation d’un projet d’économie durable de la blockchain à l’échelle nationale, au regard de sa globalité et des effets d’enchaînement escomptés, devrait reposer a minima sur une base infrastructurelle soutenable et une éducation numérique viable.</p>
<p>Or les capacités infrastructurelles de la RCA sont très limitées. Sur le plan énergétique, le <a href="https://www.donneesmondiales.com/afrique/republique-centrafricaine/bilan-energetique.php">ratio énergétique entre la production</a> (171 millions kWh) et la consommation électrique (159,40 millions de kWh) en RCA est excédentaire de 108 % des besoins réels actuels. Mais le 22 mars dernier, après sollicitation de la RCA pour le financement du développement de son réseau et de sa capacité électrique, la Banque mondiale a laissé entendre que la RCA reste le pays au monde où le taux d’accès à l’électricité est le plus faible. Avant d’ajouter que la <a href="https://lanoca.over-blog.com/2022/03/centrafrique-la-banque-mondiale-s-engage-a-augmenter-l-acces-a-l-electricite-d-ici-2030.html">mise en œuvre d’un tel projet y serait très difficile</a>.</p>
<p>Avec un taux d’électrification de 3 %, et alors que <a href="https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/data-visualisation/faits-et-chiffres-la-couverture-lectrique-en-afrique/">4 de ses 5 millions d’habitants vivaient sans électricité en 2012</a>, faute d’investissement, une <a href="https://info.undp.org/docs/pdc/Documents/CAF/Rapport%20de%20diagnostic%20du%20secteur%20%C3%A9nergie%20RCA%20VF.pdf">étude du PNUD</a> montre en 2017 que le potentiel hydroélectrique du pays reste sous exploité. La bioénergie représente encore 98 % de la production nationale. C’est la prééminence de cette catégorie d’énergie dans la production nationale qui semble justifier la rareté d’infrastructures technologiques de consommation électrique. En outre, <a href="http://le-tambourin.over-blog.com/2019/09/rca-plus-que-12-mois-pour-avoir-de-l-electricite-24h-sur-24-et-voir-la-fin-des-delestages-a-bangui.html">plusieurs projets d’envergure</a> sont perturbés par des cycles d’instabilité sécuritaire et politique. En 2022, le gouvernement tente toujours de rassurer la population qui attend des réalisations concrètes.</p>
<p>Sur le plan technologique, lors de l’approbation de la composante RCA de la <a href="https://projectsportal.afdb.org/dataportal/VProject/show/P-CG-GB0-002?lang=fr">Dorsale à fibre optique d’Afrique centrale</a> en 2018, la <a href="https://www.afdb.org/fr/documents/document/central-african-republic-central-africa-fibre-optic-backbone-project-cab-car-component-approved-99666">Banque africaine de développement dressait le constat</a> que « la RCA demeure le dernier pays enclavé du continent à ne pas disposer de liaisons terrestres à fibre optique avec ses voisins immédiats. De plus, à la faiblesse notoire du taux de pénétration d’Internet et de la téléphonie mobile vient s’ajouter la quasi-inexistence d’infrastructures haut débit filaires ».</p>
<p>Quatre ans plus tard, bien que Huawei et Orange interviennent comme partenaires technologiques majeurs, les avancées demeurent médiocres. Si les Datacenter sont implémentés pour des structures spécifiques comme le <a href="http://centrafrique-sur-7.over-blog.com/2021/04/centrafrique/datacenter-la-digitalisation-des-finances-publiques-en-marche.html">ministère des Finances et du Budget</a> ou celui qui accompagne la <a href="https://www.afdb.org/fr/documents/aoi-centrafrique-fourniture-formation-installation-dequipements-informatiques-reseaux-etc-et-construction-et-operationnalisation-dun-datacenter-principal-et-de-secours">composante RCA de la dorsale à fibre optique d’Afrique centrale</a>, ces installations critiques <a href="https://www.digitalbusiness.africa/rca-le-data-center-dorange-centrafrique-ses-installations-radio-et-son-coeur-de-reseau-ravages-par-les-flammes/">restent sous la menace constante posée par l’insécurité qui règne dans le pays</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1535156580311785473"}"></div></p>
<p>« Là où Internet propose de créer des ponts, l’illectronisme risque toujours de lui faire barrage », <a href="https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2020-11-20/lutter-contre-l-illectronisme-en-afrique-862662.html">soulignait</a> en novembre 2020 Philippe Wang, alors vice-président exécutif de Huawei Northern Africa. Le paysage numérique centrafricain illustre la justesse de cette affirmation. Ainsi, la difficulté qu’éprouvent les individus à maîtriser les outils numériques en RCA constitue l’une des limites majeures à la numérisation et à l’éducation des populations aux outils digitaux.</p>
<p>Selon le <a href="https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/23414RAPPORT_VOLONTAIRE_DE_SUIVI_ODD_RCA_FINAL_SIGNATURE_MINISTRE_003.pdf">rapport national volontaire de suivi de mise en œuvre des objectifs du développement durable en 2019</a>, alors que le taux d’alphabétisation des adultes est de 58,9 %, la part des établissements scolaires ayant accès à l’électricité est de 3 % et aucun n’a accès à Internet. Au total, on décompte 650 000 utilisateurs d’Internet en RCA pour environ 5 millions d’habitants, avec un taux général de pénétration de 14 % en janvier 2020. La RCA se retrouve en bas des <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/jendoubi_reseaux_sociaux_rca_2021.pdf">classements mondiaux des principaux réseaux sociaux</a> avec 2,5 % de taux de pénétration.</p>
<h2>Une réforme qui ne profitera qu’à une minorité</h2>
<p>Dans ce contexte, l’adoption du bitcoin comme monnaie officielle laissera transparaître la fracture digitale du pays. L’économie de la blockchain peut être salutaire, mais elle exige un investissement humain, matériel et financier conséquent. Dans le cas contraire, elle deviendra un modèle élitaire dont l’impact sera limité aux urbains fortunés et instruits au numérique.</p>
<p>Finalement, il est en même temps trop tôt pour <a href="https://theconversation.com/bitcoin-lintenable-promesse-dune-monnaie-pour-tous-158475">confirmer les promesses faites au lancement du bitcoin</a>, mais aussi, trop tôt pour le condamner définitivement après l’annonce du nouveau <a href="https://cryptoast.fr/projet-sango-republique-centrafricaine-place-mondiale-bitcoin/">projet Sango</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184331/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Idriss Miskine Buitchoho ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’un des États les plus pauvres du monde vient d’annoncer que ses citoyens pourront désormais régler leurs achats en bitcoin. Une décision pour le moins discutable…Idriss Miskine Buitchoho, Chercheur au Centre Maurice Hauriou de recherche en droit public et science politique, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1820632022-04-27T18:19:35Z2022-04-27T18:19:35ZLe Digital Services Act, un frein aux ambitions d’Elon Musk avec Twitter en Europe ?<p>En quelques jours, deux décisions distinctes prises de part et d’autre de l’Atlantique pourraient s’avérer déterminantes quant à l’avenir de Twitter en Europe. Le 25 avril, aux États-Unis, a été annoncé le rachat pour <a href="https://www.europe1.fr/economie/elon-musk-rachete-twitter-4107758">44 milliards de dollars du réseau social par Elon Musk</a>, patron de Tesla et SpaceX, et qui compte accessoirement près de 83 millions d’abonnés. Deux jours auparavant, soit le 23 avril, un accord était trouvé sur la législation sur les services numériques au sein de l’Union européenne.</p>
<p>Avec ce <a href="https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2022/04/23/digital-services-act-council-and-european-parliament-reach-deal-on-a-safer-online-space/">Digital Services Act</a> (DSA), l’Union européenne vise notamment un encadrement plus strict des réseaux sociaux et une protection renforcée de leurs utilisateurs, avec par exemple « une procédure de notification et d’action plus claire, qui permettra aux utilisateurs de <a href="https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/un-accord-provisoire-trouve-sur-le-digital-services-act-dsa-n181325.html">signaler du contenu illicite</a> en ligne et obligera les plates-formes en ligne à réagir rapidement ».</p>
<h2>Triple ambition</h2>
<p>Cette initiative pourrait ainsi venir contrecarrer les ambitions d’Elon Musk en matière d’évolution de Twitter. Si l’on en croit la communication de l’homme le plus riche du monde pendant les jours qui ont précédé l’officialisation du rachat, celles-ci semblent concerner trois dimensions :</p>
<ul>
<li><p>Une dimension <strong>business</strong> : on peut imaginer qu’en détenant un média aussi influent, Elon Musk disposera d’un outil bénéfique à ses affaires, dans l’aérospatiale avec SpaceX ou dans les véhicules électriques avec Tesla, voire dans ses autres projets comme les cryptomonnaies ou le controversé transhumanisme.</p></li>
<li><p>Une dimension <strong>ludique</strong> : jusqu’à présent, le chef d’entreprise né en Afrique du Sud et naturalisé Américain est resté laconique sur les moyens qu’il envisage pour monétiser Twitter qui, malgré près de 220 millions d’utilisateurs actifs quotidiens, n’a pas été rentable lors des <a href="https://www.marketwatch.com/investing/stock/twtr/financials">deux derniers exercices comptables</a>. On peut donc penser que le chef d’entreprise, comme d’autres achètent des clubs de foot ou des médias traditionnels, accepterait de perdre de l’argent dans l’opération pour des raisons de prestige et d’influence. Si l’on se place une seconde du point de vue de personnes qui peuvent déjà tout s’offrir, il ne faut pas négliger le divertissement que peut représenter le pilotage d’un média, tout comme l’excitation que peuvent susciter des projets aussi fous et controversés que le transhumanisme, la colonisation spatiale… ou la transformation d’un des réseaux sociaux les plus influents du monde.</p></li>
</ul>
<p><iframe id="r8DWu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/r8DWu/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<ul>
<li>Une dimension <strong>politique</strong> : Le 14 avril dernier, lors d’une conférence Ted, il avait notamment détaillé son ambition de faire du réseau social « une arène inclusive pour la liberté d’expression ». Le milliardaire estime en effet qu’une forme de censure à sens unique, imposée par la gauche américaine au détriment des conservateurs, s’est installée.</li>
</ul>
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<figcaption><span class="caption">Conférence TED2022 d’Elon Musk, le 14 avril 2022 (Ted).</span></figcaption>
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<p>Cependant, une <a href="https://cdn.cms-twdigitalassets.com/content/dam/blog-twitter/official/en_us/company/2021/rml/Algorithmic-Amplification-of-Politics-on-Twitter.pdf">étude</a> scientifique a montré que la réalité était beaucoup plus nuancée, même si les censures les plus visibles ou emblématiques concernent le camp conservateur. La plus spectaculaire restant la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-Twitter-suspendu-compte-Donald-Trump-2021-01-09-1201133964">fermeture du compte de l’ancien président américain Donald Trump</a> (duquel Elon Musk s’est rapproché ces dernières années) pour « incitation à la violence » après l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021.</p>
<h2>Un bras de fer déjà engagé</h2>
<p>Ces ambitions d’ordre politique de celui qui se dépeint en « absolutiste de la liberté d’expression » paraissent largement prédominer dans la décision d’Elon Musk d’acquérir Twitter. Elles risquent toutefois de se heurter en Europe au <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/proposal_for_a_regulation_on_a_single_market_for_digital_services.pdf">Digital Services Act</a> sur lequel le Parlement et le Conseil de l’Union européenne viennent, hasard du calendrier, de trouver un accord.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499976967105433600"}"></div></p>
<p>En effet, le texte prévoit d’astreindre les plus grosses plates-formes numériques à de nouvelles obligations de moyens, de façon à lutter plus efficacement contre la désinformation et la haine en ligne. La mise en œuvre du DSA aura notamment pour conséquence d’augmenter les coûts des plates-formes liés à la modération ou à la couverture des nouveaux risques juridiques, mais aussi une mise en transparence des algorithmes qui pourrait nuire à leurs revenus tirés de la publicité intrusive ultraciblée.</p>
<p>Une fois par an, les plates-formes devront ainsi être auditées par des organismes indépendants placés sous la surveillance de la Commission européenne, et des amendes atteignant 6 % de leur chiffre d’affaires en cas d’infractions répétées pourront être prononcées.</p>
<p>Cet accord a fait dire au Commissaire européen Thierry Breton qu’avec l’accord conclu le 23 avril, « le temps des grandes plates-formes en ligne se comportant comme si elles étaient “trop grandes pour s’en soucier” <a href="https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/un-accord-provisoire-trouve-sur-le-digital-services-act-dsa-n181325.html">touche à sa fin</a> ». Le 26 avril, après l’officialisation du rachat de Twitter, il a assuré que le nouveau dirigeant « s’adaptera rapidement au DSA ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1518910089536716802"}"></div></p>
<p>Si Elon Musk va jusqu’au bout se sa logique, selon laquelle Twitter souffre d’un manque de liberté d’expression, des antagonismes risquent donc rapidement d’apparaître en Europe. Le bras de fer semble en tous cas engagé. En France, le secrétaire d’État au numérique Cédric O, a lui prévenu que le DSA « s’appliquera quelle que soit l’idéologie de son propriétaire ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1518691407703293954"}"></div></p>
<p>Certes, au sein de l’Union européenne, les géants du numérique ont jusqu’alors surtout eu affaire aux autorités fiscales et celles en charge de la concurrence. Cependant, si le DSA est effectivement appliqué, et que les utilisateurs s’en emparent pleinement pour signaler systématiquement les contenus non appropriés, il devrait quand même modifier les comportements… et par là même, l’avenir d’un réseau comme Twitter.</p>
<p>D’une part, parce que l’application du DSA pourrait dégrader un modèle économique, déjà peu robuste. L’augmentation des coûts liée aux exigences de modération pourrait se doubler d’une réduction des recettes, lesquelles reposent quasi exclusivement sur la publicité. L’attractivité de la régie publicitaire de Twitter pourrait souffrir de la lutte engagée contre l’exploitation de données sensibles, telles que les orientations sexuelles, politiques ou religieuses, particulièrement prisées des annonceurs. Un risque d’effet de ciseau, ou de réduction des marges, qui ne semble certes pas au cœur des préoccupations d’un milliardaire probablement enclin à ne pas gagner d’argent (du moins directement) avec son média.</p>
<p>D’autre part, si Elon Musk parvenait à ses fins en faisant de Twitter un espace de débat le plus ouvert possible, une partie des utilisateurs risquerait également de déserter le réseau social. Quel intérêt de recevoir des dizaines de messages d’insultes au moindre post ? Nous pourrions ainsi assister à une transposition, que nous avions détaillée dans un précédent <a href="https://theconversation.com/podcast-sur-les-reseaux-sociaux-aussi-la-mauvaise-monnaie-chasse-la-bonne-148240">podcast</a>, du précepte économique de la « mauvaise monnaie chasse la bonne » en « les mauvais utilisateurs chassent les bons ». Ne subsisteraient alors sur Twitter que les personnes en ayant une utilisation professionnelle, et les utilisateurs les moins modérés. Les autres pourraient se tourner vers d’autres espaces d’expression plus apaisés, mais aussi plus confidentiels, où paradoxalement, les obligations du DSA qui ciblent les plates-formes de plus de 45 millions d’utilisateurs actifs ne s’appliqueront pas.</p>
<p>Dans l’attente de pouvoir vérifier ces hypothèses, on pourra au moins avancer qu’avec le feuilleton de ce rachat, Elon Musk se met en scène comme le « <a href="https://theconversation.com/devenir-the-greatest-showman-la-construction-des-success-stories-91772">greatest showman</a> » du monde des affaires qui maîtrise le buzz et décrit le monde tel qu’il pourrait être. Une attitude au moins particulièrement appréciée des marchés financiers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le projet du patron de Tesla pour le réseau social qu’il vient de racheter pourrait entrer en contradiction avec la nouvelle réglementation des services numériques européenne.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1803542022-04-04T18:26:14Z2022-04-04T18:26:14ZLa transparence digitale peut parfois attiser la méfiance des consommateurs<p>Le Règlement général pour la protection des données personnelles (<a href="https://www.economie.gouv.fr/entreprises/reglement-general-sur-protection-des-donnees-rgpd">RGPD</a>) mis en place depuis mai 2018 dans l’Union européenne a instauré un changement important de la culture des entreprises sur leurs pratiques concernant les données en imposant de nouvelles exigences éthiques, responsables et transparentes.</p>
<p>L’objectif était de protéger le consommateur en l’informant face aux outils, aux pratiques et aux technologies employés par les organisations, généralement invisibles du point de vue des utilisateurs (collecte des données, algorithmes, ciblage publicitaire, tracking…). Les entreprises tiennent en effet généralement les clients dans l’ignorance et maintiennent l’opacité liée aux pratiques digitales.</p>
<p>Mais cette transparence rassure-t-elle le consommateur ? La réponse est moins simple qu’il n’y paraît. En effet, une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0767370120935734">étude</a> que nous avons menée, réalisée auprès de 445 consommateurs, confirme que, de manière évidente, trop peu de transparence génère de la suspicion. Mais nos résultats montrent aussi qu’il existe un effet négatif de la transparence sur la confiance au-delà d’un certain seuil.</p>
<h2>Filtre mental</h2>
<p>Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Prenons d’abord l’exemple d’un rappel de véhicule réalisé par un fabricant car celui-ci présente des aspects qui mettent en péril la sécurité des conducteurs. Dans cette situation, le rappel de véhicule crée-t-il de la confiance auprès des individus ou bien au contraire éveille-t-il des soupçons, de la suspicion, de la méfiance quant à la qualité du produit ? Le fait d’être transparent envers les clients, en ce qui concerne les pratiques digitales et les éléments liés à la sécurité de leurs données personnelles, peut donc éveiller un sentiment négatif à l’égard de l’entreprise.</p>
<p>Expliquer les processus marketing éveille les soupçons et la méfiance des clients qui ne se doutaient certainement pas de l’ampleur des pratiques digitales. Finalement, expliciter ses actions, c’est signaler une forme de risque. Ne « rien dire » pour la marque peut insinuer qu’elle respecte scrupuleusement les lois et les normes en vigueur dans le domaine (le RGPD par exemple). Parler des actions et des mesures prises concernant la protection des données personnelles peut, a contrario, créer de la suspicion. Comme nous l’a confié le PDG de Synox Group, spécialiste des objets connectés :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’entreprise dit trop de choses, les clients ont l’impression qu’elle essaye de se justifier et donc cela crée le sentiment contraire. Ils perdent en confiance. Si l’entreprise n’a rien à se reprocher, elle n’a pas besoin d’en dire autant. En dire trop fait perdre en clarté. Le client ne sait plus analyser si l’on en dit trop, il n’a peut-être pas les capacités pour assimiler l’information. »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, il s’avère que les clients sont soumis à des mécanismes psychologiques complexes et à des raccourcis cognitifs afin de répondre aux exigences de l’environnement de façon automatique, intuitive et rapide. Il est question de rationalité limitée. Par exemple, lors de son parcours d’achat, le client peut réaliser un cadrage mental (évaluation partielle), un réductionnisme ou une sélection orientée lors de l’évaluation de l’entreprise.</p>
<p>Il applique de façon inconsciente un filtre mental qui aboutit à ne pas lui faire prendre en compte un certain nombre d’informations divulguées par l’entreprise. Ce qui pourrait expliquer que même si l’entreprise est transparente, cela ne permet pas d’améliorer la confiance ; les clients se fondant sur des a priori négatifs liés à la méfiance généralisée concernant les pratiques digitales.</p>
<p>Finalement, la transparence d’une marque n’est pas un élément facilement vérifiable par les consommateurs. Elle est donc insuffisante. Il peut même s’avérer dangereux d’être transparent si la marque ne donne pas à ses clients des moyens de contrôler cette transparence. <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1509/jm.15.0497">Le « savoir » seul a des effets mitigés</a> sur la suppression du sentiment de vulnérabilité des individus. Sans procurer de contrôle sur les <em>data</em>, la transparence peut ainsi avoir un effet contre-productif et donc négatif sur la confiance. Informer, c’est bien. Donner les moyens de reprendre le contrôle sur ses données, c’est bien mieux.</p>
<h2>Plus de pédagogie</h2>
<p>Pour trouver ce bon équilibre entre trop et pas assez de transparence, les marques peuvent envisager des actions très concrètes. Le géant de la distribution en ligne Amazon propose par exemple les avis vérifiés qui mettent en exergue les origines et les détails des avis clients (produit acheté et date de l’achat). Les entreprises peuvent aussi, par exemple, introduire un lien dans chaque fiche produit renvoyant vers la politique de retour et vers la procédure de remboursement (la plus simple possible de préférence).</p>
<p>En matière de gestion des données personnelles, les entreprises doivent déjà désormais rendre davantage de comptes aux consommateurs, en raison du RGPD et des nouvelles conventions professionnelles en vigueur. Mais elles pourraient le faire de manière plus exhaustive et plus pédagogique, par exemple à l’aide de vidéos simples et de contenus visuels. Les marques doivent valoriser les bénéfices concrets obtenus lors de la collecte et de l’utilisation des données personnelles, plutôt qu’expliciter les procédés complexes de traitement de la donnée. Être transparent oui, mais encore faut-il l’être sur ce qui est attendu de la part des consommateurs !</p>
<p>Enfin, il s’agirait d’inciter plus largement les marques à travailler collectivement en faisant en sorte de développer des pratiques plus responsables. L’idée est de réinventer le contrat social afin qu’il paraisse plus juste aux yeux des consommateurs, ce qui pourrait bénéficier par la suite aux marques en termes de relation client. Pour cela, des actions de politiques publiques peuvent être mises en place. Par exemple, l’État travaille aujourd’hui sur le plan national pour un numérique inclusif. Ce type d’initiative permet justement aux consommateurs de mieux maîtriser leur environnement, de réduire leur vulnérabilité perçue et donc de renforcer leur confiance envers les marques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180354/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Audrey Portes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon un travail de recherche, les entreprises qui se livreraient à trop d’explications quant à leurs pratiques en ligne risquent de développer de la suspicion chez leurs clients.Audrey Portes, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1784352022-03-03T19:55:18Z2022-03-03T19:55:18ZImpact environnemental, addiction, données personnelles : les questions que posent les métavers<p><em>Cet article est publié en collaboration avec <a href="https://www.lemonde.fr/blog/binaire/">Binaire</a>, le blog pour comprendre les enjeux du numérique.</em></p>
<hr>
<p>On entend souvent dans les discussions sur les métavers des affirmations comme « il ne faudrait pas rater le train ». Il faudrait donc se lancer dans le métavers uniquement parce que d’autres le font ? Et s’ils s’y étaient lancés pour de mauvaises raisons, nous les suivrions aveuglément ? Autre interrogation présente dans beaucoup d’esprits : qu’adviendrait-il de nous si nous ne suivions pas le mouvement ?</p>
<p>Le métavers, c’est l’espoir pour certains que la réalité virtuelle trouve enfin son application phare grand public, que ce qu’elle permet aujourd’hui dans des contextes particuliers devienne possible à grande échelle, dans des contextes plus variés : l’appréhension de situations complexes, l’immersion dans une tâche, l’entrainement sans conséquence sur le monde réel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sur-quelles-technologies-les-metavers-reposent-ils-177934">Sur quelles technologies les métavers reposent-ils ?</a>
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<p>C’est l’espoir pour d’autres d’une diversification des interactions sociales en ligne, de leur passage à une plus grande échelle, de leur intégration dans un environnement fédérateur. C’est l’espoir que ces nouvelles interactions permettront de (re)créer du lien avec des personnes aujourd’hui isolées.</p>
<p>C’est aussi l’espoir d’un nouveau web construit aussi par et pour le bénéfice de ses utilisateurs, et non pas seulement celui des plates-formes commerciales.</p>
<p>C’est enfin – et probablement surtout, pour ses promoteurs actuels – l’espoir de l’émergence de nouveaux comportements économiques, l’espoir d’une révolution du commerce en ligne, l’espoir d’importants résultats financiers dans le monde réel.</p>
<h2>Qu’allons-nous faire dans ces métavers ?</h2>
<p>« La prédiction est très difficile, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir ». A quoi servira le métavers ? Des communautés spirituelles prévoient déjà de s’y rassembler. On peut parier qu’il ne faudra pas longtemps pour que des services pour adultes s’y développent ; on sait bien qu’ <a href="https://knowyourmeme.com/memes/the-internet-is-for-porn">« Internet est fait pour le porno »</a>. Au-delà de ces paris sans risque, essayons d’imaginer ce que pourraient permettre les métavers…</p>
<p>Imaginez un centre-ville ou un centre commercial virtuel dont les boutiques vous permettraient d’accéder à des biens et services du monde virtuel et du monde réel.Quelle différence avec les achats en ligne d’aujourd’hui ? Vous pourriez être assistés dans les boutiques du métavers par des personnages virtuels, avatars d’êtres humains ou d’intelligences artificielles. Vous pourriez vous y rendre accompagnés. Dans les boutiques où en passant de l’une à l’autre, il vous serait possible de croiser des personnes de votre connaissance (du monde réel ou virtuel) et interagir avec elles.</p>
<p>Comme certains jeux vidéo actuels, le metavers permettra sans doute la pratique de différents sports, seul ou à plusieurs. De nouveaux sports pourraient être inventés par les utilisateurs du métavers. Le métavers pourrait aussi changer votre expérience de spectateur de compétitions sportives. Pourquoi ne pas vivre le prochain match de votre équipe de football préférée dans le métavers du point de vue de l’avatar de son avant-centre plutôt que depuis les tribunes virtuelles ?</p>
<p>Le métavers pourrait fournir l’occasion et les moyens de reconsidérer la manière dont nous organisons le travail de bureau. En combinant l’organisation spatiale de l’activité permise par le métavers avec des outils que nous utilisons déjà (messageries instantanées, suites bureautiques partagées en ligne, outils de visioconférence, etc.), peut-être pourra-t-on proposer de nouveaux environnements de travail collaboratifs permettant de (re)créer du lien entre des personnes travaillant à distance.</p>
<p>On pourrait voir des usages du métavers se développer dans le domaine de la santé. La réalité virtuelle est déjà utilisée depuis de nombreuses années pour traiter des cas de phobie et de stress post-traumatiques. Ces thérapies reposent sur une exposition graduelle et maîtrisée par un soignant à une représentation numérique de l’objet engendrant la phobie.</p>
<h2>Plus de questions que de réponses</h2>
<p>Qui pourra réellement y accéder ? Il faudra sans aucun doute une « bonne » connexion réseau et un terminal performant, mais au-delà, les différences entre le métavers et le web n’introduiront-elles pas de nouvelles barrières à l’entrée, ou de nouveaux freins ? Le World Wide Web Consortium (W3C) a établi pour celui-ci des règles pour l’accessibilité des contenus à l’ensemble des utilisateurs, y compris les personnes en situation de handicap (<a href="https://www.w3.org/Translations/WCAG20-fr/">WCAG</a>). Combien de temps faudra-t-il pour que des règles similaires soient définies et appliquées dans le métavers ? Sur le web, il n’y a pas d’emplacement privilégié pour un site, la notion d’emplacement n’ayant pas de sens. Dans un monde virtuel en partie fondé sur une métaphore spatiale, la localisation aura de l’importance. On voit déjà de grandes enseignes se précipiter pour acquérir des espaces dans les proto-métavers, et des individus <a href="https://www.presse-citron.net/il-a-paye-450-000-pour-etre-le-voisin-virtuel-de-snoop-dogg/">payant à prix d’or</a> des « habitations » voisines de celles de stars. Qui pourra dans le futur se payer un bon emplacement pour sa boutique virtuelle ?</p>
<p>Le métavers, c’est la combinaison de la réalité virtuelle, des jeux vidéo, des réseaux sociaux et des cryptomonnaies, propices à la spéculation. En termes de risques de comportements addictifs, c’est un cocktail explosif ! L’immersion, la déconnexion du réel, l’envie de ne pas finir sur un échec ou de prolonger sa chance au jeu, la nouveauté permanente, la peur de passer à côté de quelque chose « d’important » pendant qu’on est déconnecté et l’appât du gain risquent fort de générer des comportements toxiques pour les utilisateurs du métavers et pour leur entourage.</p>
<p>En France, l’ANSES – qui étudie depuis plusieurs années l’impact des technologies numériques sur la santé – risque d’avoir du travail. De nouvelles formes de harcèlement ont aussi été signalées dans des métavers, particulièrement violentes du fait de leur caractère immersif et temps réel. En réponse, Meta a récemment mis en place dans Horizon World et Horizon Venues une mesure de protection qui empêche les avatars de s’approcher à moins d’un mètre de distance. D’autres mesures et réglementations devront-elles être mises en place ?</p>
<p>On a vu se développer sur le web et les réseaux sociaux des mécanismes de collecte de données personnelles, de marketing ciblé, de manipulation de contenus, de désinformation, etc.</p>
<p>S’il devient le lieu privilégié de nos activités en ligne et que celles-ci se diversifient, ne risquons-nous pas d’exposer une part encore plus importante de nous-même ? Si ces activités sont de plus en plus sociales, regroupées dans un univers unique et matérialisées (si on peut dire) à travers nos avatars, ne seront-elles pas observables par un plus grand nombre d’acteurs ? Faudra-t-il jongler entre différents avatars pour que nos collègues de travail ne nous reconnaissent pas lors de nos activités nocturnes ? Pourra-t-on se payer différents avatars ? Quel sera l’équivalent des contenus publicitaires aujourd’hui poussés sur le web ? Des modifications significatives et contraignantes de l’environnement virtuel ? « Ce raccourci vers votre groupe d’amis vous permettant d’échapper à un tunnel de panneaux publicitaires vous est proposé par Pizza Mario, la pizza qu’il vous faut » Les technologies chaîne de blocs (blockchain en anglais) permettront-elles au contraire de certifier l’authenticité de messages ou d’expériences et d’empêcher leur altération ?</p>
<p>Lors de la rédaction de ce texte, nous avons souvent hésité entre « le métavers » et « les métavers ». Dans la littérature comme dans la vidéo d’annonce de Facebook/Meta, le concept est présenté comme un objet unique en son genre, mais on imagine assez facilement des scénarios alternatifs, trois au moins, sans compter des formes hybrides. Le premier est celui d’une diversité de métavers sans passerelle entre eux et dont aucun ne s’imposera vraiment parce qu’ils occuperont des marchés différents. C’est la situation du web actuel (Google, Meta, Twitter, Tik Tok et autres sont plus complémentaires que concurrents), qui motive en partie les promoteurs du Web3. Le deuxième scénario est celui d’un métavers dominant largement les autres. Celui-ci semble peu probable à l’échelle planétaire, ne serait-ce qu’à cause de la confrontation USA – Chine (– Europe ?). Le troisième scénario est celui d’une diversité de métavers avec un certain niveau d’interopérabilité technique et existant en bonne harmonie. Il n’est pas certain que ce soit le plus probable : l’interopérabilité est souhaitable mais sera difficile à atteindre. Nous pensons plutôt que c’est le premier scénario qui s’imposera. La diversité, donc le choix entre différents métavers, est une condition nécessaire tant à l’auto-détermination individuelle qu’à la souveraineté collective.</p>
<p>Qui va réguler les métavers ? Dans le monde du numérique, les normes prennent parfois du temps à s’établir et n’évoluent pas nécessairement très vite. Quand il s’agit de normes techniques, ce n’est pas un problème : le protocole HTTP est resté figé à la version 1.1 de 1999 à 2014, et cela n’a pas empêché le développement du web. Quand il s’agit de réguler les usages, les comportements, ce peut être plus problématique. Jusqu’ici, on peut s’en réjouir ou s’en désoler, le secteur du web a été peu régulé. Ceux qui définissent les règles sont souvent les premiers joueurs, qui sont en fait les premiers possédant les moyens de jouer, c’est-à-dire les grands acteurs du web aujourd’hui. Si demain, une partie de nos activités personnelles et professionnelles se déroule dans des métavers créés par eux sur la base d’infrastructures matérielles et logicielles extra-européennes, quels seront le rôle et la pertinence dans ces mondes des états européens ? Si ces mondes sont créés par des collectifs transcontinentaux et autogérés par des individus, la situation sera-t-elle plus favorables à ces états ?</p>
<p>Enfin, mais ce n’est pas le moins important, d’un point de vue beaucoup plus pragmatique et à plus court terme, on peut s’interroger sur la pertinence de se lancer dans le développement de métavers au moment où nous sommes déjà tous confrontés aux conséquences de nos activités sur l’environnement. Le tourisme virtuel aidera peut-être à réduire notre empreinte carbone, mais le coût écologique lié à la mise en œuvre des métavers (réalité virtuelle, réseaux haut débit, chaîne de blocs, etc.) ne sera-t-il pas supérieur aux économies générées ? Le bilan devra bien sûr tenir compte des usages effectifs des métavers, de leur utilité et de leur impact positif sur la société.</p>
<p>Pour conclure</p>
<p>Ni enfer, ni paradis par construction, les métavers présentent des facettes tant positives que négatives, à l’image de beaucoup d’autres innovations technologiques (comme l’intelligence artificielle, par exemple). Nous avons tendance à surestimer l’impact des nouvelles technologies à court terme et à sous-estimer leur impact à long terme, c’est la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Roy_Amara">loi d’Amara</a>. Les métavers tels qu’on nous les décrit seront sans doute difficiles à mettre en œuvre. Rien ne dit que ceux qui essaieront y arriveront, que les environnements produits seront massivement utilisés, qu’ils le resteront dans la durée ou que nous pourrons nous le permettre (pour des raisons environnementales, par exemple). Les choses étant de toute manière lancées et les investissements annoncés se chiffrant en milliards d’euros, on peut au minimum espérer que des choses intéressantes résulteront de ces efforts et que nous saurons leur trouver une utilité.</p>
<p>Alors que faire ? Rester passifs, observer les tentatives de mise en œuvre de métavers par des acteurs extraeuropéens, puis les utiliser tels qu’ils seront peut-être livrés un jour ? S’y opposer dès à présent en considérant que les bénéfices potentiels sont bien inférieurs aux risques ? Nous proposons une voie alternative consistant à développer les réflexions sur ce sujet et à explorer de façon maîtrisée les possibles ouverts par les technologies sous-jacentes, en d’autres termes, à jouer un rôle actif pour tenter de construire des approches vertueuses, quitte à les abandonner – en expliquant publiquement pourquoi – si elles ne répondent pas à nos attentes. Nous sommes persuadés qu’une exploration menée de façon rigoureuse pour évaluer des risques et des bénéfices est nettement préférable à un rejet a priori non étayé.</p>
<hr>
<p><em>Pour lire la version longue de cet article, <a href="https://www.lemonde.fr/blog/binaire/">rendez-vous sur Binaire</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178435/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Faut-il, vraiment, se lancer dans la course aux métavers ? Essayons de nous poser les bonnes questions.Pascal Guitton, Professeur, Université de BordeauxNicolas Roussel, Directeur du centre Inria de l'université de Bordeaux, InriaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1761812022-02-03T17:44:32Z2022-02-03T17:44:32ZBonnes feuilles : « Le Covid-19, un accélérateur de l’adoption du métavers »<p><em>Le Covid monopolise la sphère médiatique depuis plus de deux ans au fil de ses mutations et des règles sanitaires qui tentent de la freiner. Cependant, un nouveau mot-valise est apparu, en partie favorisé par cette conjoncture particulière : celui de « métavers », ou « metaverse » en anglais. Ces espaces virtuels partagés en 3D ouvrent en effet le champ des possibles à une nouvelle révolution numérique majeure.</em></p>
<p><em>Le métavers permet d’abolir les dernières frontières qui se dressaient entre le monde physique et le monde numérique. Un monde aux possibilités infinies qui n’a de limites que l’imagination et la technique de l’humain. Aujourd’hui, ce concept fait aujourd’hui germer de nombreux projets financés majoritairement par les géants de l’industrie technologique et les grandes entreprises. Ces dernières ont déjà l’ambition de prendre la place de leader sur ce marché encore balbutiant, à l’image du groupe de distribution Carrefour qui vient d’<a href="https://www.bfmtv.com/tech/carrefour-a-achete-une-parcelle-virtuelle-dans-le-metavers-de-the-sandbox_AN-202201310211.html">acheter un terrain dans le monde virtuel</a> The Sandbox. Au-delà de cet exemple, le métavers amorce, semble-t-il, une marche irréversible et avec lui l’avenir de l’humanité tout entière.</em></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1488107850656272386"}"></div></p>
<p><em>Cet essor et ces perspectives font aujourd’hui l’objet du récent ouvrage « <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03540223">Le consommateur à l’heure du métavers : mondes virtuels, avatars, cryptomonnaies et jetons non fongibles : la nouvelle révolution numérique</a> » (auto-édité) de Samy Mansouri et Mehdi Mansouri, dont The Conversation France publie ici une sélection d’extraits.</em></p>
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<h2>Aux prémices du métavers</h2>
<p>Le terme métavers est apparu pour la première fois dans le <a href="https://theconversation.com/metavers-le-nouvel-eldorado-169653">roman de science-fiction de Neal Stephenson</a>, <em>Snow Crash</em>, publié à l’aube du développement d’Internet en 1992. Dans cette fiction, les individus sous la forme d’avatars vivent et interagissent dans un espace virtuel en trois dimensions (3D) sensiblement semblables au monde réel mais avec plus de possibilités. Aux prémices d’Internet, Stephenson prédisait déjà la prochaine transformation importante du numérique basée sur la réalité virtuelle. Dans son roman, les humains accèdent au métavers par le biais d’ordinateurs qui projettent un affichage de réalité virtuelle sur des lunettes portées par l’utilisateur.</p>
<p>En 2003, la société Linden Lab, basée à San Francisco a lancé Second Life, une plate-forme virtuelle en ligne qui permet aux individus de mener une seconde vie dans un monde virtuel sous la forme d’un avatar. Le jeu a connu une forte notoriété et a approché le million d’utilisateurs réguliers en 2013. Les utilisateurs de Second Life, créent des projections virtuelles d’eux-mêmes, et sont en mesure d’interagir avec d’autres avatars, des lieux et des objets. Ils peuvent explorer le monde virtuel, rencontrer d’autres utilisateurs, participer à des activités individuelles ou de groupes, construire, créer, acheter et échanger des objets virtuels entre eux. La plate-forme propose ainsi des items en 3D générés par les utilisateurs eux-mêmes. Les échanges se font en Linden Dollar, la monnaie virtuelle du jeu qui est convertible en monnaie du monde réel.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443779/original/file-20220201-25-dxdfqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Avatars dans le monde virtuel « Second Life ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Second_Life_11th_Birthday_Live_Drax_Files_Radio_Hour.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Plus récemment, le jeu vidéo d’action Fortnite qui comptait <a href="https://www.numerama.com/pop-culture/473562-fortnite-atteint-les-250-millions-de-joueurs-qui-pourra-larreter.html">250 millions de joueurs</a> en 2019 a proposé le premier concert gratuit au sein du monde virtuel en partenariat avec le rappeur Travis Scott. Les concerts sur 3 jours, du 24 au 26 avril 2020, ont rassemblé 27,7 millions de joueurs. Travis Scott a ainsi gagné <a href="https://www.cnews.fr/vie-numerique/2020-12-02/le-rappeur-travis-scott-aurait-gagne-20-millions-de-dollars-grace-fortnite">20 millions de dollars</a> pour l’événement. Le lien du replay qui comptabilise plus de 179 millions de vues (Note de la rédaction : chiffre mis à jour le 1<sup>er</sup> février 2022) est disponible sur YouTube via le <a href="https://youtu.be/wYeFAlVC8qU">lien en référence</a>.</p>
<p>Le concept a été reproduit avec d’autres stars telles que Ariana Grande, qui a donné une série de concerts virtuels, du 7 au 9 août 2021.</p>
<h2>Un avènement favorisé par la pandémie</h2>
<p>Nous passons de plus en plus de temps sur nos écrans. Depuis l’arrivée des ordinateurs portables, des smartphones et des tablettes, les humains ont commencé à vivre dans une réalité alternative, notamment sur les réseaux sociaux. Cette tendance s’est fortement accentuée depuis le début de la crise sanitaire qui a forcé ou incité les individus à passer plus de temps sur Internet. Forcé, car le confinement nous a obligés à télétravailler et à se parler via des applications de messagerie à défaut de pouvoir le faire en présentiel. Incité, car la monotonie du confinement nous pousse à passer plus de temps sur Internet pour apprendre ou pour se divertir.</p>
<p>Selon le baromètre Ipsos pour le groupe Krys – Ipsos, les enfants de 3 à 10 ans passent 2h14 devant un écran, soit <a href="https://www.lsa-conso.fr/le-temps-d-ecran-quotidien-des-enfants-augmente-encore-en-2021,396711">20 minutes de plus qu’en 2019</a>. Une étude américaine a montré que depuis le début de la pandémie, le temps passé devant l’écran a plus que doublé chez les 10-14 ans, passant de 3,8 heures/jour à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34724543/">pratiquement 8 heures journalier</a>. Une étude de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps) parue en 2020 a montré que <a href="https://onaps.fr/confinement-et-niveau-dactivite-physique/">69 % des adolescents ont augmenté leur temps d’écran</a> durant le premier confinement.</p>
<p>À l’heure de la normalisation du télétravail, le métavers professionnel semble être la porte d’entrée la plus logique aux nouveaux mondes virtuels. Une grande majorité des emplois dans le secteur des services se fait sur un ordinateur et ne nécessite pas de présence physique sur le lieu de l’entreprise, un terminal de travail et une connexion Internet suffisent.</p>
<p>La pandémie a également incité les organisations à avoir recours au télétravail sans dimension coercitive mais par praticité. De nombreuses réunions sont désormais organisées en ligne alors qu’elles avaient usuellement lieu en présentiel.</p>
<p>Au-delà de la vie professionnelle, le Covid a favorisé les relations sociales en distanciel. Les apéros en ligne qui pouvaient auparavant paraître totalement saugrenus ont été normalisés durant la pandémie. De nombreux amateurs et professionnels de la musique ont également donné des concerts gratuits durant les confinements. Par exemple, le DJ Français Bob Sinclar a réuni jusqu’à <a href="https://www.francebleu.fr/infos/insolite/pendant-le-confinement-le-dj-bob-sinclar-mixe-tous-les-jours-en-direct-sur-facebook-1585245633">6 millions de spectateurs</a> sur une session live de musique funk sur Facebook.</p>
<p>Tous ces éléments mis en commun favorisent fortement la migration des consommateurs vers le métavers, un monde virtuel auquel ils sont de plus en plus habitués.</p>
<h2>Des investissements importants</h2>
<p>Sans surprise les entreprises qui investissent aujourd’hui massivement dans le métavers font partie des GAMAM (Google – Amazon – Meta – Apple – Microsoft) et des BATX (Baidu – Alibaba – Tencent -Xiaomi). Pour rappel ce sont les entreprises technologiques les plus importantes au niveau mondial. Leur capitalisation frôle les 10 000 milliards de dollars soit deux fois et demie le PIB de l’Allemagne.</p>
<p>L’entreprise qui paraît la plus avancée reste Meta (anciennement Facebook). Le 28 octobre 2021, Mark Zuckerberg a présenté dans une longue vidéo sa vision et les objectifs de son métavers alliant réalité virtuelle et réalité augmentée, la vidéo est disponible via le lien en référence (voir ci-dessous).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Uvufun6xer8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">The Metaverse and How We’ll Build It Together – Connect 2021 (Meta, octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>Dans la foulée, Meta a lancé le 9 décembre 2021 aux États-Unis et au Canada, Horizon Worlds, une expérience de réalité virtuelle sociale où les utilisateurs peuvent créer et explorer ensemble un métavers. Pour y accéder, un casque de réalité virtuelle de la marque Oculus (entreprise rachetée en 2014 par Facebook) est nécessaire. Selon Meta, Horizon Worlds représente l’avenir des réseaux sociaux, notamment grâce aux interactions avec les autres avatars.</p>
<p>De son côté Microsoft a annoncé une nouvelle plate-forme appelée Mesh pour 2022. Mesh s’inscrit dans la <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-11-02/microsoft-s-own-metaverse-is-coming-and-it-will-have-powerpoint">productivité en ligne</a> en étant la suite de Teams. La nouvelle plate-forme collaborative professionnelle ambitionne de combiner la réalité augmentée et la réalité virtuelle. L’objectif est de pouvoir travailler dans un bureau virtuel en incarnant un avatar, le tout avec plus de fonctionnalités.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Jd2GK0qDtRg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Introducing Microsoft Mesh (Microsoft, mars 2021).</span></figcaption>
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<p>Du côté de la Chine, Ma Jie le vice-président de Baidu, a donné une <a href="https://www.cnbc.com/2021/12/24/baidu-says-it-could-be-6-years-before-it-can-fully-deliver-its-metaverse.html">conférence de presse</a> le 21 décembre 2021 pour présenter XiRang (en français, « terre d’espoir »), le métavers en cours de développement de la société. Ce projet devrait voir le jour dans les 6 ans à venir selon l’entreprise.</p>
<p>Plusieurs applications industrielles du métavers sont également envisagées par les grands groupes. Boeing a récemment annoncé vouloir <a href="https://www.reuters.com/technology/boeing-wants-build-its-next-airplane-metaverse-2021-12-17/">concevoir son prochain avion</a> dans le métavers. Après la crise du 737 Max, le constructeur aéronautique va investir 15 milliards de dollars sur 10 ans pour revenir à la pointe de l’ingénierie.</p>
<h2>Réel et virtuel, une frontière désormais poreuse</h2>
<p>Plusieurs entreprises développent des interfaces de connexion qui reproduisent les stimuli sensoriels. Plusieurs innovations concernent les combinaisons intégrales pour permettre de mieux ressentir l’environnement virtuel sur le corps physique et de mesurer les signes vitaux de l’utilisateur. Le but étant à terme de pouvoir aussi ressentir les chocs, la présence de liquide ou de gaz ainsi que les changements de température. Les entreprises les plus avancées du secteur sont Bhaptics, HaptX ou encore TeslaSuit.</p>
<p>Au Japon, pays souvent à l’avant-garde des nouvelles technologies, une entreprise travaille sur une plate-forme de réalité mixte qui permet de prendre en compte une réalité incluant la réalité virtuelle et la réalité augmentée. L’entreprise propose aux utilisateurs de percevoir, via des lunettes spécifiques, des contenus de réalité mixte dans des zones urbaines. En marchant dans la rue, le piéton peut voir des points d’informations ou des <a href="https://psychic-vr-lab.com/en">œuvres d’art flottantes</a> dans le ciel.</p>
<p>Des techniques de conceptions immersives dans le métavers seront utilisées. Les employés du monde entier pourront collaborer sur une même plate-forme en 3D et contrôler des robots industriels dans cette même interface.</p>
<p>De nombreuses entreprises utilisent déjà la réalité virtuelle pour les visites de chantier par exemple. Le métavers permettra une expérience, plus immersive et plus collaborative, tout en réduisant les coûts. Un ingénieur pourra faire le suivi en temps réel de plusieurs projets sans se déplacer physiquement et en partageant des informations avec les membres de son équipe, eux aussi dans le métavers.</p>
<h2>Limites et risques</h2>
<p>À l’heure actuelle, ce sont les géants de la tech qui semblent être les plus avancés dans la course au métavers au vu des investissements importants dans le secteur. Les entreprises des GAMAM et des BATX, qui sont les premiers bâtisseurs du métavers ont quasiment toutes été critiquées concernant le respect de la vie privée de leurs utilisateurs. La CNIL a récemment infligé des amendes à Google et Facebook pour leur gestion du consentement des cookies. Les deux plates-formes devront payer des amendes de respectivement 150 millions et 60 millions d’euros. En plus d’une obligation de mise en conformité sous peine d’astreintes de 100 000 euros par jour de retard.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1479023500107128833"}"></div></p>
<p>Dans le métavers, tous les comportements des humains peuvent être répliqués dans le monde virtuel. Malheureusement cela inclut les bons comme les mauvais. Lors du lancement du métavers de Meta, Horizon Worlds, une utilisatrice a été harcelée sexuellement sur la plate-forme. Elle a expliqué que son avatar a subi des attouchements par un autre avatar d’un utilisateur inconnu. Les services de modération d’Horizon Worlds se sont défendus en expliquant que la jeune femme n’avait pas activé les dispositifs de sécurité comme une <a href="https://www.lepoint.fr/sciences-nature/agression-sexuelle-le-metavers-de-facebook-au-coeur-d-une-polemique-18-12-2021-2457447_1924.php">bulle de sécurité</a> permettant de tenir à distance les autres utilisateurs.</p>
<p>D’ailleurs, Andrew Bosworth, directeur des nouvelles technologies de Meta, est lui-même inquiet au sujet du besoin de modération titanesque nécessaire au métavers, bien supérieur à celui des réseaux sociaux actuels. Il a affirmé, dans un mémo interne consulté par le Financial Times, que la réalité virtuelle pouvait souvent constituer un « environnement toxique », en <a href="https://www.ft.com/content/d72145b7-5e44-446a-819c-51d67c5471cf">particulier pour les femmes et les minorités</a>.</p>
<p>L’ère du numérique et de la dématérialisation devient aussi, paradoxalement, l’ère durant laquelle nous polluons et nous utilisons le plus de matières et d’énergie. La production d’un ordinateur portable, par exemple, requiert des métaux rares provenant du monde entier (du tantale congolais, du lithium bolivien, de l’or australien, et bien d’autres terres rares chinoises).</p>
<p>Selon une récente étude, les émissions de gaz à effet de serre du numérique se situent <a href="https://europepmc.org/article/med/34553177">autour de 3 % de la part totale</a> d’émissions mondiales de CO<sub>2</sub> anthropiques. C’est <a href="https://www.icao.int/environmental-protection/Pages/envrep2019.aspx">plus que le secteur de l’aviation</a> (transport aérien civil) qui représente 2 % des émissions mondiales de CO<sub>2</sub> selon un rapport de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en 2019.</p>
<p>L’interface audiovisuelle du métavers provoquera inévitablement une forte consommation énergétique. On estime que le fonctionnement du métavers nécessitera près de deux fois et demie plus de ressources que le fonctionnement des réseaux Internet aujourd’hui.</p>
<h2>Conclusion</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443781/original/file-20220201-18-1ym2768.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Le consommateur à l’heure du métavers : Mondes virtuels, avatars, cryptomonnaies et jetons non fongibles : la nouvelle révolution numérique », de Samy Mansouri et Mehdi Mansouri.</span>
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<p>Les changements comportementaux des consommateurs, les investissements massifs dans le métavers, de même que les premiers revenus conséquents issus des nouveaux outils et applications numériques, renforcent l’idée que le métavers représente la future révolution majeure du numérique. Les contours ne sont pas encore bien définis et les différents acteurs de ce nouveau marché mènent une guerre commerciale pour capter le maximum d’utilisateurs possible.</p>
<p>Malgré les risques associés, le métavers est déjà en marche. La conjecture d’une pandémie qui pouvait être considérée comme exceptionnelle au XXI<sup>e</sup> siècle il y a deux ans, favorise fortement et même impose des éléments du métavers aux êtres humains.</p>
<p>Enfin, l’Internet traditionnel semble être arrivé à la fin de son règne laissant place au début du métavers. Plus global, plus immersif, plus sensoriel et plus expérientiel, le métavers se développe à une vitesse impressionnante où les acteurs traditionnels se disputent les premières places face aux nouveaux disrupteurs technologiques dont l’ambition n’a d’égal que la taille de cette future technologie aux possibilités infinies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176181/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samy Mansouri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En favorisant les relations sociales en distanciel, la pandémie a contribué à diffuser les usages au cœur des mondes virtuels en 3D, dont l’essor est analysé dans un récent ouvrage. Extraits.Samy Mansouri, Maitre de Conférences, IAE OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1702722021-10-21T21:11:37Z2021-10-21T21:11:37ZConversation avec Asma Mhalla : « Les services des GAFAM sont devenus une commodité indispensable »<p><em>Invitée aux <a href="https://www.tribunesdelapresse.org/">Tribunes de la presse 2021</a> à Bordeaux, Asma Mhalla, spécialiste de l’économie numérique et maîtresse de conférences à Sciences Po Paris, a expliqué les enjeux de la régulation des géants de l’économie numérique par des États qui perdent progressivement leur rôle social et économique dans la société.</em></p>
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<p><strong>Les bénéfices des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) explosent <a href="https://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20210430-les-gafam-voient-leurs-b%C3%A9n%C3%A9fices-exploser-apr%C3%A8s-une-ann%C3%A9e-de-pand%C3%A9mie">depuis le début de la crise sanitaire</a>. Comment la pandémie a-t-elle renforcé l’influence de ces méta-plates-formes, qui agrègent de multiples services numériques de notre quotidien ?</strong></p>
<p><strong>Asma Mhalla</strong> : Sans ces outils numériques, le confinement n’aurait sans doute pas été possible aussi longtemps. Ces plates-formes ont été un sas de décompression. La crise sanitaire a consolidé leur position en captation d’usage et donc en accoutumance, d’autant plus que leur public s’est élargi.</p>
<p>Nous vivons dans des sociétés <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux1-2004-2-page-17.htm">ultra-individualistes et individualisées</a>, où l’ensemble des insécurités économiques et sociales pèsent sur l’individu pendant que les solidarités collectives s’affaiblissent. Dans cette solitude quasiment existentielle, les réseaux sociaux créent certes du lien, mais du lien très précaire. À travers une narration de soi souvent fantasmée, ils nourrissent des égos affaiblis par un système idéologique insécurisant. Ce sont dans ces failles psychologiques que les réseaux sociaux s’immiscent pour capter durablement l’attention, et donc l’engagement, des utilisateurs.</p>
<p>Depuis la crise sanitaire, ils sont devenus indispensables. Pour garder une illusion de lien social, on consent à dévoiler nos données. Tristan Harris, ex-designer chez Google, explique très bien comment les interfaces sont pensées pour créer des mécanismes d’addiction comme au casino par exemple, pour que l’on y passe un <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2017/02/14474-les-applis-nous-transforment-en-zombies/">maximum de temps</a>.</p>
<p>C’est ce que l’on appelle la <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/tech-captologie-ordinateur-outil-persuasion-5689/">captologie</a> : sur ces interfaces s’agrègent les algorithmes de recommandation qui mettent en place les dispositifs de l’économie de l’attention et de la viralité. Avec à la clé, ce qu’il qualifie de « human downgrading » (déclassement humain) face à la machine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wfTuuZQENoc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tristan Harris décrit les conséquences de la dépendance aux smartphones (en anglais).</span></figcaption>
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<p><strong>Vous évoquez une alchimie entre des États, qui assumeraient un rôle plus sécuritaire, voire punitif, et des méta-plates-formes qui joueraient un rôle plus social et économique. Ne s’agit-il pas davantage d’une confrontation ?</strong></p>
<p><strong>A.M.</strong> : Il s’agit d’une relation ambiguë, inscrite à la fois dans la confrontation et dans la continuité. Les nations et les méta-plates-formes ont des liens consanguins et complexes. Dans les années 1960, l’État est un État social fort. À partir des années 1980, il devient libéral et se replie sur ses compétences régaliennes. C’est ce qui explique, entre autres, une forme de gouvernance par la peur accompagnée d’une rhétorique sécuritaire.</p>
<p>Les <em>big tech</em> offrent des infrastructures informationnelles puissantes et massives. Sur les réseaux sociaux, on s’expose, on laisse derrière nous nos traces numériques. Contrairement à ce qu’on lit ici et là, ce n’est de mon point de vue ni Orwell ni Huxley. Les plates-formes captent les données personnelles parce que nous les livrons de façon volontaire et <a href="https://www.letemps.ch/evenements/rapport-compulsif-aux-technologies-numeriques-dont-smartphone-lie-nousmemes">compulsive</a>. Le pouvoir coercitif de l’État s’alimente de ces infrastructures virtuelles, a priori ludiques ou informatives, afin de mettre en place des dispositifs de surveillance de la population.</p>
<p>Cette dynamique a commencé juste après le 11 Septembre. La NSA (National Security Agency) d’une part, et la DARPA (Agence d’innovation de l’État fédéral américain) d’autre part, avaient alors lancé le concept de <a href="http://vadeker.net/humanite/geopolitique/total_information_awareness.html"><em>total information awareness</em></a> : les méta-plates-formes deviennent un service de captation de data contre « l’axe du Mal ». Cette tendance de fond s’est quelques années plus tard durablement installée en France <a href="https://blogs.mediapart.fr/miden/blog/080121/loi-securite-globale-poursuite-du-demantelement-des-services-publics">à la suite des attentats de 2015</a>.</p>
<p>Puis, en 2018, au Forum de la gouvernance internationale d’Internet à Versailles, Emmanuel Macron prononçait un discours qui m’avait profondément étonnée. Il avait lancé le concept de « co-régulation », comme si les plates-formes et l’État devaient désormais réguler le cyberespace de concert. Pourtant, l’État est l’autorité de régulation supérieure au marché. La doctrine a donc été modifiée de façon subreptice. Ce signal politique et symbolique important a été très peu relevé en France, mais entérine le fait que l’État s’allie aux GAFAM sur les questions de surveillance, et essaie dans le même temps de s’en détacher dans une velléité de maintien de son pouvoir suprême. Il veut encore garder sa position de méta-régulateur sur des entités qui ont désormais une puissance et une capacité de frappe politique gigantesque, et pourraient avoir des ambitions politiques qui dépassent le simple profit marchand.</p>
<p><strong>L’Union européenne tente notamment de réguler plus strictement ces plates-formes. Parmi les textes en discussion, le règlement relatif à un marché intérieur des services numériques, ou <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?qid=1608117147218&uri=COM%3A2020%3A825%3AFIN">Digital Services Act</a> (DSA), vise à mieux protéger l’utilisateur. Sera-t-il utile ?</strong></p>
<p><strong>A.M.</strong> : Disons qu’il est prometteur. L’objectif du DSA est d’exiger des plates-formes un compte-rendu sur les moyens mis en œuvre pour la modération, d’avoir un référent dans chaque pays, d’infléchir le design des plates-formes en redonnant une place aux utilisateurs, par exemple dans le choix des critères de sélection dans l’algorithme de recommandation et de signalement des contenus réputés illicites.</p>
<p>De ce point de vue, Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, a envoyé un signal politique fort en <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/12/15/gafa-bruxelles-devoile-son-plan-pour-mieux-lutter-contre-les-abus-des-geants-du-numerique_6063487_3234.html">présentant ce projet de régulation</a> fin 2020. Cette question n’était en effet jusque-là pas du tout préemptée par le politique, ou très mal abordée.</p>
<p>Ce texte apporte des débuts de réponse à certaines questions juridiques et technologiques mais n’attaque pas encore le cœur du sujet, à savoir le modèle économique des big tech. Il tente d’endiguer les symptômes mais n’interroge pas les causes. Or, le modèle économique de ces plates-formes est le point nodal et problématique, car les réseaux sociaux ont privatisé un espace public numérique, des infrastructures sociales essentielles à la vitalité démocratique.</p>
<p>Aujourd’hui, celles qui concentrent l’ensemble de nos usages sont des entreprises de droit américain. Elles ont le statut d’hébergeurs, et non d’éditeurs. Elles n’ont pas une responsabilité sur le contenu mais simplement sur les modalités de distribution de la parole. Par ailleurs, le régulateur aurait pu d’emblée interdire le micro-ciblage politique qui atomise le discours politique.</p>
<p>Enfin, il y a aussi de véritables interrogations concernant les capacités opérationnelles de mise en œuvre du texte une fois qu’il sera adopté. Il faut les moyens financiers, humains, et ce n’est pas dit que l’on réussisse à mettre en œuvre ce premier pas compte tenu du contexte économique.</p>
<p><strong>Pourtant, Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, a divulgué début octobre 2021 des milliers de documents selon lesquels l’entreprise privilégierait le profit au détriment de la modération des contenus haineux ou diffusant des fausses informations…</strong></p>
<p><strong>A.M.</strong> : Entendons-nous, les big tech n’ont aujourd’hui pas le pouvoir de la norme et de la règle du droit qui reste l’apanage de l’État. Par ailleurs, il y a ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas légalement faire. À date, ils ne peuvent matériellement pas modérer une volumétrie aussi gigantesque dans le monde de données. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable, nous aurions un risque de censure trop grave en industrialisant algorithmiquement la modération des contenus : les algorithmes ne sont <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/274595-algorithmes-alerte-sur-les-risques-de-discriminations">pas aussi fiables</a> que l’on veut bien le faire croire.</p>
<p>Et puis, Facebook ne peut pas mettre un modérateur humain derrière chaque utilisateur. Se pose donc à nouveau la question du statut juridique. On pourrait envisager des statuts mixtes publics/privés, où l’État et la société civile auraient un droit de regard sur la façon dont les plates-formes en général et les algorithmes en particulier sont conçus. Ce, dans un but d’intérêt général. Nous avons récemment comparé la nocivité de Facebook à l’industrie du tabac, nous pourrions infléchir le modèle de gouvernance des big tech au même titre que des infrastructures essentielles comme les routes, les ports, etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Facebook : la lanceuse d’alerte Frances Haugen témoigne au Congrès américain (BFMTV, 6 octobre 2021).</span></figcaption>
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<p><strong>Vous évoquez souvent le <a href="https://www.cairn.info/revue-humanisme-2011-4-page-48.htm">contrat social de Hobbes</a>, qui transfère les pouvoirs au souverain en échange de la garantie d’une stabilisation sociale. Vous l’appliquez au contexte actuel selon le schéma suivant : liberté et sécurité contre vie privée. Un État qui a accès aux données personnelles de ses citoyens est-il forcément plus sûr ?</strong></p>
<p><strong>A.M.</strong> : Il s’agit de la croyance de l’État, mais ce n’est pas vrai. Chaque époque s’accompagne de son propre « <a href="https://journals.openedition.org/framespa/10067">régime de vérité</a> », comme le décrit parfaitement Michel Foucault. Le monde numérique a donc aussi son propre régime de vérité : le big data et les algorithmes donnent la vérité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1073494767978381312"}"></div></p>
<p>L’État a mis en place des dispositifs particulièrement invasifs de surveillance et de captation massive de nos données personnelles autour d’un contrat social particulièrement affaibli. Mais vos données personnelles définissent votre identité propre et unique, ce que vous êtes, votre intimité, vos libertés fondamentales. Au-delà d’une intrusion dans votre vie privée, c’est une détérioration potentielle de votre libre arbitre et de la capacité d’une société à s’autodéterminer. On ne voit pourtant pas émerger un débat public authentique permettant d’arbitrer sereinement sur l’usage de ces technologies par nature duales.</p>
<p><strong>La police de Los Angeles a par exemple utilisé, notamment avec le système Predpol, des algorithmes pour prédire les crimes en analysant les données. La justice algorithmique a-t-elle par exemple un avenir ?</strong></p>
<p><strong>A.M.</strong> : Aux États-Unis, PredPol <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/informatique/police-predictive-predpol-ressemble-a-l-algorithme-d-uber_144352">a été retiré depuis le mouvement des Black Lives Matter</a>. L’algorithme avait le même problème que les logiciels de reconnaissance faciale par exemple : on retrouvait des taux d’erreurs très faibles lorsqu’il s’agit d’identifier un homme blanc, mais des faux positifs anormalement élevés quand il s’agit par exemple de <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/intelligence-artificielle-la-reconnaissance-faciale-est-elle-misogyne-et-raciste_121801">femmes noires</a>.</p>
<p>Le risque est donc de s’intéresser injustement à certaines personnes. PredPol se basait sur des faits passés et envoyait toujours les patrouilles de police aux mêmes endroits. Involontairement, vous aviez une reproduction des inégalités préexistantes.</p>
<p>Il n’est pas dit que de tels usages ne reviennent pas. Tous les logiciels prédictifs de police sont intéressants quand ils vont donner des recommandations, mais ils ne doivent surtout pas se substituer à la décision humaine finale. Automatiser ces décisions sensibles qui tiennent entre leurs mains le destin des individus supprime toute possibilité de négociation ou de recours. L’idée est de garder les outils d’aide à la décision précisément comme simplement des outils d’aide, à leur juste place et avec les précautions d’usage quant à leur fiabilité.</p>
<hr>
<p><em>Propos recueillis par Margot Favier et Pierre Bourgès, étudiants en master professionnel de journalisme à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA) dans le cadre des Tribunes de la Presse, dont The Conversation France est partenaire</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La montée en puissance des plates-formes, qui s’est accélérée depuis le printemps 2020, complexifie la réponse envisagée par les États en matière de régulation.Asma Mhalla, Maitre de Conférences à SciencesPo, spécialiste des enjeux politiques de l'économie numérique, Sciences Po Marie-Christine Lipani, Maitre de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication habilitée à diriger des recherches à l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA), Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1675432021-09-20T20:44:47Z2021-09-20T20:44:47ZImpact environnemental du numérique : les internautes peu enclins à changer leurs habitudes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/419964/original/file-20210908-23-1l9t3n3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C16%2C1194%2C750&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les émissions de gaz à effet de serre liées au numérique pourraient augmenter de 60&nbsp;% d’ici 2040.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pxfuel.com/en/free-photo-xvrtv">Pxfuel.com</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Cloud, vidéo à la demande, réseaux sociaux, webconférence, 5G, intelligence artificielle, blockchain, cryptomonnaies, Internet des objets… Ces technologies, outils et pratiques créent des opportunités de marché sans précédent pour les entreprises, et colonisent le quotidien des individus. Mais derrière ces évolutions « digitales » et « virtuelles » se cache un monde moins connu fait de serveurs, d’immenses bâtiments climatisés 24h/24, de câbles et autres relais qui consomment plus de <a href="https://printemps21.ch/wp-content/uploads/2020/07/empreinte-environnementale-du-numerique-mondial.pdf">4 % de la consommation mondiale d’énergie primaire</a>.</p>
<p>Le numérique était ainsi à l’origine de <a href="https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/">3,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre</a> dans le monde en 2018. 44 % de cette empreinte serait due à la <a href="http://www.senat.fr/rap/r19-555/r19-555-syn.pdf">fabrication des terminaux</a>, des centres informatiques et des réseaux et 56 % à leur utilisation. Et l’évolution est exponentielle : rien qu’en France, on estime que ces émissions pourraient <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/quel-est-l-impact-du-numerique-sur-l-environnement-20210609">augmenter de 60 % d’ici 2040</a>, atteignant 6,7 % des émissions totales du pays. À titre de comparaison, la part du transport aérien est de 4,7 %.</p>
<h2>Les Français peu informés</h2>
<p>Le problème est suffisamment sérieux pour que les acteurs privés du numérique et les pouvoirs publics s’en saisissent. Des opérateurs comme Orange communiquent par exemple de plus en plus sur les <a href="https://bienvivreledigital.orange.fr/category/environnement/">« éco-gestes » numériques</a> en faveur de l’environnement. De leur côté, les GAFAM souhaitent se montrer vertueux en <a href="https://www.google.com/intl/fr/about/datacenters/cleanenergy/">mettant en avant l’énergie verte</a> qui fait fonctionner leurs immenses centres de données et leurs efforts pour réduire leur impact environnemental.</p>
<p>En France, le Sénat a lancé en 2020 une <a href="http://www.senat.fr/commission/dvpt_durable/mission_dinformation_sur_lempreinte_environnementale_du_numerique.html">mission d’information</a> relative à l’empreinte environnementale du numérique et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a publié un <a href="https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/4098-face-cachee-du-numerique-9791029716904.html">guide pratique</a> sur le sujet.</p>
<p>Toutefois, comme le montre notre <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S109499682030075X">étude</a> récente, non seulement les internautes français se sentent assez peu informés de l’impact environnemental du numérique, mais lorsqu’ils le sont, ils ne souhaitent pas pour autant changer leurs habitudes. Ils attribuent la responsabilité d’agir aux entreprises et aux pouvoirs publics.</p>
<p>Plusieurs raisons sont mises en évidence pour justifier ce rejet de la responsabilité individuelle : les pratiques concernées (Internet mobile, réseaux sociaux, vidéo en streaming, etc.) sont tellement ancrées dans les habitudes et dans les esprits qu’elles constituent une « norme sociale » dont il serait difficile – voire stigmatisant – de s’éloigner ; la croyance que chaque progrès technique génère sa part de pollution et qu’il faudrait l’accepter au vu de ses nombreux bénéfices ; un certain scepticisme sur la réalité du problème (pour un répondant à notre étude, « après tout, 3,7 % des gaz à effet de serre, ça ne fait pas beaucoup ! ») ; un sentiment d’impuissance (« me désabonner de Netflix ne résoudra pas le problème »).</p>
<p>Pourtant, la plupart se déclarent sensibles aux questions environnementales.</p>
<h2>Inconfort psychologique</h2>
<p>Ces motivations paradoxales génèrent de la dissonance cognitive : les internautes sont attachés aux bénéfices apportés par le numérique et enclins à adopter de plus en plus de services digitaux mais ils en perçoivent simultanément les effets délétères sur l’environnement.</p>
<p>Dans l’enquête que nous avons menée, nous avons étudié l’intention d’adopter une solution simple permettant aux internautes de réduire leur impact écologique : adopter un moteur de recherche « vert » qui compense ses émissions de gaz à effet de serre à la place du moteur habituel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/419965/original/file-20210908-16-1y69mgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419965/original/file-20210908-16-1y69mgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419965/original/file-20210908-16-1y69mgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419965/original/file-20210908-16-1y69mgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419965/original/file-20210908-16-1y69mgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419965/original/file-20210908-16-1y69mgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419965/original/file-20210908-16-1y69mgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Me désabonner de Netflix ne résoudra pas le problème ». Les répondants de notre étude se disent sceptiques quant aux solutions pour réduire leur empreinte environnementale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/stockcatalog/40970937195">Stock Catalog/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Nos résultats montrent plusieurs voies par lesquelles les individus peuvent réagir pour surmonter leur dissonance cognitive : certains vont tout simplement minimiser la gravité de la menace environnementale (ce qui revient à nier le problème), d’autres vont développer du scepticisme quant à l’efficacité de la solution proposée, d’autres, enfin, acceptent de changer leur comportement et d’adopter la solution proposée (dans le cas testé, utiliser un moteur de recherche écologique à la place de Google).</p>
<h2>Que faire ?</h2>
<p>Nos résultats ont plusieurs implications pratiques. D’abord, les parties prenantes concernées (start-up du numérique, GAFAM, pouvoirs publics, ONG environnementales, etc.) doivent davantage communiquer pour sensibiliser les consommateurs. L’impact écologique des pratiques « virtuelles » étant très abstrait dans l’esprit des consommateurs, les campagnes de sensibilisation gagneraient à décomposer la chaîne de valeur écologique en étapes clés pour aider les individus à visualiser le lien entre les comportements en ligne et leurs effets environnementaux tangibles.</p>
<p>Mais face à l’ubiquité du numérique, informer le grand public n’est pas suffisant et peut même se révéler contreproductif selon la manière dont les individus gèrent la dissonance cognitive. En termes de R&D, les entreprises doivent donc se concentrer sur le développement de solutions innovantes moins nocives pour l’environnement mais tout aussi fonctionnelles.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/574467804" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Réduire l’empreinte environnementale d’Internet : peut-on compter sur les consommateurs ? (FNEGE Médias, juillet 2021).</span></figcaption>
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<p>Elles doivent également reconsidérer le modèle économique typique d’un accès illimité au contenu numérique et inclure les coûts environnementaux indirects résultant de la consommation de données. Par exemple, les fournisseurs de services peuvent envisager de prendre en compte les niveaux d’utilisation dans leur modèle de tarification, voire adopter une tarification incitative en offrant aux consommateurs des remises lorsque leur consommation est réduite.</p>
<h2>Quelques conseils…</h2>
<p>Enfin, il est essentiel d’aider les consommateurs à réguler leurs propres comportements numériques, par exemple en leur fournissant des services ou des applications en ligne qui les aideraient à mieux contrôler leur comportement en ligne (par exemple, le temps d’écran d’Apple).</p>
<p>De nombreux conseils peuvent être proposés pour réduire simplement son empreinte : trier ses e-mails, éviter d’envoyer de gros fichiers joints à de trop nombreux destinataires, enregistrer dans les favoris l’adresse des sites web fréquemment visités, compresser les fichiers avant de les déposer sur le cloud, sélectionner les photos et les vidéos déposées sur les espaces partagés, éviter de streamer des vidéos en 4K alors qu’une résolution HD est suffisante, mais aussi, conserver plus longtemps ses équipements (smartphone, ordinateur).</p>
<p>Le défi de la pollution numérique requiert la participation active de tous les acteurs, et pas uniquement des internautes. On ne peut leur proposer sans arrêt de nouveaux usages toujours plus gratifiants et créateurs de valeur (gain de temps, praticité, etc.) mais générant une consommation toujours plus forte d’énergie, et en même temps leur demander d’en supporter seuls les conséquences. La <a href="https://academic.oup.com/jcr/article-abstract/41/3/840/2907543">responsabilisation des consommateurs</a> ne doit pas occulter celles des entreprises et des États ; tous les trois doivent agir de concert pour promouvoir des modèles économiques et des styles de vie plus sobres.</p>
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<p><em>Laurent Bertrandias et Leila Elgaaied-Gambier ont remporté le prix du meilleur article de recherche 2021 décerné par le jury de la <a href="https://www.tbs-education.fr/tbs/responsabilite-societale-developpement-durable/anedd/retour-sur-la-15e-edition-2-2021/">15ᵉ édition des Assises nationales étudiantes du développement durable</a> (ANEDD), auquel participait The Conversation France</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon une étude, le consommateur ne se sent pas responsable des effets sur l’environnement de ses activités digitales.Laurent Bertrandias, Professeur de marketing, TBS EducationLeila Elgaaied-Gambier, Associate professor, TBS EducationYohan Bernard, Maître de conférences en Sciences de gestion et du management, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1637352021-07-08T17:46:36Z2021-07-08T17:46:36ZPornographie en ligne : une consommation massive, un risque pour les jeunes et une urgence à réguler<p>Le phénomène est massif, la consommation de la pornographie en ligne de plus en plus répandue, tandis qu’un Gafa du porno domine l’offre mondiale. Faut-il en parler ? Faut-il s’en émouvoir ? En parler, sans doute, même si les effets sont très mal établis, faute d’études scientifiques suffisantes.</p>
<p>S’en émouvoir sûrement si on est parent d’adolescents ou féministe, notamment. J’ai longtemps hésité avant de traiter ce sujet. Il ne fait pas sérieux pour un économiste, sans être amusant pour autant. Mais pour la société il est important car Internet a changé l’échelle du marché de la pornographie : elle relève désormais de la consommation de masse.</p>
<p>Une <a href="https://www.ofcom.org.uk/__data/assets/pdf_file/0013/220414/online-nation-2021-report.pdf">publication récente</a> du régulateur britannique des communications m’a convaincu qu’il était temps de me jeter à l’eau. Dans son enquête annuelle sur la consommation en ligne, l’Ofcom a estimé que 49 % de la population adulte du Royaume-Uni avait visité un site pornographique en septembre 2020, soit 26 millions de visiteurs uniques, soit encore un peu moins qu’Instagram mais un peu plus que Twitter.</p>
<p>Vous ne vous attendiez sans doute pas à des chiffres si élevés. Moi non plus ! Mais c’est le crédit qu’on peut leur accorder qui m’a surtout décidé. Le régulateur britannique est connu pour publier des données fiables qui reposent sur des méthodes rigoureuses. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des chiffres qui circulent sur l’industrie du porno.</p>
<h2>Bizarreries dans les comptages</h2>
<p>Les cent milliards de dollars pour son chiffre d’affaires mondial, souvent avancés ces dernières années, offrent un bon exemple. Repris un peu partout, aussi bien <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/sexflix-le-netflix-du-porno-prend-position-en-france-en-septembre-491428.html">dans la presse</a> que <a href="https://www.nyulawreview.org/issues/volume-94-number-6/the-second-digital-disruption-streaming-and-the-dawn-of-data-drive-creativity/">dans les revues académiques</a>, ce montant n’est aucunement digne de foi. Il est l’arrondi qui résulte de la somme de données par pays ramassées ici ou là il y a déjà plus de 15 ans par un site grand public d’agrégation d’information sur la consommation.</p>
<p>Ce comptage contient <a href="https://www.letagparfait.com/fr/2018/09/10/les-defappeurs-non-le-porno-ne-genere-pas-100-milliards-de-par-an/">plein de bizarreries</a> : le chiffre d’affaires réalisé aux États-Unis vient après celui de la Corée et du Japon ; le marché français occupe la 17<sup>e</sup> position, loin derrière les Philippines où pourtant la pornographie était à l’époque interdite et sévèrement réprimée. Pour ce pays, le chiffre utilisé est en réalité le montant estimé du marché noir, tous produits et services confondus ! Mieux vaut admettre que l’on ne connaît pas le chiffre d’affaires de la pornographie en ligne.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409267/original/file-20210701-21-gjjzdg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fréquentation du site Pornhub au Royaume-Uni, par groupe d’âge.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.ofcom.org.uk/__data/assets/pdf_file/0013/220414/online-nation-2021-report.pdf">Ofcom (septembre 2020).</a></span>
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</figure>
<p>L’étude de l’Ofcom nous apprend aussi, cette fois sans surprise, que les hommes sont archi-majoritaires (4/5 des consommateurs en nombre de visiteurs uniques) sur Pornhub, le site leader du secteur, et que la proportion de consommateurs par classes d’âge atteint son plus haut pour les jeunes adultes, 55 % pour les 18-24 ans, puis décroît progressivement jusqu’à 23 % pour les 55 et +.</p>
<p>Elle offre également un point de comparaison presque rassurant : le chiffre d’une minute de consommation de porno par jour en moyenne par adulte sur septembre 2020 pour 3 heures et demie quotidiennes passées en ligne ce même mois. Nos amis britanniques pour lesquels nous commencions à sérieusement nous inquiéter accordent d’abord leur attention à Facebook et YouTube ou même Netflix. Pareil que les Européens et les Américains.</p>
<p>Nous ne leur ferons pas l’injure de penser qu’ils diffèrent fondamentalement des autres Occidentaux en matière de consommation pornographique. Dans ce domaine, il n’y a pas de raison qu’ils soient – et se sentent – supérieurs aux non Britanniques.</p>
<p>Mais pour avoir une idée chiffrée de la consommation mondiale, l’Autorité de régulation des communications du Royaume-Uni ne nous est d’aucun secours. Il nous faut alors faire crédit au site planétaire le plus populaire, Pornhub. Sa <a href="https://www.pornhub.com/insights/tech-review">revue annuelle 2020</a> fait état d’une fréquentation mondiale de 130 millions de visites par jour.</p>
<p>Facebook est connu pour surestimer ses audiences afin de récolter plus de recettes publicitaires. Pornhub, moins surveillé et moins transparent encore, est pareillement incité à gonfler sa fréquentation. On peut cependant retenir un ordre de grandeur de quelques dizaines de milliards de visites par an.</p>
<p>Pour l’audience tous sites confondus, elle n’est pas connue mais devrait être de plus d’une centaine de milliards. En effet, Pornhub est, à ma connaissance, le seul site qui communique des données publiques d’audience. Or, d’après l’étude de l’Ofcom, la part de marché de Pornhub en nombre de visites est de 22 %. Si l’on considère que l’audience mondiale de ce site est de 30 milliards de visites et si on lui applique une part de 20 %, on obtient donc une audience de 150 milliards.</p>
<p>On peut aussi sans doute se fier à l’évolution dans le temps de la fréquentation de Pornhub – un triplement de l’audience depuis 2013, première année de publication de ses données –, pour affirmer que la consommation mondiale de la pornographie connaît une forte croissance.</p>
<p>La pandémie du SARS-CoV-2, et son cortège de confinements, l’a encore accélérée. « Pornography is booming during lockdowns » (la pornographie est en plein essor pendant les confinements), comme l’affirme une <a href="https://www.economist.com/international/2020/05/10/pornography-is-booming-during-the-covid-19-lockdowns">courte enquête</a> de <em>The Economist</em>. Pas besoin d’explication pour le comprendre.</p>
<h2>Une industrie peu profitable</h2>
<p>Pour faire bref, la consommation de pornographie est désormais un phénomène de masse. Comment en est-on en arrivé là ? Une courte explication suffit : l’accès au porno est incroyablement libre, massivement gratuit et formidablement discret. Pas besoin de s’enregistrer, de donner une adresse électronique, ni de dépenser le moindre centime pour accéder à des millions de vidéos.</p>
<p>Pas non plus l’obligation de cacher sa revue obscène entre des journaux et des magazines ordinaires ni de porter des lunettes noires et un chapeau comme en sortant d’un cinéma de X ou d’un peep-show : les sites porno sont principalement consultés à partir du téléphone mobile, l’objet le plus personnel qui soit d’aujourd’hui.</p>
<p>En réalité, ce n’est pas Pornhub qui est moins transparent que Facebook mais MindGeek, la société qui en est propriétaire. Véritable Gafa du porno – quoique qu’installée au Québec et enregistrée au Luxembourg –, MindGeek possède également d’autres sites parmi les plus fréquentés au monde, gratuits ou payants, des studios de production, une régie publicitaire électronique, des programmes en propre de collecte et de traitement de données, et des jeux pour adultes.</p>
<p>Comme ses consœurs du Far West américain, elle est donc à la fois intégrée horizontalement (plusieurs activités du même secteur) et verticalement (plusieurs activités de l’amont à l’aval), ce qui lui confère une puissance inégalée dans l’industrie du porno.</p>
<p>Mais est-elle aussi profitable ? Non, loin s’en faut. L’industrie du porno n’est pas un Eldorado. Cela tient à des sources de recettes très contraintes et à un argent cher. L’accès au marché de la publicité est restreint. Les annonceurs ne se précipitent pas pour que leurs marques apparaissent sur Pornhub ou ailleurs. Unilever y a un temps vanté ses produits de toilette pour homme <a href="https://www.bordeaux.business/pornhub-business-comme-autre/">avant de faire machine arrière</a>.</p>
<p>La pornographie conserve une trop mauvaise image dans l’opinion pour y associer son nom et les associations militantes anti-porno sont promptes à dénoncer les marques. Le modèle d’affaires fondé sur la publicité généraliste, celui de Facebook ou Google par exemple, est barré pour la pornographie. Elle est condamnée à l’endogamie : annonceurs du X pour diffuseurs de X.</p>
<p>Pornhub et les autres grandes plates-formes s’y retrouvent car elles sont avant tout des intermédiaires. Elles mettent en relation, d’une part, des studios et des sites qui cherchent des clients payants et, d’autre part, des consommateurs de pornographie. Les premiers fournissent des vidéos en accès gratuit et les seconds, des fois, s’y abonnent ou payent des séances et vidéos à la demande. Au passage la plate-forme se rémunère principalement en se faisant payer la diffusion du gratuit sur leur site ou en percevant une commission sur l’abonnement ou la prestation payante en ligne.</p>
<p>Quant à la vente de données à l’extérieur, il ne faut pas non plus y compter pour apporter des compléments de recettes. Elle reviendrait à faciliter et se faire complice de pratiques de chantage à grande échelle. Trop risqué. Au bilan, les recettes des plates-formes de X restent très modestes. Idem pour MindGeek : selon le Financial Times, son chiffre d’affaires atteignait <a href="https://www.ft.com/content/b50dc0a4-54a3-4ef6-88e0-3187511a67a2">moins d’un demi-milliard de dollars</a> en 2018.</p>
<p>L’argent est cher pour deux raisons. D’abord, les paiements sont très coûteux. Les Visa et autres MasterCard prélèvent aux marchands de porno en ligne des commissions <a href="https://w3qc.org/are-adult-websites-still-a-profitable-business/">trois à dix fois plus élevées</a> que d’ordinaire. Elles reflètent un risque lié aux fraudes, aux paiements bloqués et aux annulations qui connaissent des taux records. De nombreux opérateurs de paiement, comme American Express ou Paypal, refusent leurs solutions de paiement aux plates-formes pornographiques en invoquant ces risques.</p>
<p>Ensuite, lever de l’argent n’est pas facile et les taux d’intérêt demandés par les investisseurs qui acceptent de financer cette industrie sulfureuse sont élevés. MindGeek n’a rien à voir avec Tesla ou Amazon qui ont pu réaliser leur croissance rapide en brûlant du cash apporté par des capital-risqueurs et des actionnaires trop heureux d’en être. Selon le Financial Times encore, MindGeek, très endetté, paye à ses créanciers des taux d’intérêt de 20 % et son profit représente moins de 10 % de son chiffre d’affaires.</p>
<p>Les entrepreneurs du porno en ligne peuvent toutefois devenir riches, à l’instar de György Gattyán, fondateur d’un site de webcam pour adultes sur les rives du Danube, mais devenir alors au mieux <a href="https://www.economist.com/international/2015/09/26/naked-capitalism">l’homme le plus fortuné en Hongrie</a>, pas des États-Unis.</p>
<h2>Addiction entretenue</h2>
<p>L’accès facile et gratuit à quelques plates-formes globales qui concentrent des millions de vidéos et la consommation massive qu’il permet soulève toute une série de problèmes qui paraissent évidents, mais dont il est difficile d’apprécier quantitativement l’étendue et d’évaluer objectivement les conséquences.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1098&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1098&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1098&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409312/original/file-20210701-21-3jup1h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le bilan de l’année 2019 du site Pornhub.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pornhub.com/insights/2019-year-in-review">Rapport annuel (2019).</a></span>
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<p>Il en va bien sûr de l’addiction. Le fond de la bouteille d’alcool ou la dernière cigarette du paquet instaurent une limite que le visionnage sur les sites de pornographie ne connaît pas. Il y a toujours une nouvelle vidéo gratuite à portée de clic et les sites payants offrent un accès illimité aux abonnés à leur catalogue d’anciens et de nouveautés, à l’instar des plates-formes de diffusion de musique ou de films et séries.</p>
<p>En 2019, le seul site de Pornhub a proposé plus d’un million d’heures de nouveau contenu. Son rapport annuel affiche avec fierté qu’il faudrait 169 ans à une personne pour les visionner non-stop. Les scènes en direct à travers des webcams sont les uniques services qui obligent à remettre de l’argent pour continuer de satisfaire sa consommation.</p>
<p>L’addiction reste bien sûr aussi entretenue par une collecte et un traitement de données qui permettent de cerner les préférences et les goûts particuliers des consommateurs et, à partir de là, mieux fabriquer des contenus qui continuent de capter leur attention. Le savoir-faire de MindGeek en matière de données est parfois <a href="https://finance.yahoo.com/news/porn-sites-collect-more-user-130045307.html">comparé à celui des plus grands</a> à l’instar de Netflix et Hulu.</p>
<p>L’ampleur du phénomène d’addiction à la pornographie en ligne et son degré de gravité restent cependant difficiles à apprécier. À défaut de statistiques, observons simplement que les centres de traitement des addictions ont désormais ouvert des consultations spécialisées pour les accros du porno.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409311/original/file-20210701-19-1rkmp6h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Visionnage de contenus pornographiques en ligne par les adolescents.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://sites.uclouvain.be/reso/opac_css/doc_num.php?explnum_id=4543">Ifop (2017).</a></span>
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</figure>
<p>Un autre phénomène plus préoccupant, car nul doute qu’il soit plus massif, a trait à la consommation des adolescents (10-18 ans selon l’Organisation mondiale de la santé). D’après une enquête de l’Ifop menée en 2017 auprès d’un échantillon représentatif d’un millier d’entre eux, <a href="https://sites.uclouvain.be/reso/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=447723">plus de la moitié a déjà surfé sur un site pornographique</a>, dont 7 % déclarent se connecter « souvent » et 25 % « parfois ». Plus précisément, environ un tiers des garçons au moins une fois par mois dont 1 sur 10 tous les jours ou presque.</p>
<p>La première fois se situe en moyenne à 14 ans. La consommation de pornographie est donc également massive chez les adolescents. Je vous ai assommé de chiffres car, si vous êtes parent d’ado, il y a de fortes chances que vous sous-estimiez le phénomène : les parents sont <a href="https://www.actions-addictions.org/wp-content/uploads/2014/08/Sondage-synthese-version-finale-5-juin-2018.pdf">trois fois moins nombreux</a> à penser que leur progéniture consomme du porno qu’il n’y a d’enfants qui déclarent aux sondeurs consommer du porno.</p>
<p>Il n’y a pas de doute que cette consommation désormais banale exerce une influence sur la sexualité des adolescents. Selon l’Ifop toujours, près de la moitié des garçons et des filles ayant déjà eu un rapport sexuel ont essayé de reproduire des scènes ou des pratiques qu’ils ou qu’elles ont vu.</p>
<p>Il y assez peu de voix pour décerner une valeur éducative aux sites pornographiques et défendre l’idée que leur influence puisse alors être positive chez les adolescents. C’est faire en effet abstraction de l’image tronquée et déformée véhiculée par les vidéos pornographiques : aucune place au romantisme et à l’amour, absence de préliminaires et de signes d’affection, hommes hyperpuissants, femmes ramenées au rang d’objet, toujours consentantes donc sans qu’il soit besoin de le leur demander, brutalité et violence très souvent la règle, etc.</p>
<p>La science économique a mis en évidence et a même théorisé l’importance du mimétisme dans les marchés financiers, mais elle ne s’est pas aventurée à étudier le phénomène dans le cas qui nous intéresse ici. Il m’est donc difficile de me prononcer sur l’ampleur des effets négatifs de la consommation des adolescents. À ma connaissance, mais elle reste sommaire, mes collègues de sciences humaines n’ont pas l’air d’être beaucoup plus avancés sur la question. Elle me semble donc rester encore aujourd’hui sans réponse solide.</p>
<p>Il n’y a en revanche pas débat sur les ravages pour les enfants et les adolescents filmés. Bien que la pédopornographie soit quasi-universellement condamnée et poursuivie, elle ne se cantonne pas à l’Internet clandestin. Une <a href="https://www.nytimes.com/2020/12/04/opinion/sunday/pornhub-rape-trafficking.html">enquête</a> du New York Times a montré en 2020 qu’il était parfaitement possible de rechercher et de trouver sur Pornhub des vidéos impliquant des moins de 18 ans et que le site hébergeait, entre autres atrocités, des séquences filmées de viol et de frappe d’enfants.</p>
<p>Le Gafa du porno a rapidement réagi en supprimant plusieurs millions de vidéos de son catalogue, les vidéos qui avaient été téléchargées par des personnes privées ou des professionnels sur ses serveurs sans qu’aucun contrôle et filtrage n’ai jamais été exercé.</p>
<p>Il reste cependant difficile de savoir quelles mesures de vérification ont été prises depuis, ainsi que leur efficacité. L’article du New York Times avançait le chiffre de 80 modérateurs de contenu dans le monde pour l’ensemble des sites de MindGeek. Ils sont 15 000 chez Facebook. Facebook qui s’était vu reproché par un professeur des écoles d’avoir fermé son compte après qu’il y eut affiché une <a href="https://www.telerama.fr/medias/facebook-vs-lorigine-du-monde-la-justice-considere-quil-y-a-eu-faute,-mais-ne-condamne-pas,n5528912.php">reproduction de <em>L’origine du monde</em> de Gustave Courbet</a>. Le Tribunal de grande instance de Paris saisi par l’affaire a donné tort à l’entreprise californienne. N’y aurait-il pas des combats et priorités plus urgentes ?</p>
<h2>Comment réguler ?</h2>
<p>Arrêtons-là la liste déprimante des effets négatifs de la pornographie en ligne (sans prétendre, hélas, les avoir tous cités) pour s’interroger sur les mesures de politique publique à prendre, en d’autres termes sur la régulation à mettre en œuvre.</p>
<p>Cette partie ne sera cependant pas très longue. Avant de savoir s’il convient de réglementer pour résoudre tel ou tel problème, il est en effet nécessaire d’en connaître l’ampleur. Une réglementation qui peut être coûteuse à mettre en œuvre et à faire respecter n’est justifiée que devant l’étendue et la gravité des effets à corriger et à éliminer.</p>
<p>Or, comme nous l’avons vu, ils sont très mal connus et mesurés. Il y a une surabondance de croyances et peu de connaissances avérées. Pour certains, à l’instar d’un journaliste américain qui se vante d’<a href="https://www.psychologytoday.com/ca/blog/all-about-sex/200904/does-pornography-cause-social-harm">écrire sur la sexualité depuis 36 ans</a>, la pornographie ne cause aucun dommage social, ce qui réglerait alors la question.</p>
<p>Viennent à l’appui de sa thèse des pseudo-travaux qui montreraient, contrairement aux clichés, une moindre consommation de pornographie chez les violeurs ou les maris qui divorcent. Pour d’autres, la pornographie est à bannir car elle crée des <a href="https://nofap.com">désordres physiques quasi irréversibles</a> et est une des principales causes des violences contre les femmes. Là encore, les arguments reposent sur des croyances plutôt que sur des résultats d’études bien menées et des liens de causalité établis.</p>
<p>Mais comment pourrait-il en être autrement quand elles manquent en nombre mais aussi et surtout en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0272735820301136">qualité</a> ? On ne sait finalement <a href="https://theconversation.com/incidences-de-la-pornographie-sur-les-comportements-ou-en-est-la-recherche-117133">pas grand-chose</a>.</p>
<p>En attendant de disposer de connaissances suffisantes, le principe de précaution pourrait justifier l’intervention publique. Mais pour éviter de trop mal faire, il serait nécessaire d’étudier, de comparer et d’évaluer les réglementations qui existent déjà. Mais, là encore, les travaux manquent.</p>
<p>Prenons les mesures pour limiter l’accès des plates-formes pornographiques aux adolescents. Il y en a de toutes sortes, l’obligation de déclarer être âgé de plus de dix-huit ans, le blocage des sites, le contrôle parental, la sensibilisation des parents, etc. Mais on ne sait pas ce qui marche, et lorsque cela ne marche pas, à l’exemple de l’initiative du Royaume-Uni abandonnée après plusieurs années d’un système de vérification de l’âge, on ne sait pas pourquoi…</p>
<p>Il existe de nombreuses études de synthèse et recherches sur les meilleures façons de réguler les réseaux électriques et de télécommunications, je n’ai rien trouvé sur la régulation de la pornographie en ligne. Mais ai-je peut-être insuffisamment cherché ?</p>
<p>Voilà, je me suis lancé et j’espère que ce n’était pas inutile d’apporter ces informations. Je pourrais conclure logiquement en appelant mes collègues économistes et de sciences humaines à plus s’intéresser à ce sujet, en particulier ceux qui travaillent déjà sur la drogue, la prostitution ou le jeu d’argent et donc connaisseurs de phénomènes analogues et des régulations pour les limiter. Mais je ne le ferai pas car je suis moi-même décidé à ne pas lui consacrer plus de temps. Trop déprimant, peu gratifiant et pas du tout amusant.</p>
<hr>
<p><em>François Lévêque vient de publier chez Odile Jacob « <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">Les entreprises hyperpuissantes</a> – Géants et Titans, la fin du modèle global ? »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les phénomènes d’addiction ou les impacts négatifs sur la sexualité des adolescents semblent difficiles à endiguer tant l’offre en ligne est aujourd’hui pléthorique et facile d’accès.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1596642021-04-27T18:37:22Z2021-04-27T18:37:22ZVide-dressing en ligne : l’art de mettre les utilisateurs en concurrence pour les faire rester<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/396837/original/file-20210423-15-hlx7d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4969%2C2788&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les sites d’échange de vêtements d’occasion incitent les acheteurs et les vendeurs à être réactifs s’ils veulent être performants et à la mode.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/group-multicultural-friends-using-smartphone-outdoors-751028674">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les plates-formes digitales se sont multipliées depuis la fin des années 2000. Certaines d’entre elles permettent aux particuliers d’échanger des biens et services avec ou sans contrepartie financière. Ces plates-formes digitales existent dans de nombreux secteurs, notamment l’hébergement, les transports, la mode, les loisirs créatifs et les petits services (bricolage, jardinage, aide pour déménager, etc.).</p>
<p>À leurs débuts, les plates-formes digitales ont été vues comme une alternative à l’économie marchande traditionnelle. Elles seraient vertueuses à plusieurs égards : faible impact environnemental, capacité à allonger la durée de vie des objets, ou encore opportunité de créer du lien social entre utilisateurs. Les plates-formes digitales elles-mêmes mobilisent aussi ces arguments, et n’hésitent pas à utiliser une rhétorique verte et communautaire dans leur communication.</p>
<p>Néanmoins, des travaux de recherche récents dressent un portrait plus nuancé des plates-formes digitales. On y lit que les plates-formes surveillent les utilisateurs, poussent à fournir un travail émotionnel pour obtenir des bonnes évaluations, et finissent par exclure ceux qui ne se conforment pas aux règles du jeu.</p>
<p>Dans le prolongement de ces travaux, nous avons exploré dans <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0767370121994831">notre recherche</a> le côté obscur des plates-formes digitales de vente et achat de vêtements d’occasion entre particuliers. De 2013 à 2020, nous avons étudié le fonctionnement de <a href="https://www.vinted.fr/">Vinted</a>, <a href="https://fr.vestiairecollective.com/">Vestiaire Collective</a>, et <a href="https://www.videdressing.com/">Videdressing</a> et interrogé un échantillon d’utilisateurs assidus.</p>
<h2>Être le plus réactif</h2>
<p>Nous avons constaté que ces plates-formes poussent leurs utilisateurs à aller toujours plus vite. En nous appuyant sur la théorie de l’accélération sociale du sociologue et philosophe allemand <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/acceleration-9782707177094">Hartmut Rosa</a>, nous avons mis en lumière la façon dont les plates-formes digitales alimentent une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0767370121994831">concurrence par la rapidité</a> entre utilisateurs. Elles poussent les utilisateurs à être les plus réactifs, les plus à la mode et les plus avertis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396821/original/file-20210423-19-qxizz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396821/original/file-20210423-19-qxizz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396821/original/file-20210423-19-qxizz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396821/original/file-20210423-19-qxizz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396821/original/file-20210423-19-qxizz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396821/original/file-20210423-19-qxizz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396821/original/file-20210423-19-qxizz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les applications comme Vinted, envoient un grand nombre de notifications à ses utilisateurs pour les tenir informer des actualités de la plate-forme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/amsterdam-netherlands-january-06-2021-iphone-1932320129">Shutterstock</a></span>
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<p>Il existe des points communs dans l’interface des trois plates-formes d’échange de vêtements d’occasion. Elles donnent des informations sur la réactivité des utilisateurs, par exemple en indiquant l’heure de leur dernière connexion. Elles imposent aussi un délai de quelques jours pour expédier les produits achetés au-delà duquel la transaction est annulée.</p>
<p>Elles envoient également de nombreuses notifications pour tenir régulièrement les utilisateurs au courant de ce qui se passe sur la plate-forme. Enfin, elles mentionnent explicitement que la rapidité est la clé du succès pour devenir des acheteurs et vendeurs performants.</p>
<p>Tous ces éléments empêchent de décrocher. Les utilisateurs restent connectés en permanence même lorsqu’ils sont au travail ou en famille. En effet, les vendeurs se doivent de répondre rapidement aux requêtes des acheteurs et de leur envoyer rapidement les articles vendus sous peine d’être mal notés.</p>
<p>Quant aux acheteurs, ils cherchent à dénicher la bonne affaire tout juste mise en ligne sous peine de se faire doubler par un acheteur plus rapide. Il en découle une mise en concurrence des utilisateurs par la rapidité dont l’enjeu est d’être le plus réactif possible.</p>
<h2>Être le plus à la mode</h2>
<p>Les interfaces des plates-formes d’échange de vêtements d’occasion ont d’autres points communs. Toutes trois disposent d’interfaces intuitives, de tutoriels et de rubriques conseils qui aident les utilisateurs à acheter et à vendre des produits très facilement.</p>
<p>Les plates-formes mettent également en lumière les nouveautés grâce à des sections entièrement dédiées aux produits qui viennent d’être mis en vente. Enfin, elles permettent de lancer des recherches automatiques et d’être alerté dès que l’article souhaité est mis en vente.</p>
<p>Ces éléments incitent les utilisateurs à renouveler rapidement leur garde-robe. Les plates-formes digitales sont d’excellentes alliées pour actualiser en permanence le contenu de son dressing. Pour les utilisateurs, il s’agit de repérer les articles qui commencent à devenir à la mode et de les acquérir avant qu’ils ne soient prisés de tous.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396832/original/file-20210423-21-h0oain.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396832/original/file-20210423-21-h0oain.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396832/original/file-20210423-21-h0oain.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396832/original/file-20210423-21-h0oain.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396832/original/file-20210423-21-h0oain.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396832/original/file-20210423-21-h0oain.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396832/original/file-20210423-21-h0oain.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La stratégie des plates-formes d’échanges de vêtements incite les utilisateur à vouloir renouveler leur dressing rapidement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/attractive-brunette-woman-red-lips-wavy-1884389437">Shutterstock</a></span>
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<p>Il s’agit également de se débarrasser des articles qui commencent à être démodés avant qu’ils ne trouvent plus preneur. Il en découle une mise en concurrence des utilisateurs par la rapidité pour avoir la garde-robe la plus tendance, et ainsi toujours être à la pointe de la mode.</p>
<h2>Être le plus averti</h2>
<p>Les interfaces des plates-formes digitales tendent à optimiser la logistique en amont et en aval des transactions marchandes. Par exemple, la communication entre utilisateurs se fait via une messagerie intégrée aux plates-formes qui propose des messages prérédigés.</p>
<p>Ceci accélère les échanges verbaux entre acheteur potentiel et vendeur, et compresse le temps séparant l’intention de la décision d’achat. La procédure de paiement est elle aussi accélérée grâce à l’enregistrement des coordonnées bancaires et à la possibilité de payer via un porte-monnaie virtuel. Enfin, de nouvelles options de livraison toujours plus rapides apparaissent régulièrement, et permettent de recevoir l’article acheté en temps record (et même de suivre le colis en cours d’acheminement).</p>
<p>Ces modalités de communication, paiement et livraison accélèrent le rythme des transactions marchandes tout en suscitant l’envie que ces transactions soient toujours plus rapides. Pour les utilisateurs, il s’agit donc de découvrir les nouvelles fonctionnalités offertes par les plates-formes qui leur permettront de gagner encore plus du temps.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396843/original/file-20210423-19-1fzldaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396843/original/file-20210423-19-1fzldaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396843/original/file-20210423-19-1fzldaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396843/original/file-20210423-19-1fzldaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396843/original/file-20210423-19-1fzldaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396843/original/file-20210423-19-1fzldaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396843/original/file-20210423-19-1fzldaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les modalités de communication, paiement et livraison des plates-formes permettent de réduire considérablement le temps des transaction marchandes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/woman-sending-parcel-using-her-laptop-1791899897">Shutterstock</a></span>
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<p>Pour les vendeurs, la maîtrise de nouvelles fonctionnalités permet de céder au plus vite les articles placés dans leur vitrine virtuelle. Pour les acheteurs, la maîtrise de nouvelles fonctionnalités permet d’obtenir le plus vite possible les articles désirés. Il en découle une concurrence par la rapidité entre utilisateurs pour être le plus averti, c’est-à-dire le plus au courant des dernières fonctionnalités permettant d’accélérer le tempo de ses activités marchandes.</p>
<h2>Mais alors comment « décrocher » ?</h2>
<p>Nous suggérons de modifier quelques éléments de l’interface des plates-formes digitales pour que les utilisateurs prennent conscience de leur mise en concurrence par la rapidité. Tout d’abord, ajouter le temps cumulé passé sur les plates-formes digitales permettrait aux utilisateurs de réaliser qu’ils sont connectés en permanence.</p>
<p>Ensuite, supprimer les « occasions ratées » de la liste des souhaits diminuerait la frustration d’être passé à côté d’un article désiré, et cesserait d’encourager à acheter quelque chose simplement par peur qu’un autre utilisateur soit plus rapide à valider la transaction.</p>
<p>Enfin, faire figurer sur le compte utilisateur l’ensemble des dépenses cumulées contrebalancerait l’impression de gagner beaucoup d’argent grâce à ses ventes. Certes, les utilisateurs gagnent un complément de revenus grâce aux plates-formes, mais ils dépensent tout autant… si ce n’est davantage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elodie Juge a reçu des financements de la Chaire TREND(S) - Université de Lille. Elle est membre de la Chaire TREND(S). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Collin-Lachaud est Directrice scientifique de la chaire de recherche TREND(S).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anissa Pomiès ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les plates-formes digitales alimentent une concurrence par la rapidité entre utilisateurs, les poussant à être les plus réactifs, les plus à la mode et les plus avertis.Elodie Juge, PhD - Docteure en Sciences de Gestion - Ingénieure chaire TREND(S), Université de LilleAnissa Pomiès, Professeur Assistant de Marketing, EM Lyon Business SchoolIsabelle Collin-Lachaud, Professeure des universités, LUMEN (ULR 4999), directrice scientifique de la chaire TREND(S), Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1578312021-04-05T16:25:33Z2021-04-05T16:25:33ZBonnes feuilles : « L’ère des entreprises hyperpuissantes touche-t-elle à sa fin ? »<p><em>L’hégémonie des géants comme les GAFA ne cesse de s’étendre. Les conséquences de cette tendance sont multiples : creusement des inégalités, frein à l’innovation, et même remise en cause de la puissance des États… Dans ce contexte, ces entreprises hyperpuissantes suscitent de nombreuses inquiétudes, si bien qu’elles sont aujourd’hui dans le collimateur des autorités de la concurrence, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe.</em></p>
<p><em>Or, cette situation hégémonique pourrait bientôt toucher à sa fin, comme le démontre François Lévêque, professeur d’économie à Mines ParisTech-PSL Université dans son dernier livre <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/entreprises-hyperpuissantes_9782738154989.php">« Les Entreprises hyperpuissantes : Géants et Titans, la fin du modèle global ? »</a> (Éditions Odile Jacob), dont nous vous proposons ici les bonnes feuilles…</em></p>
<hr>
<h2>Pas que les GAFA…</h2>
<p>Le Titan Amazon et ses frères Google, Apple et Facebook sont si représentatifs de la puissance que GAFA est devenu un nom commun pour désigner les superstars du numérique. Nul besoin d’ajouter une nouvelle lettre à l’acronyme, comme M pour Microsoft ou N pour Netflix, pour les ranger parmi les Gafa.</p>
<p>Pourtant, les Gafa ne sont pas les seules firmes qui nous impressionnent par leur puissance démesurée. Pensons à Saudi Aramco, par exemple. Cette entreprise pétrolière d’État est la seconde capitalisation boursière de la planète, devant Amazon ou Microsoft. Idem pour ses profits.</p>
<p>Ou alors Anta Sports, une entreprise chinoise qui s’est construit un empire de marques par une série d’acquisitions fulgurantes : Arc’Teryx, Fila ou encore Salomon et Wilson, c’est elle. Moins connue encore, Yoshida Kogyo Kabushiki, une société japonaise. Examinez la fermeture à glissière de quelques-uns de vos vêtements. Soulevez et observez attentivement la tirette et vous verrez à coup sûr apparaître son sigle YKK sur l’un d’entre eux. Cette championne de la fabrication de fermetures accapare ainsi 40 % du marché mondial. Bluffant, non ?</p>
<p>Une façon simple d’allonger la liste de ces quelques noms consiste à consulter les classements publiés chaque année par les agences d’information financière ou les sociétés d’audit. Par exemple, Fortune 100 qui recense les plus grandes entreprises des États-Unis par leur chiffre d’affaires. Le distributeur Walmart et ses 2 millions d’employés (soit la population active de l’Irlande) occupent la première marche du podium. Autre source, PwC qui classe les cent plus grandes entreprises au monde par leur capitalisation boursière. La première entreprise française, LVMH y occupait en 2019 la 43<sup>e</sup> place.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1090056813846949890"}"></div></p>
<p>Ou enfin, Forbes Global 2000 qui classe les plus grandes firmes cotées mondiales à partir d’un panel de ratios financiers. La Banque industrielle et commerciale de Chine aux 4 000 milliards de dollars d’actifs se situe tout en haut depuis plusieurs années.</p>
<p>La connaissance de ces spécimens ne donne cependant qu’une vision à l’unité de la puissance acquise par certaines entreprises. Pour une vue d’ensemble, il faut mêler les géants les uns aux autres. Une étude récente de McKinsey s’y est employée et offre ainsi une idée de leur puissance collective. L’étude porte sur les entreprises du monde qui réalisent plus de 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Le cabinet de conseil en dénombre un peu moins de 6 000. Eh bien, ces quelques milliers d’entreprises concentrent à elles seules les deux tiers du chiffre d’affaires mondial des sociétés, petites ou grandes, cotées en Bourse ou non.</p>
<p>Mais la puissance ne peut se déduire d’un chiffre d’affaires, fût-il supérieur à 1 milliard de dollars. Le profit est un bien meilleur reflet puisqu’il éclaire la latitude des entreprises à fixer des prix s’écartant de leurs coûts et à réaliser des investissements. En d’autres termes, il donne une idée des bénéfices réalisés et des capacités financières pour grandir et s’étendre encore.</p>
<p>Dans son étude, McKinsey s’intéresse avant tout aux 10 % des entreprises milliardaires les plus profitables, soit 575 entreprises. À elles seules, ces entreprises concentrent 80 % des profits des milliardaires. Ces superstars sont de plus très différentes des autres sur tous les tableaux. En comparaison de l’entreprise milliardaire médiane, elles sont de l’ordre de deux fois plus intensives en R&D, deux fois plus productives et deux fois plus commerçantes à l’étranger ; elles sont aussi de l’ordre de cinq à dix fois plus grandes en chiffre d’affaires, en nombre d’employés et en montant d’actifs fixes (équipements, usines, brevets, etc.).</p>
<p>Si on zoome encore, mais cette fois sur le 1 % des entreprises les plus rentables, c’est un nouveau bond dans la plupart des dimensions. Ce centile qui comprend 58 entreprises concentre notamment moins de 10 % du chiffre d’affaires mondial pour environ le quart des profits. Parmi elles, vous retrouverez les noms familiers de Coca-Cola, Philip Morris, Nestlé, Intel, Novartis, Toyota, Samsung, Alibaba, Facebook, etc.</p>
<h2>Effet Matthieu</h2>
<p>Les écarts de fortune entre entreprises s’amplifiant, la théorie économique s’est à son tour emparée de la notion biblique d’effet Matthieu (« On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ! ») pour désigner l’avantage dont bénéficient les plus performantes ou chanceuses qui grandissent et s’enrichissent encore, en profitant de l’accélération de la technologie et de l’extension des marchés.</p>
<p>Un effet Matthieu aux ressorts bien compris des économistes est celui dont tirent parti les plates-formes numériques, les quatre GAFA, mais aussi les Uber, Netflix, Airbnb et consorts. La plupart étant américaines, il prend alors volontiers le nom d’effet « winner takes all ». Ici l’effet repose sur les économies de réseaux, à savoir des économies d’échelle du côté de la demande : plus il y a de consommateurs, plus le service est attractif.</p>
<p>Pensez au téléphone. Si vous êtes le seul abonné, cet appareil ne vous est strictement d’aucune utilité. Deux c’est déjà mieux, vous pouvez appeler ou être appelé par une autre personne ! À trois, c’est encore mieux, etc. Bref, votre satisfaction de consommateur dépend du nombre des autres consommateurs. Notez que ce n’est pas très habituel : quand vous faites vos emplettes au supermarché, vos choix ne tiennent pas compte du nombre des autres consommateurs qui vont, par exemple, aussi acheter du lait, du jambon, du dentifrice ou de la bière.</p>
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<span class="caption">Si vous êtes le seul abonné, le téléphone n’a strictement aucune valeur…</span>
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<p>En présence d’économie de réseau, les premières entreprises qui attirent les acheteurs de leurs produits ou les usagers de leurs services sont avantagées car ils en attireront d’autres qui, eux-mêmes, en attireront d’autres. Facebook, né dans le dortoir d’un collège de Harvard en 2004, a vite séduit tous les étudiants et étudiantes de l’université. Ils et elles y ont vu un formidable moyen d’afficher leur identité, d’établir leur réputation, d’entretenir des liens amicaux et de nouer connaissance (et plus si affinités).</p>
<p>Deux ans plus tard, le réseau s’est ouvert à tous ou presque – les moins de 13 ans ne pouvant devenir membres. Ils sont aujourd’hui plusieurs milliards dont 2,5 milliards d’actifs chaque mois. Facebook est le plus grand réseau social de la planète. Sa vitesse de développement est non moins phénoménale, surtout si on la compare au téléphone.</p>
<p>Il a fallu attendre soixante-quinze ans à ce dernier pour conquérir 100 millions d’utilisateurs, tandis que quatre ans et demi ont suffi à Mark Zuckerberg pour atteindre son score. Mieux encore que Twitter qui a eu besoin d’un an de plus, soit presque autant que le réseau Internet.</p>
<p>Comme en témoigne le téléphone analogique et fixe, les économies de réseau ne datent pas de l’apparition de l’électronique numérique. La nouveauté réside dans la baisse des coûts de communication et de coordination qu’elle a entraînée. Et c’est cette baisse qui permet aux plates-formes d’atteindre des vitesses de déploiement et des tailles inimaginables auparavant.</p>
<h2>Dispersion croissante des salaires</h2>
<p>Il est courant de penser que l’inégalité salariale croissante dans la population est tirée par le décalage croissant au sein des entreprises entre les émoluments des dirigeants, du top management, et la paye de ceux en bas de l’échelle qui perçoivent le salaire minimum dans les pays où il existe. Les premiers ayant crû à des niveaux jugés stratosphériques, tandis que les seconds restaient stables ou presque.</p>
<p>Eh bien non ! Ce n’est pas la cause principale. L’inégalité salariale est principalement tirée par la divergence entre le salaire moyen des entreprises qui payent le mieux et le salaire moyen des entreprises qui payent le moins bien. La croissance de l’écart interfirme l’emporte sur la croissance de l’écart intrafirme.</p>
<p>Imaginez que l’économie ne repose que sur une seule industrie, celle du football. Et bien l’écart salarial croissant observé historiquement n’est pas tiré principalement par l’écart croissant au sein de chaque club entre les joueurs les mieux payés – les buteurs – et les moins bien payés – les seconds gardiens. Il est tiré principalement par l’écart croissant entre le salaire moyen du club le plus riche, en France le Paris-Saint-Germain, et le salaire moyen du club le moins riche, Nîmes, le plus petit budget du championnat hexagonal.</p>
<p>Pour l’ensemble des entreprises américaines, il en va de même. Il a été estimé que la dispersion croissante des salaires observée aux États-Unis entre 1978 et 2013 est due pour deux tiers à la dispersion des salaires moyens entre les entreprises et pour un tiers seulement à la dispersion des salaires au sein même des entreprises. Ce rôle majoritaire de la croissance de l’inégalité salariale entre firmes se retrouve également dans d’autres pays, par exemple en Allemagne, au Royaume-Uni ou encore au Brésil. […]</p>
<p>(En plus de contribuer à une plus grande dispersion des salaires), le « trop grand » creuse les inégalités par un second chemin, cette fois à travers les profits et les prix à la consommation. En effet, les ménages à hauts revenus bénéficient des profits car ils détiennent des actions soit directement soit à travers des fonds. Ce qui n’est pas le cas des ménages à bas revenus qui consomment tout ce qu’ils perçoivent, ou presque.</p>
<p>Aux États-Unis, par exemple, le cinquième des ménages aux revenus les plus faibles se partagent environ 2 % des actions tandis que le cinquième des ménages aux revenus les plus élevés en dispose de 90 %. Or quand la concurrence s’érode, le pouvoir de marché croît et donc les prix à la consommation augmentent mais aussi le profit. Ils sont tous les deux plus élevés qu’avant.</p>
<p>En conséquence, les ménages à bas revenus achètent plus cher et consomment moins ; les ménages à hauts revenus aussi mais cet effet est partiellement compensé pour eux par l’augmentation des dividendes et de la valeur de leur portefeuille d’actions. Ce mécanisme général a fait l’objet de travaux de quantification qui montrent un impact significatif sur les inégalités. Pour un ensemble de pays, des économistes de l’OCDE ont ainsi calculé qu’en régime de prix et de profits concurrentiels, la richesse de 10 % des ménages les mieux lotis diminuerait de 12 % tandis que celle des 20 % des ménages les moins bien lotis augmenterait de 14 %.</p>
<p>Notez que les entreprises hyperpuissantes n’ont pas l’apanage de l’augmentation des marges. Votre marchand de primeurs, votre coiffeur ou encore votre restaurant préféré ont peut-être élevé les leurs. Rappelez-vous toutefois que la tendance historique observée à l’augmentation moyenne de la marge est entraînée par les entreprises du haut du tableau, les entreprises superstars et que ces entreprises concentrent une part croissante de l’activité économique et des ventes.</p>
<h2>Leur monde se rétrécit…</h2>
<p>Les Géants et les Titans sont désormais perçus comme trop puissants. Sur le plan économique car ils renforcent les inégalités sociales ; sur le plan des libertés à cause de leur emprise sur les choix des consommateurs et des citoyens ; sur le plan politique, enfin, par leur pouvoir d’influence étendu sur les décisions publiques.</p>
<p>Dans un passé pas si lointain, il aurait été encore possible de se projeter vers les années 2030 en imaginant un monde de Géants et de Titans toujours plus grands et plus forts. Il était alors facile de parier sur la poursuite d’une concentration industrielle et numérique galopante. Dans cette prospective, le nombre d’entreprises superstars se partageant le monde serait passé à quelques dizaines. Une concurrence farouche aurait opposé les sociétés américaines et asiatiques aussi bien sur leurs propres marchés que dans le reste du monde.</p>
<p>Quelques entreprises européennes seraient restées dans le jeu, d’autant que l’Union européenne aurait en définitive laissé libre cours à l’autorégulation des Géants et des Titans, plutôt que de recourir à une intervention déterminée à base de règlements et de directives. Le monde serait resté un espace sans entraves au bénéfice de la poursuite de l’expansion des entreprises géantes. Eh bien ce futur n’adviendra pas ; les avancées de la régulation et la démondialisation sont passées par là. […]</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392281/original/file-20210329-21-1jmpsw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Les Entreprises hyperpuissantes : Géants et Titans, la fin du modèle global ? », de François Lévêque (Éditions Odile Jacob).</span>
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<p>Avec une vigueur inégale, mais un peu partout, les États cherchent à contenir l’hyperpuissance des entreprises par la régulation ou la législation, qu’elle soit antitrust, fiscale, financière, sociale ou autre. À ce premier frein à l’expansion continue des entreprises géantes s’ajoute désormais un second obstacle : la démondialisation. […]</p>
<p>Le conflit entre les États-Unis et la Chine n’est pas le seul à secouer aujourd’hui le monde et à limiter ou à compliquer l’accès des entreprises à des pans entiers de la planète. Depuis quelques années, les disputes commerciales sur fond de rivalité politique et géopolitique se multiplient : restrictions chinoises à l’exportation de terres rares au Japon, gel des importations chinoises de charbon australien, interdiction de dizaines d’applications chinoises en Inde, surtaxes sur les importations aux États-Unis d’avion, d’acier et d’aluminium provenant d’Europe, etc.</p>
<p>Chaque litige est un cas d’espèce, mais ils s’inscrivent dans un mouvement plus large. Les expressions ne manquent pas pour en caractériser les contours : fin de l’intégration économique internationale, recul de la globalisation, montée du protectionnisme, expansion du mercantilisme, ou encore décès du multilatéralisme.</p>
<p>Disons, pour notre part, que la démondialisation est en marche. L’intégration économique, son avers, a été un puissant moteur de la croissance des Géants et des Titans ; le monde changeant de face, leur expansion entre dans une phase de décélération. Leur monde se rétrécit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157831/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Découvrez en avant-première des extraits du livre « Les Entreprises hyperpuissantes : Géants et Titans, la fin du modèle global ? » de François Lévêque (Éditions Odile Jacob).François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.