tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/emmanuel-macron-30514/articlesEmmanuel Macron – The Conversation2024-03-26T15:03:24Ztag:theconversation.com,2011:article/2266632024-03-26T15:03:24Z2024-03-26T15:03:24Z5,5 % de déficit public en 2023 : à qui la faute ?<p><a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/8061907#:%7E:text=n%C2%B0%2074-,En%202023%2C%20le%20d%C3%A9ficit%20public%20s%E2%80%99%C3%A9l%C3%A8ve%20%C3%A0%205%2C,6%2C6%20%25%20en%202021">5,5 %</a> du PIB, telle est la mesure du déficit public communiquée mardi 26 mars par l’Insee. C’est bien au-delà des estimations de <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/291613-loi-du-30-novembre-2023-de-finances-de-fin-de-gestion-2023#:%7E:text=La%20loi%20de%20finances%20de,brut%20(PIB) %20en %202023.">4,9 %</a> que partageait le gouvernement le 31 octobre 2023 dans le projet de loi de finances de fin de gestion 2023 et très loin de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-degradation-des-finances-publiques-affaiblit-la-position-de-la-france-en-europe-2084937">moyenne de la zone euro de 3,2 %</a>.</p>
<p>Anticipant cette annonce le rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, Jean-François Husson, avait exercé le 21 mars le droit que lui confère l’article 57 de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000394028">loi organique relative aux lois de finances</a> du 1<sup>er</sup> août 2001, dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle sur l’action du gouvernement, en se rendant au ministère des Finances pour une vérification sur pièces et sur place. À peine sorti de Bercy il avait dénoncé une rétention d’informations du gouvernement qui, selon lui, disposait déjà depuis décembre 2023, soit au cours de l’examen du projet de loi de finances de fin de gestion, d’une note évaluant le déficit 2023 à 5,2 %.</p>
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<p>Il a surtout indiqué que l’Exécutif envisageait désormais un déficit de 5,7 % en 2024 (contre les 4,4 % indiqués dans la loi de Finances pour 2024) et même de 5,9 % en 2025. L’écart pour 2024 est massif, 36 milliards d’euros de déficit supplémentaire en 2024. C’est sans commune mesure avec les <a href="https://theconversation.com/comment-les-nouvelles-regles-budgetaires-europeennes-contraindront-les-depenses-publiques-francaises-223905">10 milliards d’économies</a> décidés par décret en février. Pour 2025, les écarts avec les textes budgétaires grimpent jusque 65 milliards, pour une annonce début mars de 20 milliards d’économies pour l’ensemble de comptes publics en 2025. Toujours très éloignée du plafond de 3 % imposé par le Pacte de stabilité, la France est aujourd’hui le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-degradation-des-finances-publiques-affaiblit-la-position-de-la-france-en-europe-2084937">plus mauvais élève de la zone euro</a> après l’Italie dont le déficit est de 7 % en 2023.</p>
<h2>Une dérive systématique</h2>
<p>L’évolution des dépenses publiques 2023 s’est avérée à peu près conforme aux attentes gouvernementales en hausse de 3,7 % après 4 % en 2022. Ce sont les recettes qui ont ralenti plus fortement qu’attendu en ne progressant que de 2 % après 7,4 % en 2022 sous l’effet du ralentissement de l’activité. Le phénomène se trouve amplifié pour des raisons techniques : le niveau des recettes fiscales s’avère en effet plus fortement dépendant de celui de l’activité que sa moyenne historique.</p>
<p>Dans le détail on retiendra que le déficit public reste très largement, à plus de 90 %, le fait de l’État et des administrations centrales et dans une moindre mesure de la Sécurité sociale, quasiment en totalité du fait de l’assurance-maladie. Les collectivités territoiriales qui ne peuvent, de par la loi, emprunter que pour des investissements, restent à l’équilibre. L’assurance chômage enregistre même un <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/les-comptes-de-lassurance-chomage-sameliorent-mais-moins-que-prevu-2077594#:%7E:text=L%E2%80%99exc%C3%A9dent%20s%E2%80%99est%20ainsi,remonterait%20sensiblement%20les%20ann%C3%A9es%20suivantes">excédent de 1,6 milliard</a> malgré les ponctions de l’État.</p>
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<p>Depuis 1980 la <a href="https://theconversation.com/pourra-t-on-vraiment-eviter-de-futures-hausses-dimpots-pour-financer-les-mesures-durgence-149453">dérive des comptes publics fut systématique</a>, <a href="https://theconversation.com/deficit-public-pourquoi-les-objectifs-affiches-ne-sont-jamais-atteints-215168">quelle que soit la couleur politique des gouvernements</a>. Les crises les ont logiquement contraints à des relances keynésiennes nécessaires pour soutenir l’économie comme en 1993 (6,4 % de déficit) puis plus nettement encore en 2009 (7,2 %) le record étant atteint pendant le Covid en 2020 (9 %). La récurrence des déficits vient du fait que les périodes de forte croissance n’ont jamais été mises à profit pour désendetter l’État comme nous le rappelle l’<a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/03/18/lionel-jospin-distribue-les-50-milliards-de-francs-de-la-cagnotte-2000_3686761_1819218.html">épisode fameux dit de la « cagnotte » en 2000</a> : le Premier ministre Lionel Jospin annonçait alors comment il redistribuerait les 50 milliards de francs de surplus de rentrées fiscales.</p>
<p>En conséquence le déficit structurel, indépendant de la conjoncture économique, est resté au cours des dernières années assez stable, autour de 5 % du PIB malgré une sous-estimation récurrente (et <a href="https://theconversation.com/letrange-estimation-gouvernementale-du-deficit-structurel-francais-en-2020-155089">parfois loufoque</a> comme en 2020) du ministère de l’Économie.</p>
<h2>Pas d’alternative crédible</h2>
<p>Selon une <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2023862dc/2023862dc.pdf#page=9">jurisprudence constante</a>, rappelée par le Conseil constitutionnel dans sa décision relative la loi de finances pour 2024 (considérant 20), « s’il apparaissait en cours d’année que l’évolution des charges ou des ressources était telle qu’elle modifierait les grandes lignes de l’équilibre budgétaire, il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative ». Au vu de l’ampleur des dérives constatées pour 2023 et annoncées pour 2024 et 2025, on voit mal comment le gouvernement pourrait faire l’économie d’une loi de finances rectificative, sans doute juste après les Européennes.</p>
<p>Or, pour la première fois depuis le début de cette législature, le groupe Les Républicains (LR) à l’Assemblée se déclare prêt à joindre ses voix aux autres groupes d’opposition face à ce qu’Éric Ciotti, président du parti, qualifie de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/eric-ciotti-la-gestion-calamiteuse-des-finances-publiques-du-gouvernement-doit-etre-censuree-2083768">« gestion calamiteuse des finances publiques »</a>, ajoutant :</p>
<blockquote>
<p>« La situation des finances publiques constitue la première menace qui pèse sur l’avenir de notre pays. »</p>
</blockquote>
<p>Une motion de censure adoptée impliquerait la chute du gouvernement Attal et très probablement de nouvelles élections législatives. Il n’est donc pas inutile de se pencher sur les doctrines budgétaires des trois principales forces d’opposition à l’Assemblée nationale.</p>
<p>À la différence de la majorité actuelle, adepte d’un statu quo sur les impôts mais d’une baisse relative des dépenses publiques, <a href="https://republicains.fr/contre-budget-des-republicains/#:%7E:text=Notre%20objectif%20est%20de%20les,des%20pr%C3%A9l%C3%A8vements%20obligatoires%20en%202022">Les Républicains</a> comme le <a href="https://rassemblementnational.fr/communiques/economies-justice-fiscale-et-defense-du-pouvoir-dachat-les-propositions-concretes-du-rn-aux-dialogues-de-bercy">Rassemblement national</a> (RN) proposent des baisses d’impôt financées par d’hypothétiques coupes dans certaines dépenses mais en sanctuarisant – vraisemblablement pour des raisons électorales – les retraites. Le RN propose même un retour à la retraite à 60 ans pour de nombreux actifs alors que le déficit attendu des régimes de retraite est estimé, après la réforme si décriée de mars 2023, à <a href="https://theconversation.com/la-reforme-des-retraites-un-court-repit-pour-les-finances-publiques-204384">11 milliards en 2027</a>.</p>
<p>La <a href="https://lafranceinsoumise.fr/2023/11/07/gouverner-par-les-besoins-nos-priorites-budgetaires-pour-l%CA%BCannee-2024/">France insoumise</a> assume, elle, une flambée des dépenses sociales avec un retour à la retraite à 60 ans, une hausse du point d’indice des fonctionnaires et du smic (17 milliards) ou encore l’indexation des retraites sur les salaires (16 milliards). Le tout financé par des hausses des impôts sur les ménages aisés et sur les sociétés, impôts au rendement très hypothétique.</p>
<h2>Hausses d’impôts déguisés et coupes dans les dépenses</h2>
<p>Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron soutient qu’une augmentation du taux d’emploi au niveau de celui de nos voisins allemands assurerait des recettes supplémentaires qui feraient disparaître la totalité du déficit public. Certes le taux d’emploi est bien en hausse mais une telle parité prendra du temps alors que les intérêts de la dette publique passeront mécaniquement de 38,6 milliards d’euros en 2023 à au moins 74 milliards en 2027.</p>
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<p>En conséquence les marges de manœuvre budgétaires du président qui étaient déjà <a href="https://theconversation.com/les-marges-de-manoeuvre-budgetaires-particulierement-limitees-du-second-quinquennat-macron-181871">particulièrement faibles au début de son second mandat</a> semblent désormais inexistantes. Les agences de notation Fitch et Moody’s doivent d’ailleurs revoir la note qu’elles attribuent à la dette française le 26 avril et <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/03/le-maintien-par-standard-poor-s-de-la-note-de-la-france-un-satisfecit-a-la-portee-limitee-pour-le-gouvernement_6175991_823448.html">Standard & Poor’s</a> le 31 mai, soit juste avant les élections européennes.</p>
<p>Ainsi, on voit mal comment le pays pourrait échapper à des hausses d’impôts, au moins sous la forme relativement indolore d’<a href="https://www.europe1.fr/economie/Impot-sur-le-revenu-le-gel-du-bareme-c-est-fini-584938">années blanches</a> consistant à geler le barème de l’impôt sur le revenu (IR), sans prendre en compte l’inflation comme ce fut le cas en 2011 et 2012, à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy et au début de celui de François Hollande. Une telle décision se traduirait par une hausse du rendement de l’IR de l’ordre de <a href="https://www.ericpichet.fr/news/2023/bareme-de-limpot-sur-le-revenu-et-inflation.html">6 milliards en 2025</a>. D’autres mesures de justice sociale semblent également inéluctables comme l’alignement à revenu égal de la CSG des inactifs sur celle des actifs. Les entreprises seront sans doute également touchées et il faut s’attendre à un nouveau report de la baisse de la CVAE.</p>
<p>C’est néanmoins en taillant dans les dépenses publiques que le redressement des comptes serait le plus efficace, essentiellement dans les dépenses sociales <a href="https://fipeco.fr/commentaire/Les%20d%C3%A9penses%20par%20politique%20publique%20en%202022">très nettement supérieures aux autres pays de l’Union européenne</a>. Ainsi sur les retraites (14,4 % du PIB contre 11,9 % dans l’UE) la désindexation sur l’inflation semble inexorable. Pour la santé (12,2 % du PIB contre 10,5 % dans l’UE) la logique de déremboursement progressive qui se traduira au 31 mars 2024 par un reste à charge de 1 euro par boite de médicaments va se poursuivre. Les subventions de France compétences à l’apprentissage en particulier dans le supérieur seront sans doute restreintes dès cette année malgré l’<a href="https://theconversation.com/apprentissage-une-depense-publique-importante-pour-un-rendement-economique-et-social-eleve-220700">excellent rendement social à moyen et long terme</a> de l’apprentissage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226663/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le déficit public mesuré en 2023 est bien plus important qu’escompté. Malgré les discours gouvernementaux, il semble difficile d’échapper à des hausses d’impôts, même déguisées.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252072024-03-12T16:07:37Z2024-03-12T16:07:37ZÀ partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ?<p>Le 26 février, <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/guerre-en-ukraine-les-propos-complets-d-emmanuel-macron-sur-l-envoi-de-troupes-au-sol_AV-202402270832.html">Emmanuel Macron</a> a entrouvert la porte à un déploiement possible de troupes de l’OTAN au sol en Ukraine, « de manière officielle, assumée et endossée », jugeant que « rien ne [devait] être exclu pour poursuivre l’objectif qui est le nôtre : la Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre ».</p>
<p>La sortie du président de la République a suscité une levée de boucliers, tant du côté des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/27/les-allies-divises-sur-l-option-d-une-intervention-au-sol-en-ukraine_6218802_3210.html">principaux alliés de la France</a>, que des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cf-NE7VnP_E">partis d’opposition en interne</a>. Alors que les Occidentaux ont jusqu’à présent fait preuve d’une grande prudence vis-à-vis de la Russie, puissance dotée de l’arme nucléaire, la perspective du déploiement de troupes au sol est perçue comme une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/feb/29/emmanuel-macron-troops-ukraine-russia-france">escalade dangereuse</a>, à même de donner un nouveau statut aux partenaires de l’Ukraine : celui de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/envoi-de-troupes-occidentales-en-ukraine-l-hypothese-d-emmanuel-macron-deja-ecartee-par-de-nombreux-allies-20240227">cobelligérant</a>.</p>
<p>La polémique n’est pas neuve : depuis février 2022, chaque fois que les Occidentaux franchissent un pas supplémentaire dans leur réponse à l’invasion russe (en imposant de nouvelles sanctions ou en livrant de nouveaux types d’armes), quelques commentateurs se demandent si cela ne revient pas, cette fois-ci, à franchir le <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/cobelligerance-les-occidentaux-sont-ils-en-train-de-sengager-dans-le-conflit-en-ukraine">pas symbolique</a> qui ferait basculer la France en guerre – en guerre contre la Russie. De fait, à partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ? Où se situe concrètement la <a href="https://theconversation.com/comment-les-philosophes-de-lantiquite-pensaient-la-guerre-178494">frontière</a> entre la guerre et la paix ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/limpact-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-cooperation-militaire-franco-allemande-223671">L’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande</a>
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<h2>Les ambiguïtés du discours politique</h2>
<p>La France est-elle en guerre, ou est-elle sur le point d’entrer en guerre, en Ukraine ? À cette question pour le moins sensible, les responsables gouvernementaux français apportent des réponses étonnamment variables. Après avoir martelé, les <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284216-emmanuel-macron-02032022-ukraine-consequences-economiques">2 mars</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284517-emmanuel-macron-11032022-ukraine">11 mars</a> et <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/285102-emmanuel-macron-09052022-union-europeenne">9 mai 2022</a>, que « nous ne sommes pas en guerre », Emmanuel Macron déclare finalement, dans un discours sur la crise énergétique, le 5 septembre 2022, que <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/crise-energetique-nous-sommes-en-guerre-c-est-un-etat-de-fait-lance-emmanuel-macron_AV-202209050550.html">« nous sommes en guerre, c’est un état de fait »</a>, puis appelle, le 19 janvier 2024 à accélérer le passage à une <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/ukraine-emmanuel-macron-exhorte-l-industrie-de-defense-a-passer-en-mode-economie-de-guerre-988335.html">« économie de guerre »</a>.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2022, alors que <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284239-florence-parly-jean-baptiste-lemoyne-olivier-dussopt-01032022-ukraine">Florence Parly, la ministre des Armées de l’époque, écartait</a> devant les sénateurs l’envoi de troupes combattantes car cette option « ferait de nous des cobelligérants », son collègue de l’Économie, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/01/nous-allons-provoquer-l-effondrement-de-l-economie-russe-affirme-bruno-le-maire_6115679_823448.html">Bruno Le Maire, affirmait sur France Info</a> que la France et ses alliés s’apprêtaient à « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » (avant de faire marche arrière quelques heures plus tard, admettant que l’emploi du terme <em>guerre</em> était « inapproprié »).</p>
<p>Si elles peuvent être source de confusion, ces citations ont aussi le mérite de révéler deux caractéristiques des usages (et non-usages) politiques du terme de <em>guerre</em>.</p>
<p>Ce terme n’est pas réservé au champ de la conflictualité armée, mais se voit appliqué à de nombreux autres domaines – économique et énergétique ici, mais aussi diplomatique, informationnel, sanitaire, etc. – Emmanuel Macron n’avait-il pas déclaré, en 2020, la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/16/nous-sommes-en-guerre-retrouvez-le-discours-de-macron-pour-lutter-contre-le-coronavirus_6033314_823448.html">« guerre » au Covid</a> ? Ces emplois du terme de <em>guerre</em>, nous le verrons, s’écartent de l’emploi scientifique de celui-ci et constituent une forme d’abus de langage.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-ans-de-guerre-en-ukraine-comment-lue-sest-mobilisee-224028">Deux ans de guerre en Ukraine : comment l’UE s’est mobilisée</a>
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<p>Par ailleurs, il est évident que le choix politique de qualifier ou de ne pas qualifier un événement de « guerre » ne dépend pas en premier lieu de la nature réelle de cet événement, mais plutôt de l’intérêt politique perçu à mobiliser ou à ne pas mobiliser une rhétorique guerrière.</p>
<p>C’est ainsi que, sous le mandat Sarkozy, le gouvernement se refusait à parler de « guerre » pour qualifier la présence militaire française en Afghanistan (<a href="https://www.liberation.fr/france-archive/2008/08/27/deux-ministres-sur-la-defense_78758/">y compris après la mort de 10 soldats en opération à Uzbeen en 2008</a>), alors que le président déclarait la « guerre » aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20100730-nicolas-sarkozy-veut-faire-guerre-insecurite">« trafiquants et aux voyous »</a>, dans le cadre de son combat contre l’insécurité.</p>
<p>Ces usages et non-usages, à géométrie variable, du terme de <em>guerre</em> trahissent des stratégies discursives de la part des acteurs qu’il est intéressant d’étudier et de décrypter. Ils démontrent par ailleurs la distance qu’il peut y avoir entre l’emploi « politique » du terme et son emploi universitaire.</p>
<h2>La définition de la guerre en science politique</h2>
<p>Qu’est-ce que la guerre ? La théorie politique met en avant trois critères de définition de la guerre : son caractère collectif, son caractère violent et son caractère interactionnel.</p>
<p>Premièrement, la guerre est un phénomène collectif. Cela signifie qu’elle oppose non pas des individus, mais des groupes organisés les uns contre les autres. Ainsi que l’écrivait <a href="https://editions.flammarion.com/du-contrat-social/9782081275232">Jean-Jacques Rousseau</a> :</p>
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<p>« La guerre n’est donc point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats. »</p>
</blockquote>
<p>La nature (étatique ou non) de ces groupes organisés n’est pas un critère de définition de la guerre. On peut parler de guerre même si l’un ou les deux acteurs aux prises ne sont pas des États au sens moderne du terme – tel était par exemple le cas de la guerre d’Afghanistan, lors de laquelle les forces françaises faisaient face à un mouvement insurrectionnel, les talibans.</p>
<p>Cette distinction est néanmoins utile pour établir des typologies, permettant par exemple de distinguer la guerre inter-étatique (entre États) de la guerre civile (à l’intérieur d’un État).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EYTnMHcta4Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les philosophes français face à la guerre : politique, morale, philosophie – Claudine Tiercelin, 2014, Collège de France.</span></figcaption>
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<p>Deuxièmement, la guerre se caractérise par l’emploi d’un instrument spécifique : la force armée. La guerre se distingue de l’absence de guerre (c’est-à-dire de la paix) non pas par l’existence d’un différend ou de tensions particulièrement vives, mais par le choix, commun aux deux acteurs, de tenter de régler ce différend au moyen de la violence. En cela, comme l’écrivait le théoricien <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">Carl von Clausewitz</a>, la guerre « est un conflit de grands intérêts réglé par le sang, et c’est seulement en cela qu’elle diffère des autres conflits ».</p>
<p>La définition de la paix à laquelle l’on arrive alors est une définition négative : la paix se définit par la simple absence de violence, indépendamment de l’existence ou non d’un sentiment d’amitié ou d’hostilité entre les groupes aux prises.</p>
<p>Troisièmement, la guerre est un phénomène interactionnel. Clausewitz la définissait d’ailleurs, dès la première page de son maître-ouvrage, <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html"><em>De la guerre</em></a>, comme « un duel à une plus vaste échelle ».</p>
<p>Cela signifie que la guerre n’est pas l’application unilatérale de la violence contre une cible passive, mais implique que les deux adversaires aient chacun fait le choix d’utiliser la violence contre l’autre. La guerre se caractérise ainsi par la « réciprocité d’action volontaire », pour reprendre la formule du sociologue <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/trait%C3%A9-de-pol%C3%A9mologie-sociologie-des-guerres-9782228883627">Gaston Bouthoul</a>. Par exemple, l’on considère que l’occupation militaire de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938 ne constitue pas une guerre car l’armée autrichienne n’a pas cherché à y résister ; à l’inverse, l’invasion de Pologne en 1939 peut quant à elle être qualifiée de guerre du fait de la résistance (même brève) des forces polonaises.</p>
<p>En synthèse, on peut dire que la guerre se définit par la réciprocité du recours à la force entre groupes organisés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/arthur-pourquoi-les-hommes-aiment-ils-la-guerre-et-sentretuent-ils-131593">Arthur : « Pourquoi les hommes aiment-ils la guerre et s’entretuent-ils ? »</a>
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<h2>La France est-elle en guerre en Ukraine ?</h2>
<p>À l’aune de cette définition, comment qualifier aujourd’hui l’action de la France dans le contexte de la guerre en Ukraine ? Il convient tout d’abord de noter que l’on ne peut pas parler de « guerre » au sujet des sanctions adoptées contre la Russie : celles-ci relèvent en effet d’un répertoire d’actions (économique, diplomatique, etc.) qui est matériellement et symboliquement distinct de l’emploi de la violence physique.</p>
<p>Prendre des mesures de représailles contre un État ne suffit pas pour créer une situation de guerre tant que ces mesures n’impliquent pas le recours à la force. À ce titre, parler de « guerre économique » constitue un abus de langage : ce qui fait la spécificité de la guerre, nous l’avons dit, est <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">« le caractère particulier des moyens qu’elle met en œuvre »</a>, à savoir, la violence armée.</p>
<p>Qu’en est-il de l’aide militaire apportée par la France à l’Ukraine ? Là encore, on ne peut pas qualifier cette action de « guerre ». En effet, transférer des matériels militaires à un autre État n’équivaut pas au fait d’employer soi-même ces matériels militaires contre un acteur tiers. Si la France aide l’Ukraine à combattre contre la Russie, la France ne recourt pas elle-même à la force armée contre la Russie (pas plus que la Russie ne recourt à la force contre la France).</p>
<p>Le critère de la réciprocité de l’emploi de la violence n’est donc pas rempli. Pour pouvoir parler de guerre, il convient qu’il y ait une participation directe aux hostilités, au travers d’un emploi, en propre, de la violence.</p>
<p>L’expression « guerre par procuration » est donc là aussi à ne pas prendre au pied de la lettre : en l’absence d’une implication directe dans les combats eux-mêmes, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une guerre.</p>
<p>Qu’en est-il, enfin, de la potentielle présence de troupes au sol en Ukraine ? La réponse à cette question dépend de la mission qui leur serait confiée : si ces troupes ne participent pas elles-mêmes aux hostilités, mais agissent à des fins de collecte de renseignements, de maintien en conditions opérationnelles des équipements militaires, de formation des soldats ukrainiens, etc., on ne peut pas parler de guerre ou de cobelligérance. Ces actions de soutien ne constituent pas une forme d’usage de la force et ne feraient pas basculer la France d’une situation de paix à une situation de guerre avec la Russie.</p>
<p>En revanche, s’il s’agissait de troupes combattantes, participant directement aux opérations de combat, alors le seuil de la cobelligérance serait franchi. De même, si les soldats sur place contribuaient à opérer certains équipements militaires (de type missiles longue portée), c’est-à-dire, s’ils ne se contentaient pas d’aider à l’entretien des ces équipements mais participaient directement de leur emploi contre les forces russes, l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une forme de recours à la force, et donc, de cobelligérance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Schu est membre de l'Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES). </span></em></p>Où se situe concrètement la frontière entre la guerre et la paix dans une situation de conflit ?Adrien Schu, Maitre de conférences en sciences politiques, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2250412024-03-05T16:02:23Z2024-03-05T16:02:23ZDes prix plancher au secours de l’agriculture : ne peut-on pas trouver meilleure idée ?<p>La visite du président Macron au salon de l’agriculture 2024, tout <a href="https://www.bfmtv.com/politique/reconquete/marion-marechal-aspergee-de-biere-au-salon-de-l-agriculture-va-continuer-a-mouiller-la-chemise_AN-202403010144.html">comme celle d’autres personnalités politiques</a>, a été <a href="https://www.youtube.com/watch?v=McEmx_9sO9A">relativement houleuse</a>. Plusieurs débordements ont été signalés avant qu’il ne puisse visiter les hangars de la Porte de Versailles dans un climat tendu et en étant régulièrement pris à partie.</p>
<p>C’est dans ce contexte qu’est intervenue la déclaration surprise de la volonté du gouvernement et du président d’aller vers la mise en place de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommation-luxe/agriculture-les-prix-planchers-d-emmanuel-macron-une-proposition-qui-divise-le-monde-agricole-991500.html">prix planchers dans le secteur agricole</a>. Les contours du dispositif sont encore flous : il s’agirait, à gros traits, de faire en sorte que les distributeurs ne puissent pas acheter aux producteurs les fruits de leur récolte ou de leur élevage en-deçà d’un certain prix. En théorie, la loi Égalim garantit aujourd’hui des prix qui ne peuvent descendre en dessous des coûts de production.</p>
<p>Le premier ministre, fin janvier 2024, en plein crise agricole, avait esquissé la mise en place <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/discours-de-politique-generale-le-premier-ministre-na-rien-compris-a-ce-que-demandent-les-agriculteurs-sur-les-barrages">d’une « exception agricole</a>, qui permettrait aux productions agricoles nationales de bénéficier de mesures de sauvegarde ou de protection (à l’image de ce qui fût fait <a href="https://www.csa.fr/Cles-de-l-audiovisuel/Connaitre/Histoire-de-l-audiovisuel/Qu-appelle-t-on-l-exception-culturelle">pour le cinéma au travers de l’exception culturelle</a>). Celle-ci est réclamée depuis longtemps par les syndicats, au motif que l’agriculture n’est <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/26/puisque-l-alimentation-n-est-pas-une-marchandise-comme-les-autres-etendons-les-principes-de-la-securite-sociale-a-l-alimentation_6191050_3232.html">« pas une activité économique comme les autres »</a>. S’agit-il de couper l’herbe sous le pied au Rassemblement national qui depuis plusieurs années <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/edito-prix-planchers-pesticides-europe-les-raison-des-contorsions-du-rassemblement-national_6355366.html">milite pour ce type de mécanismes</a> ?</p>
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<p>À quelques mois des élections européennes, chaque thématique semble être l’objet d’un bras de fer entre la majorité présidentielle et le Rassemblement national. L’agriculture n’y échappe pas. Certains médias affirment d’ailleurs qu’il y aurait une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/01/entre-le-rn-et-la-coordination-rurale-une-proximite-ideologique-et-des-accointances-locales_6219533_823448.html">affinité entre certains syndicats et le programme défendu par Jordan Bardella</a>.</p>
<p>Ce qui paraît certain est que la mise en place de cette idée de prix planchers ne va pas de soi. Elle paraît même <a href="https://www.lopinion.fr/economie/prix-plancher-un-peu-de-culture-economique-la-chronique-demmanuel-combe">largement discutable</a>, tant au regard de la théorie économique que des réalités de terrain. Des alternatives semblent sans doute préférables.</p>
<h2>Pas de cavaliers seuls ?</h2>
<p>Premier point qui peut conduire à remettre cette idée en question : les prix planchers ne semblent <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-europeens-traiter-lorigine-des-maux-pour-eviter-la-polarisation-224420">pas avoir de sens au sein d’un marché commun européen</a>. L’Europe a abandonné depuis les années 2000 la politique de quotas et <a href="https://theconversation.com/crise-agricole-une-reponse-politique-mal-ciblee-223947">a cessé de vouloir piloter les volumes produits et indirectement les prix</a>. Cela a presque automatiquement généré une <a href="https://theconversation.com/de-la-fin-des-quotas-de-la-pac-a-aujourdhui-20-ans-de-politiques-agricoles-en-echec-222535">élévation de la concurrence intra-européenne</a> et mondiale, <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/sucre-le-triste-bilan-de-la-fin-des-quotas-europeens-140391">qui s’est traduite par de fréquentes crises de surproduction</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753805095169388785"}"></div></p>
<p>Chaque acteur et chaque pays n’ont en effet aucun intérêt propre à se limiter pour atteindre un hypothétique équilibre de marché. C’est ce qu’a bien montré la théorie économique des jeux : sur certains marchés <a href="https://www.persee.fr/doc/ecoap_0013-0494_2001_num_54_1_1756">peuvent se produire des déséquilibres et des actions non coopératives qui aboutissent à des situations sous-optimales</a>. Ici, des surplus de production amènent une baisse généralisée des prix. À quoi bon instaurer des prix planchers quand chaque pays peut décider de faire « cavalier seul » ?</p>
<p>Une des conditions fortes des prix planchers serait ainsi que les règles du jeu soient exactement les mêmes pour tous. En économie, l’un des principes de base des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/270244-quest-ce-que-la-concurrence">théories de la concurrence</a> <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/270244-quest-ce-que-la-concurrence">pure et parfaite</a> consiste à avoir des acteurs qui se comportent de la même façon et qui tous ont le même poids. Aucun acteur ne peut déstabiliser seul un marché et donc tout le monde joue à armes égales.</p>
<h2>Le défi de l’hétérogénéité</h2>
<p>Or, cela ne correspond pas à la réalité des marchés et des filières agricoles. D’une part, il existe des acteurs <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/negociations-commerciales-et-prix-des-matieres-premieres-agricoles-la-france-a-cote-de-la-pac-905654.html">qui « font » le marché, en pesant plusieurs milliards d’euros</a>. En général les <a href="https://theconversation.com/les-producteurs-principaux-perdants-de-la-repartition-des-gains-de-productivite-de-lagriculture-depuis-1959-222780">producteurs sont les grands perdants de ces rapports de force</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1754931388837417156"}"></div></p>
<p>D’autre part, parce que plusieurs pays n’ont pas intérêt et ne mettront jamais en place les prix planchers à l’échelle européenne et encore moins mondiale. Les pays en mesure de proposer des prix bas se priveraient en effet d’une demande qui leur est acquise. Certains produits agricoles sont des commodités, aux caractéristiques identiques ou très proches, et pour lesquelles le prix devient donc le facteur unique de décision des agents économiques.</p>
<p>L’idée de prix plancher ne serait ainsi pertinente qu’à condition d’avoir des produits agricoles qui se différencient autrement que par le prix. Cela justifierait l’existence d’un prix minimal au regard des caractéristiques supérieures du produit ou de sa qualité essentielle.</p>
<p>Par ailleurs, le concept même de prix plancher repose sur une hypothèse forte et très restrictive : que les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/27/quatre-questions-sur-les-prix-planchers-des-produits-agricoles_6218908_4355770.html">couts des différents exploitants agricoles soient assez homogènes,</a> quelle que soit leur zone de production. Or les conditions locales, climatiques ou la simple topographie sont nettement différentes selon la région de production. Dans la filière laitière, les coûts de production varient du simple au double. Dans ce cas, sur quel niveau de coût s’aligner et donc quel niveau de prix plancher ?</p>
<h2>Une inspiration américaine ?</h2>
<p>La notion de prix plancher soulève d’ailleurs des enjeux juridiques : elle peut conduire plusieurs acteurs à s’entendre de fait sur des prix. Or, les ententes sont <a href="https://www.lopinion.fr/economie/agriculture-les-prix-planchers-suscitent-une-montagne-dinterrogations">interdites du point de vue du droit de la concurrence</a>. Cela incite les principaux acteurs sur le marché, peu nombreux dans la grande distribution, à s’accorder sur des niveaux d’achats et des prix et les conséquences peuvent s’avérer à terme contre-productives. En effet, les distributeurs peuvent être plus incités encore à avoir des prix d’achat quasi identiques, le prix plancher donnant un signal. Dans ce cas, le mécanisme stimulant de la concurrence du côté de la demande qui peut pousser les prix d’achat vers le haut peut se gripper (le producteur vendrait en théorie au plus offrant).</p>
<p>Outre le droit européen, il faudra aussi composer avec les accords de libre-échange qui comportent des allègements, si ce n’est des suppressions, de contraintes douanières ou fiscales. Cela va bien évidemment à l’encontre des velléités protectionnistes ou même de <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">souveraineté nationale</a>. L’idée est de permettre d’échanger des <a href="https://www.sudouest.fr/economie/agriculture/mercosur-poulets-bresiliens-contre-voitures-allemandes-ou-en-est-l-accord-de-libre-echange-entre-l-europe-et-l-amerique-du-sud-18373445.php">productions agricoles étrangères contre d’autres types de produits comme le fait par exemple l’Allemagne</a>. Dans le cas français, ce sont bien nos productions agricoles qui risquent de pâtir de cette concurrence directe des produits importés.</p>
<p>Dans cette approche fondée sur la théorie des avantages comparatifs, chaque pays essaie de favoriser la performance de ses productions nationales disposant d’avantages relatifs. Tout l’enjeu pour les produits agricoles consiste à introduire des <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/agriculture-quest-ce-que-les-clauses-miroirs-que-demandent-les-agriculteurs">clauses miroirs</a> pour que les pays importés soient soumis aux mêmes règles et contraintes que les produits nationaux, notamment en matière environnementale. Cela induit sinon une distorsion majeure de concurrence. En introduisant des prix planchers qui ne s’appliqueraient qu’aux productions nationales, on risque de rendre encore moins compétitifs sur notre sol nos produits agricoles et on renforcerait l’avantage comparatif du poulet ukrainien ou du sucre brésilien, par exemple.</p>
<p>Plusieurs experts rappellent l’existence d’autres dispositifs qui représentent une alternative plus pertinente. Un des dispositifs les plus aboutis existe dans le pays roi du marché et de la libre concurrence, à savoir les États-Unis. Les Américains ont mis en place depuis plusieurs années, au travers du <a href="https://agriculture.gouv.fr/le-nouveau-farm-bill-americain-un-renforcement-des-assurances-agricoles-subventionnees-et-des"><em>Farm Bill</em></a>, différents mécanismes permettant de compléter les prix offerts sur le marché. Des aides sont versées, sauf quand les prix deviennent plus rémunérateurs pour les paysans ou franchissent certains seuils. C’est une façon de « préserver » le revenu des agriculteurs américains, de limiter les effets de la volatilité et d’offrir un peu de prévisibilité et de stabilité. Un juste équilibre, sans doute, pour un secteur qui fait face à <a href="https://theconversation.com/crise-agricole-quels-defis-pour-demain-224685">venir d’immenses défis</a>, tant <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-crise-agricole-revele-des-contradictions-entre-objectifs-socio-ecologiques-et-competitivite-222293">techniques</a> et économiques <a href="https://theconversation.com/revoir-notre-vision-de-la-nature-pour-reconcilier-biodiversite-et-agriculture-223927">qu’environnementaux</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si, au lieu d’instaurer un système de prix plancher dans l’agriculture, on s’inspirait de dispositifs américains, plus pertinents sans doute pour garantir un minimum de stabilité aux producteurs ?Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230242024-02-15T14:11:15Z2024-02-15T14:11:15ZComment les mots-slogans de Macron et Attal façonnent un agenda politique et médiatique<p>Après le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/12/31/voeux-aux-francais-pour-2024">discours des vœux de Nouvel An du président</a>, ses propos introductifs à la <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/292703-emmanuel-macron-16012024-politique-gouvernementale">conférence de presse du 16 janvier</a>, ainsi que la <a href="https://www.gouvernement.fr/discours/declaration-de-politique-generale-du-gouvernement">déclaration de politique générale du Premier ministre Gabriel Attal</a> devant l’Assemblée nationale le 30 janvier, de nombreux journalistes et commentateurs de la vie politique française ont relevé l’emploi par le président et le Premier ministre du mot <em>réarmement</em> et du verbe <em>réarmer</em> ainsi qu’une triade de verbes en <em>dé</em> : <em>désmicardiser</em>, <em>déverrouiller</em>, <em>débureaucratiser</em>.</p>
<p>Les discours politiques sont scrutés de près par de nombreuses disciplines : science politique, histoire, sociologie… mais aussi par la linguistique, discipline dont l’objet est l’étude scientifique de la langue et de ses usages. Les sciences du langage ont ainsi développé, des débuts de <a href="https://www.persee.fr/issue/lgge_0458-726x_1995_num_29_117">l’analyse des discours</a> jusqu’aux méthodes quantitatives basées sur <a href="https://journals.openedition.org/corpus/291">corpus</a> – c’est-à-dire l’étude statistique à partir de grandes masses de textes – des techniques afin d’analyser la <a href="https://books.openedition.org/pur/24821">rhétorique politique</a>.</p>
<h2>Le <em>réarmement</em>, un mot utilisé dans des moments historiques de tensions</h2>
<p>Si le mot <em>réarmement</em> a retenu à ce point l’attention, c’est sans doute en partie lié à un effet de surprise. En utilisant une fonction aussi basique et sujette à discussion que le visualiseur de fréquence des mots de <a href="https://books.google.com/ngrams/graph?content=r%C3%A9armement&year_start=1800&year_end=2019&corpus=fr-2019&smoothing=3">Google Books</a>, on voit que son utilisation en français est proche de zéro jusqu’en 1927, connaît un premier pic en 1935, reflue jusqu’en 1943 avant de repartir en flèche avec un second pic en 1952. Depuis cette date, il reflue à nouveau régulièrement jusqu’à 2019, dernière année de l’échantillon, avec toutefois quelques pics, moins importants, dont un en 1981.</p>
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<p><em>Réarmement</em> n’est donc pas un mot régulièrement utilisé et on le voit surtout apparaître dans des moments historiques liés à des tensions et des ruptures : entre-deux-guerres, montée du nazisme et du fascisme, Seconde Guerre mondiale puis Guerre froide.</p>
<p>Ce constat d’un mot peu usité en français est par ailleurs confirmé, au niveau statistique et à plus grande échelle, par sa fréquence dans le corpus de référence du français standard proposé par l’outil <a href="https://www.sketchengine.eu/">Sketchengine</a> créé par le linguiste britannique Adam Kilgarriff comme interface permettant d’étudier de grands corpus. Dans cette gigantesque masse de données, « réarmement » apparaît exactement 12.067 fois, ce qui ne fait même pas une fois (0,43 fois pour être précis) tous les un million de mots… Pourtant, les occurrences répétées, associées à celles du verbe « réarmer », dans les deux discours du président en font clairement un mot clef de son argumentation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/je-nai-pas-menti-le-discours-politique-a-lepreuve-des-faits-221713">« Je n’ai pas menti » : le discours politique à l’épreuve des faits</a>
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<h2>Imposer un cadre d’analyse du réel</h2>
<p>L’utilisation de ces mots clés est un premier élément de <em>framing</em>, de cadrage cognitif et discursif. Présente <a href="https://scholar.archive.org/work/gw2525p7fjewfb5lilabctplx4">sous diverses formes</a> dans plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, la notion de cadre repose sur l’idée que toute réalité peut être saisie de diverses manières et que toute approche de celle-ci présuppose donc sélection, accentuation et interprétation d’une perspective particulière, au détriment des autres, entraînant donc des représentations différentes.</p>
<p>Ici, le cadre choisi est donc de conférer à la situation actuelle du pays un caractère historique qui l’inscrit dans une lignée. En quelque sorte, si nous en sommes au point de réarmer, c’est parce que la situation est grave. Et ce premier cadre en convoque un deuxième qui n’est exploité qu’à la marge lexicalement, mais est bien sûr cognitivement présent, c’est-à-dire dans les représentations mentales que nous y associons, en l’occurrence la dimension militaire sous-jacente au terme qui ressurgit par exemple dans le mot <em>mobilisation</em>.</p>
<p>Ces aspects du discours pourraient être traités en termes de <a href="https://www.cairn.info/revue-langue-francaise-2016-1-page-5.htm&wt.src=pdf">métaphores</a>, mais comme l’ont montré les théories cognitives, les métaphores ne sont pas que des artifices stylistiques, elles structurent notre mode de représentation des réalités que nous désignons par les mots. La communication présidentielle opère clairement là une fusion conceptuelle entre le domaine militaire et les autres domaines visés (économie, société, démographie) et, en quelque sorte, prépare la suite : il faudra prendre des mesures, désigner des chefs de file, faire un plan de bataille, etc.</p>
<p>Enfin, troisième élément saillant, il y a les verbes associés à la durée, au temps, dans les deux interventions présidentielles et qui participent à la <a href="https://hal.science/hal-00202448">stratégie de cadrage</a>. Le président utilise des verbes qui indiquent que son action va s’inscrire dans la durée et qui prouvent son volontarisme : « C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué le 31 décembre dernier lors de mes vœux, nous engagerons un réarmement civique », a-t-il par exemple déclaré lors de sa conférence de presse du 16 janvier dernier. Il va falloir le « permettre », et l’on comprend, sans que cela soit dit, que l’exécutif en sera l’agent, puis l’« engager » et le « poursuivre », voire l’« accélérer » – ce réarmement ne sera pas immédiat, il va durer dans le temps et montera en puissance.</p>
<p>Bien sûr, ce réarmement n’est pas militaire, il s’applique à des domaines institutionnels, économiques et sociétaux : réarmement économique, réarmement de l’État et des services publics, réarmement civique, industriel, technologique et scientifique, réarmement de la Nation, réarmement de notre souveraineté, réarmement académique, scientifique, technologique, industriel et agricole et enfin réarmement démographique. Là encore le discours tente un effet de surprise en associant le terme à des compléments totalement inattendus : ces « types » de réarmement, non militaires, ne sont pas attestés par le passé. Le président crée donc, dans le discours, de nouvelles catégories de désignation qu’il inscrit dans le « cadre » choisi et qui hérite de toutes les propriétés du réarmement classique : ses acteurs (qui décide, qui agit), ses dispositifs (les instruments de ces réarmements), ses objectifs, etc.</p>
<h2>Du cadrage à sa diffusion et sa réception</h2>
<p>Le Premier ministre s’inscrit lui aussi dans ce cadrage global de rupture historique puisqu’à travers la triade des trois verbes à la structure identique « déverrouiller », « débureaucratiser » et « désmicardiser », il identifie clairement trois obstacles (les verrous administratifs, la bureaucratie et le smic) qu’il va s’agir de dépasser.</p>
<p>D’ailleurs, la structure même des deux derniers verbes contient, dans sa forme, le verrou à faire sauter : la bureaucratie et le smic. En ce sens, déverrouiller fait figure de forme générique pour les deux autres. Le cadre est ici clairement porté par le suffixe <em>dé</em> que le <a href="http://atilf.atilf.fr/"><em>Trésor de la langue française informatisé</em></a> définit comme « exprimant l’éloignement, la privation, la cessation, la négation, la destruction de quelque chose » qui met en avant le changement dans la direction opposée à celle du verbe de base.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reactionnaire-ce-que-lintelligence-artificielle-dit-des-discours-demmanuel-macron-222186">Réactionnaire ? Ce que l’intelligence artificielle dit des discours d’Emmanuel Macron</a>
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<p>Il est intéressant de noter que même le néologisme dé-smicard-iser ne pose aucun problème d’interprétation : d’une part parce qu’il recourt à une structure bien attestée de construction des verbes français et d’autre part parce que, dans le discours du Premier ministre, il vient conclure un passage entièrement consacré au smic où le cadre retenu est celui de la limite, de la frontière (niveau du smic, en dessous du smic,) qu’il convient de dépasser (augmenter, revaloriser le smic).</p>
<p>Ces discours visent donc, à travers ces cadres, à livrer, peut-être imposer, une « grille de lecture » politique d’une situation. Il n’est pas du ressort du linguiste de les évaluer, car le faire serait forcément aussi évaluer l’analyse de la situation qui les sous-tend, et ce serait donc un positionnement lui aussi politique.</p>
<p>Ce que le linguiste peut toutefois observer, c’est comment ces cadres vont ou non être repris dans les <a href="https://journals.openedition.org/communication/3064">discours médiatiques</a> mais aussi tout simplement dans l’opinion publique. En effet, les mots et formules analysés fonctionnent comme des mots-signaux qui certes condensent tout un discours, mais portent aussi les <a href="https://shs.hal.science/halshs-03871342">cadres choisis</a>. Et un cadre qui finit par s’imposer peut très vite être confondu avec la/une réalité dont il ne met pourtant en perspective qu’une dimension parmi plusieurs possibles.</p>
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<p><em>Cet article est illustré par <a href="https://www.cartooningforpeace.org/">Cartooning for Peace</a>, un réseau international de dessinateurs et dessinatrices de presse engagés à promouvoir, par le langage universel du dessin de presse, la liberté d’expression et les droits de l’Homme.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gautier a reçu des financements du Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté, de l'ANR et de la Commission Européenne pour divers projets de recherche.</span></em></p>Les mots employés par des politiques peuvent finir par imposer un cadre d’analyse de la réalité qui ne met pourtant en perspective qu’une dimension parmi plusieurs possibles.Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224052024-02-05T15:13:42Z2024-02-05T15:13:42ZComment l’ombre de Sarkozy divise Les Républicains<p><a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-loi-immigration-integration-asile-du-26-janvier-2024">L’adoption de la loi sur l’immigration du 19 décembre 2023</a> était apparue comme une victoire pour Les Républicains (LR). Elle semblait valider la stratégie mise en place par les principaux responsables du parti de droite.</p>
<p>Mais la constitution du nouveau gouvernement, et en particulier le débauchage de Rachida Dati, présidente du Conseil National des Républicains, figure de proue de la droite parisienne et ancienne Garde des Sceaux sous Nicolas Sarkozy, a pris de court bon nombre d’observateurs et a remis en cause cette impression de renouveau. Tout comme la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/2023863DC.htm">censure</a> des articles les <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/xavier-bertrand-lr-j-ai-un-profond-desaccord-avec-laurent-wauquiez-sur-la-conception-de-l-etat-de-droit-20240126">plus droitiers</a> et les plus polémiques de la loi sur l’immigration par le Conseil constitutionnel.</p>
<p>Ces développements ont <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/12/apres-le-debauchage-de-rachida-dati-gabriel-attal-attendu-au-tournant-par-la-droite_6210532_823448.html">rappelé</a> à Éric Ciotti, la fragilité de son leadership, et au parti conservateur les incertitudes concernant son avenir et sa survie.</p>
<h2>Un espace politique de plus en plus réduit ?</h2>
<p>Après Rachida Dati, la nomination de <a href="https://www.lemondedesartisans.fr/actualites/quelles-seront-les-priorites-de-la-nouvelle-ministre-du-travail-catherine-vautrin">Catherine Vautrin</a> – ancienne ministre de Jacques Chirac et ancienne membre de LR désormais affiliée à Horizons – et le maintien à leurs postes d’anciennes figures de LR comme Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont confirmé <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/13/avec-l-ancrage-a-droite-du-nouveau-gouvernement-l-espoir-d-une-bouffee-d-air-pour-la-gauche_6210642_823448.html">l’ancrage à droite</a> du gouvernement. En témoignent aussi le <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20240117-france-emmanuel-macron-est-dans-une-posture-de-pr%C3%A9sident-manager-avec-la-start-up-nation">ton utilisé et les thèmes abordés par Emmanuel Macron</a> ou plus récemment Gabriel Attal.</p>
<p>Ce positionnement diminue de fait l’espace politique du parti conservateur, déjà débordé par sa droite par le Rassemblement national (RN) et Reconquête ! et qui se voit réduit à brandir la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/01/lr-fragilise-brandit-la-menace-d-une-motion-de-censure_6214172_823448.html">menace d’une motion de censure</a> pour exprimer son mécontentement et essayer de peser sur le cours des choses.</p>
<p><a href="https://fr.statista.com/statistiques/1422338/sondage-intentions-de-vote-elections-europeennes-2024/">Une compilation de plusieurs sondages</a> tentant de mesurer le futur rapport de force des élections européennes du 9 juin prochain confirme d’ailleurs l’étroitesse de cet espace. Le RN et Reconquête ! sont crédités de près de 34 % des intentions de votes (28 % pour le premier et 6 % pour le second), le mouvement présidentiel recueillerait 19 % des suffrages… alors que LR est crédité de 8 % des voix.</p>
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<p>Certes, LR conserve une assise locale et un <a href="https://www.senat.fr/vos-senateurs/groupes-politiques.html">poids au Sénat</a> qui lui ont jusqu’à présent permis de ne pas disparaître. Mais alors que le débat sur l’immigration avait semblé repositionner le parti conservateur au centre du jeu politique français, la séquence nouveau gouvernement/censure du Conseil constitutionnel assombrit cette perspective.</p>
<p>Elle interroge aussi le bien-fondé de sa stratégie et la légitimité du leadership et du management de son président à un moment où ses adversaires, et en particulier le RN, apparaissent plus offensifs et plus audibles sur des sujets comme la sécurité, le <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-exclusif-europeennes-2024-le-pouvoir-dachat-revient-en-force-dans-les-motivations-de-vote-2070628">pouvoir d’achat</a> ou encore la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/30/jordan-bardella-profite-de-la-colere-des-agriculteurs-pour-lancer-une-offensive-contre-l-ecologie-punitive_6213835_823448.html">crise des agriculteurs</a>.</p>
<p>La proposition d’Eric Ciotti de garantir un revenu plancher de 1500 euros à chaque agriculteur en récupérant le budget alloué à l’Aide médicale d’État pour répondre à la crise agricole actuelle est par exemple <a href="https://www.liberation.fr/politique/agriculteurs-moque-jusquau-sein-de-lr-eric-ciotti-sestime-caricature-20240130_LJ3OHJ3R7VFCZCXTADBSPMH2XQ/">apparue peu crédible</a> et a même été rejetée par <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/un-revenu-paysan-de-1500-euros-propose-par-eric-ciotti-le-president-des-republicains-veut-le-financer-avec-l-ame_229053.html">certains agriculteurs</a>.</p>
<h2>Leadership transformationnel et humble</h2>
<p>En matière de leadership, les recherches les plus récentes mettent en lumière deux concepts, le <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/eb054626/full/html">leadership transformationnel</a> et le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/job.2608">leadership humble</a>. Le premier est porté par un leader qui va aider et encourager les membres de son organisation et les aider à progresser en s’assurant qu’ils avancent tous dans la même direction et en les inspirant. Le second renvoie à l’idée de leaders capables d’assumer leurs responsabilités, n’ayant pas peur de se remettre en question et de dévoiler leurs faiblesses et leurs limites.</p>
<p>Ces pratiques sont particulièrement plébiscitées par les jeunes <a href="https://www.cairn.info/revue-culture-prospective-2007-3-page-1-htm">générations</a> qui sont sensibles à l’exemplarité et à la cohérence des actes avec les valeurs affichées. Jacinda Ardern, ancienne première ministre néo-zélandaise, ou Yvon Chouinard, le fondateur de la marque de vêtement Patagonia, sont deux figures qui incarnent cette tendance actuelle. La première parce qu’elle a notamment baissé de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/solidarite-en-nouvelle-zelande-jacinda-ardern-renonce-20-de-son-salaire">20 %</a> son salaire et ceux de ses ministres en signe de solidarité suite aux difficultés économiques liées au Covid. Le second car il a transféré <a href="https://eu.patagonia.com/fr/fr/ownership/">100 % des parts</a> de son entreprise à un trust et à une association de lutte contre la crise environnementale, à qui seront reversés les futurs profits.</p>
<h2>Comment concilier nouvelles exigences, privilèges et anciennes pratiques ?</h2>
<p>Fidèle à une stratégie de fermeté vis-à-vis des « déserteurs », Eric Ciotti a exclu Rachida Dati de LR. Sa décision semble s’inscrire dans la tendance actuelle en matière de leadership puisque l’exclusion de la figure sarkoziste s’est faite au nom de l’exemplarité, de la fidélité et de la cohérence avec les valeurs du parti.</p>
<p>Mais Éric Ciotti n’a pas manqué de souligner <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/12/rachida-dati-ministre-de-la-culture-la-droite-sonnee-eric-ciotti-veut-l-exclure-des-republicains_6210317_823448.html">« l’estime »</a> et <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4070733-20240116-gouvernement-attal-eric-ciotti-tacle-rachida-dati-affirmant-politique-star-academy">« l’amitié »</a> qu’il lui portait malgré sa « trahison » et l’exclusion de l’ancienne Garde des Sceaux n’est, semble-t-il, toujours pas <a href="https://www.lejdd.fr/politique/rachida-dati-ironise-apres-son-exclusion-des-lr-jattends-mon-oqtf-141272">officialisée</a>.</p>
<p>Le retour de <a href="https://www.liberation.fr/tags/xavier-bertrand/">Xavier Bertrand</a> ou celui de <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/valerie_pecresse">Valérie Pécresse</a> dans le giron de LR pour participer à la primaire pour l’élection présidentielle de 2022, alors qu’ils avaient auparavant claqué la porte du parti, ont rappelé que les ruptures étaient rarement définitives en politique.</p>
<p>Les prises de position des différents protagonistes de l’exclusion de Rachida Dati semblent ainsi laisser la porte ouverte à un possible retour suite à son escapade macroniste. Les manœuvres de cette dernière pour continuer de peser au Conseil de Paris malgré sa nomination comme ministre de la Culture et le <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/presidence-du-groupe-de-droite-au-conseil-de-paris-catherine-dumas-appelle-rachida-dati-a-ne-pas-aller-trop-vite">peu de réactions de ses anciens alliés LR</a> de peur de se mettre à dos l’opposante désignée à Anne Hidalgo en vue des prochaines élections municipales, illustrent bien le flou et les ambiguïtés de cette mise à l’écart.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rachida Dati répond à Eric Ciotti, le Point.</span></figcaption>
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<p>À terme, de telles pratiques pourraient avoir du mal à passer auprès d’une jeune garde théoriquement plus sensible à un leadership porteur d’exemplarité et pourraient mettre en danger l’autorité d’Éric Ciotti. Mais la politique a de tout temps été faite de trahisons et de retours en grâce dictés par le rapport de force électoral.</p>
<p>L’histoire a montré qu’il n’est pas si aisé de dépasser les différences générationnelles et de prendre la place des barons installés depuis plusieurs décennies. Pour mémoire, les quadras « rénovateurs » du RPR et de l’UDF – Philippe Séguin, François Fillon, Michel Noir, Dominique Baudis, François Bayrou… – avaient essayé en 1989 de prendre le leadership de la droite à Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, jugés responsables des défaites électorales de 81 et 88. <a href="https://www.cairn.info/la-malediction-de-la-droite--9782262077198-page-213.htm">Sans succès</a>… et sans que l’électorat et les soutiens de ces derniers ne s’en détournent.</p>
<h2>Quelle relance pour LR ?</h2>
<p>Officiellement, Éric Ciotti a toujours pour ambition de relancer son parti en s’appuyant et en soutenant la <a href="https://www.lepoint.fr/politique/presidentielle-2027-comment-ciotti-prepare-le-futur-sacre-de-wauquiez-08-09-2023-2534622_20.php">candidature de Laurent Wauquiez lors de l’élection présidentielle de 2027</a> même si les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/18/chez-lr-l-unite-du-duo-eric-ciotti-laurent-wauquiez-fragilisee-par-la-reforme-des-retraites_6166031_823448.html">légères tensions</a> apparues entre les deux hommes lors de la réforme des retraites ont montré que rien n’est jamais gravé dans le marbre.</p>
<p>La perspective de cette candidature ne semble pas, à ce stade, en mesure de remettre en question <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">l’opposition annoncée</a> entre les candidats du RN et du camp « macroniste » en vue de l’élection de 2027.</p>
<p>Le président de LR devra donc, à la fois, inspirer, donner des gages et ménager les anciennes et les nouvelles générations du parti conservateur, s’il veut les rassembler et déjouer les pronostics. C’est à ce prix qu’il parviendra à consolider son leadership et à empêcher la disparition de sa formation politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les stratégies politiques d’Emmanuel Macron ont fragilisé durablement le leadership du parti LR.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2221862024-02-01T14:58:29Z2024-02-01T14:58:29ZRéactionnaire ? Ce que l’intelligence artificielle dit des discours d’Emmanuel Macron<p>Emmanuel Macron est-il devenu un président réactionnaire ? Faisant profession de foi de progressisme, son discours n’est-il pas en réalité empreinte de nostalgie et de conservatisme ? La « révolution » que le titre de son <a href="https://www.xoeditions.com/livres/revolution/">livre-programme</a> promettait se rapproche-t-elle de 1789, 1848, 1917… ou plutôt de la révolution conservatrice qui a pu dominer l’Europe et le monde dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2003-3-page-40.htm">années 1980</a>. Plus lointainement, la révolution macronienne ne fait-elle pas quelques échos à la révolution nationale du régime de Vichy ? Ses discours semblent l’attester avec des propos natalistes (<a href="https://theconversation.com/rearmement-demographique-ou-comment-rater-la-cible-de-communication-221667">« réarmement démographique »</a>), une restauration de l’autorité et l’affirmation de la triple priorité « l’ordre, l’ordre, l’ordre », l’idée d’un <a href="https://theconversation.com/luniforme-peut-il-vraiment-favoriser-legalite-entre-les-eleves-199140">uniforme à l’école</a> et d’une nécessaire préférence nationale face à l’immigration clandestine. Et la résonance lexicale entre la « Renaissance » que projette le nouveau parti du président et la « renaissance » que promettait Philippe Pétain dans ses messages aux Français après le Front populaire se révèle troublante.</p>
<p>Sensible dès l’été 2017 avec les Ordonnances travail ou la suppression de l’ISF, le tournant droitier d’Emmanuel Macron apparaît historiquement peu contestable au fil du temps avec le traitement des « gilets jaunes », la réforme des retraites, la loi sur l’immigration votée avec l’extrême droite ou la composition du nouveau gouvernement Attal. <a href="https://theconversation.com/le-choix-attal-lhyperpresidentialisme-macronien-au-defi-de-labsence-de-majorite-parlementaire-220671">L’hyperprésidentialisme</a> (refus du référendum d’initiative citoyenne, ajournement de la proportionnelle, usage répété du 49.3, leadership du président sur le gouvernement et le Parlement) illustre également une posture conservatrice sinon autoritaire, loin d’une VI<sup>e</sup> République ou d’une démocratie représentative parlementaire que d’autres réclament.</p>
<p>Mais au-delà de telle ou telle mesure de droite qu’il faudrait nuancer par telle ou telle mesure de gauche au nom du « en même temps », c’est l’analyse systématique des discours d’Emmanuel Macron depuis 2017, grâce à <a href="https://hyperbase.unice.fr/">Hyperbase</a>, un logiciel de statistique textuelle et d’intelligence artificielle produit par le CNRS et l’Université Côte d’Azur, qui atteste l’inclinaison réactionnaire du président.</p>
<h2>Parler « le Macron »</h2>
<p><a href="https://www.honorechampion.com/fr/champion/12432-book-08535640-9782745356406.html">Nos algorithmes ont appris</a> – par comparaison – à parler le « de Gaulle », le « Pompidou », le « Giscard », le « Mitterrand », le « Chirac », le « Sarkozy », le « Hollande » et le « Macron ». Et ils sont susceptibles de dire, sans se tromper, les mots préférés des uns et les phrases favorites des autres, les expressions privilégiées par Charles de Gaulle ou par François Mitterrand, la composition grammaticale des discours de Valéry Giscard d’Estaing ou de François Hollande, la tonalité idéologique des discours de Nicolas Sarkozy ou de ceux d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Or, au grand étonnement du linguiste, <em>Hyperbase</em> <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/macron-ou-le-mystere-du-verbe/">révèle</a> qu’Emmanuel Macron a une lettre préférée. Une lettre, parmi toutes, dont l’intelligence artificielle s’empare pour classer, identifier ou reproduire à coup sûr les discours du président actuel. Cette lettre fétiche d’Emmanuel Macron, mille fois répétée, par laquelle il convainc son électorat et déroule son idéologie, est la 18<sup>e</sup> lettre de l’alphabet : la lettre R.</p>
<h2>Le « re » tour en arrière, signature linguistique d’Emmanuel Macron ?</h2>
<p>Selon la machine, le <em>r-</em> à l’initiale, c’est-à-dire en début de mots, est statistiquement caractéristique d’Emmanuel Macron. Le préfixe <em>re-</em> estampille ainsi le discours macroniste pour devenir une <a href="https://journals.openedition.org/mots/32221">arme politique subtile</a>.</p>
<p>REtrouver, REcouvrer, REdonner, REfaire, REconstruire, REstaurer, REinventer, REfonder… Les verbes en <em>re-</em> mettent constamment en marche arrière le discours d’Emmanuel Macron qui entend REproduire un passé idéalisé. REstauration, REarmement, REfondation, REvision, REnovation… Les noms en <em>re-</em> renvoient inlassablement les auditeurs à la grandeur éternelle d’une France passée qu’il s’agirait de REconquérir. L’approche quantitative est formelle, et elle chiffre précisément la lame de fond des <em>re-</em> dans la prose d’Emmanuel Macron à hauteur d’un écart réduit de +12,6.</p>
<p>L’approche qualitative des discours confirme quant à elle cette rhétorique passéiste. Autour de la campagne présidentielle 2022, en effet, Emmanuel Macron systématise son discours « en réaction ». Il débaptise <em>En Marche</em> pour renommer son parti <em>REnaissance</em>. Il envisage de réviser la Constitution en créant une quatrième Chambre : le <a href="https://conseil-refondation.fr">Conseil national de la REfondation</a>. Aussitôt réélu, il crée un nouveau ministère au nom significatif : le <a href="https://www.gouvernement.fr/personnalite/prisca-thevenot">ministère du REnouveau démocratique</a>. Le 31 décembre 2023 durant ses vœux, puis lors d’une conférence de presse pour relancer son mandat, il axe son discours sur le martèlement d’un seul mot « RÉ-armement » : RÉ-armement civique, RÉ-armement industriel, RÉ-armement de l’État, RÉ-armement économique, RÉ-armement des services publics, RÉ-armement démographique, etc.</p>
<p>Si le linguiste peut être étonné qu’un locuteur français puisse se singulariser d’autres par le surusage d’un préfixe – et vous, lecteurs, croyez-vous avoir une lettre préférée lorsque vous parlez ? –, l’historien et le politologue interprètent le phénomène sans difficulté.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1751335082323767781"}"></div></p>
<p>Dans la langue politique, le préfixe <em>re-</em> est <a href="https://books.openedition.org/enseditions/1710">au service d’un discours REactionnaire</a>, celui du « c’était mieux avant », depuis deux siècles (depuis la REstauration de 1814-1815).</p>
<p>Quelques mois avant la création par Emmanuel Macron de « REnaissance », le leader maurrassien Eric Zemmour n’avait-il pas intitulé son propre mouvement « REconquête » ? Avant que Macron ne l’exprime, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas fait de la <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100954540">REstauration de l’autorité</a>, notamment la « REstauration de l’autorité du maître à l’école », le fondement de son programme de « liquidation de l’héritage de mai 1968 » ?</p>
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<p>Selon les études de sociologie électorale, Emmanuel Macron a été porté au pouvoir en 2017 et plus encore en 2022 par un électorat <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/second-tour-de-la-presidentielle-quel-est-le-profil-des-electeurs-203616">vieillissant et issu des classes sociales dominantes</a>. Il s’adresse, de manière explicite ou subliminale, à un public pour qui la conservation de la hiérarchie sociale en place et le retour à une grandeur mythifiée sont une <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100208540">inclinaison naturelle</a>.</p>
<p>Plus généralement, le discours réactionnaire d’Emmanuel Macron n’est-il pas simplement le reflet de la droitisation d’une France contemporaine inquiète pour son avenir et nostalgique de son passé ? L’étude systématique par l’intelligence artificielle des gros corpus de presse actuels ou des débats parlementaires récents, que nous entreprenons aujourd’hui au laboratoire, pourrait très vite nous renseigner en étudiant la popularité du préfixe <em>re-</em> bien sûr, mais également du préfixe <em>de-</em> que Gabriel Attal vient de surutiliser dans son <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F_e2V7DB3Hs">discours de politique générale</a> (déverrouiller, débureaucratiser, désmicardiser).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damon Mayaffre a reçu des financements de UCA-IDEX-JEDI. </span></em></p>Décryptés par l’IA, les discours du président nous apprennent que celui-ci a une signature linguistique : un sur-usage du préfixe re-, très présent dans le vocabulaire réactionnaire.Damon Mayaffre, Chercheur CNRS en linguistique informatique, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216672024-01-25T14:51:43Z2024-01-25T14:51:43Z« Réarmement démographique » ou comment rater la cible (de communication) ?<p>« Permettre un réarmement démographique » : l’expression employée par le président Emmanuel Macron pour décrire son plan de relance de la natalité et de lutte contre <a href="https://theconversation.com/oui-messieurs-la-fertilite-masculine-decline-aussi-avec-lage-191911">l’infertilité</a> a suscité de vives réactions. Il ne s’agit pas ici de juger la pertinence de ce plan annoncé lors de sa conférence de presse du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ySrRVE3m_SU">16 janvier 2024</a>. Notre objectif est d’analyser ce que cette formule révèle de la difficulté de décideurs, gouvernementaux notamment, à comprendre la psychologie des comportements (et changements comportementaux). Sans cette compréhension, ils s’avèrent incapables de déterminer quelles conditions et caractéristiques doivent être respectées pour qu’une communication à visée persuasive soit efficace.</p>
<p>Ce travers s’était déjà exprimé lors de la pandémie de Covid-19 avec de multiples déclarations et <a href="https://theconversation.com/les-lecons-des-sciences-comportementales-pour-assurer-un-confinement-efficace-134831">mesures incitatives</a> ou coercitives aux résultats à l’efficacité nuancée (avec des dommages collatéraux parfois conséquents, comme une <a href="https://theconversation.com/appeler-a-la-peur-pour-proteger-la-population-et-obtenir-leffet-inverse-133946">montée importante de l’anxiété</a> pouvant aller <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19098/pandemie-2020">jusqu’à des symptômes</a> rappelant des <a href="https://datacovid.org/lefficacite-mitigee-des-appels-a-la-peur-dans-les-communications-du-covid19/">états de stress post-traumatique</a>).</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>La phrase d’Emmanuel Macron au sujet du « réarmement démographique » pour permettre « une France plus forte » « par la relance de la natalité » a pu être perçue comme réactionnaire. Elle a provoqué la colère de nombreuses personnalités politiques, notamment à la gauche de l’échiquier politique, mais aussi plus largement de diverses associations féministes ou concernées par les <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/rearmement-demographique-tolle-des-feministes-apres-les-propos-d-emmanuel-macron-20240117">droits des femmes et des familles</a>. Ce parti pris de formulation a occulté certaines mesures qui auraient pu être accueillies plus favorablement (par exemple, le plan de lutte contre l’infertilité attendu par <a href="https://www.midilibre.fr/2024/01/17/le-plan-de-lutte-contre-linfertilite-existe-maintenant-il-faut-le-mettre-en-oeuvre-estime-le-pr-samir-hamamah-11701559.php">certains spécialistes de la reproduction</a>) et a amoindri l’effet d’une perspective qui aurait pu avoir une connotation positive (la vie au travers de naissances à venir).</p>
<h2>Une rhétorique guerrière anxiogène</h2>
<p>Indépendamment d’un jugement sur le fond, la terminologie adoptée explique en partie ces réactions et marques de résistance. Tout d’abord, du fait de la rhétorique guerrière. L’historienne <a href="https://www.huffingtonpost.fr/life/article/parler-de-rearmement-demographique-est-extremement-inquietant-selon-cette-historienne_228477.html">Marine Rouch</a> a ainsi repéré « une sémantique ‘viriliste et guerrière’ qui n’a rien d’anodin ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747527169121648875"}"></div></p>
<p><em>Le caractère guerrier de la métaphore a suscité de nombreuses réactions</em></p>
<p>Déjà mobilisé lors du Covid, ce lexique guerrier, par ses références en France à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/radiographies-du-coronavirus/quand-crise-sanitaire-rime-avec-rhetorique-guerriere-5878741">première et à la Seconde Guerre mondiale</a>, avait alors frappé les esprits (« Nous sommes en guerre » avait martelé Emmanuel Macron). Implicitement et symboliquement également, l’idée de réarmement fait référence à la guerre et peut se révéler anxiogène, a fortiori dans le contexte actuel où guerres et conflits armés réactivent, partout dans le monde, et en particulier sur le continent européen, des <a href="https://www.lexpress.fr/societe/stress-angoisses-les-repercussions-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-sante-mentale-des-francais_2169594.html">angoisses qu’on croyait oubliées</a>.</p>
<p>Ce choix est dommageable, car une rhétorique guerrière entraîne un imaginaire anxiogène. Or, lorsque les individus ont peur, leur réponse inconsciente est souvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2005-1-page-97.htm">mécanisme de défense psychologique d’évitement ou de déni</a>. Autrement dit, une réaction défensive destinée à diminuer l’inconfort psychologique ressenti, mais qui est à l’opposé de celle recherchée. En effet, faire face à une situation stressante nécessite de développer des efforts, cognitifs en particulier, et une stratégie dite d’adaptation. L’individu stressé peut préférer ne pas voir la réalité, la déformer ou encore discréditer la source de l’information <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/32044643/coping_as_a_mediator_of_emotion-libre.pdf">pour se protéger psychologiquement</a>. Ces réactions compromettent bien sûr l’efficacité persuasive.</p>
<h2>Un discours infantilisant et moralisateur</h2>
<p>Le message a aussi été perçu comme infantilisant. En filigrane, certaines et certains y ont entendu que les femmes ne seraient pas suffisamment matures pour décider par elles-mêmes de décisions relatives à la natalité. <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Cela a pu être vu comme</a> une « tentative de contrôler le corps des femmes », une volonté de « mettre les ventres des femmes au service de l’État ». <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/laissez-nos-uterus-en-paix-tolle-des-feministes-sur-le-rearmement-demographique_AD-202401170680.html">« Laissez nos utérus en paix ! »</a> a lancé de son côté la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert.</p>
<p>Ce message était instillé par ailleurs dans une communication descendante, dont le caractère directif, voire autoritaire, apparait dans la qualification « d’injonctions natalistes » <a href="https://www.bfmtv.com/societe/les-propos-de-macron-sur-le-rearmement-demographique-font-un-tolle-a-gauche-et-chez-des-associations-feministes_AD-202401170648.html">utilisée de nombreuses fois à son propos</a>. De ce fait, le message, a priori incitatif, avait tout pour engendrer de la <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">réactance (mécanisme de défense psychologique)</a> en raison d’une liberté qui pouvait sembler menacée. Ainsi, la députée écologiste Sandrine Rousseau a <a href="https://www.leparisien.fr/politique/macron-sur-la-natalite-les-uterus-des-femmes-ne-sont-pas-une-affaire-detat-fustige-rousseau-18-01-2024-WQI2PVOP5RASJGTJ6OD42PM5XA.php">réagi</a> :</p>
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<p>« Chaque femme est libre de choisir de faire des enfants ou de ne pas en faire » et</p>
<p>« Les femmes font absolument ce qu’elles veulent de leur corps ».</p>
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<p>De plus, le discours émanait d’un représentant des pouvoirs publics envers lesquels la méfiance des Français est grandissante. <a href="https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-2305-11464.pdf">Cette absence de confiance envers l’émetteur</a> ne pouvait que renforcer la résistance par une diminution de la crédibilité perçue de la source du message.</p>
<h2>Le délicat recours aux normes sociales</h2>
<p>De même, une composante morale transparaît de ce discours incitatif. Délibérément ou involontairement convoquée, la responsabilité individuelle est ainsi associée à un devoir de reproduction de chaque Français(e). Ce « bon » comportement apparaît de façon plus ou moins explicite comme la clé pour revendiquer un statut de « bon » ou « bonne » citoyen(ne). Or, la stimulation d’un devoir de conformité à des normes sociales est indissociable de la responsabilité morale individuelle. Une communication incitative en faveur de la natalité cherche donc à amener les récepteurs et réceptrices à se conformer à ce qui est présenté comme la norme du groupe, de la communauté. Les cibles ressentent de ce fait une pression sociale. L’individu exposé à cette forme d’influence sociale cherchera donc <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/002200275800200106">à se soumettre</a> pour obtenir l’approbation sociale ou éviter la désapprobation sociale.</p>
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<p>Toutefois, le recours explicite ou implicite aux normes sociales exige d’être utilisé avec précaution. D’une part, certaines cibles ayant déjà internalisé une norme morale conforme à leurs valeurs, comme celle de faire des enfants, risquent finalement d’être rebutées par la volonté de persuasion – <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/45767255/Enhancing_or_Disrupting_Guilt_The_Role_o20160519-4175-57fjrw-libre.pdf">notamment si cette dernière est perçue comme manipulatrice</a>. Elles peuvent aussi ressentir une menace sur leur liberté individuelle et <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">développer de la réactance situationnelle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-prefere-se-passer-des-journalistes-des-quil-le-peut-221367">« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »</a>
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<p>De surcroît, en appeler à la responsabilité individuelle peut entrer en conflit avec la perception d’une nature infantilisante du message délivré. Il est en effet paradoxal de demander aux cibles de se conduire en adultes responsables et « en même temps » de leur délivrer un message perçu comme infantilisant. « nouveau, la contradiction dans les intentions perçues réduit la persuasion recherchée.</p>
<p>En outre, il existe <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/47395178/Recycling_the_Concept_of_Norms_to_Reduce_Littering_in_Public_Places-libre.pdf">deux types de normes</a>. D’une part, les normes injonctives – fondées sur la perspective de récompenses ou sanctions sociales. D’autre part, les normes descriptives – qui résultent de ce que font les membres de la communauté et de ce qui est considéré comme le comportement « normal ». Ce second type de norme se base fortement sur l’exemple. Or sur ce point, Emmanuel Macron est dans l’impossibilité de se présenter comme <a href="https://theconversation.com/devoir-dexemplarite-detricoter-les-cols-roules-des-politiques-192891">l’exemple à suivre</a>. Cela affaiblit l’effet de norme descriptive et peut sembler paradoxal, comme n’a pas manqué de le noter le collectif féministe <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Nous Toutes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Un homme cisgenre de 46 ans sans enfants qui vient nous donner des leçons sur la façon dont on doit utiliser nos utérus… »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la mobilisation de normes sociales ou morales risque d’activer des émotions négatives chez celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas les suivre : culpabilité et honte notamment. Il est alors question de réponses affectives de valence négative, susceptibles de déclencher elles aussi des comportements de défense, d’évitement, de déni, voire le fameux effet « boomerang » consistant à <a href="https://books.google.fr/books/about/Communication_and_Persuasion.html?id=j_FoAAAAIAAJ">prendre le contre-pied</a> exact de ce qui est préconisé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747945785809932547"}"></div></p>
<h2>La confiance, pierre angulaire de la persuasion ?</h2>
<p>En conséquence, et comme le précise la philosophe Cristina <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-06579-000">Bicchieri</a>, pour espérer convaincre en recourant à toutes ces mécaniques d’influence sociale, il ne faut rien négliger. En particulier, Bicchieri pointe la nécessité de :</p>
<blockquote>
<p>« prévoir comment les gens vont interpréter un contexte donné, quels indices ressortiront comme saillants et comment des indices particuliers sont liés à certaines normes ».</p>
</blockquote>
<p>Comme le souligne le chercheur en philosophie de la santé, <a href="https://theconversation.com/les-francais-es-face-a-leur-responsabilite-133726">David Simard</a>, les Français ont un rapport complexe et ambigu à l’autorité et à l’État. De tendance facilement contestataire, ils valorisent la liberté individuelle mais en oublient parfois son corollaire, la responsabilité individuelle. De même, ils ne supportent pas les injonctions mais reprochent facilement à l’État de ne pas définir et/ou de <a href="https://theconversation.com/debat-quand-le-libre-choix-cache-la-societe-disciplinaire-que-denoncait-michel-foucault-138089">ne pas faire respecter des règles</a>. Cela rend l’exercice de la communication incitative encore plus compliqué, surtout à une époque où la confiance dans les élites, dans les médias, dans la Science, dans les politiques semble sérieusement altérée.</p>
<p>Or, en matière de communication liée à la santé (natalité et infertilité s’y rattachent), les chercheurs en psychologie sociale <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21613380">Gabriele Prati</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21957983/">Luca Pietrantoni et Bruna Zani</a> ont montré que cette <a href="https://theconversation.com/politique-une-histoire-de-confiance-186487">confiance</a> représente une clé essentielle de l’efficacité persuasive.</p>
<p>Pour espérer persuader les Français de faire plus d’enfants, il faudrait donc avant toute chose faire (re)naître la confiance… Cela semble passer tout d’abord par une meilleure maîtrise de la psychologie comportementale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les recherches en communication apportent un éclairage critique sur la rhétorique du « réarmement démographique » utilisée par Emmanuel Macron.Marie-Laure Gavard-Perret, Professeure des universités en gestion, Grenoble IAE, laboratoire CERAG, spécialiste du marketing social et de la communication persuasive et préventive. Co-responsable de la chaire de recherche Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE., Grenoble IAE Graduate School of ManagementMarie-Claire Wilhelm, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Grenoble INP, CERAG, co-responsable de la Chaire Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213672024-01-21T14:41:55Z2024-01-21T14:41:55Z« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »<p><em>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, a fait l’objet de nombreuses remarques, à la fois sur la forme – deux heures et quart face à son auditoire – mais aussi le fond. Au-delà des axes politiques et des choix ministériels défendus, l’historien des médias Alexis Lévrier (CRIMEL-Université de Reims/GRIPIC-Sorbonne Université) qui a notamment publié l’ouvrage <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">« Jupiter et Mercure. Le pouvoir présidentiel face à la presse »</a> (2021) revient sur ce que ce moment dit du rapport très ambivalent que le chef de l’état entretient avec les médias, et ce que cela révèle aussi de la V<sup>e</sup> République.</em></p>
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<p><strong>La conférence de presse du 16 janvier 2024 marque-t-elle une étape nouvelle dans l’histoire des rapports entre <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">Emmanuel Macron et la presse</a> ?</strong></p>
<p>Il faut d’abord rappeler que le chef de l’État n’aime pas particulièrement cet exercice : il a donné très peu de grandes conférences de presse depuis son élection, alors même qu’il s’agissait d’un rituel prisé par les présidents de la République depuis le général de Gaulle. De la même manière, Emmanuel Macron a eu tendance à plusieurs reprises à se passer des vœux à la presse, autre tradition qui suppose la rencontre entre le président et les journalistes. L’an dernier, il a par exemple remplacé au dernier moment ce cérémonial par un échange en « off » avec une <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/v%C5%93ux-president-macron-presse-rituel-off-annulation-2023">dizaine d’éditorialistes choisis</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-resilience-du-journalisme-face-au-pouvoir-jupiterien-160264">La résilience du journalisme face au pouvoir « jupitérien »</a>
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<p>Il a malgré tout donné quelques conférences de presse au cours de son premier mandat, par exemple en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=h36VYBX5lD4">2021 au moment de la présidence française de l’Union européenne</a>, ou en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=s_0VbuU6XNg">mars 2022 pour lancer sa campagne pour l’élection présidentielle</a>. Auparavant, en avril 2019, un événement très similaire à celui qui vient de se tenir avait eu lieu pour clore la séquence du Grand débat national : le président s’était exprimé pendant deux heures trente devant un parterre de plusieurs centaines de journalistes, qui avaient eu la possibilité de lui poser des questions après un discours liminaire prononcé sur un <a href="https://www.dailymotion.com/video/x76lrxn">ton très solennel</a>.</p>
<p>Cette fois, le président semble avoir opté pour un format un peu plus souple et moins daté : son discours était plus court (une demi-heure contre une heure) et ses réponses plus brèves, ce qui a permis à plus d’une vingtaine de journalistes de l’interroger. La spécificité de cette intervention (et son importance pour l’Élysée) apparaît aussi dans le « teasing » qui l’a précédé : en annonçant un « rendez-vous avec la nation » dès la fin 2023, Emmanuel Macron a su créer une attente auprès de la population, encore renforcée par des <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron">rappels au cours des derniers jours</a> et par le choix d’un horaire en « prime time » destiné à toucher un public le plus large possible.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hymBfhTlob8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, France 24.</span></figcaption>
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<p>Malgré les quelques efforts dont témoigne cette dernière conférence de presse, il est évident que le chef de l’État est peu à l’aise dans l’exercice et privilégie d’autres moyens de s’adresser aux Français.</p>
<p>D’une manière générale, c’est un président qui préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut. Il l’avait du reste théorisé en amont de sa première élection, comme en témoignent les propos retranscrits par Philippe Besson, qui l’a accompagné durant sa campagne de 2017. Dans son essai <a href="https://www.lepoint.fr/livres/un-personnage-de-roman-nomme-macron-07-09-2017-2155117_37.php"><em>Un personnage de roman</em></a>, le romancier rapporte ainsi les jugements sévères tenus par Emmanuel Macron sur cette profession : le futur Président aurait même déclaré que beaucoup de journalistes « sont à la déontologie ce que mère Teresa était aux stups ».</p>
<p>Il en aurait tiré l’idée que cette corporation doit être contournée autant que possible pour s’adresser aux Français : « Il faut tenir les journalistes à distance […], trouver une présence directe, désintermédiée au peuple » (<em>Un Personnage de roman</em>, Julliard, 2017, p. 105).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>Un personnage de roman</em>, Philippe Besson, 2017 (collection 10-18).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fnac.com/a11269087/Philippe-Besson-Un-personnage-de-roman">Fnac</a></span>
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<p>Ce rêve d’une « désintermédiation » est illusoire, puisqu’un responsable politique a de toute façon besoin d’utiliser des médias pour communiquer. Mais Emmanuel Macron a tendance à le faire sans journalistes, par le biais d’allocutions solennelles face caméra (au moment de la crise sanitaire notamment) ou en recourant aux réseaux sociaux.</p>
<p>Cette méfiance à l’égard de la presse constitue évidemment une rupture spectaculaire avec le modèle incarné par François Hollande : <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/francois-hollande-le-president-qui-voulait-etre-normal-60381">« le président normal »</a> ouvrait constamment les portes de l’Élysée aux journalistes et n’a cessé de communiquer avec eux pendant son mandat.</p>
<p>À l’inverse, Emmanuel Macron a revendiqué dans deux entretiens programmatiques – <a href="https://le1hebdo.fr/journal/macron-un-philosophe-en-politique/64/article/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html">dans <em>Le 1</em> en 2015</a> puis dans <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886"><em>Challenges</em> en 2016</a>- sa volonté de renouer avec une verticalité dans l’exercice du pouvoir. Plus encore que l’exemple gaullien, souvent cité, il a suivi les leçons du communicant de François Mitterrand, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Pilhan">Jacques Pilhan</a>, qui a théorisé la notion de président « jupitérien » : il a voulu une parole arythmique, maîtrisée, en choisissant ses propres moments et ses propres formats pour intervenir dans l’espace médiatique. Cette rareté a pour vertu de créer une attente : ce 16 janvier 2024, 8 chaînes de télévision ont par exemple diffusé en direct la conférence de presse du président.</p>
<p><strong>Comment expliquer cette méfiance à l’égard des journalistes ?</strong></p>
<p>Là aussi c’est assez particulier à Emmanuel Macron. Bien sûr il s’agit pour lui de revenir à une forme d’âge d’or de la V<sup>e</sup> République, qu’incarneraient les présidences de Gaulle et Mitterrand. Mais même ces deux prestigieux prédécesseurs ont su créer des liens de proximité et parfois d’amitié avec des journalistes. Certains de leurs successeurs sont allés beaucoup plus loin, à l’image de François Hollande donc, mais aussi de Nicolas Sarkozy, qui a cultivé des relations souvent passionnelles avec la presse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">« Moi, président·e » : Règle n°1, la jouer people</a>
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<p>Il me semble que l’attitude assez singulière d’Emmanuel Macron à l’égard de la presse s’explique d’abord par son parcours. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’a jamais été élu. Or, quand vous êtes élu à l’échelle territoriale ou locale, vous devez construire une forme de compagnonnage avec la presse. Parfois cela créé des relations de connivence, ce qui pose question bien sûr. Mais au moins ce lien, cette médiation existe. Emmanuel Macron a voulu pour sa part créer une « saine distance » avec la presse, selon une formule utilisée <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/macron-plaide-pour-une-saine-distance-entre-pouvoir-et-medias-CNT000000UVWwg.html">lors de ses premiers vœux à la presse, en 2018</a>. Le problème est que cette distance s’est souvent accompagnée d’une incompréhension, et parfois d’une forme de brutalité.</p>
<p><strong>La « saine distance » voulue par Emmanuel Macron suffit-elle à expliquer pourquoi la presse française est à ce point dépendante des interventions du président pour construire l’agenda médiatique ?</strong></p>
<p>Cette dépendance de la presse française ne date pas de l’élection d’Emmanuel Macron, bien au contraire. Elle s’explique d’abord par le fonctionnement de la V<sup>e</sup> République, qui attribue un pouvoir écrasant au président de la République. Le chef de l’État a la possibilité de fixer le rythme de ses interventions, et les grands médias se trouvent donc en situation de subordination à cette parole.</p>
<p>La situation actuelle puise même son origine dans une histoire plus ancienne encore : il existe une faiblesse culturelle de la presse française à l’égard de l’État depuis l’Ancien Régime, période durant laquelle les journaux ont été assujettis au pouvoir dans des proportions considérables. Il n’est pas anodin que les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-journalistes-en-france-1880-1950-christian-delporte/9782020235099">grandes conquêtes du journalisme</a> (de la loi de 1881 à la création de la carte de presse) aient eu lieu sous la III<sup>e</sup> République, seul régime parlementaire durable que la France ait connu. À chaque fois que la France a renoué avec un pouvoir centralisé, personnalisé et incarné, cela s’est accompagné <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">d’une tentation de limiter la liberté de la presse</a>.</p>
<p>Avec la V<sup>e</sup> République nous sommes ainsi revenus à un système très hiérarchisé, dans lequel le pouvoir maintient une relation pyramidale avec les journalistes : au sommet les éditorialistes politiques, souvent reçus et choyés par l’Élysée, et tout en bas les journalistes de terrain, dont le travail d’enquête est pourtant indispensable à la démocratie. Avec ces éditorialistes qui vivent dans l’entre-soi avec le pouvoir, c’est l’héritage de notre culture de Cour qui persiste.</p>
<p>Dans un premier temps, Emmanuel Macron avait voulu rompre avec ces « relations poisseuses », selon une confidence <a href="https://www.albin-michel.fr/le-tueur-et-le-poete-9782226398055">rapportée par Maurice Szafran et Nicolas Domenach</a>, qui incarnent précisément cette forme de journalisme politique. Mais il aura fini par rejoindre cette tradition française si favorable au pouvoir. </p>
<p>La méfiance à l’égard du journalisme d’investigation était par exemple flagrante le 16 janvier. Alors que <em>Libération</em> et <em>Mediapart</em> ont fait paraître des enquêtes défavorables à Amélie Oudéa-Castéra au cours des jours précédents, ils ont été oubliés par les attachés de presse de l’Élysée qui ont distribué la parole tout au long de la soirée. Ainsi, alors que la question de l’école a occupé une très large partie de la conférence de presse, jamais <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160124/affaire-oudea-castera-mediapart-publie-le-rapport-sur-stanislas-cache-par-les-ministres">l’enquête sur l’école Stanislas</a> publiée par Mediapart le jour même n’a été mentionnée.</p>
<p>La presse française a cependant une responsabilité dans cette situation, et là encore la conférence de presse du 16 janvier l’a montré de manière parfois gênante. Dans le monde anglo-saxon, il est en effet courant, lorsqu’un responsable politique esquive une question, que la même question lui soit posée par les journalistes désignés ensuite. Or, le 16 janvier, personne n’a vraiment relancé Emmanuel Macron quand le président a choisi de botter en touche, et aucun journaliste n’a choisi de reprendre à son compte les questions que ne pouvait pas poser Mediapart.</p>
<p>Certains journalistes ont bien sûr manifesté à titre individuel leur exaspération d’être ainsi privés de parole, à l’image de Paul Larrouturou.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747368669628293343"}"></div></p>
<p>Mais on aurait pu imaginer une forme de résistance collective, et elle n’a pas eu lieu. Le plus inquiétant dans la conférence de presse du 16 janvier était sans doute cette incapacité de la presse française à se penser elle-même comme un contrepouvoir face au chef de l’État.</p>
<p>**Quel bilan tirer des relations entre Emmanuel Macron et les journalistes sept ans après son arrivée au pouvoir ? Peut-on déjà considérer que sa présidence aura été marquée par un recul de la liberté de la presse ?</p>
<p>Le constat est forcément nuancé puisque ce jeune chef de l’État venu de la gauche, et qui se réclame du <a href="https://theconversation.com/lechec-du-en-meme-temps-macroniste-une-repetition-dun-phenomene-du-xix-si%C3%A8cle-204627">« progressisme »</a>, a fait l’éloge à plusieurs reprises de la fonction démocratique du journalisme. Dans ses vœux à la presse, en janvier 2022, il avait par exemple célébré le travail des journalistes et cité la formule célèbre de Zola : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0EHb0xb8Hrs">« Je suis pour et avec la presse »</a>. Il s’agissait alors de s’opposer à Éric Zemmour, qui venait de mettre en cause le rôle joué dans l’Affaire Dreyfus par l’auteur de « J’accuse ».</p>
<p>Ce président du « en même temps » semble parfaitement conscient des contradictions françaises en la matière. S’il a souvent souligné l’attachement des Français à l’héritage de l’Ancien Régime, il a aussi présenté la France comme un « pays de monarchistes régicides » dans un entretien au Spiegel, en <a href="https://www.spiegel.de/international/europe/interview-with-french-president-emmanuel-macron-a-1172745.html">octobre 2017</a>. Il sait que l’une de ces Révolutions, en <a href="https://www.retronews.fr/histoire-de-la-presse-medias/long-format/2018/03/22/la-suspension-de-la-liberte-de-la-presse-en-1830">juillet 1830</a>, a justement eu pour origine la volonté de défendre la liberté de la presse. On peut donc considérer qu’il a voulu tenir compte de cette double aspiration dans l’exercice du pouvoir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Retronews, archives BNF.</span></figcaption>
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<p>Mais cet équilibre apparaît aujourd’hui de plus en plus précaire, et l’on peut s’interroger sur le legs que laissera le macronisme après dix années d’exercice très vertical du pouvoir. Il semble presque banal aujourd’hui que les journalistes soient pris pour cibles par les forces de l’ordre lors des manifestations, et le projet de loi sécurité globale prévoyait même dans sa version originelle de rendre presque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-conseil-constitutionnel-censure-l-ex-article-24-de-la-proposition-de-loi-securite-globale_6080897_3224.html">impossible de publier des images de policiers</a>. On peut constater par ailleurs que les convocations à la DGSI ont été particulièrement nombreuses depuis 2017 : il est devenu courant d’essayer d’identifier les sources des journalistes d’investigation, au mépris des lois qui protègent leur travail. L’exemple d’Ariane Lavrilleux, qui a subi 39 heures de garde à vue en septembre 2023, apparaît de ce point de vue comme <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/ariane-lavrilleux-en-garde-a-vue-une-attaque-sans-precedent-contre-la-protection-du-secret-des-sources-alertent-des-societes-de-journalistes-20230921_5UWBOPZ4DNG3XFQ4PCQDFYFUL4/">particulièrement inquiétant</a>.</p>
<p>La conférence de presse du 16 janvier a montré malgré tout qu’Emmanuel Macron se considère toujours comme le défenseur des libertés face aux risques que représenterait l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Tourné désormais vers les élections européennes, il a voulu mettre en scène l’affrontement de deux projets de civilisation qui se dessinerait à l’échelle du continent. Mais le paradoxe de cette défense des valeurs démocratiques est qu’elle survient au moment même où la France est à la manœuvre, au niveau européen, pour limiter la liberté de la presse.</p>
<p>Notre pays figure en effet parmi les pays qui militent activement pour autoriser la <a href="https://disclose.ngo/fr/article/espionnage-des-journalistes-la-france-fait-bloc-aux-cotes-de-six-etats-europeens">surveillance des journalistes par des logiciels espions</a>. Le « en même temps » finit ici par se perdre et par aboutir à une évidente contradiction : Emmanuel Macron se veut le héraut du camp du progrès à l’échelle européenne mais, en matière de journalisme, il défend des pratiques autoritaires qui sont d’habitude l’apanage des démocraties illibérales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, montre l’ambivalence du rapport qu’entretient le chef de l’état avec les médias.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences Université Reims Champagne Ardenne, chercheur associé au GRIPIC, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211342024-01-15T16:43:25Z2024-01-15T16:43:25ZEmmanuel Macron rebat ses cartes : nouveau gouvernement, nouvelle stratégie<p>Avant de s’adresser aux Français, Emmanuel Macron a donc décidé de changer de gouvernement : c’était, avec la dissolution, l’une des deux seules solutions dont il disposait pour tenter de sortir de la nasse où l’enfermaient ses adversaires. En effet, l’exécutif, pris dans les déboires procéduraux de l’examen de la loi sur l’immigration se trouvait <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">dans une impasse</a>.</p>
<p>Emmanuel Macron devait dissiper l’atmosphère délétère de fin de partie entretenue par l’opposition, ainsi que les doutes apparus dans sa propre majorité, notamment sur la gauche, avec la loi Immigration. Resserrer les rangs de ses troupes, resserrer le gouvernement autour de quelques grands ministères incarnant les projets, restaurer la confiance dans l’action, s’entourer étroitement de proches totalement dévoués. En deux mots : rajeunir pour réagir, tel est le message qu’on tente d’impulser depuis l’Élysée.</p>
<p>Sur les dossiers névralgiques, il se voyait systématiquement entravé à l’Assemblée nationale, du fait d’un refus total du compromis par la tacite coalition des minorités d’opposition. Au mépris du <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">vote de juin 2022</a> par lequel les Français avait constitué une assemblée de type proportionnel ouvrant nécessairement la voie à des compromis politiques, la minorité plurielle s’est affirmée avant tout comme une majorité d’empêchements en refusant toute les mains tendues. La gauche emmenée par la Nupes, bloquant la majorité des propositions ; la droite tentant d’amener Renaissance à résipiscence en imposant son seul programme politique.</p>
<h2>Le changement, c’est maintenant</h2>
<p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec. C’est la fin de sa stratégie du « en même temps » de droite et de gauche, et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel. Or, c’est pourtant bien cette dernière qui aurait permis d’avancer sur le terrain des compromis politiques et qui aurait dû être entamée préalablement.</p>
<p>Emmanuel Macron a visiblement renoncé à toute ambition réformatrice de ce côté. Au moins pour l’instant, gardant peut-être cette idée pour un bouquet final de son quinquennat.</p>
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<p>Pour l’heure, à moins de la moitié du second mandat, il y avait, à peine de torpeur, urgence à tourner la page de ce redémarrage difficile et à tirer les conséquences de l’obstination de ses opposants. À la dissolution, Emmanuel Macron a cru préférable de sacrifier le gouvernement Borne, dans la plus pure logique de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://theconversation.com/le-choix-attal-lhyperpresidentialisme-macronien-au-defi-de-labsence-de-majorite-parlementaire-220671">comme le rappelle très justement Arnaud Mercier</a>.</p>
<h2>Serrer les rangs</h2>
<p>Il s’agit donc d’un changement de gouvernement et non d’un remaniement ministériel. Étrange (et peut-être délibérée) confusion entre ces deux opérations que le droit constitutionnel ne confond pas car les incidences politiques et les conséquences juridiques ne sont pas les mêmes. L’article 8 de la Constitution ne connaît que la démission du Premier ministre qui entraîne celle du gouvernement, donc son remplacement.</p>
<p>Or, quasi tous les commentateurs s’en tiennent, à tort, au terme de remaniement, c’est-à-dire à une procédure de départ et de remplacement de quelques ministres au sein d’un même gouvernement (comme ce fut le cas en juillet 2023 par exemple). Ce qui, on le voit, aboutit à réduire la perception de la dimension de l’évènement. Il y a changement de gouvernement lorsqu’il y a démission (volontaire ou imposée) du premier ministre, lequel peut, éventuellement, être renommé. Cette démission implique qu’il y ait un nouveau décret de nomination du premier ministre et de l’ensemble d’un nouveau gouvernement par le président de la République. Puis d’une présentation au Parlement du programme de celui-ci, éventuellement sous la forme d’une déclaration de politique générale. Cette dernière, dans la logique de présidentialisme qui prédomine toujours, sera précédée ou accompagnée d’une prise de parole présidentielle. Il s’agit donc d’abord d’une rupture ouvrant une nouvelle période de la vie politique, alors qu’un remaniement s’inscrit dans la continuité.</p>
<p>Surtout, lorsque l’ancien titulaire du poste est remercié, la dimension symbolique et politique s’affiche fortement. Tel est bien le cas ici avec le départ d’Elisabeth Borne qui a poussé jusqu’au bout deux réformes emblématiques et qui, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/08/remaniement-le-supplice-d-elisabeth-borne-premiere-ministre-sur-un-siege-ejectable_6209608_823448.html">toute à surmonter les obstacles</a>, les traquenards voire les quolibets qu’on lui opposait, avait érodé son image de combattante.</p>
<h2>Le grand contournement</h2>
<p>Pour échapper à l’engourdissement politique et à moins de six mois des élections européennes, où les nuages populistes s’amoncellent au dessus de Strasbourg, Emmanuel Macron a désigné son ennemi principal : le Rassemblement national. Le parti est pronostiqué à 30 % au scrutin européen.</p>
<p>Pour le combattre, il en a signalé l’allié essentiel : l’immobilisme. Il a désigné son chef d’état-major : Gabriel Attal.</p>
<p>Le choix s’imposait presque naturellement : l’extrême jeunesse, synonyme d’audace qui n’attend pas le nombre des années, le sens de l’action et de la communication, le brio et l’énergie, tous éléments qui en quelques mois l’ont propulsé en tête des responsables politiques préférés des Français. Si l’on y ajoute son total dévouement à la personne du Chef de l’État, on aura le portrait idéal d’un Premier ministre pour Président voulant prendre les choses directement en main.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexi Kohler annonce le gouvernement Attal, jeudi 10 janvier 2023.</span></figcaption>
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<p>Nous voilà dans le style devenu classique de la V<sup>e</sup> République présidentialisée. Rien ne manque : la formation dans l’éxécutif d’une garde rapprochée en sus de Gabriel Attal, avec Prisca Thevenot au renouveau démocratique et au porte-parolat, Stéphane Séjourné à l’Europe et aux Affaires étrangères, Marie Lebec aux relations avec le Parlement. Voilà la génération Macron en marche gouvernementale. Classique également, le congédiement des ministres ayant franchi la ligne jaune de l’espace présidentiel ou s’étant montré critiques, comme la ministre de la Culture, ou celle des Affaires étrangères.</p>
<p>Le cas de Stéphane Séjourné relève de la lecture hypertexte : promu en tant qu’européaniste et fidèle d’Emmanuel Macron, sa nomination s’interprète aussi comme une exfiltration du Parlement européen. Le voici dispensé d’être le leader naturel de la liste de la majorité présidentielle, son départ libérant la place pour une personnalité plus marquante et plus rassembleuse pour combattre le RN.</p>
<p>La priorité n’est plus aux mains tendues et aux négociations, dont l’Exécutif a pu mesurer la vanité. Par sa composition, ce gouvernement indique un changement profond de stratégie. L’heure est désormais à rendre l’action et le travail de terrain plus visibles. Emmenés par Gabriel Attal, les ministres doivent multiplier les lieux d’intervention, prendre à rebours voire devancer les partis d’opposition. Et par cette tactique de contournement, saper leurs arrières en les plaçant en contradiction avec l’opinion publique.</p>
<h2>Glanage et labourage</h2>
<p>Cette stratégie tout terrain de l’offensive s’accompagne d’un efficace travail d’approche individuelle des membres de l’opposition. Particulièrement à droite car du côté de la gauche, tant que rôdera la tentation de la Nupes et la nostalgie des anciens responsables, il y a peu à glaner.</p>
<p>On observe naturellement que sur les 15 ministres déjà désignés, huit viennent de la droite : c’est que celle-ci, déchirée et inquiétée par les prélèvements du RN dans son électorat, a un urgent besoin de retrouver son centre de gravité.</p>
<p>L’interconnexion avec les réseaux sarkozistes a permis l’enrôlement d’une Rachida Dati, « nouvelle Madone » de la rue de Valois qui trouble profondément des Républicains en pleine incertitude.</p>
<p>Si le changement de gouvernement peut offrir un moment de ciel bleu au président, le fossé est encore profond qui sépare les Français de leurs gouvernants. Si l’on voit clairement l’écueil que le président Macron veut contourner, on mesure aussi la fragilité des moyens d’y parvenir, avec une majorité de plus en plus relative. Dans ce climat de doute profond quant à l’efficience des dirigeants, il est effectivement essentiel de fixer un cap pour la Nation. Cap sans lequel on s’exposerait au risque dévastateur d’un orage à sec.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec : la fin de sa stratégie du « en même temps » et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2206712024-01-09T17:58:31Z2024-01-09T17:58:31ZLe choix Attal : l’hyperprésidentialisme macronien au défi de l’absence de majorité parlementaire<p>Le président Macron profite pleinement depuis six années des mécanismes institutionnels pour imposer son style hyperprésidentiel dans la façon de conduire l’exécutif. Mais l’absence de majorité absolue au parlement vient gripper la mécanique managériale qu’il a mise en place.</p>
<p>Le quatrième changement de premier ministre en six ans en offre l’illustration. Et le choix de Gabriel Attal ne garantit pas la sortie de ce qui ressemble à une impasse politique. Mais au moins il incarnera un style politique similaire à celui de son mentor.</p>
<h2>Le fait majoritaire, pilier du présidentialisme</h2>
<p>La V<sup>e</sup> République repose depuis 1962 sur un socle solide : le « fait majoritaire ». Le chef de l’exécutif, élu au suffrage universel direct, dispose dans ce cas d’une majorité solide au Parlement pour faire voter les lois correspondant à <a href="https://theses.hal.science/tel-03709759/file/LECOMTE.pdf">l’application de son programme</a>. Et si la majorité parlementaire renâcle sur certains sujets, les mécanismes du parlementarisme rationalisé (dont le plus connu est le fameux <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">article 49.3</a> permettant l’adoption d’une loi sans vote) obligeront les éventuels frondeurs de la majorité présidentielle <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1998_num_48_1_395258">à se soumettre</a>.</p>
<p>On a pensé que les institutions de la V<sup>e</sup> République seraient affaiblies le jour où la majorité présidentielle et parlementaire discorderaient. Pourtant, les trois cohabitations (1986-88 ; 1993-95 ; 1997-2002) sont venues prouver que la France pouvait être dirigée, chaque tête de l’exécutif assumant toute l’étendue de ses fonctions.</p>
<h2>Affaiblissement du rôle du premier ministre</h2>
<p>Néanmoins, la classe politique a souhaité en 2000 mettre fin à cette situation en raccourcissant le mandat présidentiel à cinq ans, et en inversant le calendrier électoral. Le but était de faire des élections législatives qui suivent l’élection d’un nouveau président une sorte de ratification par le peuple de la présidentielle, profitant, notamment, d’un découragement des électeurs d’opposition qui laissent <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">se (sur) mobiliser</a> l’électorat du président élu. Cela lui laisse une majorité absolue pour gouverner et appliquer son programme.</p>
<p>Le fait majoritaire en sort renforcé, puisque le programme du président devient de facto le programme législatif, le premier ministre est réduit au rang de « collaborateur » du président, chargé d’appliquer fidèlement la ligne fixée à l’Élysée. Cela a pu déjà être le cas avant la réforme du quinquennat, mais c’est encore plus flagrant depuis, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron incarnant cette inclination présidentialiste – que certains qualifieront de dérive – même si ce dernier <a href="https://theconversation.com/acte-ii-un-nouveau-macron-entre-en-scene-128030">affirmait avoir changé</a> pour l’acte II de sa mandature.</p>
<h2>Le management politique selon Emmanuel Macron</h2>
<p>Dès lors, Emmanuel Macron peut gérer le pays comme un PDG. Il s’entoure d’une garde rapprochée qui lui sert de conseil d’administration, opaque aux Français, et peut changer de directeur général (qu’on appellera ici premier ministre) très librement (déjà le quatrième en 6 ans et demi alors qu’en moyenne sous la V<sup>e</sup>, les premiers ministres restent en poste <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/07/03/edouard-philippe-est-reste-a-matignon-plus-longtemps-que-la-moyenne-des-premiers-ministres_6045094_4355770.html">2 ans et 10 mois</a>) pour redynamiser l’équipe – le gouvernement chargé de remplir les objectifs que le PDG lui assigne. Le Parlement ressemble alors furieusement à une assemblée générale des actionnaires ne servant que de chambre d’enregistrement, du moins si on maîtrise les droits de vote de plus de 50 % des actionnaires.</p>
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<h2>Impasses d’un hyperprésidentialisme sans majorité</h2>
<p>Toute cette belle mécanique se grippe dès qu’il n’y a plus de majorité absolue. Depuis un an, l’exécutif peine à dégager des majorités pour voter les textes essentiels. Il use et abuse des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">votes par 49.3</a> et s’est livré à des concessions idéologiques à l’extrême droite afin de faire voter la loi sur l’immigration. Ce passage en force s’est fait en tordant les abatis à ce qu’il est convenu d’appeler « l’aile gauche » des macroniens, et en tournant le dos au positionnement de campagne du candidat Macron. Celui-ci doit son élection à un appel à faire barrage à Marine Le Pen et avait déclaré aux électeurs de gauche qui s’étaient ralliés à lui (par défaut) que ce vote « l’obligeait ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1736491348868370744"}"></div></p>
<p>Et voilà le président Macron pouvant se vanter d’une loi votée qui a tout d’une victoire à la Pyrrhus. L’accouchement aux forceps de cette loi, loin de prouver l’aptitude à agir d’un Emmanuel Macron sans majorité parlementaire stable, est plutôt venu <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">étaler ses faiblesses</a>. S’il concède aux droites pour voter une loi, il perd sur sa gauche ce qu’il gagne là-bas, et des contestations se font alors entendre dans son propre camp.</p>
<p>Or, il est un épisode qu’Emmanuel Macron a vécu de l’intérieur, et qu’il ne souhaite pas voir se réitérer, c’est l’émergence du camp des « frondeurs » durant le quinquennat de François Hollande. Il veut éviter qu’une dynamique contestataire, pouvant devenir sécessionniste, apparaisse au sein des forces parlementaires soutenant le président.</p>
<h2>La disgrâce d’une Élisabeth Borne pourtant méritante</h2>
<p>Ainsi, loin de récompenser une première ministre loyale qui a réussi à faire voter des lois dans des procédures parlementaires très mal embarquées, le président Macron semble lui faire payer les divergences qu’elle a exprimées dans le tumulte de la loi sur l’immigration (et de ne pas avoir su faire taire celles de certains ministres et parlementaires macroniens).</p>
<p>C’est à cette même aune qu’on peut comprendre la saillie inattendue du président célébrant les talents de Gérard Depardieu, affirmant – contre toute vraisemblance – que la Légion d’honneur n’a rien à voir avec la morale, là où le dictionnaire de l’Académie française fait de l’honneur un « sentiment d’une dignité morale ». Le président s’est fait aussi le <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/12/22/affaire-depardieu-emmanuel-macron-partage-une-fake-news-les-journalistes-de-complement-denquete-se-defendent-de-tout-bidonnage-11659017.php">relais d’une fake news</a> laissant entendre que les journalistes de France 2 auraient truqué les propos au montage. Cette faute de communication politique, qui a provoqué un lourd malaise chez les féministes, peut être interprétée comme une façon de rappeler à l’ordre la ministre de la Culture qui avait dénoncé les propos de Gérard Depardieu et les reniements de la loi sur l’immigration.</p>
<h2>Des défis identiques avec un nouveau premier ministre</h2>
<p>L’arrivée d’une nouvelle figure pour incarner la suite du quinquennat ne changera pas la situation politique. La quête d’une nouvelle voie/voix ressemble à un choix contraint : dans quelle impasse entrer ?</p>
<p>Car qui qu’il ait choisi, Emmanuel Macron restera le seul décisionnaire, l’hyperprésident qui décide de tout et qui est jugé redevable devant les électeurs. Car il continuera à être confronté au lourd défi de l’invention d’un récit, crédible, à offrir aux Français pour justifier son second quinquennat. Car se pose toujours la question, pour laisser une trace dans l’histoire, de ce qu’il incarne, et de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-vendredi-22-avril-2022-9462267">l’existence ou pas d’un « macronisme »</a>, au sens d’ossature idéologique. Car la bonne idée qui le fit élire en 2017 du « dépassement » du clivage gauche-droite s’est largement transformée en un pragmatisme opportuniste qui brouille son positionnement, au point de faire percevoir son action comme « de droite », <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-1-page-117.htm">à la façon d’un Valéry Giscard d’Estaing</a>, avec une politique économique très pro-business.</p>
<p>Il existe bien un guide qui sert de colonne vertébrale à Emmanuel Macron, même s’il ne clame jamais haut et fort, et que cela ne constitue pas un outillage idéologique : le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/084000041.pdf">rapport « Attali » de la Commission pour la libération de la croissance française</a>. Commandé par Nicolas Sarkozy – alors président, son rapporteur était un jeune énarque ambitieux, un certain… Emmanuel Macron.</p>
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<p>Relire aujourd’hui ce rapport de 2008, c’est y retrouver tous les mantras du discours macronien :</p>
<ul>
<li><p>« Favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés » (c’est la fameuse start-up nation)</p></li>
<li><p>« Faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi »</p></li>
<li><p>« Créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle. De permettre à chacun de travailler mieux et plus, de changer plus facilement d’emploi » (les réformes successives de l’assurance chômage par exemple)</p></li>
<li><p>« L’État et les autres collectivités publiques doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune (..) faire place à la différenciation et à l’expérimentation » (abolition de certains statuts dans la fonction publique, multiplication des dérogations et expérimentations à l’embauche des fonctionnaires…)</p></li>
<li><p>« Encourager la mobilité internationale (notamment par une procédure souple de délivrance de visas aux étudiants, aux chercheurs, aux artistes et aux travailleurs étrangers, en particulier dans les secteurs en tension) ».</p></li>
</ul>
<p>La mise en œuvre de ce catalogue de mesures rédigées en 2008 commence à s’épuiser, soit qu’elles aient été réalisées, soit qu’elles se heurtent à des freins politiques faute de majorité (comme pour la loi immigration), soient qu’elles ne soient plus d’actualité face aux nouvelles réalités du monde.</p>
<h2>Attal, le style macronien à Matignon</h2>
<p>Un dernier extrait de ce rapport vieux de 16 ans annonce aussi le style macronien :</p>
<blockquote>
<p>« Avant de se lancer dans l’action, il ne faut pas que la main tremble. Le pouvoir politique sait que les Français veulent la réforme, qu’ils croient en la réforme si elle est socialement juste et économiquement efficace, et qu’ils attendent qu’elle soit conduite tambour battant ».</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron ne cesse de répéter qu’il ne faut pas céder sur les réformes et face aux <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798%5D">immenses protestations</a>, comme on l’a vu pour la réforme des retraites. Et c’est là que le choix de Gabriel Attal fait sens, par rapport au <a href="https://www.midilibre.fr/2022/05/16/elisabeth-borne-nouvelle-premiere-ministre-le-profil-de-celle-que-macron-a-choisie-pour-succeder-a-castex-10298653.php">style Élisabeth Borne</a>, tout en retenu, en femme de dossier, fuyant les effets de manche au profit d’une posture technicienne un peu rugueuse.</p>
<p>Du peu qu’on a pu observer de son action en tant que ministre de l’Éducation, Gabriel Attal dessine le profil d’un excellent communicant, sachant se mettre en avant comme celui qui sait trancher, prenant des décisions fortes et symboliques rapidement, parlant haut et clair, pratiquant la triangulation en allant puiser des idéaux nostalgiques dans les discours des droites (pour prôner un retour à l’école d’antan largement mythifiée). Ces aptitudes au faire-savoir expliquent en grande partie sa nomination.</p>
<p>Gabriel Attal aura pour double mission de conduire la campagne électorale des élections européennes – qui s’annoncent périlleuses, et de faire ruisseler des éléments de langage prouvant que l’ambition réformiste macronienne reste intacte et sa concrétisation possible. Fidèle de la première heure, il doit toute sa carrière politique à Emmanuel Macron et incarne la jeunesse comme naguère son mentor. Gabriel Attal sera le directeur général mais aussi le directeur de la communication de l’entreprise et de la <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-marque-macron/">« marque Macron »</a>. Mais pour combien de temps ? Quand l’hyperprésidentialisme se conjugue avec une logique managériale, où chaque ministre semble avoir un contrat d’objectifs, dans un contexte d’absence de majorité parlementaire et de gronde sociale, le turn-over s’accélère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce quatrième changement de premier ministre en six ans est un phénomène inhabituel sous la Vᵉ République. Mécanique managériale, absence de majorité et hyperprésidence : focus sur la nomination de Gabriel Attal.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203012023-12-25T20:23:05Z2023-12-25T20:23:05ZComment la loi immigration souligne de graves dysfonctionnements démocratiques<p>Le 19 décembre, la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/loi-immigration-apres-l-arret-du-debat-majorite-et-oppositions-plus-dechirees-que-jamais_226892.html">majorité s’est déchirée</a> lors du vote du projet de loi immigration. Le texte, est désormais <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/23/loi-immigration-le-conseil-constitutionnel-saisi-par-les-deputes-de-gauche_6207371_823448.html">examiné par le Conseil Constitutionnel</a>. Rappelons les votes : sur les 170 députés du groupe Renaissance 131 ont voté pour, 17 se sont abstenus, 20 ont voté contre et deux n’ont pas participé au vote.</p>
<p>Cette posture est celle des <a href="https://www.mareetmartin.com/livre/les-usages-de-la-tradition-dans-le-droit">Présidents des Assemblées</a> qui par tradition, ne déposent ni proposition de loi ni amendement et ne participent ni aux débats ni aux votes. C’est la traduction de l’impartialité du Président de l’Assemblée qui « n’a pas de parti quand il préside ».</p>
<p>Cela signifie que la couleur politique des élus n’est pas prise en compte dans les solutions apportées par la Présidence de l’Assemblée. Il en va de la légitimité de ses décisions qui sont réputées n’être adoptées que dans l’intérêt de l’Assemblée et non dans l’intérêt de la majorité à laquelle le Président appartient.</p>
<p>Or le 19 décembre 2023 la Présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet n’a pas respecté cette neutralité et a tenu à soutenir le projet de loi. Certes, d’autres avant elle ont opéré une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-4-page-733.htm">« descente de fauteuil »</a>. Proposant des textes législatifs, mais il s’agissait de s’appuyer sur le statut présidentiel pour formuler un texte apartisan, ou participant aux votes en cas de majorité serrée, pour éviter l’échec du Gouvernement. Ainsi, le 11 décembre 2023, la Présidente de l’Assemblée a participé au scrutin relatif à la motion de rejet préalable afin de soutenir le texte gouvernemental. Soutien insuffisant, la motion ayant été adoptée par 270 voix contre 265… l’absence de 9 députés de la majorité ayant conduit au rejet du texte immigration.</p>
<p>Le 19 décembre, aucune des conditions qui ont jusqu’alors excusé la mise entre parenthèses de l’impartialité n’est présente. D’une part, le texte n’est pas consensuel. D’autre part, les calculs gouvernementaux ne pouvaient croire que le vote serait serré, les 88 députés RN ayant annoncé leur volonté de voter le texte.</p>
<h2>Quel débat parlementaire ?</h2>
<p>La voix de la présidente n’était donc pas nécessaire et sa descente de fauteuil amènera à contester l’impartialité des décisions à venir. Mais ce manquement au fonctionnement démocratique de nos institutions n’est pas le plus important.</p>
<p>Contrairement à ce qu’ont affirmé les oppositions, ces irrégularités ne résident ni dans le maintien du ministre de l’Intérieur, ni dans celui du texte malgré l’adoption d’une motion de rejet préalable. Celle-ci vise en effet à faire reconnaître que le texte n’est pas conforme aux attentes de l’Assemblée ou à la Constitution, mais rien n’interdit au Gouvernement de poursuivre la navette au besoin en répondant aux doutes de l’Assemblée.</p>
<p>De ces points de vue, pas d’atteinte au droit. En revanche il est possible de constater que l’adoption de la loi immigration contrevient au principe de sincérité du débat parlementaire.</p>
<p>Ce principe, de rang constitutionnel, postule que les règles entourant la tenue du débat doivent être respectées. Même si le Conseil constitutionnel a pris soin de ne jamais le définir, on peut déduire de sa formulation qu’il impose également que les arguments avancés par le Gouvernement afin d’obtenir le soutien d’une majorité ne soient ni faux, ni fallacieux, ni trompeurs. L’adoption de la loi immigration a conduit à la violation des deux dimensions de ce principe.</p>
<h2>Ce qui s’est passé</h2>
<p>S’agissant de la procédure encadrant le débat, il convient de rappeler que la <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/role-et-fonctionnement/la-commission-mixte-paritaire.html">Commission mixte paritaire</a> (CMP) est réunie par le Gouvernement – ou par la conférence des présidents des deux assemblées s’agissant d’une proposition de loi – afin de formuler un compromis acceptable par l’Assemblée et le Sénat.</p>
<p>Puis le gouvernement sort de l’équation, les parlementaires investis dans l’examen du texte ****, dont le rapporteur et les présidents des commissions se retrouvent seuls. Le secret qui encadre les négociations, y compris pour les autres élus, conduit à qualifier la CMP de boîte noire… dont le Gouvernement est lui-même tenu à l’écart, même s’il peut utiliser les parlementaires de sa majorité pour relayer ses volontés.</p>
<p>Il ne retrouve un pouvoir qu’une fois le travail de la CMP terminé, soit pour soumettre le texte issu de la négociation aux assemblées, soit pour refuser ce compromis s’il lui semble trop éloigné de sa volonté, soit enfin pour proposer des amendements au texte qu’il soumettra aux assemblées.</p>
<p>Le 18 décembre, certes, le gouvernement n’était pas physiquement présent lors des réunions de la CMP. Cependant, les négociations ont été menées depuis Matignon, la Première ministre <a href="https://www.liberation.fr/politique/loi-immigration-elisabeth-borne-recoit-les-chefs-de-lr-ce-mercredi-pour-trouver-un-accord-20231213_NX4UXT6VVVBZTJXWIZMYYFQ6JQ/">recevant les leaders LR</a> pour s’entendre avec eux sur les termes d’un accord.</p>
<p>Ce procédé est bien loin du conclave à 14 permettant à chacun de mesurer ses prétentions et d’accepter des compromis. Les élus de la CMP ont été marginalisés des négociations au profit des seuls parlementaires LR, dont les voix étaient nécessaires au Sénat dominé par le groupe conservateur et à l’Assemblée, le gouvernement tablant sur l’hostilité des 88 députés RN.</p>
<p>Les armes constitutionnelles offraient pourtant au Gouvernement le moyen de retravailler le compromis trouvé sans lui par les élus, mais cela aurait réclamé du temps et il semble que cette donnée ait <a href="https://www.sciencespo-lille.eu/sites/default/files/recherche/programme_livret_18-19dec.pdf">soudain manqué</a>. La précipitation de l’exécutif a conduit à l’adoption d’un texte dont il n’est pas douteux qu’il comporte des dispositions inconstitutionnelles.</p>
<h2>Une atteinte cruciale à notre démocratie parlementaire</h2>
<p>Il s’agit là de l’atteinte la plus importante à notre démocratie parlementaire. Qu’un ministre de l’Intérieur défende un texte à la tribune d’une des assemblées en reconnaissant sa probable inconstitutionnalité est une innovation. Qu’un Président affirme lors <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/20/loi-immigration-les-mesures-susceptibles-d-etre-censurees-par-le-conseil-constitutionnel_6206980_3224.html">d’une émission télévisée</a> que certaines dispositions seront contournées l’est tout autant.</p>
<p>Ces prises de parole questionnent la sincérité de la négociation, le Gouvernement consentant des concessions à LR tout en sachant que les décrets d’application permettront de les laisser lettre morte ou que le Conseil constitutionnel ne permettra pas leur intégration au texte final.</p>
<h2>Une relativisation de la Constitution</h2>
<p>Un tel constat avait déjà été formulé lors des débats sur le projet de loi de réforme des retraites, le Gouvernement essayant de se concilier les votes LR en acceptant des cavaliers sociaux dont il savait que le Conseil constitutionnel les censurerait. On se souvient ainsi que le Conseil avait <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/14/retraites-ce-que-le-conseil-constitutionnel-a-garde-ou-ecarte-des-differentes-saisines_6169591_4355770.html">refusé l’index senior</a>, visant à favoriser l’emploi des salariés les plus âgés, au motif que cette disposition n’avait pas de lien avec l’objet principal de la loi de financement de la sécurité sociale rectificative.</p>
<p>Ici l’inconstitutionnalité qui a permis le vote de la loi porte sur le fond, son contenu, et non sur la forme, sa procédure. Juridiquement, la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19550-la-place-de-la-constitution-dans-la-hierarchie-des-normes-juridiques">Constitution est la norme fondamentale</a> qui protège nos droits et libertés contre le pouvoir enclin à augmenter son emprise sur nos quotidiens.</p>
<p>En conduisant le Parlement à adopter une loi contraire à la Constitution, le Gouvernement la relativise. Elle devient une norme à laquelle on peut porter atteinte pour satisfaire des intérêts politiques et l’instrumentalisation se répétant au gré des besoins, l’atteinte devient habituelle et substantielle.</p>
<h2>Un renforcement de la défiance citoyenne</h2>
<p>Laisser nos représentants adopter des textes qui sont manifestement contraires à la Constitution est inquiétant. Rien en effet ne garantit que le Président ne promulguera pas immédiatement la loi, rendant impossible toute saisine du Conseil constitutionnel, sauf à provoquer par la suite une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette dernière permet, à l’occasion d’un litige, de <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19560-quest-ce-que-la-question-prioritaire-de-constitutionnalite-qpc">contester</a> la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d’une loi déjà promulguée, mais combien d’atteintes au droit auront alors déjà été commises ?</p>
<p>La situation est à ce point paradoxale que c’est le Président qui va saisir le Conseil constitutionnel, certes rien d’inconstitutionnel ou d’inédit, le Président utilisant cette prérogative de l’article 61 <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-2015-713-dc-du-23-juillet-2015-saisine-par-president-de-la-republique">depuis François Hollande</a>.</p>
<p>Mais il s’agissait alors d’offrir un visa de constitutionnalité à un texte contesté, non de l’expurger de ses dispositions manifestement inconstitutionnelles. En choisissant cette voie, le Président de la République redirige vers le Conseil constitutionnel le mécontentement populaire, alimentant la défiance envers la justice.</p>
<p>Demain, cette défiance portera sur la Constitution elle-même, les oppositions n’hésitant pas à s’appuyer sur la « volonté populaire », qui a aujourd’hui justifié l’adoption d’un texte inconstitutionnel, afin d’appeler à la révision d’une norme fondamentale trop protectrice <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/nouveau-projet-de-loi-sur-l-immigration-un-humanisme-de-facade_5504469.html">« des méchants »</a>.</p>
<p>Sans doute le Conseil constitutionnel censurera-t-il les dispositions violant les droits et libertés que la Constitution protège. On osera formuler un autre vœu, qu’il en censure la totalité pour manquement au principe de sincérité du débat parlementaire et impose en cela à l’exécutif une éthique de la négociation, afin d’affirmer que la recherche du compromis ne doit jamais se faire aux dépens de la Constitution.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220301/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’adoption de la loi immigration contrevient au principe de sincérité du débat parlementaire et par les paradoxes de la procédure, alimente le mécontentement citoyen et la défiance envers la justice.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202252023-12-20T19:57:59Z2023-12-20T19:57:59ZGérald Darmanin, symbole des illusions perdues du macronisme ?<p>Le projet de loi sur l’immigration était annoncé comme un moment décisif pour les différents acteurs de la vie politique française et en particulier pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Il constitue sans doute un tournant important pour l’homme politique et illustre a plusieurs égards les difficultés auxquelles font face Emmanuel Macron, le macronisme et le système politique français dans son ensemble.</p>
<p>Les derniers événements ont été particulièrement difficiles pour le ministre même si celui qui a remis <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/info-franceinfo-vote-de-rejet-de-la-loi-immigration-gerald-darmanin-a-propose-sa-demission-refusee-par-le-president-lors-d-un-entretien-lundi-soir-a-l-elysee_6237198.html">sa lettre de démission, refusée par l’Élysée</a> (suite au vote de la motion de rejet de la loi sur l’immigration) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-loi-immigration-nous-sommes-plus-pres-d-un-accord-que-d-un-desaccord-affirme-darmanin-20231218">se félicite</a> aujourd’hui de la séquence politique qui a vu l’adoption de cette même loi.</p>
<p>L’homme politique est-il pour autant renforcé de cet épisode et que nous dit-il de l’état du macronisme ?</p>
<h2>Une image d’homme de droite</h2>
<p>Si Gérald Darmanin a pu publiquement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/presidentielle-2027-gerald-darmanin-estime-qu-edouard-philippe-est-le-mieux-place-mais-s-interroge-sur-son-envie_6109053.html">interroger sa volonté</a> de se positionner dans la course pour le poste de président de la République, il fait très clairement parti des personnes qui pourraient prétendre à la succession d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Darmanin s’est construit une image d’homme de droite attaché au respect de l’ordre et son rôle de ministre de l’Intérieur a donné corps à ce positionnement. Mais plusieurs ratés (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/16/gerald-darmanin-doit-tirer-les-lecons-du-chaos-au-stade-de-france_6162045_3232.html">incidents du Stade de France</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/terrorisme-islamiste-darmanin-plaide-pour-une-injonction-de-soins-FJ5FEWIDYZCEVKUAN3CSTXHOG4/">attaques terroristes</a>…) et polémiques (<a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-maintient-ses-propos-sur-karim-benzema-25-10-2023-2540792_23.php#11">affaire Karim Benzema</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/accusations-de-viol-a-l-encontre-de-gerald-darmanin-le-non-lieu-en-faveur-du-ministre-de-l-interieur-est-confirme-en-appel_5620133.html">accusation de viol</a>…) ont écorné sa réputation d’efficacité et de rigueur. Le rejet de « son » projet de loi sur l’immigration porte un coup certain à ses ambitions personnelles qui s’appuyaient en grande partie sur sa légitimité en matière de sécurité.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Difficile pourtant de prévoir ce qu’il adviendra des ambitions présidentielles de Darmanin tant la période qui s’ouvre est inédite sous la V<sup>e</sup> République. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/la-ve-republique/les-grandes-etapes-de-la-ve-republique">Pour la première fois</a>, un président encore jeune quittera la présidence sans avoir été battu… alors que la possibilité qu’<a href="https://fr.news.yahoo.com/emmanuel-macron-pourrait-il-se-representer-en-2032-151353458.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAEKnCJD-4Puu94CtwDzyqMxOwQpDP1vGFHerRERgF4B1jyXWISobCd63hHgltqw3Oh95r1Db3-hkKua6TWiKp0H1yAoVvvxfn1Yr3jSxxiXfgw8aSkHR0_DL6ujHfEb48njeoWtcR5S6knPk_DbXa0vZG6669MwJO4f0YDYY0TT3">il puisse se représenter de manière non consécutive</a> n’est pas écartée.</p>
<p>Jamais, une telle situation n’était arrivée et la succession d’Emmanuel Macron risque donc de réserver des stratégies et des montages politiques nouveaux.</p>
<p>Pour la première fois, la <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">favorite des sondages</a> et de l’élection présidentielle pourrait être Marine Le Pen, la candidate du parti représentant l’extrême droite française. Dans ce contexte, le positionnement d’homme de droite de Darmanin et sa connaissance des dossiers régaliens, légitimés par son passage place Beauvau, seront sans doute recherchés par ceux qui décideront de se lancer dans la bataille face à Marine Le Pen.</p>
<h2>Pas de vrai virage politique, sauf vers la droite</h2>
<p>Lors de sa première élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était fait élire en promettant de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">dépasser le clivage droite/gauche</a>.</p>
<p>Les sujets mis en avant, à l’image de l’immigration, et les mesures prises, comme dans le cadre de la réforme des retraites, semblent entériner l’idée que le parti présidentiel penche désormais fortement <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">à droite</a>.</p>
<p>Le départ d’anciens alliés issus de la gauche, à l’instar tout récemment de <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/daniel-cohn-bendit/europeennes-daniel-cohn-bendit-rompt-avec-macron-et-appelle-les-ecologistes-a-rejoindre-glucksmann-1f927344-9804-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">Daniel Cohn Bendit</a>, parait d’ailleurs confirmer ce virage.</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, HuffPost.</span></figcaption>
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<p>Lors de la seconde élection, il avait déclaré que le résultat morcelé du premier tour l’obligeait à faire de la politique autrement et qu’il avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMHd9uYD5H8">compris le message</a>. L’épisode des échanges et négociations entre Darmanin et Les Républicains (LR) lors de la loi sur l’immigration donne pourtant l’image de manœuvres politiciennes peu en accord avec l’idée de nouvelles pratiques politiques et de la recherche d’un consensus autour d’un projet commun. Alors que certains en appellent à une <a href="https://books.openedition.org/putc/157?lang=fr">VIᵉ république</a>, la façon dont les jeux de pouvoir s’organisent sous et autour d’Emmanuel Macron rappelle en tous points celles des époques précédentes.</p>
<p>La loi sur l’immigration symbolise à plusieurs égards la « politique à l’ancienne » que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait faire disparaître. En ce sens, elle illustre l’échec de la tentative de faire de la politique autrement. La <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-parlement-en-toc-l-amertume-d-une-deputee-macroniste-decidee-a-ne-pas-se-representer-a-l-assemblee-5879426">décision de certains élus macronistes</a> de ne pas rempiler suite au premier quinquennat, avaient déjà en partie mis en exergue ce phénomène. Force est constater que l’utilisation répétée du 49.3 semble témoigner des <a href="https://www.lopinion.fr/politique/les-deputes-macronistes-doivent-encore-apprendre-a-perdre">difficultés du camp présidentiel</a> à <a href="https://theconversation.com/macron-incarnation-de-la-theorie-des-paradoxes-et-de-ses-limites-195300">co-construire, à négocier, à convaincre</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">Changer de constitution pour changer de régime ?</a>
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<h2>Un décalage profond avec les électeurs</h2>
<p>L’incapacité de parvenir à mettre en place de nouvelles pratiques politiques illustre un phénomène plus profond pour la V<sup>e</sup> République et le système démocratique : celui du décalage entre la façon dont les décideurs politiques comprennent les messages des urnes et des élections et la réalité des aspirations des électeurs et de la population. L’affaire de la loi sur l’immigration vient rappeler que le macronisme n’est pas parvenu à combler ce décalage… qui s’est sans doute amplifié au cours des dernières années suite à des scandales comme <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/affaire-benalla-macron-garde-du-corps-video-manifestant">l’affaire Benalla</a> ou la crise des <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens.html">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Mais l’épisode de la loi sur l’immigration est aussi un tournant politique car la motion de rejet de la loi sur l’immigration a donné lieu à un vote uni de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-immigration-et-integration-ce-quil-faut-savoir-1902727">LR, du Rassemblement national (RN) et de la gauche</a>. Cette alliance, bien que de circonstance, montre à quel point le Rassemblement national est devenu un <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">parti comme les autres</a> au sein de la vie politique française.</p>
<h2>Un parfum de fatalité ?</h2>
<p>Le Front Républicain contre l’extrême droite s’est transformé en un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html">Arc Républicain</a> visant tous les extrêmes. Et les partis « traditionnels » s’allient désormais de plus en plus avec le RN au hasard des circonstances. La <a href="https://www.lopinion.fr/politique/la-strategie-de-la-cravate-du-rn-fonctionne-t-elle">stratégie de Marine Le Pen</a> visant à cultiver une image sérieuse et modérée à l’Assemblée Nationale semble donc porter ses fruits, d’autant plus qu’elle positionne son groupe parlementaire en complète opposition avec la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-on-va-dans-le-mur-au-sein-de-lfi-la-strategie-de-la-bordelisation-fait-debat-16-12-2023-SOHC2BQIXBDGXHV45XZP6OGKZE.php">stratégie volontiers provocatrice</a> et belliqueuse de LFI et de certaines personnalités de gauche.</p>
<p>Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, qui avait affirmé qu’il parviendrait à faire baisser l’extrême droite en France, ne parvient pas à empêcher l’expansion du RN. Les figures comme Gérald Darmanin semblaient pourtant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1182443/article/2022-05-20/gerald-darmanin-l-atout-droite-pop-de-macron-rempile-l-interieur">destinées à élargir le spectre du parti présidentiel</a> et devaient faire barrage au parti d’extrême droite en se positionnant sur ses thématiques et ses idées. Les déboires du ministre de l’Intérieur illustrent au contraire les limites des stratégies de lutte contre l’extrême droite visant à s’appuyer sur des personnalités censées reprendre et représenter leurs idées pour attirer les électeurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Le RN, « trou noir » du paysage politique français</a>
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<p>Mais l’expansion du RN est à mettre en perspective avec les succès des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/22/giorgia-meloni-un-an-a-la-tete-de-litalie">Italie</a> ou au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/24/extreme-droite-aux-pays-bas-l-original-triomphe-toujours-de-la-copie_6202071_3232.html">Pays Bas</a> ou par exemple en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/en-argentine-le-choc-et-les-interrogations-apres-l-election-triomphale-de-javier-milei-a-la-presidence_6201228_3210.html">Argentine</a>. L’exemple français n’est pas exceptionnel et ces succès donnent un parfum de fatalité à l’incapacité d’Emmanuel Macron et du camp présidentiel à contrer l’expansion du parti présidé par Jordan Bardella.</p>
<p>La période de turbulences économiques, sociales, géopolitiques et environnementales actuelle est aussi un terrain particulièrement fertile pour la montée des extrêmes et des populismes. Dans le cas de la France, cette montée ne pourra être un tant soit peu contenue que si des personnes comme Gérald Darmanin et Emmanuel Macron parviennent à éviter des séquences comme celle de la loi sur l’immigration tant elles mettent en lumière les illusions perdues de leur aventure politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Gérald Darmanin incarne l’échec d’une « nouvelle façon » de faire de la politique.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200882023-12-19T19:23:58Z2023-12-19T19:23:58ZLe casse-tête de la loi immigration : et si l’on se trompait d’interlocuteurs ?<p>Attendu depuis près d’un an, le <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration</a>, objet d’un débat houleux, a provoqué une crise politique majeure pour la présidence d'Emmanuel Macron. Suite à son adoption par la commission mixte paritaire, saisie le lundi 18 décembre, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Rassemblement National</a> a décrété <a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2023/12/19/en-direct-projet-de-loi-immigration-la-commission-mixte-paritaire-trouve-un-accord-le-rn-annonce-qu-il-votera-le-texte_6206507_823448.html">« une victoire idéologique »</a> et le parti Les Républicains a montré que sa formation faisait désormais office de <a href="https://theconversation.com/rejet-de-la-loi-sur-limmigration-une-crise-previsible-et-fondamentale-219951">pivot</a> au sein du gouvernement.</p>
<p>Sur le fond, ce projet de loi ne se distingue pas beaucoup des 29 lois déjà adoptées sur le sujet depuis 1980. Mais il propose un tour de vis supplémentaire – en ayant envisagé par exemple la <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-quel-sort-pour-laide-medicale-de-letat-ce-que-nous-dit-la-recherche-scientifique-219943">suppression de l’aide médicale d’État</a> et un accès plus compliqué aux allocations familiales – tout en cherchant <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-des-etrangers-sert-les-agendas-politiques-217141">à combler la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs</a>, avec l’éventuelle régularisation de certains travailleurs sans-papiers.</p>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/grand-entretien-projet-de-loi-sur-l-immigration-les-flux-migratoires-ne-sont-pas-tellement-affectes-quelle-que-soit-la-legislation_6195285.html">Cette loi ne va sans doute pas affecter les flux migratoires</a>, et elle va encore moins résoudre <a href="https://theconversation.com/comment-la-double-peine-du-projet-de-loi-immigration-renforce-la-confusion-des-pouvoirs-219578">« les problèmes »</a> posés par l’immigration, ou <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/14/la-loi-immigration-dernier-element-d-une-longue-serie-de-117-textes-depuis-1945_6199984_4355770.html">apaiser les débats sur le sujet</a>.</p>
<p>Il est donc logique que les débats se soient concentrés sur la forme, c’est-à-dire sur le processus d’adoption de cette loi, et sur les difficultés éprouvées par le gouvernement à obtenir une majorité législative sans recourir à l’article 49.3.</p>
<p>Mais au-delà des <a href="https://theconversation.com/rejet-de-la-loi-sur-limmigration-une-crise-previsible-et-fondamentale-219951">péripéties de l’actualité politique</a>, ce laborieux processus invite à s’interroger plus largement sur la manière dont il conviendrait d’adopter une telle loi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<h2>Une omniprésence du ministère de l’Intérieur</h2>
<p>Commençons par rappeler l’omniprésence du ministère de l’Intérieur. Ce n’est pas une nouveauté : depuis les années quatre-vingt-dix, les lois sur l’immigration sont communément appelées du nom de ‘leur’ ministre de l’intérieur, depuis les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_Pasqua-Debr%C3%A9">lois Pasqua Debré</a> jusqu’à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_10_septembre_2018_pour_une_immigration_ma%C3%AEtris%C3%A9e,_un_droit_d%27asile_effectif_et_une_int%C3%A9gration_r%C3%A9ussie">loi Collomb</a> en passant par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Circulaire_Valls">circulaire Valls</a> ou les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_24_juillet_2006_relative_%C3%A0_l%27immigration_et_%C3%A0_l%27int%C3%A9gration">lois Sarkozy</a>.</p>
<p>Mais il n’en a pas toujours été ainsi : jusque dans les années 80, <a href="https://www.histoire-immigration.fr/politique-et-immigration/1945-1984-legislation-et-politique-migratoire">c’est le ministère du Travail qui avait la main</a>. Ce dernier était d’ailleurs initialement impliqué dans le projet de loi actuel, mais <a href="https://www.liberation.fr/politique/olivier-dussopt-lhomme-invisible-du-projet-de-loi-immigration-20231121_JGPONZXHFVDUNG7UFNLNDBJBZA/">il a progressivement disparu</a> de la scène. Même remarque pour le ministère de la Santé, malgré l’important volet santé du projet de loi, et pour le ministère de l’Enseignement supérieur, alors que les étudiants étrangers représentent un enjeu crucial pour <a href="https://www.liberation.fr/societe/education/une-insulte-aux-lumieres-les-universites-francaises-sopposent-au-projet-de-loi-immigration-20231218_W7GUZKST7ZD2TDPGXDGKTYQU5E/">l’attractivité et la qualité des universités françaises</a>.</p>
<p>Par ailleurs, et comme son intitulé l’indique, le ministère de l’Intérieur ne traite pas du contexte international – malgré le caractère évidemment international des enjeux migratoires.</p>
<p>Rappelons que la France et le Maroc traversent une crise diplomatique depuis 2021, consécutive entre autres à la décision du gouvernement français de réduire l’accès aux visas pour les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/05/entre-la-france-et-le-maroc-les-frontieres-de-la-discorde_6192560_3212.html">citoyens marocains</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">France-Maroc : fin d’une relation exceptionnelle ? Tel Quel, 2022.</span></figcaption>
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<p>De même, en septembre 2023, une <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/09/15/projets-culturels-avec-le-sahel-il-n-est-pas-question-d-arreter-d-echanger-avec-les-artistes-et-les-lieux-culturels-assure-la-ministre-de-la-culture_6189489_3246.html">polémique à propos de la venue en France d’artistes africains</a> a illustré à quel point le rayonnement culturel du pays dépend de la circulation des artistes du Sud, et donc de leur accès aux visas.</p>
<h2>Deux ministères aux abonnés absents</h2>
<p>Mais on cherche en vain la position des ministères des Affaires étrangères et de la Culture sur le sujet, de même que les débats n’ont fait aucune référence à l’Europe – alors que l’Union européenne est engagée depuis 2020 dans l’adoption du <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">Pacte européen sur la migration et l’asile</a>, un texte qui aura des implications pour tous les États membres, dont la France.</p>
<p>La mise en œuvre d’une politique migratoire requiert pourtant la coopération d’autres États. C’est par exemple le cas des expulsions de migrants en situation irrégulière : la France a le droit de les exclure de son territoire, mais il faut pour cela qu’ils soient réadmis par leur État d’origine. C’est pourquoi, du début des années 2000 jusqu’aux coups d’état de 2020 et 2021, la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/05/la-france-negocie-avec-le-mali-le-retour-des-migrants-irreguliers_5431822_3212.html">France négociait avec le Mali</a> un accord de réadmission destiné à faciliter l’expulsion des sans-papiers, lequel s’est toutefois heurté à la réticence du gouvernement malien.</p>
<p>De ce point de vue, c’est tout autant au Parlement malien qu’à l’Assemblée nationale que le gouvernement français doit trouver une majorité. Alors certes, la France est un pays souverain : elle est donc fondée à décider en toute autonomie de sa politique migratoire et c’est aux citoyens français (et à leurs représentants démocratiquement élus) de déterminer la manière dont ils souhaitent accueillir les étrangers.</p>
<p>Mais si cette approche fait consensus, elle pose aussi quelques problèmes. Dans une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0003122413487904">étude sur les sans-papiers mexicains aux États-Unis</a>, Emily Ryo montre par exemple que ces derniers violent les lois américaines, mais ne perçoivent pas cela comme une faute. À leurs yeux, la politique migratoire des États-Unis est injuste et peu crédible, car elle ferme les yeux sur le rôle essentiel des clandestins sur le marché du travail, tout en occultant la responsabilité des pays du Nord dans la situation économique du Mexique.</p>
<p>Si les pays occidentaux ont a priori le droit de gouverner l’immigration comme bon leur semble, la valeur morale ou politique d’une loi sur l’immigration n’en est pas moins importante, car elle contribue à sa crédibilité – et donc aux chances qu’elle soit respectée par les premiers concernés, c’est-à-dire les migrants eux-mêmes.</p>
<h2>Le principe des intérêts affectés</h2>
<p>Cela pose la question de la validité démocratique de décisions prises par un État, mais qui s’appliquent aux citoyens d’un autre État. Selon un <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/le-dilemme-des-frontieres/">principe de théorie politique dit « principe des intérêts affectés »</a> (ou <em>all-affected principle</em>), une décision n’est réellement démocratique que si toutes les personnes qui sont affectées par cette décision sont consultées.</p>
<p>En d’autres termes, tout le monde s’accorde sur les vertus de la démocratie, mais encore faut-il s’entendre sur le périmètre du <em>demos</em>, c’est-à-dire sur les personnes reconnues comme des citoyens et autorisées à prendre part aux décisions.</p>
<p>Ce n’est pas qu’une question théorique : certains serpents de mer du débat politique, comme <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/le-debat-sur-le-droit-de-vote-a-16-ans-relance-1300385">l’abaissement de la majorité à 16 ans</a> ou le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_vote_des_%C3%A9trangers_en_France">droit de vote des étrangers aux élections locales</a> (promis par le Parti socialiste depuis 1981), concernent précisément cette redéfinition du <em>demos</em>.</p>
<p>De façon plus générale, le personnel politique est aussi friand de mécanismes de démocratie dite <a href="https://www.decitre.fr/livres/pour-en-finir-avec-la-democratie-participative-9782845979864.html">« participative »</a>, dont l’objectif affiché est d’inclure le plus grand nombre dans la prise de décisions (conventions citoyennes, budgets participatifs, consultations en ligne, grands débats, etc.).</p>
<p>Ce souci d’inclusion ne s’applique manifestement pas aux politiques migratoires. Mais si on prend au sérieux le principe des intérêts affectés, alors il faut s’interroger sur le paradoxe qui les caractérise, et qui voit le peuple français prendre seul des décisions qui ne concernent pourtant que les non-Français et qui affectent la vie de millions de personnes dispersées aux quatre coins de la planète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratie-participative-une-enquete-inedite-livre-les-enseignements-du-grand-debat-national-212292">Démocratie participative : une enquête inédite livre les enseignements du grand débat national</a>
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<h2>Le déficit de crédibilité des politiques migratoires</h2>
<p>Et même si on conserve le principe de souveraineté sur les flux migratoires, il faut s’interroger sur le déficit de crédibilité des politiques migratoires, et sur l’impact de ce déficit sur des migrants peu enclins à respecter des lois qu’ils jugent édictées par l’Occident, et dans son seul intérêt.</p>
<p>Dans une version maximaliste du principe des intérêts affectés, il conviendrait donc d’organiser une consultation mondiale à propos du projet de loi sur l’immigration.</p>
<p>Cette consultation serait ouverte à toutes les personnes concernées – c’est-à-dire à tous les individus qui ont migré vers la France ou qui envisagent d’y migrer à l’avenir : toutes ces personnes sont, ou seront, affectées par les politiques migratoires françaises, et devraient donc faire partie du <em>demos</em>.</p>
<p>Une telle démarche paraît quelque peu irréaliste : le nombre de participants est potentiellement très important et on voit mal quelle instance pourrait se charger de cette consultation, et avec quelles modalités.</p>
<h2>Consulter les gouvernements des pays de départ ?</h2>
<p>On peut donc se rabattre sur une seconde option, qui consiste à ne pas consulter les populations, mais leur gouvernement. C’est nettement plus faisable, et c’est ce que font les États lorsqu’ils élaborent des principes communs de politique migratoire. En 2018, ils ont par exemple adopté, sous l’égide des Nations unies, un <a href="https://refugeesmigrants.un.org/sites/default/files/180711_final_draft_0.pdf">Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières</a> (dit aussi ‘Pacte de Marrakech’), qui définit les contours de ce que pourrait être une politique migratoire mondiale respectueuse des intérêts et des priorités de chacun (le développement du Sud, les droits fondamentaux des migrants, l’accès à la main d’œuvre étrangère au Nord, la sécurité de tous, etc.).</p>
<p>Cette démarche n’est pas sans intérêt, mais elle souffre de plusieurs faiblesses. Ces accords ne sont pas contraignants et leur formulation est suffisamment vague pour faire l’objet d’<a href="https://theconversation.com/le-pacte-mondial-pour-les-migrations-des-polemiques-et-des-avancees-108350">interprétations divergentes</a>. Rien ne dit par ailleurs que les États agissent dans l’intérêt de leur propre population : les discussions ont lieu dans des enceintes intergouvernementales assez déconnectées des populations et des mécanismes démocratiques en vigueur dans chaque pays.</p>
<p>Surtout, la sincérité du débat n’est pas garantie, tant les rapports de force entre États sont en défaveur de certains d’entre eux : pour reprendre l’exemple franco-malien, la France a réagi au refus du Mali en coupant certains programmes de développement, et il n’est donc pas simple pour les pays pauvres de dialoguer sur un pied d’égalité avec les pays riches.</p>
<h2>Les principes d’un « espace public » ?</h2>
<p>Si le débat international est difficile, une troisième option consisterait peut-être à appliquer à la prise de décision nationale les principes d’un « espace public ». Ce concept, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sph%C3%A8re_publique">généralement associé à Jürgen Habermas</a>, postule que les décisions démocratiques doivent s’insérer dans un <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782073012289-espace-public-et-democratie-deliberative-un-tournant-jurgen-habermas/">débat public fondé sur la critique et la raison</a>, au sein duquel chacun peut défendre sa position et écouter celles des autres.</p>
<p>C’est en ce sens que des appels à une <a href="https://www.nouvelobs.com/debat/20231115.OBS80873/faut-il-organiser-une-convention-citoyenne-sur-l-immigration.html">« convention citoyenne sur la migration »</a> ont été lancés, afin de permettre des débats sereins et dépassionnés, sur le temps long, d’une manière qui ne serait pas instrumentalisée par les partis politiques, mais associerait l’ensemble des acteurs concernés (employeurs, société civile, experts, etc.).</p>
<p>Plus fondamentalement, cette exigence de débat et de raison oblige l’État à convaincre le plus largement possible de la pertinence de ses orientations politiques. Son droit de décider souverainement ne le dispense pas de justifier ses choix – et ce d’autant plus qu’en l’absence de conviction, la coercition est la seule manière de faire appliquer ses décisions.</p>
<p>Le contexte actuel, où le gouvernement n’est même pas capable de convaincre une poignée de parlementaires, pourrait donc être mis à profit pour répondre différemment, et mieux, à la question de qui doit adopter une loi sur l’immigration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le laborieux processus d’adoption de la loi immigration interroge la façon même dont la société s’empare de ce sujet.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199202023-12-17T15:42:19Z2023-12-17T15:42:19ZCe que la loi immigration dit de l’impasse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron<p>Quoiqu’il advienne du projet de loi sur l’immigration à l’issue de la CMP qui se réunira ce lundi, restera l’image de cet étrange rigodon dansé par les oppositions réunies à l’Assemblée nationale, ce 11 décembre 2023. Pour la seconde fois de son deuxième mandat, Emmanuel Macron échoue à constituer cette majorité de projets qu’il appelait de ses vœux <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/24/reforme-des-retraites-ecole-sante-les-chantiers-prioritaires-d-emmanuel-macron-s-il-est-reelu_6123441_6059010.html">au soir des élections législatives de 2022</a>. Ce disant, il se limitait alors à traduire en termes opérationnels le vote des Français qui, en ne lui accordant qu’une majorité relative, mandataient sans ambiguïté les différents partis pour travailler ensemble à des compromis dans l’intérêt général.</p>
<p>D’où ce résultat en forme de scrutin proportionnel, bien qu’acquis au scrutin majoritaire. Visiblement, seul le camp présidentiel semble avoir entendu le message : les oppositions rejetant systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique. Ce déni de compromis, à rebours du message électoral, fait que le Parlement marche désormais à l’amble rompu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<h2>Incommunication politique</h2>
<p>Les choses qui se répètent ne plaisent donc pas toujours. La réforme des retraites, portée par Elisabeth Borne s’était échouée contre le <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">récif des boucliers du refus</a>, bien qu’allégée par rapport à la précédente tentative. <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">L’article 49.3</a> était alors venu pallier l’incapacité d’obtenir une majorité plurielle. Scénario réitéré, mais en plus grave pour le projet de loi immigration, à la suite d’une manière <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">d’opéra-bouffe</a> qui se termine dans un véritable guet-apens par un grave échec du gouvernement.</p>
<p>Pourtant, si une question se prêtait pleinement à un « en même temps », c’était bien celle de l’immigration sur laquelle droite et gauche s’usent les dents depuis plus de trente ans sans parvenir à une solution durable à laquelle pourtant aspirent <a href="https://elabe.fr/loi-immigration-motion-rejet/">près de 70 % des Français</a> : la gauche par irréalisme, la droite par obsession sécuritaire. La tentative du gouvernement d’équilibrer humanité et sécurité a fait long feu pour l’heure, étouffée dans une véritable partie de poker menteur.</p>
<p>Voici la droite sénatoriale qui adopte un texte fortement durci, le rendant inacceptable par la gauche, mais aussi par une partie de la majorité présidentielle. Voilà la commission des lois de l’Assemblée nationale qui rééquilibre l’ensemble à une très confortable majorité. Voici le Rassemblement national qui laisse croire à sa volonté de débattre du texte. Voilà LR qui se lance, un peu pour la forme, dans une motion de rejet… quitte à ne pas défendre le texte sénatorial.</p>
<p>Enfin la majorité présidentielle semble sous-estimer le danger et laisse s’absenter certains de ses membres. Et pour la première fois depuis 25 ans (c’était en octobre <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/22/en-1998-le-fiasco-du-vote-sur-le-pacs-humilie-la-gauche_1779095_823448.html">1998 à propos du PACS</a>), à la surprise générale après une semaine de dupes, la motion de rejet est adoptée, le RN ayant abattu ses cartes au dernier moment pour profiter de l’occasion de tailler une croupière au président tout en s’abritant sous le parapluie des autres opposants. Pour être hasardeux, le coup n’en est pas moins rude : en fermant la porte préalablement à toute discussion, on franchit un cran dans le refus de communication entre les minorités coalisées et la majorité présidentielle. Pas de débat, mais l’exigence d’un parti, LR, que sa seule position soit reconnue par les autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<h2>Des perdants, un gagnant</h2>
<p>Le vote de lundi ferme donc sans doute définitivement la porte à une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/le-compromis-politique-est-absent-de-la-culture-francaise-22-06-2022-2480637_2.php">culture du compromis</a> avec un Parlement où les vieux appareils politiques sont d’abord préoccupés par la manière de revenir sur le devant de la scène en réduisant le moment Macron à une parenthèse sans lendemain.</p>
<p>Qui perd à ce jeu partisan ? <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/direct-loi-immigration-jusqu-ou-ira-gerald-darmanin_6244458.html">Gérald Darmanin</a>, bien sûr, qui, après avoir goulûment endossé le rôle de Don Quichotte, s’est vu sèchement remis en place par ses anciens amis qu’il s’était pourtant fait fort de convaincre.</p>
<p>Le gouvernement également, qui, une nouvelle fois voit son action réformatrice entravée. Surtout, Emmanuel Macron, dont l’autorité politique ressort affaiblie par <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">cette paralysie réformatrice</a> alors qu’il lui reste trois ans et demi de mandat à accomplir.</p>
<p>Qui gagne, en revanche ? LR et la Nupes, semble-t-il, puisqu’ils ont obtenu le rejet du texte. Victoire à la Pyrrhus cependant : une fois de plus, ces deux forces ont fait la démonstration qu’elles ne constituaient pas une majorité alternative, et qu’elles ne parvenaient à s’imposer qu’avec le puissant renfort du RN.</p>
<p>Et pour LR, le constat d’un comportement étrangement pusillanime qui les amène à renoncer à un texte incorporant pourtant nombre de leurs revendications depuis 15 ans. Seul gagnant sans ombre au tableau : le RN, dont la position sur l’immigration est suffisamment connue pour ne pas être rappelée, et qui, placé en embuscade derrière LR et la Nupes, peut avoir le triomphe modeste. Et plus que jamais constituer selon l’heureuse expression de Luc Rouban, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">« trou noir » de notre galaxie politique</a>.</p>
<h2>Vraie ou fausse sortie</h2>
<p>Qu’Emmanuel Macron pense avoir tout intérêt à limiter les choses à un accident de parcours en même temps qu’il affirme vouloir poursuivre la procédure législative, on peut le comprendre. Il a donc écarté tout recours à la dissolution et toute utilisation de 49.3, tout en invitant le gouvernement à mettre en œuvre la commission mixte paritaire : composée de 7 sénateurs et de 7 députés, la CMP est majoritairement du côté des oppositions. On pousse les feux et la CMP se réunira dès lundi prochain. La Première ministre, qui pris la main sur les discussions, a d’ores et déjà réuni les responsables de LR et laissé entendre que la piste d’accord pourrait se dessiner.</p>
<p>Et ensuite ? Soit on parvient à un texte de compromis, qui risquerait dans ce contexte de droitiser encore le projet initial, quitte à heurter une partie de la majorité présidentielle. Ce texte serait ensuite soumis au vote des deux chambres. Soit la CMP ne parvient pas à concilier les points de vue, et les choses en restent là. A charge pour la majorité présidentielle de dénoncer devant l’opinion le blocage entretenu par une opposition autiste.</p>
<p>Quoiqu’il en soit, il s’agira plus d’une sortie de secours que d’une sortie de crise. Si elle répond éventuellement à court terme à la question d’un projet de loi particulier, elle ne saurait suffire à corriger l’onde de choc produite par le 11 décembre.</p>
<p>Au-delà des personnes et des acteurs politiques, ce sont les institutions mêmes qui sortent affaiblies de cette tempête sous le crâne parlementaire.</p>
<p>Ce n’est plus seulement la légitimité présidentielle qui se voit mise en question : n’est-ce pas l’image même du fonctionnement et du rôle du Parlement qui est affectée ? N’est-ce pas l’essence du régime parlementaire reposant sur la collaboration des pouvoirs qui se voit compromise ?</p>
<p>Notre système politique a besoin d’un choc pour sortir de la torpeur entretenue où il baigne. En ce sens, Emmanuel Macron n’aurait-il pas eu tort d’écarter la possibilité d’une dissolution ? De toute manière, il devra y recourir tôt ou tard, la démonstration étant faite qu’il se verra empêché d’avancer sur le terrain des réformes dans les 42 mois qui lui restent à accomplir. Le blocage qu’on lui impose ne serait-il pas le moment opportun, puisqu’il permet d’éclairer le refus systématique des partis de jouer le jeu d’une concertation constructive dans l’intérêt général ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les oppositions rejettent systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique, un déni de compromis à rebours du message électoral.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2176002023-11-29T17:20:56Z2023-11-29T17:20:56ZFrance-Inde : un partenariat de plus en plus stratégique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561575/original/file-20231124-24-ag3fle.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron, accompagné notamment du ministre de l'Économie Bruno Le Maire, échange avec Narendra Modi lors du G20 de New Delhi, le 10 septembre 2023.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1700804801464762673">Compte Twitter officiel d'Emmanuel Macron</a></span></figcaption></figure><p>« L’Inde aura un rôle déterminant pour notre avenir ; c’est aussi un partenaire stratégique et un pays ami », <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/14-juillet-macron-a-decerne-la-grand-croix-de-la-legion-d-honneur-au-premier-ministre-indien-modi_AD-202307140259.html">déclarait</a> Emmanuel Macron quelques minutes après avoir décerné la grande croix de la Légion d’honneur au premier ministre Narendra Modi le 14 juillet 2023, invité à assister au traditionnel défilé sur les Champs-Élysées.</p>
<p>Il est vrai que depuis la signature d’un <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/inde/le-partenariat-strategique-franco-indien-en-4-questions/">partenariat stratégique en 1998</a>, la relation bilatérale franco-indienne a connu un essor sans précédent dans plusieurs domaines : culturel, économique, diplomatique, mais surtout stratégique. L’énergie nucléaire, l’aérospatiale, la recherche et développement, l’exportation d’armements et les exercices militaires conjoints sont autant de secteurs clés qui favorisent le développement de cette relation.</p>
<p>Depuis 2018, ce partenariat stratégique intègre une forte dimension Indo-Pacifique. Par la voix de leurs chefs d’État respectifs, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/05/03/discours-a-garden-island-base-navale-de-sydney">Emmanuel Macron</a> et <a href="https://www.mea.gov.in/Speeches-Statements.htm">Narendra Modi</a>, les deux pays ont, chacun, formalisé sa propre stratégie Indo-Pacifique en 2018, à quelques mois d’intervalle.</p>
<h2>Une longue histoire commune</h2>
<p>La France et l’Inde entretiennent une relation bilatérale ancienne, remontant au XVII<sup>e</sup> siècle. À l’époque, Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, poursuivit l’ambition de bâtir un <a href="https://www.lesindessavantes.com/ouvrage/la-france-et-linde-des-origines-a-nos-jours/">empire colonial en Asie du Sud</a>. Cinq « comptoirs indiens » restèrent d’ailleurs sous souveraineté française jusqu’en 1954 : Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor.</p>
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<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, les deux pays ont maintenu de bonnes relations symbolisées par le respect exprimé entre leurs chefs d’État respectifs : <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/09/25/m-nehru-a-invite-le-general-de-gaulle-a-se-rendre-en-inde_2371950_1819218.html">Jawaharlal Nehru et Charles de Gaulle</a>, Jacques Chirac et Indira Gandhi (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=JeTWGUJ0FZY">parfaitement francophone</a>), et désormais Emmanuel Macron et Narendra Modi (ce qui vaut d’ailleurs au président français des <a href="https://www.nouvelobs.com/opinions/20230710.OBS75561/emmanuel-macron-doit-sortir-de-son-silence-sur-les-abus-generalises-en-inde.html">critiques régulières de la part des ONG de défense des droits humains</a>, du fait de la politique conduite dans ce domaine par le premier ministre indien).</p>
<p>Par ailleurs, la France a été l’un des seuls pays à <a href="https://www.eoiparis.gov.in/page/india-france-economic-and-commercial-relations-brief">ne pas condamner</a> les essais nucléaires indiens en 1998 et soutient l’Inde dans son objectif de <a href="https://in.ambafrance.org/Relations-politiques-et-partenariat-strategique">devenir membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1631232889940504576"}"></div></p>
<p>Identifiables comme de <a href="https://www.canalacademies.com/emissions/partager-le-savoir-le-francais-en-partage/les-alliances-francaises/valery-giscard-destaing-au-31%3Csup%3Ee%3C/sup%3E-colloque-de-lalliance-francaise">« grandes puissances moyennes »</a> selon une formule employée en 2009 par Valéry Giscard d’Estaing et qui semble toujours d’actualité aujourd’hui – l’Inde n’est toujours pas membre du Conseil de sécurité de l’ONU, les capacités opérationnelles de son armée sont limitées et la croissance de son économie compense à peine une démographie annuelle conséquente –, les diplomaties française et indienne ont régulièrement adopté des politiques étrangères convergentes, notamment lors de la guerre en Irak en 2003, marquées par une volonté d’autonomie stratégique dans la pratique de leurs politiques étrangères respectives et un rejet des politiques de blocs.</p>
<p>Si la France est aujourd’hui bien ancrée dans le camp occidental en tant que membre de l’OTAN, et l’Inde un acteur majeur du « sud global » à travers sa participation aux BRICS, les deux pays revendiquent toujours une politique étrangère indépendante.</p>
<p>Cette vision commune des relations internationales a permis à l’Inde et la France de développer un <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/focus-partenariat-strategique-entre-linde-france">partenariat de défense approfondi</a>.</p>
<h2>Partenariat de défense</h2>
<p>Au lendemain de son indépendance en 1947, l’Inde ne veut pas dépendre exclusivement de l’ancien colonisateur britannique. Elle se tourne alors vers la France pour acheter du matériel militaire. En 1953, <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/pourquoi-l-inde-veut-s-offrir-le-rafale-599687.html">120 avions de chasse</a> de type Ouragan sont achetés au constructeur aéronautique français Dassault. L’embargo déclaré en 1965 sur les ventes d’armes à l’Inde pour donner suite aux guerres indo-pakistanaises est levé côté français dès 1966. Depuis, les ventes d’armements français en Inde sont en pleine expansion.</p>
<p><a href="https://www.sipri.org/databases/armstransfers">Sur la période 2002-2023</a>, la France est le deuxième fournisseur d’armement indien après la Russie, tandis que l’Inde est le principal client français. Plusieurs contrats sont emblématiques : six sous-marins de classe <a href="https://www.naval-group.com/fr/mise-en-service-de-lins-vagir-le-cinquieme-sous-marin-scorpener-de-classe-kalvari-entierement">Scorpène « indianisés »</a> réalisés par les chantiers de Bombay sont désormais en service et 36 avions de chasse Rafale ont été livrés entre 2020 et 2022.</p>
<p>En 2023, à l’issue du 14 juillet, l’Inde <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-inde-officialise-l-achat-de-26-rafale-marine-et-de-trois-sous-marins-a-la-france-969706.html">a annoncé l’acquisition</a> de trois sous-marins et de 26 avions Rafale supplémentaires.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kjdyvsPI-UM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Exporter de l’armement n’est pas un acte neutre, dénué de tout intérêt politique, car cela <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/fiche_produit/pdf/3303331600732_EX.pdf">entraîne une diffusion</a> de standards d’entraînement, de culture opérationnelle, d’accoutumance technologique et de mise en application doctrinale. La vente d’armes verrouille une relation de défense à laquelle se superposent des intérêts géopolitiques et économiques.</p>
<p>À ces coopérations civilo-militaires s’ajoute la <a href="https://www.defense.gouv.fr/marine/actualites/mission-jeanne-darc-23-exercice-conjoint-franco-indien-frinjex-2023">multiplication d’exercices militaires bilatéraux</a> et multilatéraux ainsi que la participation active à des forums régionaux (<a href="https://www.ions.global">Indian Ocean Naval Symposium</a>, <a href="https://www.iora.int/en">Indian Ocean Rim Association</a>).</p>
<h2>Le tournant Indo-Pacifique</h2>
<p>En 2021, l’<a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/04/Asia-Focus-178-Paco-Milhiet.pdf">AUKUS</a>, un accord triparti entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni a entraîné l’annulation d’un contrat de sous-marin franco-australien. Depuis, la stratégie indo-pacifique française favorise le développement de ses relations avec les pays de l’océan Indien. Ce nouveau schème stratégique libère une marge de manœuvre pour la diplomatie française afin de renforcer ses liens avec d’autres pays de la zone, prioritairement l’Inde, désormais pierre angulaire de sa politique extérieure en Indo-Pacifique.</p>
<p>Preuve s’il en est, le 14 juillet 2023, le premier ministre indien, Narendra Modi, était <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-vendredi-14-juillet-2023-8320448">l’invité d’honneur</a> du défilé militaire sur les champs Elysées. Des <a href="https://www.bfmtv.com/societe/240-soldats-indiens-defilent-sur-les-champs-elysees_VN-202307140278.html">troupes indiennes ont défilé</a> tandis que des Rafale indiens <a href="https://www.bfmtv.com/societe/14-juillet-trois-avions-rafale-indiens-survolent-le-ciel-de-paris_VN-202307140271.html">survolaient</a> l’avenue parisienne.</p>
<p>Quelques instants plus tard, les diplomaties indiennes et françaises publiaient un <a href="https://www.mea.gov.in/bilateral-documents.htm">communiqué conjoint</a> pour célébrer les 25 ans du partenariat stratégique. Intitulé « Horizon 2047 : 25<sup>e</sup> anniversaire du partenariat stratégique entre l’Inde et la France, vers le centenaire des relations franco-indiennes », une <a href="https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/15/e8eae5f6be3ec256f7c8b5a89c072610ceb54381.pdf">« feuille de route »</a> énumérait 12 points comme autant de piliers d’une collaboration dans l’ensemble régional Indo-Pacifique : fonds marins, espace, coopération maritime, alliance solaire, campus franco-indien, Pacifique océanien.</p>
<h2>L’île de La Réunion, laboratoire des relations franco-indiennes</h2>
<p>Un territoire français de l’océan Indien, l’île de La Réunion, illustre cette nouvelle composante indo-pacifique de la relation franco-indienne.</p>
<p>La France, puissance riveraine de l’Indo-Pacifique à travers l’exercice de sa souveraineté dans ses collectivités d’outre-mer, entend utiliser l’île de La Réunion comme un relais de la bonne entente franco-indienne. Une grande partie de la population réunionnaise est d’origine indienne et un consulat indien sur l’île de La Réunion est ouvert depuis 1983. Depuis 2018, les deux pays ont signé un accord de <a href="https://www.geostrategia.fr/accord-militaire-inde-france-dans-locean-indien-vers-un-partenariat-strategique-renforce/">coopération logistique</a> donnant un accès à la base de La Réunion aux forces navales indiennes.</p>
<p>Des patrouilles conjointes impliquant un avion <a href="https://www.opex360.com/2019/10/30/linde-va-deployer-un-avion-de-patrouille-maritime-a-la-reunion-pour-des-missions-de-surveillance/">P8I indien</a> sont régulièrement effectuées. Grâce à son champ d’action de 2 200 km, cet appareil peut couvrir et surveiller depuis La Réunion une partie de la côte orientale de l'Afrique, ce qui constitue une plus-value stratégique considérable pour les forces armées indiennes. L’île de La Réunion devient donc progressivement une plate-forme stratégique de la collaboration militaire franco-indienne dans la zone.</p>
<h2>Une collaboration dictée par les intérêts nationaux</h2>
<p>Les stratégies française et indienne servent avant tout les impératifs nationaux propres à chacun des deux pays. Pour la France, il convient d’apparaître comme une puissance régionale légitime et de diversifier ses partenaires étrangers. Pour l’Inde, les relations tumultueuses avec le puissant voisin chinois et le rival pakistanais restent le facteur géopolitique déterminant.</p>
<p>Chaque stratégie comporte donc des spécificités et peut parfois restreindre les perspectives de collaborations franco-indiennes, notamment dans leur rapport avec les deux grandes puissances américaine et chinoise, et surtout vis-à-vis de la Russie, qui, depuis son invasion de l’Ukraine, reste un partenaire majeur de l’Inde.</p>
<p>Mais ces divergences n’affecteront pas la relation bilatérale à court terme. La relation franco-indienne reste au beau fixe, particulièrement en Indo-Pacifique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217600/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Inde et la France cultivent depuis plusieurs décennies une relation privilégiée, notamment sur le plan militaire.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2146032023-10-03T16:36:28Z2023-10-03T16:36:28ZLes grands impensés du plan écologique d’Emmanuel Macron<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550962/original/file-20230928-17-h1b0t3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron devant un parterre de tournesols, aux côtés du Premier ministre du Luxembourg Xavier Bettel.</span> <span class="attribution"><span class="source"> EU2017EE Estonian Presidency/Raul Mee</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le 25 septembre dernier, à l’issue d’un conseil de <a href="https://theconversation.com/planification-ecologique-la-necessaire-concertation-democratique-pour-une-mise-en-oeuvre-juste-et-efficace-182699">planification écologique</a>, Emmanuel Macron twittait : « Nous avons un plan. Il est déjà à l’œuvre », accompagné d’une <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1706351887623086376">vidéo</a> cherchant à démontrer le sérieux et la constance de l’engagement du président en faveur de l’écologie depuis 2017.</p>
<p>Mais est-ce vraiment le cas ? Tout indique que non, la faute à une <a href="https://theconversation.com/quelle-place-pour-lecologie-populaire-dans-la-planification-ecologique-204830">vision technocratique des enjeux</a>, qui cherche à optimiser le modèle, sans le changer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1706351887623086376"}"></div></p>
<h2>Une montée en puissance depuis deux mandats</h2>
<p>Le programme de 2017 n’a pas brillé par son volet écologique. Le changement climatique est certes évoqué, de même que la sortie du charbon, la transition écologique et la rénovation des logements, mais <a href="https://www.elections-presidentielles.com/wp-content/uploads/2017/03/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">sans beaucoup plus de précisions sur la façon d’y parvenir</a>.</p>
<p>Le programme de 2022 <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/18/le-programme-d-emmanuel-macron-a-la-presidentielle-2022_6118070_6059010.html">est plus offensif</a>. Tout d’abord, un constat : les transports représentent 30 % de nos émissions, l’agriculture 19 %, comme l’industrie, le bâtiment 18 %, l’énergie 10 % et les déchets 3 %. À partir de là, un programme : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, au moyen d’un déploiement « massif » d’énergies renouvelables et de six voire quatorze nouveaux réacteurs EPR ; proposer une offre de voitures électriques françaises en leasing ; accentuer la rénovation énergétique et notamment le remplacement des chaudières.</p>
<p>Le premier conseil de planification écologique, le 28 janvier 2023, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/01/28/premier-conseil-de-planification-ecologique">s’est montré plus didactique</a>. Le président se félicite que les émissions ont baissé deux fois plus vite entre 2019 et 2022, par rapport aux tendances antérieures, suggérant par là que l’action du gouvernement est très positive. Mais attention : pour atteindre la neutralité carbone, le rythme doit encore doubler, soit être quatre fois plus rapide qu’avant 2019.</p>
<p>À cette occasion, le programme est affiné. En matière de transports, la mesure la plus efficace – et la plus rentable – serait l’électrification des véhicules particuliers ; et ensuite le financement des infrastructures ferroviaires, notamment de type RER. Dans le domaine agricole, la voie serait celle d’une réduction des intrants, aider les jeunes à s’installer avec de nouvelles méthodes, et planter un milliard d’arbres. Dans le domaine du bâtiment, l’effort concerne plus particulièrement les acteurs collectifs, publics et privés. Enfin, on apprend que les 50 sites les plus polluants sont en voie de décarbonation, et que l’industrie a déjà beaucoup réduit ses émissions depuis 1990, certes pour partie parce que la France s’est tertiarisée.</p>
<p>Avec deux leçons :</p>
<ul>
<li><p>les émissions du transport <a href="https://www.citepa.org/wp-content/uploads/publications/secten/2023/Citepa_Secten_ed2023_v1.pdf">ne baissent pas, elles augmentent</a></p></li>
<li><p>Le <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf">plan de sobriété</a>, dévoilé par le gouvernement en octobre 2022, a donné de bons résultats.</p></li>
</ul>
<h2>L’écologie du « il n’y a plus qu’à »</h2>
<p>À entendre l’exécutif, en janvier, les pistes seraient identifiées, et maintenant tout ne serait plus affaire que « d’exécution ». Constatant qu’« on n’y est pas encore », et que le chemin pour y arriver sera « très dur », le président se veut rassurant : si on innove, si on met de la bonne volonté, de la transparence et de l’accompagnement, nous y arriverons.</p>
<p>Le plan est formalisé le 23 juillet 2023 dans le plan <a href="https://www.gouvernement.fr/france-nation-verte">France nation verte</a>. Pas de grand changement, mais quelques évolutions :</p>
<ul>
<li><p>Sur le volet transport, la voiture électrique légère est mise en avant, ainsi que le vélo, le transport en commun et le covoiturage.</p></li>
<li><p>Dans le bâtiment, il s’agit d’une sortie du fioul par les pompes à chaleur.</p></li>
<li><p>Dans l’industrie, la voie est l’efficacité énergétique, l’énergie biomasse et la séquestration de carbone.</p></li>
<li><p>Le plan réitère les objectifs en matière de nucléaire, annonce un doublement des renouvelables d’ici 2030 (solaire et éolien), ainsi qu’un triplement de la chaleur livrée par réseau.</p></li>
<li><p>Et il ajoute des objectifs en matière de biodiversité et d’usage de l’eau.</p></li>
</ul>
<p>Le second conseil du 25 septembre conserve ces orientations. L’inflexion industrielle est renforcée. Les batteries, voitures et même matières premières (lithium) seront françaises. La France portera également en Europe la voie d’une sortie du charbon, d’une écologie créatrice de valeur économique, de souveraineté.</p>
<p>Le <a href="https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2024/le-projet-de-loi-de-finances-et-les-documents-annexes-pour-2024">projet de budget 2024 va dans le même sens</a>, tout en étant plus difficile à décrypter, en raison des jeux usuels entre catégories budgétaires, telle ou telle activité pouvant être brutalement considérée comme « verte », suivant le sens qu’on veut lui donner. L’effort sur la rénovation sera accru, et enfin le nucléaire bénéficiera 1,5 milliard supplémentaire de soutiens.</p>
<h2>La planification écologique à l’épreuve des promesses</h2>
<p>Comment jauger de l’ambition ? Le point de départ très optimiste d’Emmanuel Macron est déjà à relativiser. La baisse « deux fois plus rapide » vantée par le président entre 2019 et 2022 n’était en réalité qu’un retour à la trajectoire initialement affichée par le gouvernement Hollande, dont Emmanuel Macron était ministre, comme le rappelle la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/SNBC-2%20synthe%CC%80se%20VF.pdf">Stratégie nationale bas carbone</a>. Elle a aussi été bien aidée, avons-nous dit, par la pandémie de Covid, ainsi que par des hivers particulièrement doux et la guerre en Ukraine, comme le relève le <a href="https://reseauactionclimat.org/ou-en-est-la-france-dans-ses-objectifs-climatiques-et-energetiques-edition-2023/">Réseau Action Climat</a>.</p>
<p>Ce plan garantit-il de vraiment mettre les bouchées doubles sur les réductions d’émissions, comme il le faudrait pour atteindre la neutralité carbone ? Il est permis d’en douter. En effet, dans le fond, il mise surtout sur la décarbonation des énergies et l’efficacité énergétique dans les bâtiments, ainsi que la réorientation des usages de la biomasse des particuliers vers l’industrie.</p>
<p>Sur le premier volet, la « sortie du charbon » tant mise en avant par le président fait sourire. Il y a belle lurette que la France importe du pétrole et du gaz, <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/questions-et-reponses-energies/energie-primaire-et-energie-finale-en-france-quelle-difference">qui représentent 65 % de l’énergie finale consommée</a>. Le charbon, c’est 3 %. La sortie est donc déjà faite. Mais les fossiles représentent toujours la part du lion.</p>
<h2>L’avantage des renouvelables sur le nucléaire</h2>
<p>Il faut donc décarboner au plus vite. Or le déploiement des nouvelles centrales nucléaires prendra du temps, s’il a lieu (voir par exemple les <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/afp/rappels-sur-lepr-fleuron-du-nucleaire-francais-aux-deboires-multiples-211216">déboires des EPR</a> : il ne sera pas au rendez-vous avant plusieurs années, alors que la cible à atteindre est dans sept ans.</p>
<p>Le choix du nucléaire, outre les risques induits (risque d’accident, question des déchets…), est aussi celui de la lenteur. Le déploiement des <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-les-retards-de-la-france-en-matiere-denergies-renouvelables-202815">renouvelables</a> est potentiellement plus rapide, car les acteurs mobilisables sont beaucoup plus nombreux, puisque ce sont tous ceux qui disposent d’un peu de surface : églises, parkings, agriculteurs, supermarchés, toits… Se baser sur les renouvelables favoriserait en outre une forme de « pédagogie de la sobriété » de par son <a href="https://basta.media/90-kg-de-pain-sans-subir-la-hausse-des-couts-de-l-energie-pourquoi-le-modele-du-four-solaire-se-diffuse-inflation">appropriation par les usagers</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Mais le plan ne va pas dans ce sens. Le Réseau Action Climat relève le <a href="https://reseauactionclimat.org/ou-en-est-la-france-dans-ses-objectifs-climatiques-et-energetiques-edition-2023/">retard de la France en la matière</a>. Et de fait, la production de renouvelables n’a augmenté <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energies-renouvelables-2021/1-les-energies-renouvelables-en-france">que d’un tiers depuis 1990</a>.</p>
<p>Dans le bâtiment aussi, les leviers à activer restent flous. La rénovation énergétique reste très en deçà de ce qui serait nécessaire : <a href="https://lenergeek.com/2023/07/18/transition-energetique-en-france-7-milliards-de-budget-supplementaire-en-2024/">entre 50 et 100 000 par an au lieu de 350 à 400 000</a>. Il est dit qu’il faut mobiliser les acteurs privés et publics, mais rien n’est clairement dit à leur sujet, sinon qu’ils sont plutôt à la traîne. Il reste donc les promesses de pompe à chaleur.</p>
<p>Les mesures prises dans le transport sont quant à elles totalement dépendantes de la mise en œuvre de la sobriété. Plus de transport conduit à <a href="https://www.citego.org/bdf_fiche-document-1122_fr.html">plus d’étalement urbain, toutes choses égales par ailleurs</a> ; de même que le télétravail tant vanté : les télétravailleurs réguliers habitent <a href="https://librairie.ademe.fr/cadic/315/teletravail-modes-de-vie-2020-rapport-partie_1.pdf">plus loin de leur travail que les autres</a>. La seule manière de garantir l’atteinte des objectifs serait qu’ils soient entièrement appropriés par la population. Or, ce n’est pas le cas : les Français sont <a href="https://aoc.media/opinion/2023/09/27/planification-ecologique-le-cadrage-restrictif-tragique-du-president-macron/">confortés dans le culte de « la bagnole »</a>, que le plan se contente d’électrifier.</p>
<h2>Un plan qui élude 50 % des émissions</h2>
<p>Enfin, le plan d’Emmanuel Macron se réfère exclusivement aux émissions nationales de gaz à effet de serre, tout comme la <a href="https://theconversation.com/la-planification-ecologique-existe-deja-en-france-mais-doit-devenir-operationnelle-183670">Stratégie nationale bas carbone</a>. Or le mode de vie français a des implications plus vastes. En achetant des ordinateurs en Chine, par exemple, la France provoque des émissions hors de son territoire.</p>
<p>Or, si les émissions nationales étaient de 403 MtCO2e en 2022, l’empreinte carbone, ou émissions « nettes », qui tient compte des importations et exportations, s’élevait à environ 623 MtCO2e, soit 50 % de plus. Et comme la part extraterritoriale a nettement augmenté, l’empreinte carbone en a fait autant, puisqu’elle n’était encore « que » de 575 MtCO2e en 2021…</p>
<p>Ne pas se soucier de l’empreinte carbone, plus largement, c’est ne pas réellement se soucier d’un changement dans les modes de vie. Le plan du gouvernement vise seulement à les décarboner et en améliorer l’efficacité globale, pas réellement à en restreindre l’expansion – et le cas du numérique est à cet égard exemplaire. Tel est le paradigme de la « croissance verte », monde dans lequel <a href="https://www.nouvelobs.com/economie/20150107.OBS9413/macron-il-faut-des-jeunes-francais-qui-aient-envie-de-devenir-milliardaires.html">chacun peut et doit chercher à devenir milliardaire</a>, tout en protégeant la planète.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214603/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Flipo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le plan écologique présenté par le président français souffre de plusieurs impensés, comme la mobilisation de la société (sobriété) et la part des émissions liées à nos activités à l’étranger.Fabrice Flipo, Professeur en philosophie sociale et politique, épistémologie et histoire des sciences et techniques, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2146552023-10-03T16:36:01Z2023-10-03T16:36:01ZLa Vᵉ République a 65 ans : retour sur quelques réformes constitutionnelles phares<p>L’adresse du Président Emmanuel Macron aux Sages pour célébrer le 65<sup>e</sup> anniversaire de la Constitution de la V<sup>e</sup> République pourrait être, selon plusieurs observateurs, l’occasion de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/macron-va-s-exprimer-au-conseil-constitutionnel-pour-le-65e-anniversaire-de-la-ve-republique_AN-202309260450.html">proposer une nouvelle réforme constitutionnelle</a>. Cette proposition n’aurait rien de surprenant, le chef de l’État ayant déjà annoncé <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/revision-constitutionnelle-pourquoi-emmanuel-macron-veut-il-avoir-recours-a-une">son intention de la réformer</a> l’an dernier. </p>
<p>L’histoire de la V<sup>e</sup> République rend également l’exercice tout à fait envisageable. En effet, depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution actuelle <a href="https://www.lgdj-editions.fr/livres/histoire-constitutionnelle-de-la-france-de-1789-a-nos-jours/9782275102184">a déjà été réformée 24 fois</a>, le plus souvent sous la présidence Chirac (14). Certaines réformes ont néanmoins marqué durablement la société française.</p>
<h2>L’élection du président de la République au suffrage universel direct</h2>
<p><a href="https://www.elysee.fr/la-presidence/proclamation-des-resultats-du-scrutin-du-21-decembre-195">Élu le 21 décembre 1958</a> par un collège de grands électeurs, Charles de Gaulle avait pour objectif d’inscrire l’élection présidentielle au suffrage universel direct dans la constitution française bien avant de revenir au pouvoir. Il avait annoncé ce projet lors de son <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000010/le-discours-de-bayeux.html">discours de Bayeux</a> (16 juin 1946), considérant que cela permettrait à la fois d’établir un lien plus direct entre le chef de l’État et les citoyens et d’accorder une plus grande légitimité au président élu.</p>
<p>Les circonstances tumultueuses de son retour au pouvoir en <a href="https://theconversation.com/mai-1958-une-histoire-encore-inachevee-89684">mai 1958</a> ainsi que la <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-24.htm">mémoire vivace du coup d’État de 1851</a> par Louis-Napoléon Bonaparte contraignent le général de Gaulle et son entourage à faire des concessions. Après avoir proposé initialement l’inscription de l’élection du président au suffrage universel direct dans la nouvelle constitution par l’entremise de Michel Debré, le <a href="https://books.openedition.org/pan/312?lang=fr">comité consultatif constitutionnel</a> décide de former un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/download/securePrint">collège de grands électeurs</a>. L’objectif est d’élargir la base électorale sans prêter le flanc aux accusations de tentation dictatoriale gaulliste que l’élection au suffrage universel direct permettrait.</p>
<p>Souhaitant revenir sur ce point, le général de Gaulle profite de l’émotion suscitée par <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85009640/l-attentat-du-petit-clamart">l’attentat du Petit-Clamart</a> pour annoncer une réforme constitutionnelle permettant l’élection du président de la République au suffrage universel direct via un <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00080/l-election-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel.html">référendum</a>. Malgré une vive campagne des opposants de tous bords politiques qui appellent à voter contre cette réforme qui permettrait à un « dictateur » d’agir librement (le bien nommé <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-45.htm">« cartel des non »</a>), le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1963_num_13_2_392714">« oui » l’emporte aisément</a> (62 %) le 28 octobre 1962. Si l’idée initiale était de faire du chef de l’État un « arbitre » entre le gouvernement et le Parlement, l’élection au suffrage universel direct, couplée à la posture gaullienne, acte le déplacement de l’essentiel du pouvoir exécutif de Matignon à l’Élysée.</p>
<h2>Le passage au quinquennat</h2>
<p>Si le septennat était voulu par Charles de Gaulle pour permettre au chef de l’État d’élaborer une politique sur le long terme, Georges Pompidou n’était pas toujours de cet avis. Devenu président, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">il souhaite réduire la durée du mandat présidentiel à cinq années</a>. Il propose de réaliser cette <a href="http://www.georges-pompidou.fr/sites/default/files/1973_04_03_message-Parlement.pdf">réforme en 1973</a>. L’Assemblée nationale et le Sénat adoptent un texte mais le <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/rfsp_0035-2950_1984_num_34_4_394163.pdf">projet avorte</a> subitement faute d’une majorité suffisante – une réforme constitutionnelle par le biais du Congrès ne peut être adoptée qu’avec l’approbation des 3/5<sup>e</sup> des parlementaires. </p>
<p>L’opposition restait vivace, <a href="http://www.pub-editions.fr/index.php/le-programme-commun-de-la-gauche-1972-1977-c-etait-le-temps-des-programmes-5228.html">aussi bien à gauche</a> – où l’on refuse par principe de soutenir une réforme pompidolienne alors même que le quinquennat présidentiel est inscrit dans le programme commun de la gauche – que par une partie des (néo) gaullistes <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/10/13/contre-le-quinquennat_2554504_1819218.html">au nom du respect de la constitution voulue par le général de Gaulle</a>. Par la suite, les <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">présidents Valéry Giscard d’Estaing (VGE) et François Mitterrand</a> se sont montrés favorables au passage du septennat au quinquennat… à condition que leurs mandats ne soient pas concernés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7uSgJaQ5kaU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Du septennat au quinquennat, débats sous la Ve, INA.</span></figcaption>
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<p>Il faut attendre 2000 pour que le sujet revienne sérieusement dans les discussions. Le 10 mai, dans une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/10/et-maintenant-le-quinquennat-par-valery-giscard-d-estaing_61077_1819218.html">tribune au Monde</a>, VGE appelle à une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Certains chiraquiens (<a href="https://www.lepoint.fr/politique/jacques-chirac-1932-2019-le-president-5-5--28-09-2019-2338244_20.php">tel François Baroin</a>) y voient une tentative de l’ancien président de saper le mandat de son rival, alors qu’il avait précisé dans sa tribune que ladite réforme ne s’appliquerait pas au mandat en cours mais à partir du suivant, en 2002. </p>
<p>Il faut se souvenir du contexte du moment. Depuis 1997, la France connaît sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-en-france--9782707154446-page-363.htm">troisième cohabitation</a>. Lionel Jospin dirige un gouvernement de coalition de partis de gauche avec un président de droite, Jacques Chirac. L’idée derrière la proposition de VGE est de renforcer le caractère présidentiel du régime et de <a href="https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2000_num_13_4_2596">réduire les risques de cohabitations</a> en synchronisant les élections présidentielles et législatives. <a href="https://www.lesechos.fr/2000/05/quinquennat-lionel-jospin-se-dit-determine-a-faire-aboutir-la-reforme-744063">Lionel Jospin s’y rallie immédiatement</a> au motif qu’il s’agirait d’une <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/142120-lionel-jospin-16052000-reforme-constitutionnelle-quinquennat">réforme plus démocratique</a> – les électeurs s’exprimeraient plus souvent sur le choix du chef de l’État.</p>
<p>Ce plan déplaît à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/23/quinquennat-en-2000-apres-cinquante-jours-de-bras-de-fer-giscard-d-estaing-et-jospin-font-plier-chirac_6053287_823448.html">l’origine au président Chirac</a>, qui finit toutefois par s’y rallier en imposant ses conditions : pas de limite du nombre de mandats réalisable, pas d’autres changements sur le statut présidentiel. Jacques Chirac exige également que le changement s’opère par référendum et non auprès du Parlement. Une décision qui se <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000418/le-referendum-du-24-septembre-2000-sur-le-quinquennat.html">solde le 24 septembre 2000</a> par une adoption du quinquennat présidentiel avec 73 % de « oui », mais moins d’un tiers des électeurs s’est exprimé dans les urnes !</p>
<h2>L’instauration définitive de l’« hyper-présidence » en 2008</h2>
<p>Quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy se lance dans la campagne présidentielle de 2007. Il <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/2007-sarkozy-promet-de-realiser-toutes-ses-reformes-sous-2-ans_387769">promet en cas de victoire</a> de transformer les institutions pour les moderniser, afin de mieux répondre aux aspirations populaires. Une fois élu, il confie la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/07/12/01002-20070712ARTFIG90207-nicolas_sarkozy_lance_sa_reforme_constitutionnelle.php">direction d’un comité de réflexion</a> à Édouard Balladur où des politiques et des juristes réfléchissent sur les changements à apporter à la constitution. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-5-page-19.htm">Ce comité remet son rapport en octobre 2007</a>, rapport qui irrigue la réflexion de la majorité parlementaire (l’Union pour un mouvement populaire, UMP). </p>
<p>Quelques propositions importantes sont rejetées par peur d’affaiblir la majorité parlementaire ou de perdre le soutien de certains élus – non-cumul des mandats, proportionnelle pour l’élection des députés, réforme du Sénat. Néanmoins, la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/12/07/01002-20071207ARTFIG00250-sarkozy-accelere-la-reforme-des-institutions.php">plupart des recommandations</a> restent suivies. Le projet est débattu au Parlement à l’été 2008. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">Ses partisans</a> défendent le fait que la réforme augmenterait le pouvoir du Parlement ; à l’inverse, les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">opposants</a> estiment que les concessions faites au pouvoir législatif sont maigres comparativement aux acquisitions du pouvoir exécutif.</p>
<p>Le <a href="https://www.elysee.fr/nicolas-sarkozy/2008/10/01/declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-la-loi-constitutionnelle-du-23-juillet-2008-de-modernisation-des-institutions-de-la-cinquieme-republique-a-paris-le-1er-octobre-2008">23 juillet 2008</a>, la réforme constitutionnelle est promulguée. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000019237256">Les changements sont conséquents</a> : </p>
<ul>
<li><p>le président de la République ne peut plus assurer que de deux mandats consécutifs ; </p></li>
<li><p>le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil supérieur de la magistrature sont réformés (le CESE s’ouvre à des associations environnementales et de jeunesse et peut être saisi par des pétitions citoyennes ; le CSM n’est plus dirigé par le chef de l’État et le ministre de la Justice, sa composition change pour donner plus de place à la société civile) ; </p></li>
<li><p>la <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/plaq-inst-num-bd.pdf">fonction de défenseur des droits est créée</a> (pouvoir consultatif non contraignant, émet simplement des recommandations qui peuvent ne pas être suivies) ; </p></li>
<li><p>l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désormais fixer librement leurs agendas ; </p></li>
<li><p>le chef de l’État peut convoquer le Congrès pour s’adresser solennellement à tous les parlementaires ; </p></li>
<li><p>le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/referendum-d-initiative-partagee/referendum-d-initiative-partagee-rip-mode-d-emploi">référendum d’initiative partagée</a> (RIP) est créé, permettant aux parlementaires de le saisir dans des conditions strictes, etc.</p></li>
</ul>
<p>Malgré quelques ajouts qui semblent accorder plus de latitude d’action aux pouvoirs législatif et juridique, le pouvoir présidentiel reste immense. Les contre-pouvoirs ressortent plus affaiblis que renforcés, incitant des hommes favorables à la réforme comme <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/09/19/01011-20090919FILWWW00582-raffarin-plaide-pour-des-contre-pouvoir.php">Jean-Pierre Raffarin</a> à les renforcer pour que la présidence de la République ne se réduise pas à « l’exercice solitaire du pouvoir ». </p>
<p>Rapidement, le constat émis par la presse et les oppositions se veut même alarmant. Nicolas Sarkozy, déjà qualifié d’« hyper-président » par sa forte présence médiatique en 2007, aurait renforcé les capacités d’action du pouvoir exécutif à travers celui de l’Élysée qu’il aurait gravé dans le marbre par son style (la fameuse <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-presidents-de-la-republique--9782262069155-page-585.htm">« hyper-présidence »</a>, qualifiée depuis plusieurs années de <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Emmanuel-Macron-president-jupiterien-vis-vis-presse-2021-05-07-1201154589">« pouvoir jupitérien »</a> pour souligner la différence de personnalité avec le président actuel).</p>
<p>De plus en plus de citoyens manifestent également la volonté d’inverser la tendance actuelle à la verticalité en y intégrant un <a href="https://www.sudradio.fr/sud-radio/un-collectif-reclame-des-etats-generaux-de-la-democratie">pouvoir plus horizontal</a>, comme la <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/reforme-des-retraites-60-des-francais-souhaitent-que-les-syndicats-poursuivent-l-appel-a-la-mobilisation-7900255541">réforme des retraites</a> l’a encore si bien rappelé ces derniers mois. Cela n’a rien d’impossible, la constitution de la V<sup>e</sup> République a su démontrer à plusieurs reprises sa capacité d’adaptation et sa grande souplesse. Tout est question de volonté politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 4 octobre 1958, était promulguée la Vᵉ République. Le président de la République s’apprête à célébrer le 65ᵉ anniversaire du régime. Revenons donc sur quelques réformes phares de la constitution.Bryan Muller, Docteur en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147942023-10-03T16:35:54Z2023-10-03T16:35:54ZNon, la Vᵉ n’est pas un régime présidentiel !<p>Ce 4 octobre, la France fête les <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">65 ans de la Constitution de la V<sup>e</sup> République</a>. Cet anniversaire intéresse les commentateurs qui s’interrogent sur cette stabilité, la France ayant été habituée, mis à part la III<sup>e</sup> République, à des régimes plus courts. Les raccourcis sont alors nombreux et <a href="https://www.rtl.fr/programmes/entrez-dans-l-histoire/7900301707-la-quotidienne-comment-sont-nees-les-quatre-premieres-republiques">certains vont jusqu’à prétendre que la V<sup>e</sup> serait un régime présidentiel</a>. C’est pourtant faux.</p>
<p>Pour se convaincre de la nature parlementaire de notre régime, il suffit de relire l’article du professeur de droit Georges Vedel sur le régime présidentiel dans l’<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/regime-presidentiel/"><em>Encyclopédie universalis</em></a>.</p>
<p>Dans un tel régime, la séparation des pouvoirs est dite stricte. Celle-ci est agencée autour de l’autonomie des pouvoirs, aucun n’intervenant dans la désignation de l’autre et ne pouvant mettre un terme anticipé à ses fonctions.</p>
<p>Cette indépendance juridique est doublée d’une spécialisation fonctionnelle : chaque titulaire se voit offrir la plénitude des compétences attachées au pouvoir qui lui a été confié. L’autre dispose seulement d’un moyen d’empêcher, traduction des <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270289-la-separation-des-pouvoirs"><em>checks and balances</em></a>, garants de l’équilibre du régime</p>
<p>La collaboration est ainsi « négative », chacun disposant de la <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/montesquieu">« faculté de rendre nulle »</a> la décision prise par un autre. A gros traits, le régime présidentiel ne connaît ni dissolution ni motion de censure. Il n’y a d’ailleurs pas de gouvernement au sens d’organe collégial émanant de la majorité parlementaire et politiquement responsable devant elle. Les chefs d’État sont seulement entourés de secrétaires politiquement responsables devant eux.</p>
<p>Les rappels de ces quelques principes démontrent qu’à n’en pas douter, la France est un régime parlementaire. On ne rencontre dans la Constitution de 1958 aucun des principes du régime présidentiel : ni indépendance juridique, ni spécialité fonctionnelle. Exécutif et législatif collaborent et détiennent un pouvoir de révocation réciproque. Ainsi la Constitution prévoit-elle la motion de censure, traduction du principe de responsabilité politique du gouvernement devant l’assemblée (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527529/1999-07-09">art 49 al 2</a>) et l’équilibre-t-elle par la dissolution (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527474">art 12</a>).</p>
<p>L’existence de projets de loi sur lesquels le Premier ministre engage – ou pas – la responsabilité du gouvernement est également une des manifestations du caractère parlementaire de notre régime. Elle traduit la collaboration des pouvoirs, le Premier ministre disposant avec les parlementaires de l’initiative législative (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241026">art 39</a>) puis du droit d’amendement (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241038">art 44</a>).</p>
<p>D’où vient alors cette confusion ? Sans doute du fait que si elle est résolument un régime parlementaire, la V<sup>e</sup> est un régime parlementaire particulier.</p>
<h2>La Vᵉ, un régime parlementaire particulier</h2>
<p>En droit d’abord, la V<sup>e</sup> innove en reconnaissant au président de la République des pouvoirs propres qui en font un acteur du jeu institutionnel. Dans un régime parlementaire que l’on peut qualifier de classique, le rôle du chef de l’État est avant tout symbolique, il ratifie les choix opérés par d’autres. Ainsi, son pouvoir de nomination permet seulement de donner une existence juridique au gouvernement, choisi en dehors de lui par la majorité à l’Assemblée. Aussi, tous ses actes sont-ils signés par le chef de gouvernement et les ministres responsables de leur exécution. Ce contreseing servait originellement à authentifier les actes du chef de l’État, il a ensuite permis de transférer la responsabilité politique de l’acte, avant qu’avec la responsabilité, la réalité du pouvoir soit transférée au chef du gouvernement, véritable initiateur de ces décisions.</p>
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<p>En France, de nombreux pouvoirs du président sont dispensés du contreseing, lui permettant d’assurer son rôle de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/08/29/m-michel-debre-devant-le-conseil-d-etat-la-cle-de-voute-du-regime-parlementaire-c-est-la-fonction-du-president-de-la-republique_2301172_1819218.html">« clé de voûte »</a> capable d’absorber les pressions contraires des organes législatif et exécutif. Les pouvoirs dispensés de contreseing, comme la nomination du Premier ministre (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527467">art 8 al 1</a>), lui permettent d’assurer la stabilité de la construction constitutionnelle.</p>
<p>C’est en ce sens qu’il faut entendre la notion de « pouvoir propre » évoquée plus haut. Il s’agit des pouvoirs ayant trait à la justice constitutionnelle, ceux permettant d’en appeler à la Nation. Il s’agit enfin des pouvoirs attachés à sa fonction d’arbitrage et de garant de l’intérêt de la Nation. Le pouvoir de nommer le Premier ministre et de prononcer la dissolution s’attachent à cette fonction d’arbitrage. Il faut se souvenir que les rédacteurs de la Constitution <a href="https://theconversation.com/letrange-malediction-des-presidents-majoritaires-sous-la-v-republique-69851">n’envisagent pas l’existence d’une majorité stable</a>, ils n’ont pu expérimenter que des coalitions fragiles. Ainsi, le pouvoir du président de « nommer » le chef de gouvernement indépendamment de toute procédure d’investiture (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527467">art 8 al 1</a>) lui permet de sonder la composition de l’Assemblée pour désigner celui qui lui semble le plus à même d’être le chef de la majorité qu’il voit se dessiner.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La dissolution, libérée de toutes les conditions imposées par la IV<sup>e</sup> République (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1946-ive-republique">art 51 de la Constitution de 1946</a>) est également un pouvoir d’arbitrage, le président étant libre d’estimer si le conflit qui oppose majorité et gouvernement doit être tranché par le peuple.</p>
<p>Dans les deux cas, les mécanismes d’équilibre instaurés par le régime parlementaire sont, sous la V<sup>e</sup>, maîtrisés par le président. Cette réalité parasite notre perception du régime de la V<sup>e</sup> République. Elle est toutefois insuffisante à expliquer le recours fréquent au qualificatif de régime présidentiel.</p>
<h2>Une particularité juridique amplifiée par la pratique</h2>
<p>Alors pourquoi cette confusion persistante ? <a href="https://theconversation.com/debat-et-si-la-france-optait-pour-un-regime-parlementaire-138951">Sans doute parce que cette particularité juridique a été amplifiée par la pratique</a>. Dès lors qu’il a été élu au suffrage universel direct, le président a été légitime à intervenir directement dans l’action politique quotidienne au détriment du gouvernement. Plus encore, c’est au cours de son élection et non plus lors des législatives que les contours de l’intérêt général se dessinent.</p>
<p>Au cours des 56 années de concordance, les députés de la majorité se sont montrés fidèles au chef de l’État qui avait permis leur élection et qui dispose du pouvoir de les renvoyer devant leurs électeurs. À tel point que leur loyalisme les a conduits à abandonner certains de leurs pouvoirs au président : celui de choisir le chef du gouvernement ou de le révoquer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<p>En dépit de la place prise par l’institution présidentielle, notre régime n’est toujours pas un régime présidentiel. Si aucune motion de censure n’a été adoptée depuis 1962, son existence est toujours prévue par la Constitution et de nombreuses sont déposées (la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/projet-de-loi-de-programmation-des-finances-publiques-2023-2027-rejet-d-une-motion-de-censure-et-adoption-en-nouvelle-lecture">dernière le 27 septembre 2023</a>). De même, le gouvernement est toujours chargé de conduire la politique de la Nation par ses projets de loi.</p>
<p>Comment qualifier notre régime pour traduire cette réalité institutionnelle et éloigner la comparaison injustifiée avec le régime présidentiel ?</p>
<h2>Un régime parlementaire rationalisé, dualiste et majoritaire</h2>
<p>Notre régime parlementaire est avant tout rationalisé : les relations entre exécutif et législatif sont encadrées par le droit afin de garantir la stabilité du gouvernement et l’efficacité de son action. Toutes les procédures redécouvertes par les Français à l’occasion de l’examen du projet de loi retraite (vote bloqué, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527529/1999-07-09">art 49 al 3</a>, irrecevabilité financière de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527516">art 40</a>…) constituent de tels mécanismes d’encadrement qui offrent au gouvernement la maîtrise du fond et des horloges, puisqu’il choisit le moment où il active ses pouvoirs.</p>
<p>Il est ensuite en fait et non en droit un régime parlementaire dualiste, le président ayant créé un second lien de confiance au cœur du régime parlementaire. Dans un régime parlementaire classique, une seule relation de confiance existe, celle qui unit la majorité parlementaire et le gouvernement. Dans un régime dualiste, une relation de confiance entre le chef de l’État et le gouvernement se surajoute : le premier Ministre doit toujours jouir de la confiance de la majorité, mais il ne saurait durablement gouverner sans celle du président. Le caractère dualiste du régime cède lorsque la majorité à l’Assemblée est opposée au président. Dans ce cas, il ne peut plus s’appuyer sur le loyalisme de la majorité pour désigner librement le Premier ministre. Il doit <a href="https://www.herodote.net/16_mai_1877-evenement-18770516.php">« se soumettre à la logique du régime parlementaire »</a> et nommer Premier ministre le leader du parti majoritaire à la chambre. Rôle qu’il ne peut plus jouer puisque son parti n’est plus majoritaire.</p>
<p>Le principe majoritaire s’impose donc à nos institutions, nouvelle manifestation du caractère parlementaire de notre V<sup>e</sup>, régime parlementaire majoritaire dans lequel le chef de la majorité, qu’il siège à l’Elysée ou à Matignon, dirige l’action du gouvernement et de la majorité à l’Assemblée.</p>
<p>Rationalisé, dualiste, majoritaire, voilà de quoi qualifier suffisamment le régime de la V<sup>e</sup>. Si les qualificatifs aident à mieux cerner la réalité, ils n’ont de sens que parce que la V<sup>e</sup> est par essence un régime parlementaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à ce qui est parfois écrit ou dit, on ne rencontre dans la Constitution de 1958 aucun des principes du régime présidentiel : ni indépendance juridique, ni spécialité fonctionnelle.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140902023-09-22T07:00:26Z2023-09-22T07:00:26ZVisite d’État du roi Charles : un an après le début de son règne, qu’est-ce qui a changé avec le nouveau monarque ?<p>La visite d’État en France de trois jours du <a href="https://www.royal.uk/news-and-activity/2023-09-06/the-king-and-queen-will-undertake-a-state-visit-to-france">roi Charles III</a>, un an après le début de son règne, marque le retour de la dimension internationale de la monarchie britannique. Ce voyage, ainsi que sa visite d’État en Allemagne au début de l’année, sont les premiers d’une série qui devrait être longue.</p>
<p>Après une <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-33234200">visite d’État en Allemagne</a> et une <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-34929516">visite à Malte en 2015</a>, Élisabeth II avait cessé de voyager à l’étranger, réduisant ainsi l’une des fonctions clé de la monarchie, qui consiste à représenter le Royaume-Uni à l’international sous le sceau de la « soft power ». Bien que d’autres membres de la famille royale, dont Charles quand il était toutours prince de Galles, aient effectué des visites officielles à l’étranger, celles-ci n’ont pas eu l’ampleur et le faste d’une visite d’État officielle, qui comprend souvent de nombreuses cérémonies, un banquet d’État complet et un discours devant le parlement du pays d’accueil.</p>
<h2>Evolution</h2>
<p>La visite d’État en France est également le signe d’une évolution vers une monarchie dont le rôle est plus fortement défini. Elle a été organisée sur les conseils du gouvernement, très certainement pour envoyer un message clair : bien que le Royaume-Uni ait quitté l’UE, il se considère toujours comme faisant partie de l’Europe – un point qui est devenu d’autant plus important depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. C’est précisément le genre de messages qui bénéficient d’un large soutien au Royaume-Uni et que la monarchie est bien placée pour projeter.</p>
<p>Le roi doit néanmoins faire preuve de prudence. La monarchie ne peut envoyer de tels signaux que si elle conserve son impartialité politique. Lorsque le <a href="https://news.sky.com/story/eu-commission-president-ursula-von-der-leyen-to-meet-king-while-in-uk-for-brexit-talks-12821356">roi a rencontré Ursula von der Leyen</a>, la présidente de la Commission européenne, en février 2023, il s’agissait d’une rencontre classique entre le Roi et un dirigeant mondial. Toutefois, cette rencontre a eu lieu à un moment crucial des négociations sur le Brexit sur l’Irlande du Nord, ce qui a conduit certains hommes politiques soutenant le Brexit à <a href="https://www.theguardian.com/politics/2023/feb/28/king-charles-hosting-ursula-von-der-leyen-not-unusual-insists-james-cleverly-brexit-eu">se plaindre</a> que le roi était trop impliqué dans le dossier.</p>
<p>Il est vrai que les prises de position de Charles en tant que prince de Galles, le déservent, alors que sa mère avait su rester au dessus de la mélée. L’année qu’il a passée sur le trône lui a permis néanmoins de nuancer son approche et ses interventions sur le plan intérieur sont restées prudentes.</p>
<p>Fin 2022, par exemple, il a été annoncé que le roi avait fait un <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-england-london-63846028">don personnel de frigidaires aux banques alimentaires</a>, un geste qui a été interprété comme une prise de conscience de la monarchie du contexte difficile traversé par la population, tout en gardant une certaine réserve politique. Charles a également mis davantage l’accent sur la diversité dans le choix de ses engagements, entraînant l’une des photos les plus marquantes de sa première année de règne : Charles et Camilla marchant dans Brick Lane, un quartier londonien multi-ethnique.</p>
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<p>D’autres membres de la famille royale ont également eu les coudées plus franches et ont fait évoluer les missions traditionnelles. Par exemple, le prince William s’est joint à son personnel pour <a href="https://www.independent.co.uk/life-style/royal-family/prince-william-poland-tour-restaurant-b2307215.html">dîner dans un restaurant convivial pour les LGBTQ+ à Varsovie</a> lors d’une visite officielle en Pologne. Cette initiative a été perçue comme une réponse à la <a href="https://www.amnesty.org/es/wp-content/uploads/2021/08/eur370022005en.pdf">politique anti-LBGTQ+</a> dans le pays.</p>
<h2>Avancer prudemment</h2>
<p>Des défis se profilent aussi pour Charles III sur le plan international. Pour bon nombre des 14 royaumes du Commonwealth, comme l’Australie, le Canada, la Jamaïque et le Belize, qui partagent le roi comme chef d’État, le nouveau règne est l’occasion de réévaluer leur relation avec la Couronne.</p>
<p>Dans les Caraïbes en particulier, il s’agit d’aborder la question de l’esclavage et des pires excès de l’Empire britannique. Dans ce domaine, la marge de manœuvre du roi est limitée. Il a approuvé une <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-65200570">étude sur les liens de la monarchie avec l’esclavage</a> et a déclaré aux <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/apr/06/king-charles-signals-first-explicit-support-for-research-into-monarchys-slavery-ties?CMP=Share_iOSApp_Other">chefs de gouvernement du Commonwealth l’année dernière</a> :</p>
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<p>« Je ne peux décrire la profondeur de mon chagrin personnel face à la souffrance de tant de personnes, alors que je continue à approfondir ma propre compréhension de l’impact durable de l’esclavage. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, ce n’est pas au roi de décider des demandes de réparations. Ils relèvent de la compétence du gouvernement britannique, qui doit trouver un équilibre entre sa réponse à toute demande et l’opinion politique nationale.</p>
<p>En fin de compte, c’est l’opinion qui déterminera le succès du règne du roi. Même dans les jours les plus sombres de la monarchie, le républicanisme n’a jamais obtenu un soutien supérieur à 20 %. Mais après une longue période de stabilité pour la famille royale, la tendance à long terme est au <a href="https://theconversation.com/king-charles-inherits-crown-with-support-for-monarchy-at-record-low-but-future-not-set-in-stone-190448">déclin progressif</a>. Ce phénomène est particulièrement marqué chez les jeunes adultes, dont l’expérience de la monarchie a été le départ du <a href="https://theconversation.com/meghan-and-harrys-oprah-interview-why-royal-confessionals-threaten-the-monarchy-156601">duc et de la duchesse de Sussex pour l’Amérique</a>, ainsi que les allégations de racisme – et les <a href="https://theconversation.com/prince-andrew-a-legal-expert-explains-the-settlement-with-virginia-giuffre-177255">allégations d’abus sexuels à l’encontre du prince Andrew</a>.</p>
<p>Fondamentalement, le plus grand défi pour le roi est d’être à la hauteur de sa mère. Sur de longues périodes, Elizabeth II a transcendé le rôle de monarque, devenant une véritable figure mondiale. Des livres ont été publiés avec des titres tels que « Queen of the World » (Reine du monde). L’ancien premier ministre Boris Johnson l’a appelée <a href="https://www.youtube.com/watch?v=h_89HU_H7wo">« Elizabeth the Great »</a>. Le plus grand rassemblement de dirigeants mondiaux de l’histoire a assisté à ses funérailles. </p>
<p>Comment Charles peut-il marcher dans ces pas ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214090/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Craig Prescott ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le voyage en France marque encore un peu plus le retour de la monarchie britannique sur la scène internationale.Craig Prescott, Lecturer in Law, Royal Holloway University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2129952023-09-13T19:51:31Z2023-09-13T19:51:31ZServices publics : leur refondation nécessite bien plus qu’un conseil<p>Lancé en septembre 2022, le <a href="https://conseil-refondation.fr/">Conseil national de la refondation</a> (CNR), peine à trouver ses marques. Ce conseil, à l’initiative du Président Emmanuel Macron, semble pourtant répondre à une nécessité largement admise : rapprocher les <a href="https://theconversation.com/etat-plateforme-quand-fonctionnaires-et-usagers-deviennent-entrepreneurs-des-services-publics-142189">services publics</a> des usagers. Le rapport d'un collectif, publié le 14 septembre 2023, alerte d'ailleurs <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/14/services-publics-un-collectif-alerte-sur-un-secteur-de-plus-en-plus-en-decalage-avec-les-besoins-des-usagers_6189278_3224.html">sur l'inadaptation de l'État face aux besoins de la population</a>.</p>
<p>Il s’agit ainsi de tenter de « co-construire » ces services, en réunissant régulièrement usagers, collectivités, représentants de l’État, associations, financeurs, pour réfléchir aux moyens de les améliorer en continu, au plus près des besoins exprimés sur le terrain.</p>
<p>Face à un monde en pleine mutation, le CNR propose de revitaliser notre démocratie et d’agir collectivement. Encore faut-il traduire ces intentions en une approche cohérente et efficace. La question est donc la suivante : de quelle façon le Conseil national de la refondation peut-il réussir à unifier des acteurs sociaux, politiques et économiques pour collaborer efficacement et proposer des solutions concrètes pour revitaliser notre vie démocratique ?</p>
<h2>Changer de culture</h2>
<p>Le CNR se structure autour de trois piliers. Le CNR plénier réunit des acteurs de la vie nationale (mouvements, <a href="https://theconversation.com/syndicats-moins-dencartes-mais-une-image-toujours-positive-aupres-des-salaries-201209">syndicats</a>, parties politiques, citoyens…) pour partager leurs perspectives et comprendre les défis des autres. Cette instance se réunit régulièrement pour définir de nouveaux thèmes et suivre l’avancement des travaux. Les CNR thématiques et territoriaux, quant à eux, rassemblent des acteurs pour co-construire des solutions autour de grandes transitions telles que la décarbonation et des sujets essentiels à notre vie quotidienne (éducation, santé, emploi, <a href="https://theconversation.com/crise-du-logement-le-conseil-national-de-la-refondation-une-occasion-manquee-207757">logement</a>, transition écologique, etc.)</p>
<p>Ces concertations partent du vécu des Français pour proposer des innovations et des expérimentations, dont l’efficacité est évaluée en continu. En somme, le CNR est une nouvelle méthode de gouvernance et de management, basée sur une dynamique de <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/conseil-national-de-la-refondation-plusieurs-thematiques-seront-lancees-en-novembre">« concertation, initiative et coopération »</a>. Il promeut une approche pragmatique et participative, visant à une transformation durable de notre société.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p5pe7EGtjMw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La refonte des services publics ne se produira pas simplement à la suite de quelques réunions locales de concertation. C’est un projet ambitieux qui nécessite une véritable révolution culturelle au sein de la fonction publique, et la création d’un conseil de la refondation ne peut, à elle seule, déclencher un tel changement. Les <a href="https://www.cairn.info/conduite-du-changement-concepts-cles--9782100769414-page-147.htm">travaux du psychosociologue américain Kurt Lewin</a>, apportent un éclairage précieux sur les défis à relever et les stratégies à adopter.</p>
<p>Selon Lewin, un groupe ne modifie pas ses pratiques uniquement pour des raisons rationnelles, même face à des dysfonctionnements évidents. Le changement n’intervient que dans des contextes d’engagement et d’apprentissage, où les participants peuvent explorer de nouvelles voies. De simples réunions ne suffisent donc pas. Pour favoriser un « dégel » (<em>unfreezing</em>) des routines en place, il faut créer des situations d’interactions, comme des <a href="https://atelier-collaboratif.com/">ateliers collaboratifs</a>, propres à faciliter l’émergence de nouvelles idées et pratiques.</p>
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<p>Mais <a href="https://www.cairn.info/innovation-publique--9782376875055.htm">l’instauration d’une nouvelle culture au sein de la fonction publique</a> ne peut pas se faire du jour au lendemain. Cette forme d’engagement nécessite un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2015-8-page-121.htm">apprentissage collectif</a> et un temps d’adaptation (<em>changing</em>). Il faut créer une expérience partagée et favoriser l’identification à de nouveaux modèles de comportement et parvenir à un processus de <a href="https://modules-iae.univ-lille.fr/M14/cours/co/chap2_01.html">« cristallisation »</a>. Cette phase de stabilisation des nouveaux modes de fonctionnement est en effet essentielle, pour que les nouvelles idées et comportements soient intégrés et deviennent la nouvelle norme (<em>refreezing</em>).</p>
<h2>L’exemple de l’Éducation nationale</h2>
<p>Prenons l’exemple de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-administration-et-education.htm">Éducation nationale</a> que le Conseil national de la refondation aspire à réinventer. La démarche se veut inclusive, impliquant professeurs, personnels administratifs, parents, élus locaux, responsables associatifs, et autres acteurs concernés. Pour initier un changement véritable, il est crucial de mettre en lumière des modèles réussis de coopération, qui montrent concrètement l’intérêt individuel et collectif de la démarche. Cela pourrait inclure des initiatives locales pour lutter contre le décrochage scolaire, améliorer le dialogue avec les parents ou renforcer la cohésion et la pertinence des équipes enseignantes grâce à des postes à profil.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/remplacer-les-professeurs-absents-un-casse-tete-pour-leducation-nationale-212208">Remplacer les professeurs absents : un casse-tête pour l’Éducation nationale</a>
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<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2005-5-page-105.htm">cristallisation</a> de ces nouvelles pratiques, comme le décrit Kurt Lewin, est une étape essentielle pour contrer les forces de rappel et pérenniser le changement. Cette cristallisation passe par un travail de formation des corps intermédiaires, comme les corps d’inspection de l’Éducation nationale, qui doivent évoluer d’une culture de contrôle vers une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-cooperation-dans-les-organisations-mission-impossible-3272859">culture de coopération</a>. Elle passe aussi par une visibilité matérielle des transformations souhaitées, à l’instar des initiatives menées dans le domaine des <a href="https://www.horizonspublics.fr/sante-social/comment-repenser-laccueil-dans-les-services-publics">lieux d’accueil du service public</a> avec le bâti scolaire : aménagement des espaces et des lieux de savoir ; nouveaux modèles collaboratifs et interactifs. C’est la seule façon opérante de rendre l’école plus partenariale, en incluant notamment des parents dans son fonctionnement.</p>
<h2>La gouvernance multiparties prenantes</h2>
<p>Citons comme exemple marquant, en Belgique, le programme « École numérique » lancé par le gouvernement afin de <a href="https://www.wallonie.be/fr/demarches/beneficier-du-programme-ecole-numerique">mettre en place un système d’éducation numérique</a> visant à intégrer les technologies numériques dans l’ensemble du système éducatif. Plusieurs actions ont ainsi été mises en place : développement des ressources numériques (plates-formes d’apprentissage, logiciels éducatifs…), amélioration de l’infrastructure numérique, soutien aux initiatives numériques locales (manuels numériques, jeux éducatifs), mise en place de la protection des données…</p>
<p>Cette initiative repose sur une large concertation et collaboration entre les enseignants, les élèves, les parents, les administrations et les prestataires technologiques. Chaque acteur apporte sa perspective unique et complémentaire, permettant d’élaborer une approche numérique adaptée aux besoins spécifiques de l’éducation. Cet exemple illustre comment la coopération entre différents acteurs et l’accompagnement d’initiatives innovantes (espace numérique de travail) peuvent transformer en profondeur la culture d’une institution.</p>
<p>Dans ce contexte, le concept de <a href="https://theses.fr/2019CNAM1259">gouvernance multiparties prenantes</a> prend toute son importance. Il s’agit d’une approche qui cherche à garantir que toutes les parties prenantes, quel que soit leur niveau d’influence ou d’implication, aient la possibilité de participer activement et équitablement au processus décisionnel. Ce mode d’action permet non seulement d’assurer une représentation équitable, mais aussi d’exploiter une diversité de perspectives et d’expertises.</p>
<p>L’idée d’un Conseil national de la refondation est par conséquent louable dans ses intentions. Néanmoins, si l’action du CNR se restreint à l’organisation d’ateliers locaux, il risque d’apparaître comme une autre promesse non tenue, alimentant ainsi le <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/services-publics-une-machine-folle-qui-met-l-etat-en-echec-20230906">scepticisme des Français envers l’État</a>. C’est en adoptant une gouvernance partenariale et ouverte, basée sur de nouvelles formes de coopération, que cette initiative peut véritablement prendre son sens et obtenir l’approbation du plus grand nombre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212995/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Conseil national de la refondation propose d’unifier des acteurs sociaux, politiques et économiques pour revitaliser la démocratie. Décryptage.Stéphanie Dameron, Professeur des universités, Université Paris Dauphine – PSLOlivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2122922023-09-11T17:22:39Z2023-09-11T17:22:39ZDémocratie participative : une enquête inédite livre les enseignements du grand débat national<p>La plupart des démocraties occidentales connaissent aujourd’hui une défiance croissante à l’égard des élus et une participation électorale en berne. Pourtant, les citoyens expriment fréquemment leur volonté d’être davantage consultés et impliqués dans la prise de décision publique. On voit ainsi fleurir depuis quelques années de nouvelles formes de <a href="https://theconversation.com/comment-associer-citoyens-et-experts-aux-decisions-politiques-182338">démocratie participative</a>, comme des <a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">référendums</a> locaux, des consultations publiques, des <a href="https://theconversation.com/a-paris-le-budget-participatif-est-un-outil-citoyen-surtout-tres-politique-129571">budgets participatifs</a>, des <a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-la-democratie-participative-vue-de-linterieur-141571">conventions citoyennes</a>, et bientôt peut-être un « préférundum » évoqué par le gouvernement.</p>
<p>Si de telles initiatives permettent à chacun d’exprimer ses opinions et ses préoccupations, la question de la représentation de l’ensemble de la population <a href="https://labo.societenumerique.gouv.fr/fr/articles/consultation-citoyenne-locale-en-ligne-quelle-repr%C3%A9sentations-des-publics-concern%C3%A9s/">est clairement posée</a>. Si certains groupes spécifiques se mobilisent particulièrement lors de ces consultations, alors le manque de diversité peut aboutir à une vision déformée des préférences de la population générale et porter au final préjudice au fonctionnement même de cette démocratie participative.</p>
<p><a href="https://rdcu.be/dlqvl">Dans une étude récente</a>, nous nous sommes interrogés sur les possibles limites de telles consultations citoyennes en termes de représentativité. L’expérience du grand débat national début 2019 apporte un éclairage original à cette question, par son caractère massif (près de 2 millions de Français se seraient exprimés durant cette période) et le contexte politique inédit et clivant du mouvement des « gilets jaunes ».</p>
<h2>Un grand débat lancé en plein mouvement des « gilets jaunes »</h2>
<p>Le mouvement des « gilets jaunes » a émergé mi-novembre 2018 avec des manifestations sur les ronds-points partout en France.</p>
<p>D’abord motivé par une hostilité aux taxes sur les carburants, au coût élevé de la vie et aux inégalités, le mouvement s’est ensuite élargi pour couvrir un ensemble de sujets liés à la justice sociale, fiscale ainsi qu’à la <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">démocratie</a>. En réponse aux épisodes de violence début décembre 2018, le président Macron a décidé de mettre en place un grand débat national.</p>
<p>En complément de <a href="https://theconversation.com/pouvoir-vivre-dignement-une-doleance-absente-de-la-campagne-presidentielle-180259">cahiers de doléances</a> dans les mairies et de réunions publiques locales ayant réuni près de 500 000 participants, la création d’une plate-forme numérique (<a href="https://granddebat.fr/">granddebat.fr</a>) ouverte de mi-janvier à mi-mars 2019 a permis d’interroger les Français sur quatre thématiques : la transition écologique, les impôts et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté, et enfin l’organisation de l’État et des services publics.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecriture-expression-privilegiee-du-citoyen-en-colere-126471">L’écriture, expression privilégiée du citoyen en colère</a>
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<p>Cette consultation en ligne a connu un succès historique puisque plus de 400 000 participants ont répondu à au moins une des questions fermées posées sur la plate-forme, et plus de 275 000 à l’ensemble des questions.</p>
<p>Sa représentativité reste en revanche une énigme, les répondants au grand débat n’ayant été interrogés sur aucune de leurs caractéristiques (sexe, âge, catégorie sociale ou opinion politique par exemple). Personne ne sait donc si ces 400 000 répondants étaient plutôt jeunes ou vieux, cadres ou ouvriers, ou encore pro ou anti « gilets jaunes ». Tout juste a-t-on pu constater que les codes postaux les plus représentés sur <a href="https://granddebat.fr/">granddebat.fr</a> correspondaient à des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/12/grand-debat-les-participants-representent-une-france-aisee-eduquee-proche-de-l-electorat-de-macron_5449567_3232.html">zones plutôt riches et ayant particulièrement voté pour Emmanuel Macron en 2017</a>.</p>
<h2>Qui étaient les 400 000 participants numériques au grand débat ?</h2>
<p>La question de savoir qui sont les participants au grand débat est centrale pour en tirer des conclusions pertinentes, surtout dans le contexte de crise politique des « gilets jaunes ». Les manifestants se sont-ils beaucoup exprimés sur la plate-forme gouvernementale ? Ou bien celle-ci a-t-elle surtout attiré une France favorable au gouvernement et opposée au mouvement ?</p>
<p>Pour le savoir, nous avons tiré profit d’une application Facebook indépendante du gouvernement, dénommée <a href="https://www.entendrelafrance.fr/">Entendre La France</a>, qui posait 14 questions identiques à celles du grand débat. Les utilisateurs pouvaient également y indiquer leur sexe, leur âge, leur diplôme, ainsi que leur soutien ou non au mouvement des « gilets jaunes ». Au total, plus de 15 000 personnes ont répondu à au moins une question sur l’application et 4 500 à l’ensemble des questions.</p>
<p>La combinaison de ces deux sources de données permet de mieux cerner les participants au grand débat. En comparant statistiquement les réponses données aux mêmes questions par les utilisateurs d’<a href="https://www.entendrelafrance.fr/">Entendre La France</a> sur Facebook (dont on connait le soutien ou l’opposition aux « gilets jaunes ») et ceux ayant répondu sur la plate-forme officielle grand débat (dont on ne connait aucune caractéristique individuelle), il est possible de déduire ou prédire le profil de ces derniers et en particulier leur soutien ou leur opposition au mouvement des « gilets jaunes ».</p>
<p>Sur la base de modèles prédictifs, nous parvenons à un résultat principal. Alors que 62 % des répondants sur Facebook disaient soutenir le mouvement des « gilets jaunes » et que le taux de soutien dans la population en général était de 52 % selon plusieurs enquêtes d’opinion durant cette période, nos estimations principales suggèrent que le taux de soutien n’était que de 39 % chez les participants sur la <a href="https://granddebat.fr/">plate-forme officielle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">Débat : Le référendum d’initiative populaire, la solution ?</a>
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<p>Cet écart dans le soutien au mouvement des « gilets jaunes », avec une différence de 13 points entre les usagers de la plate-forme officielle et l’ensemble de la population française (39 % contre 52 %), est loin d’être anecdotique. Concrètement, cela signifie que les personnes hostiles au mouvement des « gilets jaunes » avaient une probabilité plus élevée de 67 % de contribuer à la plate-forme gouvernementale que celles soutenant le mouvement. Autrement dit, les anti « gilets jaunes » se sont beaucoup plus exprimés que les pro « gilets jaunes » pendant le grand débat. Cette autosélection des participants a donc nécessairement impacté les enseignements qui pouvaient être tirés de cette consultation massive.</p>
<p>Bien sûr, notre étude explore en détail les principaux biais méthodologiques pouvant altérer nos résultats. Par exemple, le fait que les usagers de Facebook soient plutôt jeunes (et selon toute vraisemblance plus jeune que ceux sur <a href="https://granddebat.fr/">la plate-forme officielle</a>) pourrait potentiellement perturber nos estimations. Dans les faits, la correction de tels biais liés à l’âge, le diplôme ou d’autres caractéristiques (par des techniques de repondération et de simulation) n’a que très peu d’impact sur notre résultat principal : il y a bien eu une mobilisation très inégale des Français sur la plate-forme officielle du grand débat, en fonction de leur soutien ou non au mouvement des « gilets jaunes ». Au final, on estime qu’entre 39 % et 45 % des quelque 400 000 participants numériques au grand débat soutenaient le mouvement, soit 7 à 13 points de moins que dans la population française en général à la même époque.</p>
<h2>Quelles leçons en tirer ?</h2>
<p>Notre étude ne permet pas de savoir si cette autosélection des participants relevait plutôt d’un boycott de la plate-forme officielle par les « gilets jaunes » (ils avaient d’ailleurs créé <a href="https://levraidebat.org/">leur plate-forme autonome</a>) ou bien d’une mobilisation particulièrement forte des opposants au mouvement. Quoi qu’il en soit, nos résultats montrent qu’une initiative de démocratie participative a priori très réussie d’un point de vue quantitatif peut en réalité aboutir à une vision biaisée de l’opinion publique dans son ensemble.</p>
<p>Or cette déformation peut avoir des conséquences très concrètes sur les enseignements qui sont tirés par les décideurs publics. Dans le cas présent, elle a pu influencer ou justifier certaines annonces d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe au moment de la restitution du grand débat, qu’il s’agisse notamment de la forte baisse de l’impôt sur le revenu ou des propositions qui ont été écartées (la reconnaissance du vote blanc ou le référendum d’initiative citoyenne par exemple).</p>
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<p>De telles décisions politiques, prises de manière unilatérale ou en se basant sur une loupe déformante, peuvent nourrir un sentiment de défiance et une volonté de désengagement de la part des citoyens. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lors de la deuxième grande initiative de démocratie participative de la Présidence d’Emmanuel Macron, la <a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-un-modele-democratique-prometteur-au-mandat-flou-127145">Convention Citoyenne pour le Climat</a>.</p>
<p>Lancée en avril 2019 à la suite du grand débat, cette convention reposait cette fois sur les discussions et délibérations d’un panel représentatif de 150 citoyens tirés au sort. Néanmoins, malgré la qualité de ce dispositif et des travaux de la convention, plusieurs propositions emblématiques des « 150 » furent écartées par le Gouvernement sans même attendre le débat parlementaire, suscitant un sentiment de gâchis et de trahison…</p>
<p>Au final, ce sont donc la représentativité des participants, puis la traduction politique des opinions exprimées qui constituent les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/04/les-espoirs-decus-de-la-democratie-participative_6120421_3232.html">deux enjeux cruciaux d’une démocratie participative véritablement légitime et efficace</a>. Sans forcément toujours passer par un tirage au sort, une bonne pratique facile à mettre en place consisterait à demander aux répondants de renseigner systématiquement leurs caractéristiques sociodémographiques, voire leur orientation politique. Cela permettrait de savoir rapidement si une consultation citoyenne donne une vision plutôt fidèle ou au contraire déformée de l’opinion des citoyens dans leur ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212292/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Monnery a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>François-Charles Wolff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Résultats d’une étude récente portant sur le grand débat national et les limites des consultations citoyennes en termes de représentativité.Benjamin Monnery, Maître de conférences en économie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresFrançois-Charles Wolff, Professeur en sciences économiques, IAE Nantes, IAE NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2127982023-09-06T17:30:24Z2023-09-06T17:30:24ZDébat : peut-on « faire nation » sans sortir des logiques d’humiliation ?<p>« Faire nation » : l’expression a été martelée comme le nouveau « chantier » du président de la République, selon ses mots, lors d’un <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-sur-l-ecole-nous-devons-sortir-des-hypocrisies-francaises-23-08-2023-2532582_20.php">entretien donné au Point</a> fin août, et en réponse aux émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel à Nanterre <a href="https://theconversation.com/emeutes-2005-en-heritage-a-clichy-sous-bois-209160">au début de l’été</a>.</p>
<p>Pour Emmanuel Macron, cette expression se rapporte d’abord à l’apprentissage de la langue, la transmission des valeurs, le <a href="https://theconversation.com/pourquoi-repenser-lautorite-a-lecole-209541">retour de l’autorité</a> du maître à l’école (sujet régalien), mais aussi l’intégration par le travail. <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070416523-nations-et-nationalisme-depuis-1780-eric-john-hobsbawm/">Du point de vue historique</a>, ce « faire nation » correspond à la volonté de faire concorder une <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/recit-national/">forme politique</a> (république, royaume, empire) avec un territoire et une population composite qui doit partager une même culture (la langue, des valeurs, un récit historique) et obéir à des règles communes.</p>
<p>Le président veut faire de l’école <a href="https://theconversation.com/lecole-en-panne-de-projet-politique-212040">son domaine réservé</a>, une institution cardinale de la fabrique nationale (« cette refondation nationale passe par l’école »), et propose de refonder les programmes d’histoire : « L’histoire doit être enseignée chronologiquement » affirme-t-il.</p>
<p>Sur ce dernier point, il renoue avec les vieilles antiennes sur la chronologie qui nourrit <a href="https://laviedesidees.fr/Le-serpent-de-mer-de-la-chronologie">depuis plus de 40 ans</a> des débats récurrents et toujours déconnectés du terrain sur l’enseignement de l’histoire, en méconnaissant le contenu des programmes et les pratiques enseignantes qui se fondent bien sur des séquences chronologiques, et ce du premier degré, dès le cycle 2, jusqu’à la terminale. On constate ainsi qu’en 2023, si les autres disciplines scolaires sont tenues d’intégrer les acquis de la recherche dans l’enseignement, la discipline de l’histoire reste un cas à part, la « connaissance » de l’histoire étant située par Emmanuel Macron dans une finalité civique toute nationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-nation-francaise-pour-2022-167074">Quelle nation française pour 2022 ?</a>
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<h2>Polarisation sur la laïcité</h2>
<p>Cette « refondation nationale » passe aussi par la laïcité à l’école comme l’a montrée <a href="https://www.education.gouv.fr/bo/2023/Hebdo32/MENG2323654N">l’interdiction</a> du port de l’abaya et du qamis dans les établissements scolaires publics. La décision du nouveau ministre de l’Éducation Gabriel Attal s’appuie <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000252465">sur la loi du 15 mars 2004</a> portant sur l’interdiction des signes ostensibles religieux à l’école comme la kippa, la grande croix ou le voile musulman.</p>
<p>Le <a href="https://www.marianne.net/societe/education/interdiction-de-labaya-a-lecole-un-etonnant-decalage-entre-les-elus-insoumis-et-leurs-sympathisants">port des abayas</a> a pris un tournant politico-médiatique de forte ampleur, malgré le fait que ce phénomène soit présenté comme très minoritaire au regard des 12 millions d’élèves en France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hausse-des-atteintes-a-la-la-cite-des-chiffres-qui-interrogent-194569">Hausse des atteintes à la laïcité : des chiffres qui interrogent</a>
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<p>Le ministre a annoncé cette interdiction en interprétant ce port de vêtement par des élèves comme « un geste religieux visant à tester la résistance de la République », mais un certain nombre de personnels dans des académies avaient pu exprimer des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/04/signes-religieux-a-l-ecole-les-chefs-d-etablissement-en-quete-de-consignes-claires_6144288_3224.html">difficultés sur le terrain</a> pour caractériser la motivation religieuse des élèves portant des abayas.</p>
<h2>Comprendre l’éducation à la laïcité</h2>
<p>Une demande de consignes claires avait été formulée auprès de l’État par des acteurs éducatifs, notamment les syndicats des personnels de direction à qui il revenait <a href="https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo42/MENG2232014C.htm">d’apprécier au cas par cas les situations</a>. Cette question entraînait des tensions et des divergences d’interprétation au sein des équipes pédagogiques. L’interdit du prosélytisme religieux dans l’espace scolaire doit être posé comme un principe éducatif de la laïcité alors que les élèves sont des citoyens en construction, comme leur libre arbitre.</p>
<p>Pour autant, le risque de voir la laïcité se circonscrire à une série d’interdits visant des élèves musulmans est réel. <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2019-2-page-181.htm">Or l’éducation à la laïcité</a> mise en œuvre à l’École de manière de plus en plus forte, en particulier depuis les années 2010, n’a pas pour vocation à statuer sur la conduite des seuls élèves musulmans, ce qui aurait pour effet délétère de certifier <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-1-page-31.htm">« un problème musulman en France »</a>.</p>
<p>Cette éducation à la laïcité dans le domaine scolaire engage par conséquent un enjeu pédagogique pour tous les acteurs éducatifs. Il s’agit d’éviter un discours polarisé sur l’islam, de rappeler le principe de laïcité autour de la liberté de conscience (croire ou ne pas croire), de pratiques religieuses autorisées au sein de l’espace public (en différenciant l’école de l’espace public), et enfin de la neutralité de l’État qui prescrit une égalité de traitement entre les croyants de différentes religions que ce principe protège.</p>
<p>Cet enjeu éducatif et pédagogique de la transmission scolaire de la laïcité pour faire nation se révèle aujourd’hui aussi délicat que nécessaire. En effet, nombre de familles musulmanes ressentent un déficit de reconnaissance <a href="https://presses.univ-lyon2.fr/product/show/islam-et-ecole-en-france/940">notamment de la part de l’institution scolaire</a>. Par ailleurs une <a href="https://www.leddv.fr/actualite/les-lyceens-daujourdhui-sont-ils-paty-20210303">étude d’opinion auprès de lycéens a montré en 2021</a> qu’une majorité d’entre eux approuvent le port de vêtements religieux à l’école (bien au-delà des élèves musulmans) et que les lois sur la laïcité sont jugées discriminatoires envers les musulmans par 37 % d’entre eux.</p>
<h2>Un profond malentendu</h2>
<p>Cette priorité pédagogique pour construire une laïcité républicaine avec les musulmans et non pas contre eux dès l’École est d’autant plus <a href="https://theconversation.com/entre-sideration-deuil-et-debats-necessaires-les-premiers-resultats-dune-enquete-a-lecole-apres-la-mort-de-samuel-paty-169844">indispensable</a> que les différents attentats terroristes commis en France ont pu établir des clivages en ce sens. Notre enquête sur les réactions aux attentats de 2015 dans le monde scolaire – réalisée dans le cadre du programme de recherche <a href="https://www.memoire13novembre.fr/">13-Novembre</a> – montre que le « nous-Charlie », qui s’est affirmé avec force à travers la somme des « je suis Charlie » pour affirmer le rassemblement de la nation face aux attaques des journalistes de Charlie Hebdo, a provoqué un malentendu aux effets délétères.</p>
<p>Lors du rituel scolaire de deuil national, la <a href="https://www.memoire13novembre.fr/sites/default/files/Memoire%20en%20jeu.pdf">réticence d’élèves musulmans</a> à se reconnaître dans le « je suis charlie » a impacté les minutes de silence observées à l’école en mémoire des victimes dans le cadre d’un deuil national. Le référent national symboliquement mobilisé avec <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02186338/file/2016-faucher-mobiliser-des-symboles.pdf">l’attentat de Charlie Hebdo</a> a eu pour conséquence que certaines de ces réticences ont été perçues par les médias et les politiques dans les jours et les mois suivants <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-94163-5_6">comme une manifestation de sédition</a> à l’égard de la nation.</p>
<p>Pour un certain nombre d’élèves musulmans, la question n’était pas de défier la nation mais de se positionner comme ils le pouvaient dans un rituel qu’ils ont pu interpréter comme la manifestation d’une adhésion aux caricatures de Charlie Hebdo sur le prophète musulman qui les choquaient, les mettant ainsi dans un conflit de loyauté extrême entre leur sensibilité religieuse et l’adhésion demandée à la communauté nationale pour faire bloc contre l’attentat. Les équipes éducatives ont été très précieuses alors pour dialoguer avec eux afin de dissiper le malentendu, quand la réaction politique à ces réticences n’a fait qu’approfondir le sentiment d’une incompatibilité entre « faire nation » et leur sensibilité religieuse.</p>
<h2>L’accusation</h2>
<p>Notre enquête montre également que dans certains établissements, des enseignants perçus comme musulmans (par leur nom, leur physionomie) ont vécu des scènes humiliantes dans les jours qui ont suivi l’attentat en étant assignés par leurs propres collègues au groupe « musulman » qui les impliquait, bien malgré eux, dans les actes terroristes. Pire, une enseignante assignée comme musulmane a dû faire face à des dénonciations calomnieuses d’un parent d’élève l’accusant d’apologie de terrorisme auprès de la direction de l’établissement, comme nous l’analysons dans un article à paraître, <em>L’École post-attentat 2015 : des acteurs scolaires face au discours de crise de l’intégration et du « problème musulman ».</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/546370/original/file-20230905-19-l4d1q1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un roman inspiré d’une histoire vraie. Une professeure de philosophie est mise à pied suite à une accusation d’apologie du terrorisme après les attentats de Charlie Hebdo.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-jclattes.fr/livre/laccusation-9782709672085/">JCLattes</a></span>
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<p>C’est ce dont témoigne Aïcha Béchir dans son roman <a href="https://www.editions-jclattes.fr/livre/laccusation-9782709672085/"><em>L’accusation</em></a> qui vient de paraître. La professeure de philosophie nous invite à questionner ce « nous-Charlie » qui a ouvert une brisure pour certains musulmans vis-à-vis de la nation française en janvier 2015, et à retisser un « nous » national en <a href="https://theconversation.com/la-france-en-etat-de-choc-changer-de-regard-sur-lislam-53512">sortant de la défiance et des logiques d’humiliation</a> qui entraînent le <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2017-3-page-119.htm">repli identitaire</a>.</p>
<p>Cette question des humiliations symboliques ou physiques s’est rejouée de manière dramatique avec la mort du jeune Nahel à Nanterre tué par un policier à bout portant dans le cadre d’un contrôle routier.</p>
<p>Le projet présidentiel de « faire nation » mérite par conséquent une autre approche suite à cette mort violente du 27 juin à Nanterre, largement occultée par les émeutes et l’urgence du retour à l’ordre public, qui soulevait de nouveau de manière dramatique la question des pratiques discriminatoires de la police à l’égard des jeunes des <a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">quartiers populaires</a>.</p>
<p>Comme l’écrit Sébastian Roché les « contacts ordinaires avec des policiers, faits de peur et d’humiliation » <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/02/sebastian-roche-les-mauvaises-pratiques-policieres-sapent-les-fondements-de-la-republique_6180178_3232.html">minent le contrat social républicain</a> et défait la nation depuis maintenant des décennies.</p>
<h2>Un vocabulaire extrêmement grave</h2>
<p>Nous commémorerons dans quelques semaines les <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2006-4-page-809.htm">40 ans de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983</a> qui est née d’une violence policière à l’égard de Toumi Djaïdja, jeune issue de l’immigration coloniale vivant dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, grièvement blessé par balle par un gardien de la paix.</p>
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<figcaption><span class="caption">Agence IMMédia, YouTube, affaire dite des « Minguettes », 1983.</span></figcaption>
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<p>Or, comme le rappelle l’historien Emmanuel Blanchard, il faut pouvoir aborder ce que recouvrent ces pratiques de contrôle. Pour lui, ce maintien de l’ordre de la population des quartiers populaires issus de l’immigration postcoloniale est <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/02/emmanuel-blanchard-la-france-a-une-histoire-longue-de-la-racialisation-de-l-emprise-policiere_6180259_3232.html">hérité des pratiques coloniales</a> où le corps du colonisé (noir ou arabe) est soumis à des violences dérogatoires autorisées par la hiérarchie.</p>
<p>Pour (re)faire nation, c’est toute une formation au sein de la police qui doit être mise en place en urgence pour faire évoluer les pratiques et les relations avec les habitants, plutôt que de maintenir des logiques d’humiliation envers des populations disqualifiées, voire déshumanisées.</p>
<p>Car les mots utilisés par certains syndicats de police pendant les émeutes ont profondément interrogé. Un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/en-guerre-contre-des-nuisibles-ce-communique-de-deux-syndicats-de-police-indigne_AN-202306300742.html">communiqué de presse public</a> le 30 juin 2023 appelait ainsi « au combat contre ces nuisibles », déclarant « nous sommes en guerre » ». Ces termes pour évoquer les participants aux émeutes (« ces nuisibles » ) relèvent d’un <a href="https://journals.openedition.org/germanica/2464">vocabulaire totalitaire</a> extrêmement grave qui n’a valu aucune condamnation de la part du ministre de tutelle Gérard Darmanin.</p>
<p>Le déni de l’État envers ces logiques d’humiliation – par les mots et les actes – dans les opérations de contrôle et de maintien de l’ordre de policiers valide ainsi des expériences sociales qui défont au quotidien la nation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212798/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Ledoux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour « faire nation », le président Macron veut s’appuyer sur l’enseignement de l’histoire et la laïcité, mais néglige des logiques d’humiliation à l’œuvre qui produisent des effets délétères.Sébastien Ledoux, Maître de conférences, historien, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2125082023-08-30T16:31:02Z2023-08-30T16:31:02ZLa rentrée sans tambours du président Macron<p>La réunion de tous les partis politiques à l’initiative du chef de l’État ce mercredi 30 août, dans le souci de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/08/30/emmanuel-macron-sonde-les-partis-politiques-pour-relancer-son-quinquennat_6187024_823448.html">« relancer »</a> un élan d’ampleur, fait penser à ce trait de Jules Renard dans ses <a href="https://www.actes-sud.fr/node/16942"><em>Carnets</em></a> (1898) : « Quand on n’a plus à compter sur rien, il faut compter sur tout. » Après un été où le temps politique lui aussi semblait figé dans une brume de chaleur, cet effort présidentiel se lit comme une fin de parenthèse <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-republique_en_jachere_2016_2023_de_macron_a_janus_claude_patriat-9782140489150-77598.html">dans un champ politique en attente</a>. </p>
<p>Après une première année de second mandat <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">brûlante</a> d’une <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">contestation sociale violente</a> attisée par des oppositions refusant tout compromis, chacun semble revenu à ses moutons. À droite comme à gauche, on fixe obstinément les yeux sur l’horizon 2027 dont on attend, après le départ d’Emmanuel Macron, qu’il remette la vie politique sur ses « vrais » rails, ceux occupés par les <a href="https://theconversation.com/les-partis-politiques-peuvent-ils-se-relever-des-crises-150763">vieux partis</a> de gouvernement.</p>
<h2>Impasses</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/les-republicains-face-a-leur-declin-195692">La droite erre</a>, désorientée, dans un labyrinthe où s’affrontent les ombres antagonistes du populisme et celles du tropisme centriste. <a href="https://theconversation.com/la-social-democratie-est-elle-de-retour-209417">La gauche</a> épuise ses faibles forces pour tenter de sortir vivante de l’impasse dans laquelle l’ont plongée ses insuffisances passées et le radicalisme de la <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-peut-elle-se-donner-les-moyens-de-ses-ambitions-189731">France Insoumise</a>. Profitant de cette inertie, l’extrême droite incarnée par le RN poursuit quant à elle son agenda, en marchant sans bruit, discrète depuis <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-suisse-pourquoi-le-rn-se-fait-discret-sur-les-retraites">l’épisode des retraites</a>.</p>
<p>Or, rien n’interdit de penser que les Français pourraient se lasser de <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-confiance-dans-les-partis-politiques-une-specificite-francaise-155780">cette guerre de tranchées</a> sans autre horizon que de revenir en arrière, soit à des jeux partisans clairement condamnés.</p>
<h2>Des Français désabusés</h2>
<p>Au fil des années de contestation sur fond de crises – « gilets jaunes », Covid, puis réforme des retraites –, une séparation s’est instituée entre <a href="https://theconversation.com/la-france-desenchantee-185048">l’État et la société</a>, mettant en grande fragilité le système représentatif et la légitimité des gouvernants. Il faudrait donc inventer un <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">nouveau rapport au politique</a> pour réconcilier les Français et les partis.</p>
<p>Mais ce nouveau rapport des citoyens à l’État, n’était-ce pas le cœur même de la proposition dont se réclamait Emmanuel Macron en 2017 ? N’était-ce pas le sens profond de sa démarche ? <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Condamné aujourd’hui à une politique des petits pas</a>, étroitement borné par une majorité relative, le projet a fait long feu.</p>
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<p>Entre un jeune premier président entamant une réforme en profondeur du système social, et un néo-président devant se contenter d’un ajustement paramétrique de l’âge du départ en retraite, <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-president-candidat-rassembleur-et-aseptise-178616">il y a à l’évidence un fossé</a>. Encore lui fallut-il avoir recours à toutes les ressources constitutionnelles pour parvenir à ses fins, quitte à provoquer un surcroît de fièvre des opposants contre sa gouvernance. Il s’agit pour lui, à présent, de reprendre l’initiative et de tracer la voie de son second mandat.</p>
<h2>Gouverner, c’est tenir</h2>
<p>Dans son interview au <em>Point</em> du 24 août 2023, Emmanuel Macron <a href="https://www.lepoint.fr/politique/exclusif-emmanuel-macron-la-grande-explication-23-08-2023-2532581_20.php">réaffirme</a> d’abord sa ferme volonté de présider « jusqu’au dernier quart d’heure ! » Pas d’abandon de poste, mais pas non plus de retour au projet de départ : de la continuité tenace, intégrant les nouvelles contraintes qui pèsent sur l’Europe et la France.</p>
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<a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Le RN est-il devenu un parti comme les autres ?</a>
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<p>Il interprète la crise de la démocratie comme une crise de l’efficacité qui se conjugue et se cumule avec le dérèglement géopolitique, le dérèglement climatique et le dérèglement technologique : cette exaspération des usages numériques, nivelant les paroles et les valeurs, contribuant à saper l’autorité politique. Mais en face de ce rude constat, le président ne propose plus de révolution ni de réformes radicales. L’heure n’est plus aux grands chantiers, si l’on excepte <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/29/macron-attal-l-ecole-en-double-commande_6186918_3232.html">cette place centrale accordée à l’École</a> pour reconstruire le vivre ensemble : la voici qui devient le cœur de son projet, au point d’élargir pour elle la <a href="https://www.cairn.info/droit-institutions-et-systemes-politiques--9782130399896-page-43.htm">grammaire gaullienne du pouvoir</a>, en la faisant rentrer dans le « domaine réservé » présidentiel.</p>
<p>Mais de réforme des institutions, sujet de tensions contradictoires, il n’en est plus question ; de remédiation à la crise du système représentatif, non plus.</p>
<p>L’heure est à la quête d’un consensus apaisé, Emmanuel Macron confirmant sa volonté de poursuivre la recherche œcuménique de compromis de circonstance avec les oppositions en constituant des « majorités de projets », voire en organisant un <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/un-referendum-a-plusieurs-questions-emmanuel-macron-ouvert-a-lidee-assure-oliver-veran-5d093f2a-456e-11ee-b1e4-bd520a28f26a">référendum</a>.</p>
<p>Est-il vraiment convaincu de l’efficacité de cette démarche ? Rien n’est moins sûr : l’affaire des retraites a montré les limites d’une stratégie d’ouverture. Mais l’important, c’est de garder l’apparence du dialogue, et s’il ne réussit pas, que la faute en soit portée sur des opposants s’entêtant dans le refus obstiné ou dans la surenchère.</p>
<h2>La carte du temps</h2>
<p>Emmanuel Macron a choisi de jouer la carte du temps, de laisser celui-ci faire son travail d’éclaircissement, sinon de clarification. La Nupes, sur fond d’élections européennes, montre les limites d’une entente électorale de circonstance et semble engagée dans un processus d’autodissolution ; la droite cherche un passage au flanc de la majorité présidentielle dont elle veut se distinguer tout en récupérant ses voix le moment venu.</p>
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<p>Et dans son propre camp, le maintien à Matignon d’Elisabeth Borne, longtemps <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/elisabeth-borne-a-t-elle-eu-sa-carte-au-parti-socialiste-9088123">proche du parti socialiste</a>, permet au président de contenir le tropisme prématuré et droitier de certains de ses ministres…</p>
<p><a href="https://www.leparisien.fr/politique/cest-assez-violent-pap-ndiaye-francois-braun-la-claque-du-remaniement-pour-les-ministres-de-la-societe-civile-12-08-2023-SX5Z5OKCI5CJDPINCDRUZGSIHU.php">Le remaniement</a> lui a d’ailleurs permis d’élaguer quelques branches devenues encombrantes pour mieux installer des fidèles inconditionnels aux commandes des ministères sensibles.</p>
<h2>Profonde mutation</h2>
<p>À l’heure où l’économie française fait preuve d’une santé enviable et où il est tout à fait possible de laisser du temps au temps, l’opposition systématique érode image et confiance. Et si d’aventure, à l’occasion de l’utilisation de l’article 49.3, une censure était adoptée par les oppositions réunies pour l’occasion, une voie serait ouverte à Emmanuel Macron pour sortir de la nasse où on le tient enfermé. Plutôt que de dissoudre immédiatement, confier le poste de premier ministre, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-organise-t-elle-la-cohabitation">comme la constitution le prévoit</a>, à l’un des chefs d’opposition : à charge pour le censeur de dégager une majorité et de proposer un gouvernement de cohabitation.</p>
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<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron reçoit les différents partis politiques le 30 août.</span></figcaption>
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<p>L’affaire mettrait en évidence l’incapacité de formuler et conduire une proposition alternative, autorisant le président à en appeler au peuple pour trancher la question. Mais sauf accident on n’en est pas là : jusqu’aux élections européennes, l’horizon politique risque fort de n’être qu’un horizon d’attente.</p>
<h2>Inconscience ou impréparation ?</h2>
<p>Après avoir accompli la première phase de son ambition et décapité les partis de gouvernement qui monopolisaient la scène en alternance, puis entamé l’exécution de ses premiers engagements, le président Macron s’est rapidement trouvé d’abord freiné, puis véritablement empêché.</p>
<p>Malgré une majorité plus que confortable à l’Assemblée nationale, il s’est heurté au mur étanche formé par <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-de-limpossible-compromis-au-49.3-185879">l’absence totale de culture de compromis de la classe politique française</a>, puis par la montée de la défiance sociale suractivée par les réseaux socionumériques et amplifiée par les populistes.</p>
<p>Inconscience ou impréparation ? Emmanuel Macron n’a pas été en situation de choisir les chemins qui auraient pu l’aider à contourner l’obstacle : l’utilisation des ordonnances en matière sociale, par exemple, était certes un moyen de gagner du temps, mais pas de rompre avec les méthodes verticales de ses prédecesseurs. Plus grave, le refus de transformer « En Marche » en véritable mouvement politique capable de faire face aux autres en développant un corpus socialement et politiquement partagé, pèsera très lourd dans le déficit électoral.</p>
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<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<p>Enfin, tarder à entamer, puis enterrer la réforme des institutions et du système démocratique, c’était se priver des moyens d’une remédiation en profondeur. Les élections sénatoriales, puis les élections locales mettront cruellement en évidence la faiblesse de son enracinement territorial. D’une certaine manière, ce président, sans doute élu trop tôt et désarmé face à des opposants solidement assis dans leurs bases locales, s’est aussi empêché d’empêcher…</p>
<p>Le projet macronien était pourtant porteur d’une vraie tentative de sortir la politique française de son manichéisme stérilisant. Comme l’a très bien montré dans ces colonnes Speranta Dumitru, Emmanuel Macron s’inspirait du <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-le-liberalisme-egalitaire-comprendre-la-philosophie-de-macron-76808">libéralisme égalitaire</a> théorisé par John Rawls. Ces idées font d’ailleurs écho à la pensée <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Mounier_Emmanuel/qu_est-ce_que_le_personnalisme/qu_est-ce_que_le_personnalisme.html">d’Emmanuel Mounier</a> et des socialistes français : promouvoir un développement centré sur la personne et son autonomie, donner à chacun la capacité de choisir les moyens de se réaliser. Devrons-nous aller attendre sous l’orme qu’on oublie cette occasion manquée ?</p>
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<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-republique_en_jachere_2016_2023_de_macron_a_janus_claude_patriat-9782140489150-77598.html">République en jachère. 2016-2023. De Macron à Janus</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’initiative présidentielle ne permet aucune réinvention politique alors même que les principaux concernés, partis comme citoyens, restent dans l’expectative.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2112432023-08-20T19:59:58Z2023-08-20T19:59:58ZEmmanuel Macron en Indo-Océanie : vers une diplomatie insulaire et climatique ?<p>En se rendant dans le Pacifique Sud et au Sri Lanka du 24 au 29 juillet 2023, Emmanuel Macron a mis en avant une <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/290557-emmanuel-macron-27072023-indopacifique">approche française renouvelée pour la région</a>.</p>
<p>Cinq ans après son précédent voyage et l’annonce d’une stratégie indo-Pacifique ambitionnant d’incarner une troisième voie, s’agit-il d’un aggiornamento géopolitique pour solder les comptes de <a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">l’AUKUS</a>, cet accord de coopération militaire signé en 2021 entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis au grand dam de Paris ?</p>
<h2>L’insularité, nouveau levier d’influence ?</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-caledonie-se-rappelle-au-bon-souvenir-de-la-strategie-indo-pacifique-210485">Après Nouméa</a>, Emmanuel Macron s’est rendu au Vanuatu, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Sri Lanka : ce fut la première visite d’un président français <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/relations-etat-pays-la-zone-pacifique-francaise-a-tout-prix-1418702.html">dans les États insulaires proches des territoires français</a>, qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie ou de la Réunion. De son côté, la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna a effectué une <a href="https://fj.ambafrance.org/Deplacement-de-Catherine-Colonna-a-Suva-25">visite remarquée aux Fidji</a>. La dénonciation de <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/27/emmanuel-macron-vanuata-visit-pacific-imperialism">« nouveaux impérialismes »</a>, la défense des « souverainetés », l’urgence climatique ont dominé les prises de parole.</p>
<p>Le périple présidentiel a accordé la première place à la <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/emmanuel-macron-en-nouvelle-caledonie-suivez-le-discours-du-chef-de-l-etat-depuis-la-place-de-la-paix-en-nouvelle-caledonie-1416548.html">Nouvelle-Calédonie</a>, à la mesure des enjeux que représente le territoire pour appuyer la qualité d’État résident que la France met en avant pour revendiquer son identité indo-pacifique. Plus significativement, ces visites dans l’arc mélanésien voulaient rendre compte de son intégration dans une aire culturelle et politique spécifique grâce à la Nouvelle-Calédonie. <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/asie-visions/caledonie-depasse-caledonie-ancrage-regional-perspectives">Cette dernière, qui dispose d’un statut différencié</a>, pourrait d’ailleurs, à terme, voir la mise en place d’un fédéralisme insulaire augurant de nouvelles relations avec la France. L’espace océanien offre de multiples exemples d’associations entre autonomie et fédéralisme.</p>
<p>Si Emmanuel Macron a fait amende honorable au Vanuatu, ancien condominium franco-britannique, en reconnaissant le passé colonial de la France, il reste pour lui délicat d’exploiter le registre de « l’indépendance des peuples ». Non seulement les relations avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, désormais dirigées par des forces indépendantistes, restent complexes, mais le colonialisme constitue un souvenir vivace dans la région. À l’instar du Vanuatu, les îles Salomon et la Papouasie-Nouvelle-Guinée n’ont obtenu leur indépendance qu’à la fin des années 1970.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1684468093337346051"}"></div></p>
<h2>Engagés pour la sécurité environnementale</h2>
<p>La visite d’Emmanuel Macron intervient alors qu’il est devenu difficile pour la France de continuer à promouvoir une approche indo-pacifique à dominante stratégique. L’espace international est devenu plus contrasté. Les affiliations et les loyautés se recomposent à la lueur de clivages révélés par la guerre en Ukraine et le <a href="https://theconversation.com/polynesie-francaise-et-oceanie-quelles-strategies-chinoises-140463">durcissement de la rivalité Chine-États-Unis</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.iris-france.org/177282-emmanuel-macron-en-oceanie-recalibrer-les-ambitions-indopacifiques-de-la-france-a-laune-dun-ancrage-neo-caledonien-national-et-regional/">« réengagement » de la France dans la région</a> se fait à l’échelle de sa géographie insulaire et d’un agenda reflétant les mêmes vulnérabilités que ses voisins îliens. La France choisit ainsi le positionnement d’un « acteur engagé » aux côtés des premiers ministres vanuatuan Ishmael Kalsakau et papouasien James Marape, pour coopérer plus efficacement contre le réchauffement climatique, les catastrophes climatiques et défendre la biodiversité. Les pays océaniens ont été les premiers à ratifier l’accord de Paris sur le climat en 2015 et <a href="https://theconversation.com/justice-climatique-ce-nouveau-front-ouvert-par-les-petits-etats-insulaires-a-lonu-203135">restent très mobilisés</a>. Le président Macron entend défendre avec eux <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230728-en-papouasie-emmanuel-macron-mise-sur-la-pr%C3%A9servation-de-l-environnement">l’idée de contrats reposant sur des rémunérations</a> contre services environnementaux. Une initiative dont la Papouasie-Nouvelle-Guinée devrait bénéficier en premier pour la défense de ses forêts primaires.</p>
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<p>Cette diplomatie climatique innovante met quelque peu entre parenthèses le narratif indo-pacifique national jusqu’ici construit sur la thématique de la « France-puissance », au demeurant <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/reconceptualiser-politique-etrangere-securite-francaise-indo-pacifique-2023">largement questionné</a>. Celui-ci s’accorde mal avec la réalité de sa présence et les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/28/dans-l-indo-pacifique-les-armees-francaises-confrontees-a-leurs-limites-capacitaires_6183644_3210.html">limites de ses moyens économiques et militaires face à des pays comme la Chine</a>,ou les États-Unis.</p>
<p>La France a su démontrer par des déploiements ponctuels de bâtiments de guerre et d’avions de combat Rafale qu’elle était capable de projeter rapidement des capacités militaires en Indo-Pacifique. Les 13 milliards d’euros alloués par la loi de programmation militaire aux Outre-mer serviront avant tout à moderniser les équipements existants, incluant quatre patrouilleurs pour l’Océanie, et à augmenter les effectifs. Ceci permettra à la base militaire de Nouméa de renforcer son rôle d’assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle, d’aide à la surveillance maritime et à la formation régionales.</p>
<h2>Prévenir l’érosion de la présence française dans une Océanie très convoitée</h2>
<p>La tournée présidentielle devra cependant être suivie d’actions transformatives et entretenue par d’autres visites de haut niveau. À l’heure où la France a vu la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/revue-de-presse-afrique/20220902-%c3%a0-la-une-la-guerre-d-influence-3-0-en-afrique-la-france-contre-attaque">mobilisation intense des réseaux sociaux et des médias locaux</a> miner sa position en Afrique, elle peut craindre qu’un scénario similaire se mette en place dans le Pacifique Sud. Ériger Nouméa en pôle de sécurité environnementale et maritime, et redéployer l’Agence française de développement dans la région cherche à prévenir toute « surprise stratégique ».</p>
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<p>Alors que les pays occidentaux ont longtemps exercé une grande influence en Océanie, la <a href="https://foreignpolicy.com/2022/06/05/china-south-pacific-solomon-islands-security-deals-us-australia/">Chine a fait de réels progrès</a>. Pékin a courtisé assidûment les élites politiques, investi dans des infrastructures indispensables au Vanuatu, aux Fidji, Tonga et en Papouasie-Nouvelle- Guinée, et est devenu un acteur économique significatif. Toutefois, sa stratégie a acquis une dimension sécuritaire qui inquiète.</p>
<p>En juillet dernier, Pékin a accueilli le premier ministre salomonais pour une visite d’État, poursuivant le développement des relations avec cet archipel stratégiquement important. Pékin a en effet signé un <a href="https://www.abc.net.au/news/2022-04-19/china-and-solomon-islands-sign-security-pact-says-chinese-foreig/101000530">accord de coopération avec les Salomon</a> en avril 2022, autorisant des escales techniques de ses bateaux et l’envoi potentiel de forces de police chinoises.</p>
<p>Le nouvel activisme diplomatico-militaire américain dans les îles du Pacifique est une autre réalité avec laquelle la France doit composer. En 2022, les États-Unis ont lancé l’initiative <a href="https://www.state.gov/joint-statement-on-partners-in-the-blue-pacific-foreign-ministers-meeting/">« Partners in the Blue Pacific »</a> afin de renforcer la résilience climatique des États insulaires et les aider à protéger leurs vastes espaces maritimes. Récemment, ils ont signé un <a href="https://theconversation.com/the-us-signs-a-military-deal-with-papua-new-guinea-heres-what-both-countries-have-to-gain-from-the-agreement-206159">accord de défense avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée</a>, ouvert de nouvelles <a href="https://edition.cnn.com/2023/05/10/asia/us-opens-tonga-embassy-intl-hnk/index.html">ambassades aux Îles Salomon et à Tonga</a>, renouvelé les accords de libre association avec les <a href="https://www.abc.net.au/news/2023-05-16/us-federated-states-of-micronesia-palau-china-pact/102350178">États Fédérés de Micronésie et Palau</a>.</p>
<h2>Rester mobilisé aux côtés des États insulaires</h2>
<p>Les dirigeants du Pacifique ont une opinion mitigée de l’attention renouvelée et relativement récente qu’ils suscitent. D’une part, ils s’en réjouissent car ils peuvent l’utiliser à leur avantage. D’autre part, ils craignent que l’intensification de la concurrence géopolitique nuise à la cohérence régionale et à leur « Pacific Way ». Ils ne considèrent pas les <a href="https://carnegieendowment.org/2023/03/28/understanding-indo-pacific-island-way-pub-89384">relations avec les États-Unis et la Chine comme un choix binaire</a>, et ils veulent éviter de devenir les pièces d’un échiquier dominé par des puissances plus importantes.</p>
<p>La France doit tenir compte de ces éléments. Il est tentant pour Emmanuel Macron de dénoncer comme il l’a fait les <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20230727.OBS76263/au-vanuatu-macron-denonce-les-ingerences-et-les-nouveaux-imperialismes-en-oceanie.html">« ingérences » et les « nouveaux impérialismes »</a>. Mais il lui faut démontrer qu’il apprécie les partenariats avec les États insulaires pour leurs valeurs propres et l’action diplomatique qu’ils peuvent conduire ensemble sur le climat, la biodiversité, l’exploitation des fonds marins et non uniquement dans une logique de concurrence géopolitique avec les États-Unis ou la Chine. La COP 28 prévue à Dubaï en décembre prochain constituera un test des capacités de mobilisation de la France aux côtés de ses nouveaux alliés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211243/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans une Océanie très convoitée, le président Macron cherche à prévenir l’érosion de la présence française. Le point sur les leviers employés.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2104852023-07-27T19:37:28Z2023-07-27T19:37:28ZLa Nouvelle-Calédonie se rappelle au bon souvenir de la stratégie Indo-Pacifique<p>Du 24 au 26 juillet 2023, Emmanuel Macron s’est rendu en Nouvelle-Calédonie pour la deuxième fois en tant que président de la République. Cinq ans auparavant, en mai 2018, c’est depuis cette collectivité française d’outre-mer que le chef de l’État avait <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/05/05/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-sur-la-nouvelle-caledonie-a-noumea">formalisé</a> une stratégie indo-pacifique française, et précisé le rôle clé que la Nouvelle-Calédonie serait amenée à jouer dans cette région.</p>
<p>Ainsi que le président <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nHzw-39oYuM">l’a rappelé</a> lors de son discours :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons conforter la Nouvelle-Calédonie comme une puissance océanienne et un levier de rayonnement international et Indo-Pacifique de la France. »</p>
</blockquote>
<p>En effet, l’archipel mélanésien est une pierre angulaire de la stratégie française dans la zone. Située en plein cœur du Pacifique océanien, théâtre d’une rivalité sino-américaine croissante, la Nouvelle-Calédonie est également le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/nouvelle-caledonie-top-5-producteurs-mondiaux-nickel-849722.html">quatrième producteur mondial de nickel</a> et dispose d’une vaste zone économique exclusive potentiellement riche en matière première.</p>
<p>Si depuis 2018 la nouvelle nomenclature Indo-Pacifique est devenue un <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/fr_a4_indopacifique_022022_dcp_v1-10-web_cle017d22.pdf">leitmotiv</a> du discours diplomatique français, en 2023 à Nouméa, il fut moins question de projet géopolitique que d’évolution statutaire et de réforme constitutionnelle.</p>
<h2>Un processus de décolonisation inachevée ?</h2>
<p>La Nouvelle-Calédonie est un archipel sous souveraineté française situé dans le Pacifique Sud, à 1 200 km à l’est-nord-est des côtes australiennes et à 1 500 km au nord-nord-ouest de la Nouvelle-Zélande. Peuplée par des populations mélanésiennes depuis plus de 3 000 ans (les Kanaks), la Grande terre, l’île principale de l’archipel, est mise en lumière dans le monde occidental par le navigateur britannique James Cook en 1774, et proclamée Française en 1853 <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/nouvelle-caledonie-165-ans-dune-histoire-mouvementee">sous la pression des frères maristes</a> alors en pleine guerre des clochers dans le Pacifique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte de la Nouvelle-Calédonie.</span>
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<p>D’abord <a href="https://www.lhistoire.fr/la-nouvelle-cal%C3%A9donie-%C2%AB-une-colonisation-pas-comme-les-autres-%C2%BB">discriminé</a> par l’autorité coloniale, à travers la spoliation des terres et un régime civil inique, le peuple kanak va progressivement accéder aux droits civiques. Mais il reste largement en marge du développement économique, provoqué par le <a href="https://www.mncparis.fr/uploads/Nickel_MNC.pdf">boom du nickel des années 1960</a>. Les indépendances successives dans le Pacifique Sud (îles Samoa 1962, Nauru 1968, Fidji et Tonga 1970, îles Salomon 1975, Vanuatu 1980) contribuent au développement d’une conscience identitaire et à l’émergence de revendications nationales kanak, sous la houlette notamment de leaders politiques tels que Jean-Marie Tjibaou.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean-Marie Tjibaou : son combat pour une Nouvelle-Calédonie indépendante (Franceinfo INA).</span></figcaption>
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<p>De 1984 à 1988, la situation politique s’envenime marquant le début des « événements », appellation pudique pour <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/documentaire-waan-yaat-sur-une-terre-de-la-republique-eclaire-un-episode-sanglant-des-evenements-de-nouvelle-caledonie-1399278.html">qualifier une situation de guerre civile</a>.</p>
<p>Le paroxysme des tensions est atteint en 1988 lorsque quatre policiers français sont assassinés par des militants indépendantistes, et 26 autres pris en otage sur l’île d’Ouvéa. Une opération de libération menée par l’armée française se soldera par la mort de 19 militants indépendantistes et de deux militaires français.</p>
<p>La médiation de Michel Rocard aboutit à la signature des <a href="https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Actions-de-l-%C3%89tat/Elections/Elections-2020/REFERENDUM-2020/Les-etapes-du-processus-institutionnel">accords de Matignon en juin 1988</a>, prévoyant la mise en place d’un statut de transition de dix ans qui devait se solder par un référendum et un rééquilibrage économique. L’accord de Nouméa de 1998 repousse l’échéance électorale de vingt ans et institutionnalise une forte autonomie de la collectivité, avec des transferts de compétences inédits sous la V<sup>e</sup> République, rapprochant la France d’une organisation quasi fédérale, dans laquelle l’État partage avec la Nouvelle-Calédonie différentes compétences législatives, juridictionnelles et administratives.</p>
<p>Parallèlement au combat mené pour réformer les normes juridiques françaises et locales, la Nouvelle-Calédonie est réinscrite sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU depuis 1986 (<a href="https://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=A/RES/41/41&Lang=F">résolution 4141</a>).</p>
<h2>Trois référendums, deux volontés de « vivre ensemble »</h2>
<p>En 2018, conformément aux accords de Nouméa, les Calédoniens étaient invités à se prononcer par voie de référendum pour répondre à la question suivante : « voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » En cas de réponse négative, deux autres référendums pouvaient être organisés dans un délai de 4 ans. Ce fut le cas. Lors des deux premières échéances (2018, 2020), une majorité de « Non » l’a emporté, mais les résultats furent plus serrés que ne l’avait prédit les sondages (56,67 % en 2018 et 53,26 % en 2020, soit 10 000 voix d’écart).</p>
<p>La corrélation entre l’appartenance communautaire et le vote fut quasi parfaite. Les Kanaks ont voté pour l’indépendance, les autres communautés ont voté contre.</p>
<p>Les statistiques ethniques <a href="https://www.isee.nc/population/recensement/communautes">étant autorisées</a> en Nouvelle-Calédonie, cette ethnicisation du vote <a href="https://outremers360.com/politique/expertise-referendum-en-nouvelle-caledonie-la-double-impasse-electorale-par-pierre-christophe-pantz">a été démontrée</a>.</p>
<p>Pour le 3<sup>e</sup> référendum du 12 décembre 2021, les principaux partis indépendantistes avaient appelé au boycott en raison du contexte sanitaire de la crise du Covid. Les résultats (96,5 % « NON ») ont donc été fragilisés d’une abstention massive.</p>
<p>Processus référendaire en Nouvelle-Calédonie :</p>
<p>Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">résultats des referendums.</span>
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<p>Ainsi, le processus référendaire qui devait déboucher sur une évolution statutaire consensuelle s’apparente désormais comme le début d’une période de confrontation politique. L’ethnicisation du vote est une réalité, même si elle va à l’encontre du destin commun prôné par l’État depuis 1988.</p>
<p>Les partis indépendantistes ont déjà contesté la légitimité démocratique du dernier referendum auprès d’organisations internationales (ONU, Forum des îles du Pacifique, Groupe de fer-de-lance mélanésien).</p>
<p>Et maintenant ? Telle était la question que pouvait se poser le président Macron avant d’atterrir à Nouméa le 24 juillet 2023.</p>
<h2>« Ne pas jeter la poussière sous le tapis »</h2>
<p>L’accord de Nouméa reste évasif en cas de choix de maintien au sein de la République française à l’issue des trois referendums. Les spécialistes de droit constitutionnel débattent des dispositions à adopter. Le statut actuel est-il devenu caduc ou les dispositions prévues par les accords sont irréversibles ?</p>
<p>Le principal point d’achoppement concerne la restriction du corps électoral pour les scrutins locaux et référendaires à toute personne installée sur le territoire après 1994. Cette revendication historique des partis indépendantistes exclut près de 34 000 personnes, soit 17 % de l’électorat. Un seul point semble faire l’unanimité : une révision constitutionnelle <em>a priori</em> inévitable.</p>
<p>Emmanuel Macron <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/emmanuel-macron-a-nouvelle-caledonie-la-1ere-je-vais-ouvrir-des-chemins-d-avenir-mais-il-faut-le-faire-de-facon-consensuelle-1416461.html">l’a annoncé</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les provinciales 2024 se tiendront. Ensuite il faudra de toute façon un changement de la Constitution […]beaucoup avant moi avaient poussé la poussière sous le tapis […] Procrastiner et faire du sur place, ce n’est pas être respectueux. »</p>
</blockquote>
<p>Il faut donc inventer un nouveau statut et renouer le fil du dialogue avant les prochaines élections provinciales prévues en 2024. Vaste projet, surtout que les partis des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/12/nouvelle-caledonie-independantistes-et-loyalistes-se-croisent-de-nouveau-a-matignon_6169125_823448.html">deux camps</a> refusent pour l’instant de se parler. Et que certains élus indépendantistes ont <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/emmanuel-macron-en-nouvelle-caledonie-pourquoi-l-uc-n-a-pas-participe-a-la-reunion-avec-le-president-1416680.html">refusé</a> de rencontrer le Président. </p>
<h2>Dissonances franco-françaises en Indo-Pacifique ?</h2>
<p>La vie n’est donc pas un vaste océan tranquille pour Emmanuel Macron dans le Pacifique océanien. Car la Nouvelle-Calédonie n’est pas la seule complexité française de la région. Ainsi, les habitants de Polynésie française <a href="https://thediplomat.com/2023/05/french-polynesias-new-pro-independence-leadership/">ont élu</a> en 2023 une assemblée et un président indépendantiste.</p>
<p>De surcroît, le voyage présidentiel qui devait mener Emmanuel Macron dans un autre archipel français, Wallis-et-Futuna, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/wallisfutuna/emmanuel-macron-ne-viendra-finalement-pas-a-wallis-et-futuna-1414658.htm">fut annulé brusquement</a>, sans raison officielle, mais officieusement en raison d’une grève qui dure depuis deux mois.</p>
<p>Le président a néanmoins poursuivi son périple dans le grand océan, entre autres, pour promouvoir la francophonie au Vanuatu et protéger les forêts en Papouasie-Nouvelle-Guinée.</p>
<p>Dans le Pacifique français, stratégie internationale de l’État et réalités politiques locales ne s’articulent pas toujours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210485/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La situation en Nouvelle-Calédonie reflète les points de tensions et les rapports de force ethniques que doit appréhender la diplomatie française dans l’Indo-Pacifique.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.