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Notre-Dame de Paris – The Conversation
2023-04-18T15:37:00Z
tag:theconversation.com,2011:article/203979
2023-04-18T15:37:00Z
2023-04-18T15:37:00Z
Incendie de Notre-Dame : un cas de « surprise prévisible » qui aurait pu être évité
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521333/original/file-20230417-22-u6hui8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=134%2C32%2C1063%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il y a quatre ans, la cathédrale emblématique de Paris était ravagée par les flammes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/145497889@N06/47563907512">Vfutscher/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 15 avril 2019, la cathédrale <a href="https://theconversation.com/fr/topics/notre-dame-de-paris-69564">Notre-Dame de Paris</a> a été dévastée par un incendie. En quelques heures, la flèche et les deux tiers de la toiture se sont effondrés. L’intérieur de la cathédrale a également subi des dégâts importants. Deux mois après l’incendie, le parquet de Paris a rendu publics les résultats de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/notre-dame-aucun-element-accreditant-une-origine-criminelle-d-apres-l-enquete-preliminaire-parquet-de-paris-26-06-2019-2321221_23.php">l’enquête préliminaire</a>. Comme il n’y a pas eu d’intrusion dans la cathédrale et que l’analyse des débris de la toiture n’a pas permis de retrouver de traces d’hydrocarbures, les enquêteurs ont écarté la piste criminelle. Ils ont avancé deux autres hypothèses pour expliquer le désastre.</p>
<p>La première hypothèse est une cigarette mal éteinte. Au moment de l’incendie, des travaux de restauration de la charpente et de la toiture étaient en cours à Notre-Dame. Interrogés par les enquêteurs, plusieurs ouvriers ont reconnu avoir fumé sur les échafaudages. L’analyse ADN des mégots récupérés à la base des échafaudages a confirmé leurs déclarations. Toutefois, l’incendie a démarré à l’intérieur de la cathédrale et les enquêteurs n’ont pas réussi à déterminer si les ouvriers avaient fumé à l’intérieur de la cathédrale. La seconde hypothèse est un court-circuit. Les ouvriers avaient entreposé une partie des échafaudages dans les combles. Il est possible que ce stockage ait abimé les branchements électriques des cloches et déclenché un court-circuit.</p>
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<p>Mais l’incendie de Notre-Dame ne peut pas s’expliquer entièrement par des erreurs commises par les employés « de première ligne ». Comme la plupart des autres désastres, ses causes sont plus profondes.</p>
<h2>La sécurité n’était pas une priorité</h2>
<p>D’une part, le système de sécurité incendie (SSI) de la cathédrale présentait des failles importantes. Alors que ces équipements auraient sans doute permis de sauver les combles et la flèche de Notre-Dame, il ne prévoyait ni cloisons coupe-feu ni système de brumisation automatique. Il reposait entièrement sur la détection et l’intervention humaine rapide pour étouffer le plus rapidement possible un éventuel début d’incendie.</p>
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<p>D’autre part, la sécurité ne semble pas avoir été une priorité à Notre-Dame. Alors que des travaux importants étaient en cours, le chantier ne faisait pas l’objet d’une surveillance particulière. Comme l’a raconté un employé de la cathédrale :</p>
<blockquote>
<p>« Contrairement à ce qui a pu être dit, personne n’allait vérifier le chantier après le départ des ouvriers. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0090261623000104">article</a> récent, nous avançons également l’hypothèse selon laquelle l’incendie de Notre-Dame est une « surprise prévisible » qui aurait pu être évitée. Les chercheurs américains et Michael D. Watkins et Max H. Bazerman définissent une <a href="https://hbr.org/2003/04/predictable-surprises-the-disasters-you-should-have-seen-coming">surprise prévisible</a> comme « un événement ou un ensemble d’événements qui prennent un individu ou un groupe par surprise, alors qu’ils disposaient de toutes les informations nécessaires pour anticiper ces événements et leurs conséquences ».</p>
<h2>Recommandations non suivies</h2>
<p>Quatre caractéristiques distinguent les surprises prévisibles des événements impossibles à prédire.</p>
<p><strong>Premièrement, les dirigeants savent que des problèmes existent… mais ils ne font rien pour les résoudre.</strong> Les incendies sont <a href="https://www.la-croix.com/France/En-France-triste-inventaire-monuments-historiques-incendies-2020-07-18-1201105487">fréquents dans les monuments historiques</a>. Le rôle joué par les travaux est également bien connu. D’après un architecte des monuments historiques :</p>
<blockquote>
<p>« On sait bien que ces incendies surviennent souvent dans ces moments-là, quand ces vieux édifices sont un peu remués ».</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, la sécurité n’a pas été renforcée pendant les travaux. Trois ans avant le désastre, des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) avaient également <a href="https://www.letemps.ch/monde/europe/notredame-etait-danger-un-rapport-oublie-laffirmait-2016">tenté d’alerter</a> les pouvoirs publics sur la vulnérabilité de la cathédrale face à un éventuel incendie. Comme l’a dit l’un d’entre eux :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avions dit en effet (que) le risque d’un embrasement de la toiture existait et qu’il fallait absolument la protéger et installer un système d’extinction ».</p>
</blockquote>
<p>Malheureusement, les recommandations de ce rapport n’ont jamais été suivies.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1119149271150804994"}"></div></p>
<p><strong>Deuxièmement, les employés se rendent compte que ces problèmes s’aggravent… mais personne ne les écoute.</strong> À Notre-Dame, la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) était chargée de la sécurité incendie. Comme elle a mal entretenu le SSI, il a <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/05/31/a-notre-dame-les-failles-de-la-protection-incendie_5470055_3246.html">rapidement connu des dysfonctionnements</a>. D’après un agent de sécurité :</p>
<blockquote>
<p>« Il y avait des déclenchements intempestifs dans les tours et les combles. À un moment, plus d’une dizaine dans la journée… Alors comme cela devenait insupportable, la Drac nous a carrément demandé de mettre le système en veille restreinte. »</p>
</blockquote>
<p>Au fil du temps, la Drac a également <a href="https://www.paj-mag.fr/2019/10/23/notre-dame-de-paris-six-mois-apres/">allégé le dispositif de sécurité</a>. Elle a notamment réduit le nombre d’agents de sécurité et décidé de fermer le PC sécurité la nuit. Cette situation préoccupait beaucoup les agents de sécurité. Pour l’un d’entre eux :</p>
<blockquote>
<p>« Je trouvais que c’était devenu trop dangereux. J’en parlais à ma femme, je lui disais qu’on était tellement peu nombreux là-bas que, s’il se passait quelque chose, la responsabilité était trop grande. »</p>
</blockquote>
<p><strong>Troisièmement, résoudre ces problèmes impliquerait des dépenses non négligeables.</strong> Comme on l’a vu, les enquêteurs ont avancé deux hypothèses pour expliquer l’incendie de Notre-Dame : une cigarette mal éteinte et un court-circuit. Ils ont également conclu à « une dégradation involontaire par incendie par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». En d’autres termes, le désastre provient essentiellement de négligences en matière de sécurité. La sécurité a un coût. Comme beaucoup d’autres organisations, la Drac n’a pas assez investi dans ce domaine… et les conséquences ont été dramatiques.</p>
<h2>Une préférence pour le statu quo</h2>
<p><strong>Quatrièmement, résoudre ces problèmes nécessiterait la remise en cause le <em>statu quo</em>.</strong> Bien que les failles du SSI de la cathédrale soient rapidement apparues, son concepteur et son successeur ont toujours refusé de revenir sur la décision d’équiper la charpente de cloisons coupe-feu et <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/04/19/pourquoi-n-y-avait-il-pas-d-extincteurs-automatiques-dans-la-cathedrale_1722451/">d’extincteurs automatiques</a>. Leur réticence à « mutiler » la charpente a finalement conduit à sa destruction complète. Alors que le clergé aurait pu demander à la Drac d’améliorer les normes de sécurité à Notre-Dame, il a – lui aussi – préféré le <em>statu quo</em>. Cela lui a notamment permis de <a href="https://www.europe1.fr/societe/incendie-a-notre-dame-de-paris-des-cloches-electrifiees-a-lorigine-du-sinistre-3894921">faire électrifier plusieurs cloches</a> dans les combles et la flèche… ce qui est contraire à toutes les règles de sécurité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-les-sciences-au-service-de-notre-dame-de-paris-188755">Dossier : Les sciences au service de Notre-Dame de Paris</a>
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<p>Quatre ans après l’incendie de Notre-Dame, le dossier est <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/patrimoine/notre-dame-de-paris-l-enquete-sur-l-origine-de-l-incendie-bientot-classee-20220819">sur le point d’être classé</a>. Le ministère de la Culture semble cependant avoir tiré des enseignements de cette surprise prévisible. En 2020, il a demandé un <a href="https://www.sudouest.fr/france/notre-dame-de-paris/notre-dame-de-paris-quot-plan-de-securite-quot-des-cathedrales-sept-monuments-ne-sont-toujours-pas-aux-normes-2007524.php">audit des 86 autres cathédrales françaises</a> en recommandant de porter « une attention toute particulière aux installations électriques et aux procédures mises en place à l’occasion de travaux ».</p>
<p>En février 2022, le Général Georgelin, président de l’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale, a également annoncé <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/04/14/jean-louis-georgelin-avec-notre-dame-de-paris-on-reconstruit-une-cathedrale-du-xxi-si%C3%A8cle_6169448_3246.html">l’installation de parois coupe-feu</a> et d’un système de brumisation des poutres. C’est une bonne nouvelle… mais la charpente du XIII<sup>e</sup> siècle et la flèche sont perdues à jamais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Barthélemy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Alertes sur les risques, inertie face aux problèmes de sécurité identifiés… Le drame du 15 avril 2019 présente des caractéristiques qui le distinguent des événements impossibles à prédire.
Jérôme Barthélemy, Professeur et Directeur Général Adjoint, ESSEC
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/202871
2023-04-14T16:47:30Z
2023-04-14T16:47:30Z
Explorer les archives de Notre-Dame de Paris grâce à l’intelligence artificielle
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520843/original/file-20230413-16-hdpwiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1709%2C636&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Trinité aux chanoines de Notre-Dame de Paris.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:La_Trinit%C3%A9_aux_chanoines_de_Notre-Dame_de_Paris_-_ENSBA.jpg">Maître de Dunois </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis <a href="https://theconversation.com/notre-dame-de-paris-comment-se-met-en-place-le-terrible-triangle-du-feu-115666">l’incendie</a> qui a ravagé <a href="https://theconversation.com/fr/topics/notre-dame-de-paris-69564">Notre-Dame de Paris</a> le 15 avril 2019, des centaines de chercheurs sont mobilisés afin d’étudier les vestiges de la cathédrale et collaborer à sa restauration.</p>
<p>À côté des groupes de travail du <a href="https://theconversation.com/dossier-les-sciences-au-service-de-notre-dame-de-paris-188755">chantier scientifique</a>, centrés sur le bâtiment (pierres, vitraux, charpente) et son architecture, une trentaine d’historiens et de conservateurs, rassemblés au sein du projet <a href="https://endp.hypotheses.org/">ANR e-NDP</a>, « Notre-Dame de Paris et son cloître », étudie spécifiquement la documentation textuelle de la cathédrale, les livres qui composaient sa bibliothèque et les archives manuscrites.</p>
<p>Coordonné par <a href="https://www.pantheonsorbonne.fr/page-perso/jmayade">Julie Claustre</a> et <a href="https://www.pantheonsorbonne.fr/page-perso/dsmith">Darwin Smith</a>, il réunit des chercheuses et chercheurs issus du <a href="https://lamop.pantheonsorbonne.fr/ressources/projets">Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris</a> (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CNRS), de <a href="https://www.chartes.psl.eu/fr/rubrique-centre-jean-mabillon/programmes-recherche">l’École nationale des chartes</a>, de la <a href="https://actions-recherche.bnf.fr/BnF/anirw3.nsf/IX01/A2021000009_anr-e-ndp-notre-dame-de-paris-et-son-cloitre">Bibliothèque nationale de France</a>, de la <a href="https://www.bibliotheque-mazarine.fr/fr/evenements/projets/e-ndp-notre-dame-de-paris-et-son-cloitre">Bibliothèque Mazarine</a> (où se trouvent désormais les livres de Notre-Dame) et des <a href="https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?formCaller=GENERALISTE&irId=FRAN_IR_059635">Archives nationales</a> (où est conservée une partie des archives de la cathédrale).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520844/original/file-20230413-22-44l2d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Registres capitulaires du chapitre cathédral de Notre-Dame (Archives nationales).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Isabelle Bretthauer</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-les-sciences-au-service-de-notre-dame-de-paris-188755">Dossier : Les sciences au service de Notre-Dame de Paris</a>
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<h2>Une documentation très riche</h2>
<p>Il existe une source essentielle pour connaître l’histoire de Notre-Dame : les registres rédigés, entre le XIV<sup>e</sup> et le XVIII<sup>e</sup> siècle, par les chanoines, c’est-à-dire les clercs qui assistent l’évêque de Paris pour exercer le culte dans la cathédrale et pour gouverner le diocèse. Au nombre de 51, ces chanoines composent ce qu’on appelle le chapitre de Notre-Dame, en charge du Trésor et de la liturgie dans l’église cathédrale.</p>
<p>Au-delà du culte, les chanoines détiennent l’autorité sur le quartier de la cathédrale, ont la tutelle de l’Hôtel-Dieu, l’un des hôpitaux les plus importants du royaume, situé à quelques pas de la cathédrale, et administrent les villages et les terres détenus par la cathédrale en Île-de-France.</p>
<p>Le chapitre de Notre-Dame constitue donc une institution puissante, autonome de l’évêque de Paris et en lien direct avec les autres pouvoirs de l’époque (la municipalité de Paris, l’université, les nobles, les évêques, le roi de France, le pape).</p>
<p>Trois fois par semaine, les lundi, mercredi et vendredi, les chanoines se réunissent pour prendre des décisions relatives à la cathédrale et à son patrimoine. Le notaire du chapitre est chargé d’écrire dans un registre la date de la réunion, la liste des présents et les conclusions des délibérations. 26 registres ont été conservés pour la période médiévale, de 1326 à 1504, soit plus de 14 600 pages de texte manuscrit latin.</p>
<p>Les chanoines statuent sur des questions très diverses : administration de la cathédrale et de son patrimoine, réception des nouveaux chanoines, dons de livres, affaires de discipline, liturgie, gestion des possessions et des droits du chapitre… Ainsi, en 1476, la cloche Gabriel, endommagée, est refaite et remontée dans la tour Guillaume de la cathédrale. Pour sa réfection, le chapitre paye 11 écus d’or.</p>
<p>On estime que les chanoines prennent entre 500 et 1 500 décisions par an. Bien connue des spécialistes de l’histoire de la cathédrale, cette documentation est si massive et si mal indexée qu’elle restait sous-utilisée.</p>
<h2>L’intelligence artificielle au service des historiens</h2>
<p>Rechercher une information dans ces registres exigeait jusqu’à présent de lire la totalité des décisions ou de se contenter des extraits collectés par des archivistes du chapitre depuis le XVII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Afin d’exploiter de manière exhaustive cette documentation massive et hétéroclite, notre projet utilise les ressources de l’intelligence artificielle (IA), pour transcrire intégralement les registres et pour exploiter leur contenu afin d’éclairer le rôle économique, culturel et social du chapitre de Notre-Dame.</p>
<p>Les 26 registres médiévaux ont d’abord été numérisés (ils sont disponibles sur le site des <a href="https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?formCaller=GENERALISTE&irId=FRAN_IR_059635">Archives nationales</a>. Puis l’équipe de recherche a mis au point une intelligence artificielle dite de « handwriting text recognition » (HTR), c’est-à-dire de reconnaissance des écritures manuscrites et de transcription automatique du texte. S’il existait déjà des modèles algorithmiques entraînés à lire des livres imprimés ou des écritures anciennes livresques, très lisibles car très normées et régulières, aucun modèle n’existait pour les <a href="https://hal.science/hal-03892163">écritures cursives</a> de notaires qui prennent des notes à la volée, abrègent les mots latins et écrivent très mal !</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=217&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=217&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=217&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=273&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=273&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520846/original/file-20230413-24-xv31fs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=273&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Quatre étapes de travail : (1) numérisation du registre, (2) reconnaissance et segmentation des lignes de texte, (3) reconnaissance des zones de textes, (4) transcription automatique en utilisant le modèle via la plate-forme eScriptorium (AN, LL 117, p. 5).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Postdoctorant à l’École nationale des chartes et désormais chercheur à l’université de Luxembourg, <a href="https://wwwfr.uni.lu/recherche/fhse/dhum/people/sergio_octavio_torres_aguilar">Sergio Torres Aguilar</a> a entraîné des modèles spécialement conçus pour les registres de Notre-Dame, l’un de reconnaissance des zones de texte (dont la mise en page varie au fil des registres), l’autre de lecture. Pour cela, il a utilisé des données préexistantes (des textes de la même époque déjà transcrits et associés à des images) et s’est appuyé sur une cinquantaine de pages de registres du chapitre, transcrites préalablement par les chercheurs. Cette base de textes avec des écritures des XIV<sup>e</sup>-XV<sup>e</sup> siècles a permis d’entraîner l’intelligence artificielle.</p>
<p>Au total, sept versions du modèle algorithmique de lecture ont été successivement développées à partir du travail collectif fourni par l’équipe de transcripteurs, réunissant une quinzaine d’historiens spécialistes de Paris, du livre, des institutions religieuses, de l’édition textuelle et des humanités numériques.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’équipe a testé, corrigé et éduqué l’IA à partir de la plate-forme de transcription automatique de documents <a href="https://escripta.hypotheses.org/">eScriptorium</a>, afin d’améliorer progressivement les performances de lecture et d’aboutir à la meilleure transcription possible.</p>
<p>L’IA bute sur des obstacles tels que la segmentation des mots (lorsque le passage d’une ligne à une autre oblige le notaire à couper un mot), l’hétérogénéité des manuscrits (différences de mises en pages ou d’écritures) ou l’état des manuscrits (pages déchirées, taches, humidité).</p>
<p>Au final, le modèle produit est parvenu à transcrire 90 % du texte des registres, le taux de reconnaissance oscillant selon les volumes entre 88 et 94 %. Le site du projet e-NDP (en construction) permettra d’explorer le corpus textuel acquis par l’IA, tout en le confrontant aux pages correspondantes des registres qui ont été numérisées. Le modèle facilite la lecture, car il aide l’œil humain à résoudre des difficultés de déchiffrement qui l’auraient beaucoup ralenti. Surtout, l’IA augmente les capacités de lecture et donc le nombre de données collectées. Le modèle sera réutilisable pour toutes les écritures des documents de la pratique de la fin du Moyen Âge.</p>
<h2>Notre-Dame révélée</h2>
<p>Le corpus textuel acquis par l’IA fait actuellement l’objet de post-traitements et d’un travail d’indexation, notamment par détection automatique des noms de lieux et de personnes.</p>
<p>On peut d’ores et déjà connaître plus précisément les 800 chanoines de Notre-Dame entre 1326 et 1504 et reconstituer leur carrière : présence ou absence aux réunions, responsabilités endossées, types de décisions prises, manquements. Par exemple, en 1392, les chanoines excommunient Robert de Hamelle, chanoine de l’église du Saint-Sépulcre de Paris, qui, en état d’ivresse, a frappé un clerc. Condamné à une amende, le chanoine se voit interdire de boire du vin qui ne serait pas coupé d’eau.</p>
<p>Au-delà des chanoines, les registres permettent de mieux connaître l’histoire des hommes et des femmes qui vivent et travaillent dans le quartier de la cathédrale (des officiers du chapitre aux invités de marque qui logent chez les chanoines, en passant par les servantes au service des clercs). On apprend ainsi qu’en 1420, la garde des enfants trouvés dans l’église de Paris est confiée à Isabelle, veuve de Jean Bruyère, ancien geôlier du chapitre, ou encore que, en 1480, les habitants de Larchant, un village dépendant du chapitre de Notre-Dame et situé à 80 km de Paris, ont détruit le pilori, symbole de la justice des chanoines.</p>
<p>Il est désormais possible d’effectuer des recherches dans des données textuelles massives (« topic modeling ») sur des sujets déjà étudiés ou, au contraire, mal connus, des fêtes liturgiques à l’emploi du plomb dans le bâti, en passant par les rapports entre le roi et les chanoines ou les finances du chapitre.</p>
<p>Le contenu des registres du chapitre pourra être exploité par d’autres projets liés à Notre-Dame, par exemple pour connaître la provenance du bois ou du métal servant à l’entretien de l’édifice. Notre-Dame de Paris comme on ne l’a encore jamais vue !</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-20-CE27-0012">Notre-Dame de Paris et son cloître: les lieux, les gens, la vie – E-NDP</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202871/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Membre du projet ANR e-NDP, Élisabeth LUSSET a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche</span></em></p>
L'analyse des registres des chanoines fournit de précieuses informations sur la vie à Paris au Moyen-Âge.
Élisabeth Lusset, Chargée de recherche en histoire médiévale au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/188755
2022-08-15T20:27:28Z
2022-08-15T20:27:28Z
Dossier : Les sciences au service de Notre-Dame de Paris
<p><em>Dès le lendemain de l’incendie la communauté scientifique se mobilise en créant l’Association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame de Paris. Depuis trois ans, ils aident à la restauration, accumulent de nouvelles connaissances sur les techniques de construction mais aussi sur le climat de l’époque. Découvrez ces travaux extraordinaires au travers de ce dossier spécial.</em></p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/dou-viennent-les-bois-de-notre-dame-les-scientifiques-menent-lenquete-185746">D’où viennent les bois de Notre-Dame ? Les scientifiques mènent l’enquête</a></h2>
<p>La gestion et l’alimentation en bois du chantier de construction de Notre-Dame restent aujourd’hui encore largement méconnues.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/estimer-la-solidite-des-vou-tes-de-notre-dame-apres-lincendie-186333">Estimer la solidité des voûtes de Notre-Dame après l’incendie</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="Les voûtes et arcs-boutants de du choeur de Notre Dame" src="https://images.theconversation.com/files/479128/original/file-20220815-22-s7tnqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/479128/original/file-20220815-22-s7tnqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/479128/original/file-20220815-22-s7tnqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/479128/original/file-20220815-22-s7tnqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/479128/original/file-20220815-22-s7tnqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/479128/original/file-20220815-22-s7tnqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/479128/original/file-20220815-22-s7tnqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Structure en pierres de taille d’un ensemble voûte/arcs-boutants du chœur de Notre-Dame. Ici, le maillage utilisé dans certaines simulations.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maurizio Brocato et Paul Nougayrede, GSA Paris-Malaquais</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les voûtes de Notre-Dame de Paris constituent un joyau architectural, mais aussi un défi pour les modélisateurs impliqués dans la restauration de la cathédrale.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/etudier-la-charpente-de-notre-dame-pour-connaitre-la-meteo-medievale-184990">Étudier la charpente de Notre-Dame pour connaître la météo médiévale</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="Poutres carbonisés devant un vitrail" src="https://images.theconversation.com/files/479130/original/file-20220815-12-6nut7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/479130/original/file-20220815-12-6nut7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/479130/original/file-20220815-12-6nut7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/479130/original/file-20220815-12-6nut7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/479130/original/file-20220815-12-6nut7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/479130/original/file-20220815-12-6nut7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/479130/original/file-20220815-12-6nut7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Bois carbonisés de la charpente Notre-Dame de Paris après l’incendie en 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexa Dufraisse</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les bois de la charpente de Notre-Dame de Paris nous racontent un millénaire d’histoire partagée entre les hommes et les forêts.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/de-fer-et-de-feu-les-metaux-de-notre-dame-a-travers-les-siecles-185748">De fer et de feu : les métaux de Notre-Dame à travers les siècles</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="Voûtes et décombres de Notre-Dame." src="https://images.theconversation.com/files/479133/original/file-20220815-19-o7q87s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/479133/original/file-20220815-19-o7q87s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/479133/original/file-20220815-19-o7q87s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/479133/original/file-20220815-19-o7q87s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/479133/original/file-20220815-19-o7q87s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/479133/original/file-20220815-19-o7q87s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/479133/original/file-20220815-19-o7q87s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue de la croisée de Notre-Dame de Paris en décembre 2020. On voit à gauche les agrafes de fer ancrées au sommet des murs, là où se tenait auparavant la charpente incendiée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maxime L’Héritier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2019, l’incendie de Notre-Dame a révélé que la structure de la cathédrale, élevée à partir des années 1160, était renforcée de nombreuses armatures de fer.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/comment-les-acousticiens-peuvent-reconstruire-le-son-de-notre-dame-117279">Comment les acousticiens peuvent reconstruire le « son » de Notre-Dame</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/479134/original/file-20220815-20-68pj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/479134/original/file-20220815-20-68pj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/479134/original/file-20220815-20-68pj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/479134/original/file-20220815-20-68pj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/479134/original/file-20220815-20-68pj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/479134/original/file-20220815-20-68pj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/479134/original/file-20220815-20-68pj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Reconstitution de Notre-Dame.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Brian FG Katz, CNRS</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des mesures acoustiques ont été réalisées dans la cathédrale en 2013 et un modèle acoustique géométrique 3D de la nef a été créé. Ce travail sera très utile pour reconstruire le « son » de Notre-Dame.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188755/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Toutes les disciplines scientifiques participent à la restauration et à l’accroissement des connaissances de la cathédrale.
Benoît Tonson, Chef de rubrique Science + Technologie, The Conversation France
Elsa Couderc, Cheffe de rubrique Science + Technologie, The Conversation France
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/185746
2022-08-04T20:31:27Z
2022-08-04T20:31:27Z
D’où viennent les bois de Notre-Dame ? Les scientifiques mènent l’enquête
<p><em>Catastrophe patrimoniale, l'incendie de Notre-Dame en 2019 permet aussi d’accroître nos connaissances : les débris de la célébrissime cathédrale sont autant de précieux témoins du passé ! Cette série suit le chantier scientifique de Notre-Dame, où bois carbonisés et pièces en métal révèlent leurs secrets. Après un premier épisode où l’on <a href="https://theconversation.com/quand-la-charpente-de-notre-dame-nous-renseigne-sur-la-meteo-medievale-etudier-la-charpente-de-notre-dame-pour-connaitre-la-meteo-medievale-184990">faisait parler la charpente</a>, on se demande d’où viennent les bois de la charpente de la cathédrale.</em> </p>
<hr>
<p>Bien qu'en 2022, on peut trouver difficile de se procurer des matériaux de construction dont le prix ne cesse de grimper, nous sommes loin d'imaginer le contexte économique des bâtisseurs au temps des cathédrales. </p>
<p>Les projets d'envergure que sont les cathédrales gothiques mobilisaient des ressources humaines et économiques de tout un territoire, s'étalaient sur des siècles ; ils témoignent d'une organisation complexe pourtant peu connue de nos jours. </p>
<p>Un des exemples les plus emblématiques est la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Alors qu'elle est devenue un symbole du pays, on ignore presque tout de la gestion et de l'alimentation en bois du chantier de l'époque. Une histoire qui a bien failli disparaître lors de l'incendie du 15 avril 2019, quand la charpente médiévale vieille de plus de 800 ans s'est effondrée. </p>
<p>Les poutres calcinées ne pouvant pas être réutilisées pour la reconstruction du monument, elles ont été mises à disposition de la communauté scientifique et sont devenues une source d'information exceptionnelle, une véritable archive matérielle et patrimoniale. </p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sciences-au-chevet-de-notre-dame-180915">Les sciences au chevet de Notre-Dame</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Une <a href="https://www.notre-dame.science/gt-bois-membres/">équipe</a> de près de 70 personnes s'est constituée pour en dévoiler les secrets. </p>
<h2>Un chantier économique exceptionnel</h2>
<p>Les poutres calcinées pourraient notamment éclairer le mystère de la provenance géographique des bois employés dans la construction de la charpente. </p>
<p>Il est presque certain qu'ils ont des sources multiples, mais jusqu'à présent, les <a href="https://creaah.cnrs.fr/team/durand-aline/">historiens</a> de notre <a href="https://chrono-environnement.univ-fcomte.fr/spip.php?page=perso&nom=GARNIER&prenom=Emmanuel">groupe</a> de <a href="https://www.irht.cnrs.fr/fr/annuaire/bourlet-caroline">travail</a> n'ont pas pu apporter de réponse précise à cette question, de nombreuses archives ayant disparu au cours de temps. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Gravure montrant un train de flottage du bois" src="https://images.theconversation.com/files/476323/original/file-20220727-1351-z8re3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476323/original/file-20220727-1351-z8re3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=546&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476323/original/file-20220727-1351-z8re3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=546&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476323/original/file-20220727-1351-z8re3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=546&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476323/original/file-20220727-1351-z8re3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=687&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476323/original/file-20220727-1351-z8re3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=687&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476323/original/file-20220727-1351-z8re3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=687&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Gravure montrant un train de bois extrait de l’Encyclopédie Méthodique Arts et Métiers Mécaniques, 1784.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://burgondiart.wordpress.com/2015/04/25/quand-les-parisiens-se-chauffaient-au-bois-du-morvan-la-tradition-du-flottage-du-bois/">Encyclopédie Méthodique Arts et Métiers Mécaniques / Burgondiart</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutefois, des pistes existent. On peut s'inspirer de l'anecdote de l'abbé Suger à la recherche – apparemment déséspérée – de douze poutres pour le chevet de la cathédrale Saint-Denis, qu'il espérait trouver dans la forêt d'Yvelines, qui appartenait alors à l'abbaye. Ainsi, les bois de Notre-Dame auraient pu être coupés dans les forêts du diocèse et du chapitre cathédral, principalement situées en Île-de-France…</p>
<p>D'autres hypothèses sont envisageables. Paris, au milieu du bassin de la Seine, bénéficie en effet d'un réseau fluvial qui facilite le transport des marchandises et notamment du bois (combustible ou peut-être destiné à l'architecture).</p>
<h2>L'hypothèse du flottage du bois</h2>
<p>Les ports autour de l'Île de la Cité étaient alimentés par bateau ou par <a href="https://www.histoires-de-paris.fr/flottage-de-bois/">flottage du bois</a>, de l'amont ou de l'aval de la métropole, par l'Oise, la Seine, voire l’<a href="https://burgondiart.wordpress.com/2015/04/25/quand-les-parisiens-se-chauffaient-au-bois-du-morvan-la-tradition-du-flottage-du-bois/">Yonne</a>.</p>
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<p>Le flottage semble bien implanté depuis le XIVe siècle, comme en attestent certains registres – par exemple, celui du Collège des Bernardins, qui fut fondé en 1348 à deux pas de la cathédrale de Notre-Dame et bâti avec du <a href="https://www.jstor.org/stable/24566255">bois acheté auprès des marchands</a> ; il y a également des traces écrites de flottage sur la Seine et sur l'Oise <a href="http://opac.regesta-imperii.de/id/2583478">dès le XIIIe siècle</a>… c'est-à-dire au moment de la construction de la charpente de Notre-Dame. </p>
<p>Malheureusement, les preuves écrites de marché ou de flottage du bois manquent concernant les bois de la charpente de Notre-Dame. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474111/original/file-20220714-32145-i1b7wc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474111/original/file-20220714-32145-i1b7wc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474111/original/file-20220714-32145-i1b7wc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474111/original/file-20220714-32145-i1b7wc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474111/original/file-20220714-32145-i1b7wc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474111/original/file-20220714-32145-i1b7wc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474111/original/file-20220714-32145-i1b7wc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Trous de flottage dans un entrait du XIIIe siècle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Girardclos, Jean-Yves Hunot</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lors de l'inventaire des bois calcinés et de leur description archéologique, les <a href="https://creaah.cnrs.fr/profiles/hunot-jean-yves/">archéologues</a> et <a href="https://chrono-environnement.univ-fcomte.fr/spip.php?page=perso&nom=GIRARDCLOS&prenom=Olivier">dendroarchéologues</a> ont repéré sur un des «entraits» du XIII<sup>e</sup> siècle un trou destiné à faire passer un cordage pour l'assemblage de trains de flottage : une preuve indiscutable que les troncs peuvent venir de tout le bassin de la Seine.</p>
<h2>Comparer les croissances des arbres</h2>
<p>Il existe plusieurs pistes pour remonter à l'origine géographique des bois de la charpente de Notre-Dame. Notre équipe est ainsi en train de constituer un «référentiel de dendroprovenance», inédit et collectif : nous prélevons bois et sols dans des forêts de chênes couvrant le bassin de la Seine afin de comparer le référentiel aux données qui seront acquises sur les bois de Notre-Dame. </p>
<p>La première piste pour mieux délimiter les provenances géographiques des bois, les analyses de «<a href="https://sstinrap.hypotheses.org/5500">dendroprovenance</a>» s'appuient sur l'anatomie du bois. </p>
<p>En effet, les arbres enregistrent l'environnement dans lequel ils se développent. Par exemple, les cernes, anneaux concentriques formés chaque année en milieu tempéré, représentent <a href="https://theconversation.com/la-dendrochronologie-lart-de-lire-dans-les-cernes-des-arbres-62394">un indicateur des conditions de croissance de l'arbre ou encore du climat</a>. Leur largeur varie d'une année sur l'autre en fonction de l'arbre, mais aussi des conditions environnementales locales et régionales. Ainsi, des arbres poussant dans une même région présentent des croissances qui se ressemblent. </p>
<p>Cette approche de dendroprovenance, fondée sur des corrélations statistiques, dépend donc fortement de la disponibilité de «référentiels dendrochronologiques», qui permettent de relier les observations à des localisations dans le temps et l'espace. </p>
<h2>L’impact de la carbonisation sur les bois</h2>
<p>Afin de compléter cette approche, on s'intéresse aux éléments chimiques présents dans le bois, et notamment aux <a href="https://journals.openedition.org/techne/1090">isotopes du strontium</a>, couramment utilisés en archéologie pour étudier l’<a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/breves/archeologie-archeologie-cette-nouvelle-methode-pourrait-eclairer-histoire-humaine-2920/">histoire des populations humaines</a>. </p>
<p>Récemment appliquée à des <a href="https://doi.org/10.1016/j.jas.2017.09.005">bois archéologiques issus d'épaves</a>, cette approche a permis de discriminer des <a href="http://bddc.liec.univ-lorraine.fr/cv/POSZWA%20A.htm">bois ayant poussé sur des substrats calcaires de ceux ayant poussés sur des sols silicatés</a>.</p>
<p>Toutefois, les bois de Notre-Dame sont carbonisés, pour certains en périphérie, pour d'autres jusqu'au centre. Or, la carbonisation entraîne des modifications anatomiques, chimiques et isotopiques qui dépendent notamment de la durée d'exposition, des températures atteintes, de la présence d'oxygène. Des tests de carbonisation <a href="https://archeozoo-archeobota.mnhn.fr/fr/annuaire/alexa-dufraisse-8814">ont été menés</a> afin de déterminer si les rapports isotopiques du strontium dans le bois avant et après carbonisation étaient conservés. </p>
<p>Ces expériences de laboratoire ont montré que les rapports isotopiques ne sont pas modifiés, ce qui va nous permettre d'appliquer cette approche aux bois de Notre-Dame.</p>
<h2>Une approche scientifique inédite</h2>
<p>Le bassin de la Seine étant majoritairement représenté par des roches calcaires, nous avons ajouté un indicateur supplémentaire aux approches de largeurs de cerne et de compositions isotopiques du strontium : la composition chimique des bois de Notre-Dame. </p>
<p>Cette approche est totalement inédite sur des bois archéologiques, mais les éléments majeurs comme le calcium, le potassium, ou le fer sont déjà <a href="https://www6.nancy.inrae.fr/eef/Pages-Personnelles/Stephane-Ponton">utilisés</a>, par exemple pour appréhender l’<a href="https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2019.136148">évolution de la fertilité des sols</a> : des minéraux dissous dans le sol sont absorbés par le système racinaire (en fonction de l'acidité du sol), transportés par les vaisseaux conducteurs de la sève vers le tronc, les branches et les feuilles et stockés dans les cellules. La végétation qui a poussé sur un sol calcaire est plus riche en calcium que celle qui a poussé sur des sables ; et la proportion entre deux éléments, par exemple celle du calcium par rapport au manganèse, permet de discriminer si l'arbre a poussé sur un sol acide ou basique. </p>
<p>Là encore, nos expériences permettent de vérifier que la composition élémentaire du bois est un indicateur fiable sur des bois carbonisés. Bonne nouvelle, non seulement les signatures sont conservées mais elles sont même amplifiées par la carbonisation!</p>
<p>Les <a href="https://lejournal.cnrs.fr/billets/les-terres-rares-et-apres">terres rares</a>, particulièrement l'yttrium et les lanthanides, peuvent également constituer une empreinte digitale du sol et donc être <a href="https://www.unipa.it/persone/docenti/s/filippo.saiano">utilisés</a> comme <a href="https://enseignants.inrap.fr/media/les-sciences-de-larcheologie-sylvie-coubray-anthracologue-vstf-65">traceurs géographiques complémentaires</a>.</p>
<h2>Constituer un référentiel de dendroprovenance</h2>
<p>C'est en combinant ces différentes approches que l'on peut créer notre «référentiel de dendroprovenance» et le comparer aux données des bois de Notre-Dame. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474115/original/file-20220714-32176-lfmu98.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474115/original/file-20220714-32176-lfmu98.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474115/original/file-20220714-32176-lfmu98.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474115/original/file-20220714-32176-lfmu98.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474115/original/file-20220714-32176-lfmu98.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474115/original/file-20220714-32176-lfmu98.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474115/original/file-20220714-32176-lfmu98.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Référentiel de dendroprovenance multi-indicateurs. (a) forêts de chênes sélectionnées poussant sur des roches et sols constrastés (b) prélèvements de sols (c) caractérisation des peuplements forestiers (relevé floristique, mesures des diamètres et hauteurs des arbres (d) prélèvements de carottes de bois pour mesurer les cernes et analyser la composition chimique et isotopique.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En parallèle, l'équipe des historiens continue à dépouiller les archives des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles et recensent les mentions de l'économie de bois, de la gestion des forêts, ainsi que les nombreux événements climatiques enregistrés par les chroniques médiévales d'Île-de-France. </p>
<p>Nous espérons qu'à la croisée des chemins des données historiques, bioarchéologiques et environnementales, le secret de l'origine des bois de Notre-Dame sera percé et qu'ils contribueront à améliorer les connaissances sur l'organisation du chantier de Notre-Dame de Paris.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185746/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexa DUFRAISSE a reçu des financements du CNRS (MITI) et de l'ANR</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anna Imbert Stulc a reçu des financements de CNRS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Garnier et Jean-Luc Dupouey ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
La gestion et l’alimentation en bois du chantier de construction de Notre-Dame restent aujourd’hui encore largement méconnues.
Alexa Dufraisse, Directrice de recherche CNRS en archéobotanique, spécialisée en dendro-anthracologie et en anthraco-isotopie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Anna Imbert Stulc, étudiante en thèse en bioarchéologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Emmanuel Garnier, Directeur de recherche CNRS historien du climat et des catastrophes, Université de Franche-Comté – UBFC
Jean-Luc Dupouey, chercheur en écologie forestière, Inrae
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/186333
2022-08-02T20:09:32Z
2022-08-02T20:09:32Z
Estimer la solidité des voûtes de Notre-Dame après l’incendie
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476287/original/file-20220727-11-5kce4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C6%2C1333%2C696&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Structure en pierres de taille d’un ensemble voûte/arcs-boutants du chœur de Notre-Dame. Ici, le maillage utilisé dans certaines simulations.</span> <span class="attribution"><span class="source">Maurizio Brocato et Paul Nougayrede, GSA Paris-Malaquais</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Catastrophe patrimoniale, l’incendie de Notre-Dame en 2019 permet aussi d’accroître nos connaissances : les débris de la célébrissime cathédrale sont autant de précieux témoins du passé ! Cette série suit le chantier scientifique de Notre-Dame, où bois carbonisés et pièces en métal révèlent leurs secrets. Après de premiers épisodes sur la <a href="https://theconversation.com/etudier-la-charpente-de-notre-dame-pour-connaitre-la-meteo-medievale-184990">charpente</a> et <a href="https://theconversation.com/comment-sont-reveles-les-secrets-des-poutres-de-la-charpente-de-notre-dame-dou-viennent-les-bois-de-notre-dame-les-scientifiques-menent-lenquete-185746">l’origine des bois</a>, on s’intéresse à la <a href="https://theconversation.com/de-fer-et-de-feu-les-metaux-de-notre-dame-a-travers-les-siecles-185748">structure de la cathédrale</a> et, dans ce 4<sup>e</sup> volet, à ses maçonneries.</em></p>
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<p>En avril 2019, au lendemain de l’incendie ayant frappé la cathédrale Notre-Dame, le CNRS et le ministère de la Culture ont mis en place le « chantier scientifique Notre-Dame » pour fédérer et organiser les initiatives émanant de la communauté scientifique française.</p>
<p>Notre groupe de travail « Structures » s’intéresse à l’évaluation mécanique des structures porteuses de la cathédrale – maçonneries et charpentes notamment. Nous avons très rapidement été sollicités par la maîtrise d’œuvre du chantier de restauration, afin d’évaluer la stabilité actuelle des voûtes hautes de la cathédrale affectées par l’incendie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sciences-au-chevet-de-notre-dame-180915">Les sciences au chevet de Notre-Dame</a>
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<p>Si certaines parties des voûtes se sont effondrées au cours du sinistre, notamment à cause des impacts avec des éléments de la flèche ou de la charpente, la grande majorité des voûtes est restée en place. Ce n’est pas étonnant, car les voûtes étaient pensées à l’origine comme un système de protection incendie en faisant obstacle à la chute d’éléments en feu ! Elles ont bien rempli leur rôle, mais leur stabilité conditionne la sécurité du site.</p>
<p>De plus, les voûtes constituent aujourd’hui un véritable chef-d’œuvre architectural du style gothique – elles font bien sûr l’objet d’une conservation maximale.</p>
<p>Malheureusement, aucune méthode de calcul moderne n’est aujourd’hui disponible en bureau d’études techniques pour modéliser fidèlement le comportement mécanique de telles structures afin d’évaluer la sécurité du site et l’efficacité des mesures de soutènement mises en place par la maîtrise d’œuvre.</p>
<p>C’est pourquoi le recours à l’expertise scientifique s’avère ici nécessaire… et devant des mécanismes très complexes, notre groupe de travail a dû développer de nouvelles approches.</p>
<h2>Joyau de maçonnerie, défi pour les modélisateurs</h2>
<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, la construction de grands édifices a progressivement délaissé la maçonnerie au profit de la construction métallique et du béton armé ; l’effort de calcul/modélisation s’est alors porté sur ces matériaux modernes.</p>
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<p>Par ailleurs, le comportement mécanique d’une structure maçonnée s’avère extrêmement complexe à appréhender : une maçonnerie en pierres de taille appareillées comme celle de la cathédrale Notre-Dame se rapproche d’un matériau composite, anisotrope (matériau dont les propriétés mécaniques varient en fonction de la direction considérée dans le matériau) et hétérogène, constitué de blocs de pierres de taille assemblés par des joints minces de mortier de chaux, dont l’interface pierre-mortier constitue une zone de faiblesse mécanique.</p>
<p>Ainsi, l’endommagement d’une maçonnerie en pierres de taille appareillées se localisera préférentiellement au niveau des interfaces pierre-mortier et, en conséquence, la fissuration de la maçonnerie se produira selon des plans parfaitement identifiés.</p>
<h2>Stabilité et souplesse de la construction</h2>
<p>Notre-Dame est, grâce à ce mode constructif, dotée d’une forte stabilité mécanique, caractérisée par une grande souplesse : les déplacements relatifs entre blocs sont permis par la fissuration aux interfaces pierre-mortier, ce qui induit une capacité importante à dissiper l’énergie mécanique via les frottements au niveau de ces plans de fissuration.</p>
<p>C’est la fissuration aux interfaces pierre-mortier qui confère à la maçonnerie toute la richesse de son comportement mécanique, et qui rend dans le même temps complexe sa modélisation mécanique précise.</p>
<p>Si la modélisation du comportement mécanique des maçonneries fait aujourd’hui l’objet de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11831-019-09351-x">nombreux développements</a>, aucune des méthodes développées à ce jour ne peut se prévaloir de fournir une description exhaustive du comportement de ce matériau hétérogène.</p>
<p>Les études menées par notre consortium scientifique se sont donc appuyées sur la mise en parallèle de différentes méthodes de modélisation mécanique complémentaires, afin d’obtenir une estimation fiabilisée du comportement mécanique post-incendie des voûtes hautes de Notre-Dame.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="simulation du comportement mécanique de Notre Dame" src="https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476288/original/file-20220727-21-4gv6bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Déplacements subis par l’ensemble voûte/arcs-boutants lors d’une sollicitation horizontale, appliquée au niveau des murs gouttereaux et dirigée vers l’intérieur du vaisseau central (valeurs des déplacements multipliées par 50), obtenus par simulation numérique du comportement mécanique. Sur cette image, on peut remarquer l’extrême finesse des voûtains du chœur de Notre-Dame.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maurizio Brocato et Paul Nougayrede, GSA Paris-Malaquais</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces méthodes s’appuient :</p>
<ul>
<li><p>soit sur une approche « continue » : la maçonnerie est modélisée comme un matériau continu unique doté de propriétés élastiques et de ruptures équivalentes à celles du matériau composite maçonnerie ;</p></li>
<li><p>soit sur une approche bloc à bloc ou « discrète » : les interactions entre blocs décrivent le comportement mécanique conféré par les joints de mortier et leurs interfaces.</p></li>
</ul>
<p>Le caractère divisé du comportement de la maçonnerie, conféré par l’assemblage de blocs et l’influence morphologique de l’appareillage, seront plus naturellement et rigoureusement appréhendés par l’approche discrète comparée à l’approche continue, mais au prix de temps de génération de maillages et de calcul des modèles plus importants. En revanche, l’approche discrète échouera à décrire la rupture des blocs alors que l’approche continue la décrira précisément.</p>
<p>Ces deux exemples illustrent la complémentarité des approches discrète et continue ; la mise en parallèle de ces approches permet en définitive de cerner plus précisément les réponses mécaniques simulées des ouvrages modélisés.</p>
<h2>Quelles différences avant et après l’incendie ?</h2>
<p>Une évaluation avant incendie a tout d’abord été réalisée afin de quantifier l’évolution de la stabilité des voûtes après le passage du feu.</p>
<p>Ce premier travail a permis de donner des éclairages quant aux étapes de construction des voûtes et des arcs-boutants. Les modélisations avant incendie ont également révélé que les différences morphologiques constatées entre les voûtes fines du chœur (12 à 15 centimètres d’épaisseur) et les voûtes plus épaisses de la nef (19 à 25 centimètres d’épaisseur) entraînent une poussée des voûtes inférieure à celle des arcs-boutants dans le chœur, et inversement dans la nef.</p>
<p>Les modélisations de l’incendie ont quant à elles conduit à identifier le phénomène physique responsable de la majeure partie des désordres post-incendie constatés sur la cathédrale : les dilatations thermiques.</p>
<p>En effet, le « gonflement » des matériaux à cause de l’augmentation de leur température au cours de l’incendie semble être un facteur plus prépondérant que la diminution des propriétés mécaniques des matériaux en elle-même (cette diminution est liée à l’élévation de température et à la saturation des matériaux par l’eau d’extinction de l’incendie).</p>
<h2>Simuler les techniques de confortement</h2>
<p>Sur cette base, la solution de confortement des voûtes incendiées retenue par la maîtrise d’œuvre a pu être simulée, afin d’évaluer le rapport bénéfice-risque conféré par cette solution et les adaptations possibles permettant d’augmenter son efficacité (par exemple, en ce qui concerne le module d’élasticité et l’épaisseur de la chape ou le comportement du complexe voûte-chape sous sollicitations mécaniques).</p>
<p>Les travaux du groupe de travail « Structures » doivent se poursuivre jusqu’en 2024, date qui devrait voir la fin des travaux de restauration de la cathédrale. En parallèle, les membres du groupe développent un outil de modélisation hybride des maçonneries, consistant en l’utilisation simultanée des approches discrète et continue.</p>
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<p><em>Frédéric Dubois (LMGC-Montpellier), Paul Taforel (MiMeTICS engineering, spin-off du LMGC), Pierre Morenon (plateforme TTT du LMDC-Toulouse), Maurizio Brocato et Paul Nougayrede (GSA-Paris), Jean‑Christophe Mindeguia, Thomas Parent et Stéphane Morel (I2M-Bordeaux, coordination des études) sont co-auteurs de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186333/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Morel coordonne les activités du groupe de travail “Structures” du chantier scientifique CNRS-Ministère de la Culture Notre-Dame. Il est également responsable scientifique de la convention Recherche & Développement dédiée à l'Evaluation post-incendie des structures de la cathédrale Notre-Dame de Paris (2022-2024), partagés entre l'Etablissement Public chargé de la Conservation et la Restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (EPRNDP) et un consortium scientifique composé de plusieurs laboratoires et institutions de recherche issus du GT “Structures” et de sociétés privées issues du domaine de la recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frédéric Dubois a reçu des financements de l'Université de Montpellier, du CNRS et de l'ANR. Il conseille la société MiMeTICS.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Christophe Mindeguia est membre du GT Structures du chantier scientifique CNRS-MC Notre-Dame, et membres du consortium scientifique relatif à la convention R&D partagée avec l’EPRNDP. Sa structure d’appartenance reçoit à ce titre des financements pour effectuer des recherche via ces deux dispositifs. Il a reçu des financements de l'ANR et de la Région Nouvelle-Aquitaine.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Paul Nougayrede est membre du GT Structures du chantier scientifique CNRS-MC Notre-Dame, et membres du consortium scientifique relatif à la convention R&D partagée avec l’EPRNDP. Sa structure d’appartenance reçoit à ce titre des financements pour effectuer des recherche via ces deux dispositifs.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre Morenon est membre du laboratoire de recherche LMDC à Toulouse dont les tutelles sont l'INSA de Toulouse et l'Université Toulouse 3 Paul Sabatier, et de sa plateforme de transfert de technologie TTT-LMDC.
Pierre Morenon a reçu des financements de : (i) Etablissement Public chargé de la Conservation et Restauration de la Cathédrale Notre-Dame de Paris (TTT-LMC est sous-traitant de la Convention R&D EPRNDP-Univ. de Bordeaux relative à l'évaluation post-incendie des structures de la cathédrale Notre-Dame de Paris). (ii) Chantier Scientifique CNRS-Ministère de la Culture Notre-Dame (travaux scientifiques du Groupe de Travail "Structures") (iii) ANR DEMMEFI via le LMDC.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thomas Parent a reçu des financements de (i) Etablissement Public chargé de la Conservation et Restauration de la Cathédrale Notre-Dame de Paris (ii) Chantier Scientifique CNRS-Ministère de la Culture Notre-Dame (travaux scientifiques du Groupe de Travail "Structures") (iii) Agence Nationale de la recherche (ANR) via le projet DEMMEFI.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Maurizio Brocato ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les voûtes de Notre-Dame de Paris constituent un joyau architectural, mais aussi un défi pour les modélisateurs impliqués dans la restauration de la cathédrale.
Stéphane Morel, Professeur des Universités, Université de Bordeaux
Frédéric Dubois, Ingénieur de recherche au CNRS, Université de Montpellier
Jean-Christophe Mindeguia, Maitre de Conférences en génie civil, Université de Bordeaux
Maurizio Brocato, Professor, École Nationale Supérieure d'Architecture (ENSA) Paris-Malaquais – PSL
Paul Nougayrede, Doctorant en architecture, École Nationale Supérieure d'Architecture (ENSA) Paris-Malaquais – PSL
Pierre Morenon, Ingénieur et chercheur en Génie Civil au sein de la division transfert de technologie du LMDC. Spécialiste des méthodes de calculs numériques de structures., INSA Toulouse
Thomas Parent, Maître de Conférences en Génie-Civil, Université de Bordeaux
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/185748
2022-08-01T18:26:06Z
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Notre-Dame, la première cathédrale à avoir utilisé massivement le fer comme matériau de construction
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476020/original/file-20220726-14-hve2vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3988%2C2245&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de la croisée de Notre-Dame de Paris en décembre 2020. On voit à gauche les agrafes de fer ancrées au sommet des murs, là où se tenait auparavant la charpente incendiée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Maxime L'Héritier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les recherches menées depuis une vingtaine d’années ont montré que les cathédrales gothiques du XIII<sup>e</sup> siècle, comme <a href="https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2016_num_174_4_12893">Bourges</a>, <a href="https://books.openedition.org/septentrion/31457">Chartres</a>, <a href="https://hmsjournal.org/index.php/home/article/view/159/155">Rouen ou Troyes</a> utilisaient le fer comme matériau de construction. Les grandes églises du XII<sup>e</sup> siècle demeurent en revanche relativement méconnues.</p>
<p>L’usage du fer relevé dans certaines d’entre elles (Noyon, Laon) semblait jusqu’ici anecdotique.</p>
<p>L’incendie de Notre-Dame de Paris a révélé que la structure de la cathédrale, élevée à partir des années 1160, était également renforcée de nombreuses armatures de fer. Certaines d’entre elles, des agrafes masquées dans la pierre ou par la charpente, étaient jusqu’à présent inconnues. Leur étude archéométallurgique et leur datation révèle aujourd’hui que Notre-Dame fut bien la première cathédrale à utiliser massivement le fer comme matériau de construction dès le milieu du XIIe siècle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sciences-au-chevet-de-notre-dame-180915">Les sciences au chevet de Notre-Dame</a>
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</p>
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<p>Les méthodologies développées depuis plus d’une vingtaine d’années et <a href="https://classiques-garnier.com/aedificare-2019-2-revue-internationale-d-histoire-de-la-construction-n-6-varia-le-fer-et-le-plomb-dans-la-construction-monumentale-au-moyen-age-de-l-etude-des-sources-ecrites-a-l-analyse-de-la-matiere.html">déjà éprouvées sur plusieurs dizaines d’édifices médiévaux</a> permettent de questionner les fers de construction découverts à Notre-Dame afin de renouveler la connaissance de cet édifice et des techniques de construction anciennes, mais aussi celle de l’économie du fer à l’époque médiévale.</p>
<p>Plusieurs dizaines d’armatures de fer, abîmées par l’incendie ou déposées lors des restaurations, peuvent aujourd’hui être scrutées sous l’œil de microscopes optique et électronique. Il s’agit à la fois d’« agrafes » mises en œuvre dans la maçonnerie, dans les tribunes, dans les colonnes monolithes, et au sommet des murs sous la charpente incendiée, mais aussi d’armatures liées à la charpente elle-même (clous de tailles diverses, tiges clavetées et boulonnées) qui témoignent des restaurations au fil des siècles.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pièce en fer visible au sein des pierres de Notre-Dame de Paris" src="https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476021/original/file-20220726-10345-jfmdu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Système de chaînage en fer posé par Lassus en 1846 faisant le tour des parties orientales de l’édifice (chœur et transept est).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maxime L’Héritier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les microstructures de ces éléments métalliques renferment une partie de l’histoire de Notre-Dame de Paris et de son chantier, qu’explorent aujourd’hui les archéologues, chimistes et archéomètres – les spécialistes de l’analyse physico-chimique des matériaux anciens, réunis au sein du <a href="https://notre-dame-de-paris.culture.gouv.fr/fr/node/975">groupe de travail Métal</a> du <a href="https://www.notre-dame.science/">chantier scientifique Notre-Dame</a>.</p>
<h2>Quels métaux pour les bâtisseurs de cathédrales ?</h2>
<p>La première question est celle de la <a href="https://books.openedition.org/pumi/37688">qualité du métal employé par les bâtisseurs</a>. Quels choix ont-ils faits tant à l’époque médiévale qu’au cours des restaurations ? L’incendie a-t-il altéré les propriétés de ces fers de construction ? L’observation de surfaces polies au microscope optique, après attaque avec des réactifs chimiques spécifiques permet de révéler la microstructure de ces alliages ferreux, leur mise en forme (replis, soudures…) et d’évaluer leur degré d’hétérogénéité.</p>
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<p>Les fers anciens sont en effet souvent hétérogènes, en lien avec les procédés de production utilisés, notamment les bas fourneaux, qui ne permettent pas une production du fer en phase liquide avant le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Ils contiennent en particulier des teneurs variables en carbone ou en phosphore (les deux principaux éléments qui se combinent au fer), formant des matériaux composites entre <a href="https://books.openedition.org/pumi/37618">fer, acier doux et fer phosphoreux</a>.</p>
<p>Des tests de dureté peuvent être réalisés pour connaître leurs duretés respectives. Ces fers anciens contiennent également de nombreuses impuretés non métalliques, appelées « inclusions de scories », qui sont autant de points faibles dans la structure du matériau.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Pièce en métal provenant des murs de Notre-Dame" src="https://images.theconversation.com/files/476026/original/file-20220726-20-w0g371.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476026/original/file-20220726-20-w0g371.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476026/original/file-20220726-20-w0g371.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476026/original/file-20220726-20-w0g371.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476026/original/file-20220726-20-w0g371.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476026/original/file-20220726-20-w0g371.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476026/original/file-20220726-20-w0g371.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Agrafe de fer provenant du sommet des murs de la cathédrale déposée avant étude. L’agrafe était scellée au plomb dans la maçonnerie (un des scellements subsiste).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maxime L’Héritier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À partir de prélèvements d’objets entiers, il est possible d’usiner des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89prouvette_(mat%C3%A9riau)">éprouvettes de traction</a>, c’est-à-dire des pièces de fabrication et de dimensions normalisées, pour leur faire subir des essais mécaniques et déterminer les propriétés physiques de ces matériaux (module d’élasticité, résistance à la traction, allongement à rupture…). À Notre-Dame, les analyses ont pu montrer que le fer médiéval, tout comme celui mis en œuvre au XIX<sup>e</sup> siècle, a des propriétés mécaniques moindres que celles des alliages contemporains, à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15583058.2018.1563229">l’instar de ce qui a déjà pu être établi sur d’autres monuments médiévaux et modernes</a>.</p>
<p>L’incendie ne semble toutefois pas avoir altéré la microstructure du fer ni ses propriétés mécaniques, déjà limitées. Ces informations peuvent servir à la restauration et alimenter les réflexions autour du remploi de ces matériaux.</p>
<h2>Mieux comprendre la chronologie de la construction</h2>
<p>La deuxième question concerne la chronologie des armatures mises en œuvre.</p>
<p>Les faibles quantités de carbone présentes dans les zones aciérées de ces alliages ferreux (l’acier est un alliage fer-carbone) permettent d’accéder à des données cruciales en matière de datation. On sait en effet aujourd’hui <a href="https://www.academia.edu/download/61560725/ActesSMPC2_p57a6320191219-10163-wdywuz.pdf">extraire ce carbone</a>, qui provient du charbon utilisé dans le fourneau de réduction ayant produit le fer, pour en réaliser une datation au carbone 14.</p>
<p>Les zones aciérées révélées par l’attaque métallographique sont prélevées avec un foret, puis le carbone en est extrait par combustion et récupéré sous forme gazeuse (CO<sub>2</sub>) et enfin réduit en graphite. La spectrométrie de masse avec accélérateur de particule (AMS) réalisée au LMC14 permet ensuite de déterminer la quantité de carbone 14 restante et de la comparer aux <a href="https://c14.arch.ox.ac.uk/oxcal.html">courbes de référence</a> pour déterminer l’âge du matériau et en déduire la période de production du fer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue par microscopie d’un échantillon de métal de Notre-Dame" src="https://images.theconversation.com/files/476022/original/file-20220726-16-3yiami.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476022/original/file-20220726-16-3yiami.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=161&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476022/original/file-20220726-16-3yiami.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=161&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476022/original/file-20220726-16-3yiami.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=161&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476022/original/file-20220726-16-3yiami.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=202&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476022/original/file-20220726-16-3yiami.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=202&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476022/original/file-20220726-16-3yiami.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=202&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Coupe métallographique d’une agrafe de fer de Notre-Dame de Paris vue au microscope optique après attaque au réactif Nital. On voit en clair les zones ferritiques et en foncé les zones plus aciérées (notamment une bande médiane allant jusqu’à 0,8 % de carbone). On remarque aussi la présence de nombreuses inclusions non métalliques de taille micrométrique à millimétrique allongées dans le sens du martelage.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maxime L’Héritier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Cette technique, développée il y a moins d’une dizaine d’années pour dater les alliages ferreux anciens, permet de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440314003860?via%3Dihub">distinguer des armatures contemporaines de la construction de celles rajoutées a posteriori au titre de consolidations</a>.</p>
<p>La comparaison de la datation des agrafes mises en place dans les tribunes du chœur de la nef, et celles du sommet des murs, permettra également d’éclairer l’insertion progressive de ce matériau dans le bâti et de reconstituer les réflexions des bâtisseurs qui l’ont mis en œuvre.
De même, dans la charpente, maintes fois remaniée et où de multiples armatures sont utilisées, la datation permettra de mettre en lumière les phases de restauration antérieures au XVIIe siècle, encore totalement méconnues, en croisant ces informations avec l’étude des bois réalisée en parallèle.
Les premiers résultats révèlent que les agrafes des tribunes du chœur sont bien contemporaines de l’élévation de cette partie de l’édifice dans les années 1160-1170. Celles du sommet des murs remontent pour leur part du début du XIIIe siècle, juste avant la pose de la charpente. Ces datations confirment ainsi que Notre-Dame est le premier édifice gothique à faire un usage massif du fer à des endroits précis de sa maçonnerie, dès les premières campagnes de construction et tout au long du chantier.</p>
<h2>D’où vient le fer de Notre-Dame ?</h2>
<p>La troisième interrogation concerne la provenance de ces matériaux. Où ces tonnes de fer ont-elles été produites ? Comment le chantier de construction était-il approvisionné en métal au XII<sup>e</sup> siècle, au XIII<sup>e</sup> siècle et pour les campagnes ultérieures ; <a href="https://books.openedition.org/efr/7867?lang=fr">sous quelles formes circulaient ces fers</a> ?</p>
<p>On sait en effet que le fer circulait au Moyen Âge dans les deux sens sur la Seine et pouvait aussi être approvisionné par voie de terre ; il aura pu être produit par des domaines de l’évêché ou du chapitre cathédral (le collège de chanoines en charge de la gestion de l’édifice), et particulièrement dans les nombreux domaines situés dans toute l’Île-de-France actuelle.</p>
<p>Il n’est en outre pas rare que <a href="https://www.mdpi.com/2075-163X/10/12/1131">plusieurs sources, locales et plus lointaines</a>, soient mêlées au gré des campagnes de construction. Les soudures observées dans la matrice des fers de Notre-Dame suggèrent l’assemblage de plusieurs pièces pour fabriquer chaque agrafe, dont les origines sont peut-être différentes. Les impuretés contenues dans ces alliages ferreux permettent d’aborder cette question de la circulation de ces matériaux.</p>
<p>Dans les procédés de production anciens en bas fourneaux, majoritairement employés jusqu’à la fin du Moyen Âge, le fer, produit à l’état solide, emporte dans sa matrice des petits fragments de scories (le déchet de la réduction), appelées inclusions de scories, dont la composition est tributaire de la fraction non réduite du minerai utilisé.</p>
<p>L’analyse chimique de ces inclusions, <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-662-49894-1_14">réalisée par spectrométrie de masse couplée à un module d’ablation laser</a>, qui facilite l’analyse de volumes d’un diamètre compris entre 30 et 100 micromètres, permet d’accéder à leur composition en éléments traces. La comparaison des résultats sur les différentes agrafes révèle que de multiples sources d’approvisionnement ont été convoquées pour leur fabrication, une diversité qui traduit certainement le dynamisme du marché du fer sur la place parisienne. Mais parfois, on observe aussi que plusieurs fragments de fer d’origines distinctes ont même été assemblés par soudure à la forge pour fabriquer une seule agrafe. Cette pratique témoigne peut-être d’un recyclage actif de vieilles ferrailles sur le chantier. </p>
<p>Cette composition peut enfin être comparée <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/arcm.12265">au moyen d’outils statistiques</a> à celle des macroscories rejetées par les métallurgistes sur les sites de production.</p>
<p>Ainsi, une vaste investigation archéologique est actuellement en cours, en <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03095515/">s’appuyant sur les découvertes existantes</a> dans la région, afin d’identifier les sites à scories ayant pu fournir ce fer et d’y réaliser les analyses nécessaires pour établir ces comparaisons de signatures chimiques.</p>
<p>L’enquête se poursuit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185748/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches évoquées dans cet article sont organisées et financées par le CNRS et le ministère de la Culture dans le cadre du « chantier scientifique Notre-Dame ». Elles sont le fruit d'un travail collaboratif impliquant l'ensemble des membres et laboratoires du GT Métal (<a href="https://www.notre-dame.science/gt-metal-membres/">https://www.notre-dame.science/gt-metal-membres/</a>). Elles sont rendues possible par l'implication du Service Régional de l’Archéologie, de la Conservation Régionale des Monuments Historiques, des Architectes en Chef des Monuments Historiques (P. Villeneuve, P. Prunet, R. Fromont) et de l'Établissement Public Notre-Dame (RNDP), qui a financé une partie de ces travaux dans le cadre des études de diagnostic.</span></em></p>
En 2019, l’incendie de Notre-Dame a révélé que la structure de la cathédrale, élevée à partir des années 1160, était renforcée de nombreuses armatures de fer.
Maxime L'Héritier, Maître de conférences en histoire médiévale, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/184990
2022-07-31T15:03:03Z
2022-07-31T15:03:03Z
Étudier la charpente de Notre-Dame pour connaître la météo médiévale
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476336/original/file-20220727-1293-is1q2n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C9%2C1549%2C962&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bois carbonisés de la charpente Notre-Dame de Paris après l'incendie en 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Alexa Dufraisse</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Catastrophe patrimoniale, l’incendie de Notre-Dame en 2019 permet aussi d’accroître nos connaissances : les débris de la célébrissime cathédrale sont autant de précieux témoins du passé ! Cette série suit le chantier scientifique de Notre-Dame, où bois carbonisés et pièces en métal révèlent leurs secrets. Pour ce premier épisode, on fait parler la charpente.</em></p>
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<p>Notre-Dame est l’un des monuments français les plus célèbres au monde. Sa construction a commencé sous le règne de Louis VII, vers 1160 ; elle s’est étalée entre la fin du XII<sup>e</sup> siècle, avec notamment la construction du chœur, et le début du XIII<sup>e</sup> siècle, avec la construction de la nef puis de ses tours.</p>
<p>Connue aussi sous le nom de « forêt », sa charpente était composée d’un grand nombre de poutres en chêne. En réalité, ce n’est pas une charpente, mais plusieurs qui composent cette forêt. En effet, vers 1225, une partie de la cathédrale a été démantelée pour rehausser les fenêtres du haut. Puis, au cours de la grande restauration de Viollet-le-Duc au XIX<sup>e</sup> siècle, la flèche fut reconstruite ainsi qu’une partie des beffrois et la charpente des transepts.</p>
<p>Du 15 au 16 avril 2019, soit plus de 800 ans après son édification, la cathédrale brûle, une nuit durant, se réveillant dénuée de sa flèche, un trou béant à la place du toit.</p>
<p>D’abord considérés comme des débris, les vestiges de la cathédrale, notamment les poutres calcinées, ont été inventoriés et leur position dans la cathédrale enregistrée avant qu’ils soient évacués vers un entrepôt dédié. Les morceaux de bois, pour certains noircis en périphérie, pour d’autres, carbonisés à cœur, sont désormais accessibles aux chercheurs pour révéler leurs secrets. Une équipe de près <a href="https://www.notre-dame.science/gt-bois-membres/">70 chercheurs</a> s’est regroupée pour les étudier sous toutes les coutures.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sciences-au-chevet-de-notre-dame-180915">Les sciences au chevet de Notre-Dame</a>
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<p>Ce que nous racontent les bois de la charpente, c’est un millénaire d’histoire partagée entre les hommes, la société et les forêts. Les arbres abattus pour construire la charpente détiennent par exemple dans leurs cernes un enregistrement de ce qu’était le climat quand ils ont poussé.</p>
<p>Ainsi, la destruction – déplorable – de la charpente de Notre-Dame offre une occasion unique d’accéder au climat du Moyen Âge en Île-de-France.</p>
<h2>Quel temps faisait-il au Moyen Âge ?</h2>
<p>Les chênes de la charpente de la nef et du chœur ont poussé au cours des XI<sup>e</sup>-XIII<sup>e</sup> siècles, période concomitante à l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Optimum_climatique_m%C3%A9di%C3%A9val">« optimum climatique médiéval »</a> et pour laquelle il n’existe pas encore de données climatiques dans le nord de la France.</p>
<p>Dans les années 1990, une quarantaine de prélèvements par carottage (à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tari%C3%A8re_de_Pressler">tarière de Pressler</a>) ont été réalisés, mais les méthodes sont destructives et aucune autre étude n’aurait donc pu être entreprise depuis.</p>
<p>Cette phase de climat <a href="https://doi.org/10.1016/0031-0182(65)">« optimal »</a> correspond à une augmentation de la fréquence relative des épisodes chauds, principalement autour de l’Atlantique Nord, identifiée en 1965 par des documents historiques (littérature classique, registres administratifs et ecclésiastiques) et par l’étude de carottes de glace, de cernes et de rendements de récolte.</p>
<p>Aujourd’hui, cette période est appelée « anomalie climatique médiévale ». Ce terme, <a href="https://www.nature.com/articles/369546a0">proposé par le chercheur nord-américain Scott Stine</a> en 1994, nuance la première appellation : si cette période est bien caractérisée par des températures clémentes (de quelques dixièmes de degrés plus élevées que celles de 1960-1990) ou une plus grande aridité en Europe et d’autres parties du monde, elle ne s’est pas déroulée de façon synchrone et uniforme dans toutes ces régions, avec des zones vraisemblablement plus froides ou plus humides.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/475672/original/file-20220722-26-poic2t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/475672/original/file-20220722-26-poic2t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/475672/original/file-20220722-26-poic2t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/475672/original/file-20220722-26-poic2t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/475672/original/file-20220722-26-poic2t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/475672/original/file-20220722-26-poic2t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/475672/original/file-20220722-26-poic2t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Températures moyennes globales depuis l’an 0.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ed Hawkins</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, le climat fluctue sous l’influence de facteurs externes au système climatique, aussi appelés « forçages » (intensité du rayonnement solaire, <a href="https://www.unige.ch/lejournal/numeros/107/article2/">activité volcanique</a>), mais aussi sous l’effet de sa propre dynamique. L’anomalie climatique médiévale est probablement due à une combinaison de ces causes de variations externes et internes.</p>
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<p>Ces changements, par essence complexes, ont pu entraîner l’amplification ou l’atténuation de certains paramètres climatiques <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2019PA003734">selon les régions</a>, comme l’humidité relative ou la température.</p>
<h2>Les cernes des arbres, ces archives naturelles</h2>
<p>Nous ne disposons pas d’enregistrements météorologiques avant les périodes préindustrielles. Pour étudier le temps au temps des cathédrales, on utilise donc des enregistrements indirects, issus d’archives naturelles telles que les cernes du bois, les coraux, ou des carottes de glace ; puis il faut relier les observations de ces archives naturelles à des données climatiques instrumentales.</p>
<p>Ces dernières années, un certain nombre de reconstructions de température basées sur des archives naturelles comme les <a href="https://lameteorologie.fr/issues/2013/80/meteo_2013_80_14">cernes d’arbres</a> ont été réalisées. Mais les principaux épisodes climatiques au cours du dernier millénaire ne sont pas encore bien décrits, car il existe peu d’archives naturelles avec des résolutions temporelles très fines, à l’échelle de l’année ou du mois.</p>
<p>En étudiant les signaux climatiques enregistrés dans les cernes de croissance des chênes de Notre-Dame (largeur des cernes, densité du bois, composition isotopique de la cellulose), nous tentons de reconstituer les changements climatiques et environnementaux locaux et régionaux qui se sont produits pendant la croissance des arbres – cette discipline s’appelle la « dendroclimatologie ».</p>
<p>Ces études permettent aussi de mieux comprendre le chantier de construction de la cathédrale, les contextes social et économique de Paris, voire la croissance des chênes et des forêts dans leur cadre environnemental.</p>
<h2>La croissance des chênes à la loupe</h2>
<p>La largeur, la densité et la composition chimique et isotopique des cernes varient en fonction du climat. Les compositions isotopiques du carbone et de l’oxygène des cernes sont classiquement utilisés pour étudier l’évolution des climats passés, car ils ont été fixés lors de la saison de croissance. Ces compositions varient au cours des réactions métaboliques dans l’arbre et l’intensité des changements dépend des conditions environnementales et climatiques dans lesquelles s’effectue la croissance.</p>
<p>Par exemple, le carbone qui constitue la cellulose des arbres vient du CO<sub>2</sub> de l’atmosphère. Il est assimilé au niveau des feuilles et intégré dans les sucres, qui vont eux-mêmes s’associer pour former des molécules de cellulose. Lors d’un été sec, l’arbre limite ses échanges gazeux pour ne pas se déshydrater, ce qui entraîne une augmentation du rapport isotopique du carbone des sucres, et par suite de la cellulose. Une valeur relativement élevée du rapport isotopique du carbone de la cellulose d’un cerne pourra donc indiquer que l’été pendant lequel l’arbre a formé ce cerne a été plutôt sec.</p>
<p>Selon l’espèce, la région et le milieu de croissance de l’arbre, les rapports isotopiques du carbone et de l’oxygène peuvent refléter la température atmosphérique, le stress hydrique, la quantité de précipitations ou encore la couverture nuageuse.</p>
<h2>Comprendre comment le bois a brûlé</h2>
<p>S’il est connu que la carbonisation modifie les propriétés physiques et chimiques du bois, on sait aussi que le degré d’altération de la matière varie en fonction du mode de combustion : la température, la durée du chauffage, la disponibilité de l’oxygène dans l’atmosphère, la forme et la taille de l’échantillon de bois, l’espèce et sa teneur en eau peuvent avoir un impact sur le processus de carbonisation.</p>
<p>Il est difficile de reproduire l’incendie d’une charpente en laboratoire, mais les processus de combustion et pyrolyse peuvent, eux, être reproduits et étudiés via des expériences.</p>
<p>Le développement récent d’outils analytiques pour caractériser l’intensité de carbonisation du bois brûlé pourrait permettre d’utiliser les isotopes du carbone et de l’oxygène des poutres calcinées de Notre-Dame – et plus généralement de charbons de bois – pour reconstruire le climat.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/475668/original/file-20220722-23-uj1640.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/475668/original/file-20220722-23-uj1640.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/475668/original/file-20220722-23-uj1640.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/475668/original/file-20220722-23-uj1640.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/475668/original/file-20220722-23-uj1640.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/475668/original/file-20220722-23-uj1640.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/475668/original/file-20220722-23-uj1640.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Coupe de bois de chêne archéologique, plus ou moins carbonisé en périphérie laissant apparaître les anneaux de croissance annuels.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexa Dufraisse</span></span>
</figcaption>
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<p>Par exemple, la méthode du <a href="https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/item/CRGEOS_2020__352_1_7_0/">« paléothermomètre Raman »</a> permet d’estimer les températures maximales atteintes lors de l’incendie de Notre-Dame autour de 1200 °C. En dessous de 400 °C, la méthode de spectroscopie infrarouge permet de sonder les différentes étapes de décomposition thermique des composants du bois.</p>
<p>Pour chacun de ces outils, une courbe de calibration entre température supposée atteinte et différence mesurée dans la signature isotopique du bois peut être réalisée expérimentalement à partir de bois brûlés. Ces calibrations vont nous permettre, dans les prochaines années, de « corriger » les valeurs isotopiques, et ainsi de remonter à la variabilité naturelle du climat lors du long chantier de construction de Notre-Dame.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184990/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexa Dufraisse a reçu des financements du CNRS (MITI) et de l'ANR.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Diane du Boisgueheneuc a reçu des financements du CNRS et de l'ANR.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frédéric Delarue a reçu des financements du CNRS et de l'ANR.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valérie Daux a reçu des financements de ANR, CNRS.</span></em></p>
Les bois de la charpente de Notre-Dame de Paris nous racontent un millénaire d'histoire partagée entre les hommes et les forêts.
Alexa Dufraisse, Directrice de recherche CNRS en archéobotanique, spécialisée en dendro-anthracologie et en anthraco-isotopie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Diane du Boisgueheneuc, Doctorante en dendroclimatologie, Sorbonne Université
Frédéric Delarue, Chargé de recherche CNRS, Sorbonne Université
Valérie Daux, Professeure en Géosciences, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/185522
2022-06-30T16:58:13Z
2022-06-30T16:58:13Z
Quand Bill Fontana redonne vie aux cloches de Notre-Dame
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/471865/original/file-20220630-18-4k0ff9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C914%2C479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un capteur posé sur une des cloches de Notre-Dame, dans le cadre de l'installation de Centre Pompidou. </span> <span class="attribution"><span class="source">Bill Fontana</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Sur la terrasse du 5e étage du Centre Pompidou, <a href="http://www.resoundings.org/">l’artiste Bill Fontana</a> nous fait entendre en « live » les vibrations permanentes des cloches de Notre Dame alors qu’elles sont totalement inaudibles pour l’oreille. C’est là une magnifique et <a href="https://manifeste.ircam.fr/agenda/silent-echoes-notre-dame/detail/">impressionnante installation sonore</a> produite dans le cadre du festival Manifeste 2022 de l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique). Ce son inhabituel des cloches (muettes depuis l’incendie) nous fait retrouver Notre Dame de Paris.</p>
<p>En 2016, dans un article intitulé : <a href="https://www.echosciences-grenoble.fr/articles/good-vibrations-1-3-bill-fontana-l-artiste-qui-sculpte-le-bruit-du-monde">« Bill Fontana, l’artiste qui sculpte le bruit du monde »</a>, j’écrivais en physicien combien le travail de sculpteur sonore de Bill Fontana m’intéressait : « Tout vibre autour de nous, mais le plus souvent on ne perçoit pas cette vibration du monde. On peut pourtant passer sa vie à jouer avec ces vibrations et les rendre perceptibles. C’est ce que fait l’artiste Bill Fontana depuis 45 ans, par exemple en enregistrant le son des cloches de la Basilique Saint-Denis causé seulement par les bruits du marché sur la place en contrebas. »</p>
<h2>La technologie pour entendre du bruit</h2>
<p>Bill Fontana <a href="https://www.resoundings.org/">a passé sa vie</a> à coller des accéléromètres sur un grand nombre de monuments, de cloches, de gongs, de ponts… dans le monde entier pour donner à entendre leurs vibrations mécaniques induites par le bruit ambiant.</p>
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<p>Car tout bouge autour de nous. Si ces vibrations sont normalement inaudibles et ignorées, elles sont bien présentes et bien connues des scientifiques et des ingénieurs. Ces bruits peuvent s’insinuer dans la mesure d’un signal et sont donc la plupart du temps une nuisance… Des micro-accéléromètres sensibles à ces vibrations sont issus de la micro/nanoélectronique à la fin du XX<sup>e</sup> siècle. Ils sont maintenant partout sur Terre, et notamment dans chaque smartphone. Vous pouvez ainsi jouer comme Bill Fontana à enregistrer ce bruit du monde. Pour voir ce bruit, vous pouvez utiliser l’application des professeurs de physique <a href="https://phyphox.org/">PhyPhox</a> qui vous permet de manipuler tous les capteurs du smartphone. Les physiciens à l’origine de PhyPhox tracent des courbes et ne transforment pas ces bruits mécaniques pour nourrir notre perception. C’est ce qu’ont fait Bill Fontana et l’IRCAM pour donner à entendre ici le son permanent des cloches de Notre Dame.</p>
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<h2>Les vibrations du monde décrites par la physique</h2>
<p>Quand j’ai découvert, il y a quelques jours, que Bill Fontana <a href="https://www.ircam.fr/agenda/silent-echoes-notre-dame/detail">avait installé <em>Silent Echoes</em></a>, nom de son œuvre en mouvement depuis des années, entre le Centre Pompidou et Notre-Dame, je n’ai d’abord manifesté qu’un intérêt poli. Après les cloches de la Basilique Saint-Denis, le Millenium Bridge à Londres, des cloches dans des temples au Japon, etc. on peut bien sûr continuer, mais pourquoi faire, est-on tenté de dire ? On a compris le propos. J’avais adoré, mais j’étais passé à autre chose.</p>
<p>Mon approche du travail de Bill Fontana est d’abord celle d’un physicien spécialiste des vibrations thermiques des micro/nanostructures. Cela parait très loin des cloches de Notre Dame. Et pourtant pour tous les physiciens, tous les mécaniciens, finalement tous ceux, chercheurs de l’IRCAM compris, pour lesquels cette phrase « étude de la réponse en fréquence d’un système linéaire soumis en entrée à un bruit large bande » a une signification claire, c’est finalement la même chose.</p>
<p>Dans nombre de situations, les physiciens travaillent d’ailleurs d’arrache-pied pour sinon supprimer, au moins isoler leurs expériences des bruits que donnent à entendre Bill Fontana. Un de ces plus beaux systèmes, protégé comme on ne l’a jamais vu de toutes les vibrations mécaniques extérieures d’où qu’elles viennent, est <a href="http://public.virgo-gw.eu/language/fr/">l’observatoire européen Virgo</a> pour la détection des ondes gravitationnelles. Le physicien <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SW2-2oDjMrA">Alain Brillet, médaille d’or du CNRS en 2017</a>, passe beaucoup de temps dans ces conférences sur l’instrument au cœur de Virgo, à expliquer comment ses miroirs sont un des systèmes les plus isolés sur Terre.</p>
<p>Ainsi j’avais été d’abord fasciné par cette mise en œuvre artistique des micro-accéléromètres aujourd’hui dans notre quotidien, mais issus d’une technologie d’un niveau inouï. Probablement le cœur de ma lecture de son œuvre il y a quelques années. La terrasse du Centre Pompidou avec cette nouvelle installation allait me rappeler qu’une œuvre d’art intéressante est multiple, et peut se renouveler complètement dans les yeux de son regardeur. Un vrai choc.</p>
<h2>Mea Culpa</h2>
<p>En fait je n’avais l’expérience du travail de Bill Fontana qu’à travers ses vidéos, ses textes, aussi par le travail d’étudiants que j’avais encadrés sur des projets « Learning by doing » très inspirés par ses créations comme <a href="https://www.echosciences-grenoble.fr/articles/good-vibrations-2-3-l-approche-tech-free">« Good vibrations : The Jelly Vibration, projet No Tech ! »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E9jW0hYDD4U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Je n’avais donc jamais été présent à l’une de ses œuvres « en live », corps et esprit rassemblés. Résultat, malgré la canicule en ce mois de juin 2022, je suis resté deux heures sur la terrasse du Centre Pompidou face à Notre-Dame à écouter cette vibration permanente des cloches donnée à entendre là pour la première fois. Tout d’abord, et même si je ne suis pas capable d’en apprécier toutes les subtilités, j’ai admiré le travail de sonorisation de l’espace de la terrasse avec ces haut-parleurs qui la ceinturent, et même en plein air, plongent les spectateurs au cœur du son. Il est là partout enveloppant, hypnotique, changeant, mais permanent. « La mer, la mer, toujours recommencée ! » a écrit Paul Valéry. Vrai aussi pour la vibration des cloches de Notre Dame. Elles vibrent ainsi depuis qu’elles existent, et vibreront tant qu’elles existeront, en réponse aux bruits de Paris.</p>
<h2>Une foule de souvenirs</h2>
<p>Comme tout le monde, je ne suis pas entré dans Notre Dame depuis l’incendie, et ma prochaine visite risque d’attendre un peu. L’après-midi du 15 avril 2019, avec des chercheurs, des enseignants et des étudiants, j’étais face à Notre Dame en feu, dans le Marais, sur le toit du Centre de Recherches Interdisciplinaires de l’Université Paris Cité, sidéré et figé comme tous, effondré quand la flèche est tombée. Et puis, trois ans plus tard, je suis sur cette terrasse du Centre Pompidou, Notre Dame est là, en face. Paris et ses bruits sont partout. Le son des cloches sort des haut-parleurs autour de moi, et m’installent au cœur de la cathédrale qui a survécu malgré l’ampleur des destructions.</p>
<p><a href="https://youtu.be/E9jW0hYDD4U">C’est un son</a> que je n’ai jamais entendu, mais c’est évidemment celui des cloches. Il est là. Toujours là. Et il fait revenir ces moments qui vous constituent. À cet instant-là, vous n’y pouvez rien. Dans <em>Corto Maltese</em>, Hugo Pratt fait dire à un soldat écossais : </p>
<blockquote>
<p>« Ils m’ont toujours fait de la peine ceux qui écoutent une cornemuse… sans être écossais. » </p>
</blockquote>
<p>Vous êtes débordé : Notre Dame, Victor Hugo, les images de la Libération de Paris, et ce moment épouvantable, mais ensemble sur ce toit au printemps 2019. Le 3 mars 2022, en pensant à l’Ukraine martyrisée et pour la paix en Europe, le bourdon de Notre Dame a sonné, se joignant à d’autres cloches partout sur le continent. Après l’incendie, il a fallu manipuler le battant à la main.</p>
<p>Bien sûr, j’ai aussi utilisé mon smartphone. L’application PhyPhox m’a permis d’enregistrer le son des haut-parleurs et de calculer des dizaines de spectres audio. Pour construire toute ma présence dans cette œuvre, j’avais besoin de m’ancrer en cherchant à identifier les fréquences de résonance des différentes cloches, c’est-à-dire leurs notes. Très belles courbes. Chacun approche une œuvre artistique comme il le souhaite… ou comme il est ! L’artiste Bill Fontana a réussi à me retourner et j’en ai été très heureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185522/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Bill Fontana a passé sa vie à coller des accéléromètres sur un grand nombre de monuments, dans le monde entier, pour donner à entendre leurs vibrations mécaniques induites par le bruit ambiant.
Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/180915
2022-04-14T18:24:01Z
2022-04-14T18:24:01Z
Les sciences au chevet de Notre-Dame
<p><em>Martine Regert est chargée de mission pour le CNRS du pilotage du chantier scientifique de Notre-Dame de Paris. Trois ans après le terrible incendie, nous lui avons demandé quelles recherches étaient menées en lien avec la cathédrale.</em></p>
<hr>
<h2>The Conversation : Comment la communauté scientifique s’est-elle mobilisée ?</h2>
<p><strong>Martine Regert :</strong> Les scientifiques, comme beaucoup de personnes en France et dans le monde ont été très touchés, certains ont été témoins du drame puisque de nombreux laboratoires de recherche sont proches géographiquement de la cathédrale. On a compris très vite que les connaissances scientifiques allaient être nécessaires pour accompagner le processus de restauration. Il fallait également éviter la perte de la connaissance. Par exemple, tout ce qui était tombé au sol (pierres, bois, métaux…) pouvait être considéré comme des gravats, alors que les scientifiques les voyaient plutôt comme vestiges patrimoniaux et comme des matériaux d’étude. Dès le lendemain, l’Association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame de Paris a été créée.</p>
<p>À cette époque, j’étais directrice adjointe scientifique à l’institut écologie et environnement du CNRS et le lendemain j’étais au siège de cet organisme. Les téléphones ont énormément sonné avec des collègues qui proposaient déjà des pistes de recherche, par exemple pour modéliser les températures atteintes pendant l’incendie ou pour étudier l’état des charpentes calcinées.</p>
<p>Face à ces nombreuses initiatives, on a mis en place des groupes de travail, avec le ministère de la Culture. Avec Philippe Dillmann, j’ai été nommée chargée de mission pour le CNRS, ainsi qu’avec Pascal Liévaux et Aline Magnien pour le ministère de la Culture, du pilotage du chantier scientifique de Notre-Dame de Paris en mai 2019.</p>
<h2>T.C. : Comment les scientifiques participent-ils à la restauration ?</h2>
<p><strong>M.R. :</strong> Je peux vous donner quelques exemples. Un de nos groupes de travail s’intéresse aux structures et aux forces qui s’y appliquent. Ce groupe a été sollicité par la maîtrise d’œuvre (les architectes en chef des monuments historiques) pour conduire une évaluation structurale post-incendie des voûtes afin d’évaluer leurs conditions de stabilité.</p>
<p>On a également un groupe qui s’intéresse à l’acoustique de l’ouvrage et qui va participer au choix du placement d’un nouvel orgue dans le chœur.</p>
<p>D’autres scientifiques s’intéressent aux vitraux, les véritables miraculés de l’incendie. Ils cherchent à déterminer l’histoire de leur fabrication et des solutions pour les décontaminer (plomb) avant de les replacer.</p>
<h2>T.C. : D’autres études de plus long terme sont en cours…</h2>
<p><strong>M.R. :</strong> Oui, par exemple, des recherches sont menées pour replacer la cathédrale dans son contexte environnemental.</p>
<p>Les charpentes ont certes brûlé, mais pas totalement, le bois contient encore beaucoup d’informations que l’on peut exploiter. On peut les dater, pour certains, à l’année près en étudiant les cernes que forment les arbres au fur et à mesure de leur croissance. On peut aussi parfois préciser la saison d’abattage. D’autre part ces cernes enregistrent les conditions climatiques et environnementales dans lesquelles les bois se sont développés. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’au moment de la construction de la cathédrale on est dans ce que l’on appelle l’optimum climatique médiéval : un réchauffement sensible documenté entre le X<sup>e</sup> et le XIV<sup>e</sup> siècle de notre ère et précédant le petit âge glaciaire.</p>
<p>Cette période constitue un point de comparaison intéressant dans le cadre du réchauffement global que nous vivons actuellement en termes de causes, d’amplitude et d’enjeux des phénomènes observés.</p>
<p>Sur un tout autre sujet, nous avons des collègues anthropologues qui travaillent sur l’émotion liée aux catastrophes affectant les biens culturels tels l’incendie du musée d’anthropologie de Rio en 2018 ou celui du château de Shuri au Japon qui a eu lieu peu après celui de Notre-Dame de Paris. Ils essaient de comprendre comment chacun a réagi. Ils documentent également le ressenti de toutes les personnes travaillant de près ou de loin à la restauration.</p>
<h2>T.C. : Comment est-ce que les scientifiques arrivent à travailler sur un lieu en pleine restauration ?</h2>
<p><strong>M.R. :</strong> Cela se passe plutôt bien, mais c’est complexe. Déjà du point de vue des nombreuses disciplines scientifiques présentes qui n’ont pas forcément toutes les mêmes manières de travailler : chimistes, physiciens, historiens, archéologues… Nous n’avons pas les mêmes contraintes temporelles. Puis on travaille sur un monument emblématique. Il y a donc une très forte attente des autorités politiques et du public.</p>
<p>Sur place, les conditions de travail sont ardues : tout le monde doit respecter un emploi du temps très précis, donc il faut être très efficace. De plus, il y a beaucoup de contraintes liées à la sécurité. Comme on le sait bien, cet espace est fortement contaminé au plomb, il faut donc travailler avec des masques, porter des combinaisons de protection, etc.</p>
<p>Heureusement, tout cela est bien coordonné, et on arrive à travailler de façon efficace et enthousiaste tant les enjeux sont passionnants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Martine Regert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
De très nombreux scientifiques de différentes disciplines travaillent à améliorer nos connaissances de la cathédrale et participent à sa restauration.
Martine Regert, Chargée de mission pour le CNRS du pilotage du chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, Université Côte d’Azur
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/159366
2021-04-29T19:41:34Z
2021-04-29T19:41:34Z
Conserver, protéger et entretenir pour moins restaurer les monuments et les sites
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/397845/original/file-20210429-16-lwy3gf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C3%2C1331%2C1000&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Moutier-d'Ahun (Creuse) ; granits sculptés au XVe siècle, ancien peuplement de lichens et de mousses.</span> <span class="attribution"><span class="source">Bruno Phalip</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Autant le mot de conservation est méconnu, autant celui de restauration est perçu comme une évidence positive pour le monument. </p>
<p>Les classements au titre du Patrimoine mondial de l’Unesco, des Monuments Historiques en France, ou de leurs équivalents en Europe (English Heritage Buildings, Baudenkmal, Monumenti nazionali italiani, Patrimonio Cultural de España, biens classés deBelgique/Kulturdenkmal ou Beschermd erfgoed…), montrent combien la « protection » est intégrée par les publics, comme les institutions de chaque pays.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397883/original/file-20210429-15-boh4cz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397883/original/file-20210429-15-boh4cz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397883/original/file-20210429-15-boh4cz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397883/original/file-20210429-15-boh4cz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397883/original/file-20210429-15-boh4cz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397883/original/file-20210429-15-boh4cz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397883/original/file-20210429-15-boh4cz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Filets de protection à Notre-Dame de Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bruno Phalip</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De même, face à l’urgence de mise en sécurité, les mesures prises sont pour l’essentiel acceptées, en dépit d’impatiences. Qu’il s’agisse du chœur échafaudé de la cathédrale de Tournai en Belgique ou des parties hautes de Notre-Dame de Paris, le fonctionnement des institutions n’est pas remis en cause. </p>
<h2>Débats et institutions</h2>
<p>Après de vifs débats, en dépit parfois de volontés contradictoires, les réponses données sont peu critiquées au-delà des cercles de spécialistes. Les institutions patrimoniales du Ministère de la Culture, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, les Monuments Historiques, le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques et les Directions Régionales des Affaires Culturelles, répondent avec pertinence, en apportant des solutions qui tendent au respect des lois (1887, 1909, 1913 et modifications postérieures), des règlements adaptés (paysages, sites, monuments, lieux de culte, mobilier, archéologie…), comme des protocoles (financement, moyens, méthodes, déontologie…).</p>
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<span class="caption">A Tournai (Belgique), la résille d’échafaudage jouant avec les vitraux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bruno Phalip</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ces choix prévalent pour Notre-Dame en dépit d’un parti interventionniste appelant à l’acceptation d’une « signature architecturale » (toit en verre, flèche en acier, matériaux contemporains et formes novatrices, etc.) présentée comme un gage de modernité devant emporter la décision. </p>
<p>La flèche construite à Notre-Dame par Viollet-le-Duc au XIX<sup>e</sup> siècle, avant les lois républicaines sur les Monuments historiques, s’est imposée à tous comme une œuvre à part entière. Cependant, une cathédrale n’est pas un musée (pyramide de Ming Pei au Musée du Louvre) ; aussi la raison l’a emporté.</p>
<p>La protection et les règles de la restauration ont ainsi prévalu dans le respect des institutions et lois. Cependant, si la nécessité et la modernité des mesures de restauration (techniques de pointe, matériels et ingénierie, outils numériques, analyses, temps de la recherche des scientifiques associé au temps court du chantier…) sont des évidences à Notre-Dame, elles ne masquent pas les besoins liés à la conservation de milliers d’autres monuments. </p>
<p>Ceux-là ne bénéficient ni de l’émotion, ni des moyens ou des projets, désormais associés au 15 avril 2019. L’incendie récent de l’église de Romilly-la-Puthenaye (Eure) montre les limites de la médiatisation, du mécénat (grilles de Versailles) comme de l’intérêt porté à des édifices aussi importants aux communautés humaines que le plus grand d’entre eux.</p>
<h2>Quand la « reconstruction » supplante la « restauration »</h2>
<p>Ce faisant, dans le langage courant, pour Notre-Dame, comme pour l’église de Romilly-la-Puthenaye, le mot restauration n’est quasiment plus employé, au profit de reconstruction, ce qui trahit un affaiblissement du sens premier. La restauration – en dépit de limites perçues à Chartres ou au palais des ducs de Bretagne à Nantes – implique des règles débattues, la reconstruction peut s’en affranchir, y compris pour des édifices protégés. Nous devons y prendre garde. </p>
<p>La reconstruction de la tour nord de l’abbatiale de Saint-Denis, les projets de reconstruction des Tuileries ou du château de Saint-Cloud témoignent de ce glissement sémantique et sont habités des mêmes frénésies visant à corriger l’histoire en ayant pour seul avenir un passé érigé au rang du mythe (château de Berlin, Berliner Schloss des Hohenzollern).</p>
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<span class="caption">Forêt-Fouesnant (Finistère) ; pinacle et statue après traitement par biocide (lichen) et nettoyage ; les surfaces sont altérées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bruno Phalip</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Avant de restaurer, l’entretien patient, respectueux des marques du vieillissement qui affectent le monument, doit être privilégié en vue de sa conservation. Transformés, mais en état ou ruinés, les sites peuvent faire l’objet d’aménagements, de consolidations ou d’interventions encadrées par les préconisations des chartes internationales de la conservation : Athènes en 1931, Venise en 1964, Nara en 1994 ou Cracovie en 2000. Les acteurs de la restauration s’y réfèrent avec la volonté affichée d’en respecter les préconisations (La Chaise-Dieu, Chartres).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/notre-dame-de-paris-plaidoyer-pour-une-intervention-lente-et-raisonnee-115783">Notre-Dame de Paris : plaidoyer pour une intervention lente et raisonnée</a>
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<p>Toutefois, en France, comme en Europe, le volontarisme règne, accompagné de fortes interventions à la cathédrale du Puy-en-Velay, Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand, Sainte-Gertrude de Nivelles en Belgique ou la cathédrale Saint-Georges de <em>Limburg</em> an der Lahn en Allemagne. De beaux exemples existent, faisant l’objet d’attentions jalouses, comme la cathédrale de Tournai en Belgique bien documentée et choyée depuis plus de vingt ans, Notre-Dame de Paris depuis deux ans maintenant, ou Angkor Vat au Cambodge depuis trois décennies.</p>
<h2>Restaurer n’est sans doute pas toujours préserver</h2>
<p>Il faut pourtant en convenir, un siècle et demi de restaurations ne préservent pas les monuments. L’usage inadapté de matériaux et produits contribue à l’accélération des processus d’altération, en se mariant mal avec des pierres, vieilles de deux millénaires pour un monument antique ou parfois d’un millénaire pour le Moyen Âge : cryogénie par microabrasion, hydrogommage avec poudre abrasive, poudres d’alumine ou fine de verre.</p>
<p>L’interaction entre matériaux anciens et neufs est – la plupart du temps – néfaste, ne tenant pas compte de l’équilibre qui s’établit entre le monument vieux de plusieurs siècles, son environnement (climat, paysage, faune et flore) et des chantiers actuels aux techniques industrielles (meuleuses, marteaux pneumatiques, perceuses…). </p>
<p>L’emploi de matériaux denses ou étanches (ciments, produits hydrofuges…) n’autorise plus une « respiration » équilibrée du mur sur le long terme (mortier de chaux, maçonneries ventilées…), mais aussi les nettoyages abrasifs répétés, les traitements polluants (sites, eaux du sous-sol) par biocides (biofilm, végétaux), ou les sols rendus étanches (bitumes…) sont néfastes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-faut-reensauvager-les-monuments-historiques-97576">Pourquoi il faut « réensauvager » les monuments historiques</a>
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<p>La biodiversité est jugée facteur d’altération pour le monument ; ce n’est pas seulement les cyanobactéries, lichens et mousses qui peuplent les parements depuis le temps de la construction. Les insectes et rongeurs, les oiseaux eux-mêmes sont considérés comme nuisibles, à propos desquels des solutions sont utilisées : des filets visibles en Allemagne à Nuremberg ou encore en Angleterre à Exeter.</p>
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<span class="caption">Tichodrome échelette d’un site archéologique ; les oiseaux sont également considérés comme nuisibles (bec et serres, déjections).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bruno Phalip</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Plusieurs problèmes se posent en plus de la question esthétique ; ces filets abîmés et mal fixés impliquent des frottements du fait de l’action du vent ; ce sont aussi les systèmes électro-répulsifs accrochés aux sculptures et architectures (cathédrale d’Auxerre) avec des fixations métalliques et des colles s’ajoutant aux pics anti-pigeons.</p>
<p>Les marques du vieillissement <a href="https://medium.com/anthropocene2050/les-monuments-historiques-dans-les-espaces-urbains-peu-denses-des-r%C3%A9servoirs-de-biodiversit%C3%A9-%C3%A0-c7a61bace802">et la biodiversité</a> sont ainsi bannies au profit de monuments blanchis, aux environnements adaptés à l’économie du tourisme, qui contreviennent aux protocoles prudents préconisant de discrètes interventions. Le plus grand adversaire du monument n’est pas le temps, mais bien l’action humaine de notre époque. La modernité montre ainsi ses limites, dans l’absence de mesure, prudence et affectation des recherches en vue du respect de la biosphère intimement liée au monument depuis des siècles.</p>
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<span class="caption">Biofilm de lichens et de mousses ; tous sont associés à l’altération de la pierre des monuments.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bruno Phalip</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’avenir ? Ne plus utiliser de biocides, produits consolidants ou hydrofuges ; éviter les nettoyages systématiques. De ce point de vue, les mortiers biologiques et la biominéralisation constituent des indices encourageants (bio-calcins d’Argenton-Château et de Thouars ; LRMH), tout comme le soft caping (couverture végétale) préconisé par les équipes du English Heritage et répandu en Grande-Bretagne. L’immédiateté de mauvaises solutions est à bannir en recherchant d’autres moyens que ceux habituellement préconisés qui aboutissent à une minéralisation outrancière du monument dont les surfaces sont altérées par abrasion et uniformisées.</p>
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<p><em>Pour aller plus loin :</em></p>
<p><em><a href="https://books.openedition.org/momeditions/9827?lang=fr">« Restaurer un édifice médiéval, problèmes de méthode. À propos de quelques sites dans le centre de la France et dans le royaume khmer entre le XI<sup>e</sup> et le XIII<sup>e</sup> siècle »</a>, in Anne Baud et Gérard Charpentier, Chantiers et matériaux de construction de l’Antiquité à la Révolution industrielle en Orient et en Occident, MOM éditions, 2020, p.245-254</em></p>
<p><em>Bruno Phalip et Fabienne Chevallier, <a href="https://www.decitre.fr/livres/pour-une-histoire-de-la-restauration-monumentale-xixe-debut-xxe-siecle-9782845169876.html">Pour une histoire de la restauration, XIXe-début XX<sup>e</sup> siècles</a>, Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2021 (en cours de publication)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159366/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Phalip ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Si la nécessité et la modernité des mesures de restauration sont des évidences à Notre-Dame, elles ne masquent pas les besoins liés à la conservation de milliers d’autres monuments.
Bruno Phalip, Professeur d’Histoire de l’Art et d’Archéologie du Moyen Âge, Université Clermont Auvergne (UCA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/152764
2021-01-06T19:18:00Z
2021-01-06T19:18:00Z
Avec la réalité virtuelle, la deuxième vie de Notre-Dame de Paris
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377417/original/file-20210106-13-md7bjy.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C185%2C1214%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La société FlyView propose des visites de la cathédrale en réalité virtuelle.</span> </figcaption></figure><p>Pour célébrer 2021, la <a href="https://www.paris.fr/pages/le-concert-de-jean-michel-jarre-dans-une-notre-dame-virtuelle-16298">ville de Paris propose un concert</a> multimédia conçu et mis en scène par Jean‑Michel Jarre dans une réplique numérique de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Pour ce show intitulé « Bienvenue ailleurs », placé sous le patronage de l’Unesco, la légende de la musique électronique et son avatar évoluent dans une scénographie inventive. <a href="https://www.vrroom.buzz/vr-news/music/your-backstage-pass-jarres-vr-gig-notre-dame">La société VRrOOm a mis en œuvre de nombreuses innovations</a> technologiques pour que des milliers de spectateurs puissent assister simultanément au concert diffusé en « live », l’artiste se produisant depuis le studio Gabriel, son image étant mêlée aux images virtuelles de la cathédrale, avec son avatar « sur place ».</p>
<p>Retransmis en direct via plusieurs réseaux sociaux pour le passage à la nouvelle année, le show est désormais accessible sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VKjFjFtKBRI">YouTube</a> et sur <a href="https://vrchat.com/home/launch?worldId=wrld_b4789ecc-8170-441b-ac6f-6e009aeb037a&instanceId=0&shortName=palm-julycommodore-bcc1c">VRChat</a>. Grâce à un casque de réalité virtuelle, il est possible d’assister à un spectacle son et lumière à 360 degrés avec des effets spéciaux qui donnent vie à une modélisation de Notre-Dame à la fois réaliste et futuriste. Les vitraux, les colonnes, les rosaces, les arcs, les voûtes, la façade, et les différents espaces sont mis en valeur dans une chorégraphie architecturale de matières, de formes, de textures et de couleurs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VKjFjFtKBRI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les cathédrales ont toujours été des <a href="https://theconversation.com/cathedrales-numeriques-restaurer-et-visiter-notre-dame-grace-aux-nouvelles-technologies-116020">lieux d’expérimentation et d’innovation</a> technologique. Cela continue avec le numérique qui est utilisé pour la préservation des monuments et la médiation culturelle avec une dimension à la fois éducative, ludique, sociale et créative. Le visiteur devient acteur de sa propre visite et peut <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02388849/">interagir de manière naturelle</a> avec les autres visiteurs et avec le lieu qu’il visite en réalisant des quêtes ou en relevant des défis.</p>
<h2>Le numérique essentiel dans la restauration de Notre-Dame</h2>
<p><a href="https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/notre-dame-premier-point-sur-lavancee-des-recherches">Le CNRS coordonne la restauration de Notre-Dame de Paris</a>, ce qui donne lieu à de nombreux projets scientifiques. Le désastre causé par l’incendie de la cathédrale permet aux chercheurs d’observer et d’étudier des éléments jusqu’alors inaccessibles. <a href="https://www.scientifiquesnotre-dame.org/">L’association des Scientifiques au Service de la Restauration de Notre-Dame de Paris</a> créée dès le lendemain de l’accident, rassemble les chercheurs qui souhaitent mettre leurs connaissances et leurs compétences à profit dans ce projet titanesque. Ils conseillent les autorités, contribuent aux programmes de recherche du CNRS, communiquent dans les médias et <a href="https://uploads.strikinglycdn.com/files/b6d980fb-6ca2-4f4d-aca6-74fb32901e58/Olivier%20Poisson%20chronologie%20ND.pdf">documentent les actions menées</a>.</p>
<p>Le CNRS s’appuie sur l’expertise de l’entreprise française <a href="https://www.artgp.fr/-releves-architecturaux-37-.html">Art Graphique & Patrimoine (AGP)</a> qui avait déjà modélisé en 3D le toit et les poutres pour les travaux prévus dans la cathédrale avant l’incendie. AGP a commencé à créer une nouvelle modélisation complète cinq jours après la catastrophe. Les mesures de l’intérieur de la cathédrale ont été prises avant qu’elle ne soit encombrée d’échafaudages. <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/informatique/scanner-notre-dame-de-paris-etait-une-urgence-absolue_137032">Cette démarche urgente</a> a nécessité plusieurs techniciens à l’intérieur du bâtiment 24 heures sur 24.</p>
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<p>Cependant, suite à l’incendie, les autorités ont constaté une <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/pollution-au-plomb-suite-lincendie-de-notre-dame-questions-reponses">contamination de l’air et du sol par le plomb</a> contenu dans la flèche de la cathédrale. Les techniciens ont donc dû prendre beaucoup de précautions et les <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/08/12/une-modelisation-3d-a-la-mesure-de-notre-dame-de-paris_1745058">travaux sur le chantier ont été très ralentis</a>. Des drones ont été utilisés pour la modélisation des parties supérieures et du toit du bâtiment. Le nouveau modèle numérique intégral sera comparé avec les modèles partiels réalisés entre 1995 et 2016.</p>
<p><a href="http://pages.vassar.edu/antallon/">Les travaux du scientifique américain Andrew Tallon</a>, ancien professeur d’art et d’architecture médiévale qui a mesuré plus d’un milliard de points à Notre-Dame avant son décès en 2018, seront également utilisés. C’est lui qui a <a href="https://actu.fr/societe/le-modele-3d-plus-precis-monde-notre-dame_22991246.html">convaincu le Vassar Institute de l’Université de New York</a> de financer une numérisation complète des voûtes de Notre-Dame par Art Graphique & Patrimoine.</p>
<h2>Une visite numérique différente et complémentaire</h2>
<p>L’accès à une copie virtuelle de la cathédrale permet de vivre une expérience <a href="https://theconversation.com/cathedrales-numeriques-restaurer-et-visiter-notre-dame-grace-aux-nouvelles-technologies-116020">qui présente de nombreux intérêts</a>. En effet, la fermeture prolongée de la cathédrale est très frustrante pour ceux qui y sont attachés pour des raisons personnelles, religieuses, culturelles, historiques ou scientifiques. La réalité virtuelle immersive permet donc de rester connecté à <a href="https://theconversation.com/je-vous-salue-notre-dame-de-paris-de-lemotion-a-la-reconstruction-dun-patrimoine-mondial-115575">ce lieu iconique et à sa puissance symbolique</a>. C’est aussi un moyen de faire visiter Notre-Dame aux adultes et aux enfants du monde entier qui la connaissent par les livres, les films et les dessins animés et qui ne pourront pas visiter la vraie pendant des années.</p>
<p>D’autres n’auront jamais accès à ce patrimoine mondial faute de ressources. Alors s’ils ne peuvent pas venir à Notre-Dame, Notre-Dame peut aller vers eux grâce à Internet. Partout dans le monde, une <a href="https://journals.openedition.org/pds/5617">visite virtuelle peut s’accompagner d’éléments culturels, éducatifs et ludiques</a> destinés à mieux faire connaître la cathédrale au public.</p>
<p>Chaque visiteur virtuel pourra ainsi établir une connexion personnelle avec le monument à travers sa réplique virtuelle. Il pourra même visiter certaines parties qui ne sont pas accessibles dans la réalité, voir avec beaucoup plus de précision certains détails, et <a href="https://www.erudit.org/en/journals/museo/2013-v6-n2-museo0857/1018927ar.pdf">bénéficier de conditions exceptionnelles de visite</a>, seul dans le monument, avec une luminosité parfaite, et la possibilité de s’approcher aussi prêt qu’il le souhaite de chaque élément. Il pourra flotter dans les airs et voir à quelques centimètres les vitraux, les <a href="https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/que-sont-les-mays-de-notre-dame-11119104/">grands Mays</a> ou les <a href="https://www.pariscityvision.com/fr/paris/monuments/notre-dame-de-paris/gargouilles">gargouilles</a>.</p>
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<p>Si le CNRS utilise la modélisation de la cathédrale dans un but scientifique pour sa restauration, sa préservation et sa compréhension, d’autres usages peuvent également être proposés. La société <a href="https://www.lepoint.fr/culture/quand-la-realite-virtuelle-permet-de-visiter-notre-dame-de-paris-23-07-2020-2385367_3.php">FlyView propose déjà de se téléporter dans la cathédrale</a> avant l’incendie grâce à des images filmées 360 degrés, puis de la voir dans son état actuel, partiellement détruite. Présentée comme fascinante et bouleversante, <a href="https://www.flyview360.com/revivre-notre-dame.html">cette visite en réalité virtuelle immersive</a> ne peut se faire que dans les locaux de FlyView, moyennant 19 euros, et selon un scénario de 18 minutes. C’est actuellement la seule visite possible de la cathédrale. On est encore loin d’un accès en ligne, gratuit, universel, illimité et où chacun est son propre guide.</p>
<h2>Le virtuel ne met pas en péril le sacré</h2>
<p>Bien que virtuelle, une réplique numérique de Notre-Dame de Paris, ou d’une autre cathédrale, peut très bien <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-2018-1-page-97.htm">accomplir elle aussi une mission spirituelle</a> et être un lieu de recueillement, de culte et d’étude religieuse. La pandémie de Covid-19 qui a entraîné la fermeture des lieux de culte partout dans le monde a révélé la <a href="https://theconversation.com/la-foi-chretienne-renouvelee-par-la-covid-19-150192">capacité des fidèles de toutes les religions à se réunir virtuellement</a> pour communier, prier, s’enseigner les uns les autres et exercer leur foi en accomplissant des <a href="https://www.academia.edu/697919/A_New_Forum_for_Religion_Spiritual_Pilgrimage_Online">cyber-rituels</a>. Si la technologie peut être une <a href="https://www.forbes.fr/management/intelligence-artificielle-levangelisme-numerique-ou-lavenement-de-la-religion-technologique/">menace pour les religions à travers le transhumanisme</a>, elle peut aussi être un <a href="https://www.lepoint.fr/societe/quand-le-numerique-vole-au-secours-du-religieux-14-06-2020-2379792_23.php">support qui la favorise et la renouvelle</a>.</p>
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<p>Certains mondes virtuels très réalistes sont terrifiants ou merveilleux. Ils peuvent aussi bien revêtir une dimension sacrée, sous une forme tout aussi intense. En effet, l’environnement numérique favorise la propagation du sacré, produit de nouvelles formes de syncrétisme et <a href="https://revistaseletronicas.pucrs.br/ojs/index.php/famecos/article/view/14128/0">amène à vivre une communion mystique</a>. Alors que des millions de personnes visitent la cathédrale Notre-Dame chaque année, y compris pendant les offices religieux, il serait possible de profiter de la cathédrale virtuelle de manière beaucoup plus paisible et dans un recueillement libéré de toute perturbation.</p>
<p>Les visiteurs pourraient avoir le privilège d’observer sous tous les angles les centaines d’objets sacrés numériques présents dans la cathédrale, dont des <a href="https://www.academia.edu/697919/A_New_Forum_for_Religion_Spiritual_Pilgrimage_Online">reliques virtuelles</a> et même de les manipuler, les vraies n’étant exposées qu’une fois par mois. Parmi ces reliques, on trouve la couronne d’épines, la tunique de Saint-Louis, l’ostensoir de Sainte-Geneviève, ainsi qu’un clou de neuf centimètres, un morceau de croix et une partie du fouet qui auraient été utilisés pendant la Passion du Christ. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/net-plus-ultra/net-plus-ultra-13-septembre-2018">La réalité virtuelle permet des reconstitutions de ces objets</a> tels qu’ils étaient à l’origine et de raconter leur histoire jusqu’à nos jours.</p>
<h2>Des alternatives multiples de visites thématiques</h2>
<p>De nombreux scénarios de visites virtuelles de Notre-Dame pourraient être proposés grâce à la réalité virtuelle : les <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=03YbQPKKt6U">différentes étapes de la construction</a> de la cathédrale, ses différentes évolutions, le déroulement de l’incendie, les travaux de restauration ou encore les <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=A7doMraDq4I">versions de Notre-Dame revisitée par des architectes du monde entier</a> qui lui ont rendu hommage après l’incendie.</p>
<p>Toutes ces visites virtuelles thématiques alternatives permettraient de toucher un plus large public et de disséminer la connaissance relative à Notre-Dame alors même que celle-ci est fermée. La réalité virtuelle immersive apparaît donc comme une solution pertinente et durable pour faire revivre la Cathédrale, en faire profiter ceux qui la connaissent déjà et à qui elle manque, et la faire découvrir à ceux qui n’ont pas pu la visiter et ne pourront pas avant longtemps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152764/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Visiter Notre-Dame de Paris, c’est possible grâce à la réalité virtuelle immersive qui permet de nombreuses expérimentations, comme le spectacle du réveillon de Jean‑Michel Jarre.
Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/130446
2020-02-25T20:29:29Z
2020-02-25T20:29:29Z
Quand les institutions culturelles françaises lèvent des fonds aux États-Unis
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/316921/original/file-20200224-24659-1ygya19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2044%2C1536&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Décors de toiture de la cour de marbre (Versailles)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/7751771060">Flickr / Jean-Pierre Dalbéra</a></span></figcaption></figure><p>Le 15 avril 2019, les Parisiens, les Français, le monde entier ont les yeux rivés sur la Cathédrale de Notre-Dame de Paris, <a href="https://theconversation.com/je-vous-salue-notre-dame-de-paris-de-lemotion-a-la-reconstruction-dun-patrimoine-mondial-115575">en flammes</a>. Des centaines de pompiers sont à l’œuvre pour tenter de sauver ce symbole du patrimoine culturel français. Face à cette tragédie, les dons affluent, des entreprises, des grandes fortunes, des organismes publics français, mais également de l’international, notamment des États-Unis – presque <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-luxe-vole-au-secours-de-notre-dame-115692">900 millions de promesses de dons au total</a>.</p>
<p>Or, peu de gens le savent mais en 2016 avait déjà été créée, par l’archevêque et le diocèse de Paris, une association, les <a href="https://secure.givelively.org/donate/friends-of-notre-dame-de-paris-inc">(American) Friends of Notre-Dame</a>, qui permettait de lever des fonds aux États-Unis afin d’aider à la restauration du monument.</p>
<h2>Les nombreux <em>American Friends</em> des institutions culturelles françaises</h2>
<p>De très nombreuses institutions culturelles françaises ont créé leur association d’American Friends, du Musée du Louvre au Château de Versailles, en passant par l’Opéra de Paris ou le Château de Compiègne. Ce phénomène est aujourd’hui en pleine expansion.</p>
<p>Si les premières associations datent des années 1980, elles connaissent, depuis les années 2010, un essor très important, au lendemain de la crise économique de 2008 mais surtout suite aux coupes budgétaires de ces dernières années, notamment dans le domaine de la culture. Le budget du ministère de la Culture n’a cessé de baisser entre 2012 et 2015 passant de 7,5 milliards à 7 milliards et même s’il connaît une certaine remontée ces dernières années, les dotations des institutions culturelles sont plutôt <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/20046-musees-nationaux-quelle-strategie-de-financement">à la baisse</a>. Cette intensification concerne également nos voisins européens, qui multiplient, eux aussi, les associations d’Amis américains – on peut penser à la création récente des American Friends du Liceu Opera ou du Museo del Prado.</p>
<p>Que sont les American Friends ? Ce sont des organisations américaines qui bénéficient du statut de 501(c)3, qui permet à des Américains de faire des dons à des institutions étrangères, tout en bénéficiant de déductions fiscales aux États-Unis. Il existe environ 2 000 associations d’American Friends, pour de nombreux pays (la France, le Royaume-Uni, Israël, l’Australie, l’Inde, etc.) et des institutions dans des domaines très divers (culture, santé, éducation, etc.).</p>
<p>La mission de ces associations est de lever des fonds pour l’institution à laquelle elles sont rattachées et elles organisent pour cela des événements et des activités (dîners, galas, conférences, visites, voyages) dans le pays donateur et le pays récipiendaire (aux États-Unis et en France dans ce cas précis).</p>
<p>De droit américain, mais rattachées à une institution française, ces associations sont des structures à cheval entre la France et les États-Unis et vont donc se trouver dans une double dépendance. En effet, elles sont, d’un côté, dépendantes du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/501(c)(3)_organization">statut de 501(c)3</a>, qui s’accompagne d’un certain nombre de règles à respecter, sous peine de voir son statut être révoqué (ce qui arrive à certaines). Elles sont, d’un autre côté, dépendantes de l’institution pour laquelle elles lèvent des fonds car il y a un prêt d’image, de nom, et donc de réputation. L’un des défis de ces associations est donc de parvenir à représenter tout autant les intérêts des mécènes américains auprès des institutions françaises que ceux des institutions françaises auprès des mécènes américains.</p>
<h2>Le rôle clé du capital social dans les levées de fonds</h2>
<p>L’un des éléments clés de la levée de fonds de ces associations – et même de la levée de fonds plus généralement – est le capital social : sans réseau, sans contacts, impossible de trouver des donateurs. D’ailleurs la sociabilité des élites américaines est marquée par les événements philanthropiques (et notamment les galas) qui <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691015880/why-the-wealthy-give">reposent beaucoup sur la pression sociale</a> : les personnes demandent à leurs amis de donner aux causes qu’ils soutiennent, et celles-ci leur demanderont en retour de <a href="http://bowlingalone.com/">soutenir leurs causes (« fundraising as friendraising »)</a>.</p>
<p>Les associations d’Amis américains fonctionnent tout autant selon ce principe, qui crée un réseau en cercles concentriques : les membres du Board (Conseil d’Administration) demandent à leurs amis de faire des dons à leur organisation, et ces amis demandent à leurs amis, qui demandent à leurs amis, créant un réseau d’interconnaissance dense, et un certain entre-soi.</p>
<h2>Des difficultés à lever des fonds pour les <em>American Friends</em> ?</h2>
<p>Dans ce travail de levée de fonds qui est le leur, les responsables des associations d’Amis américains disent avoir du mal à collecter des fonds, surtout lorsqu’ils se comparent aux institutions américaines de même taille et prestige. Effectivement, si les American Friends du Musée du Louvre ou du Musée d’Orsay ont des donateurs américains très importants et prestigieux, qui sont aussi souvent donateurs du Metropolitan Museum ou du MoMA, les dons qu’ils reçoivent sont moins conséquents.</p>
<p>Ces grandes fortunes, qui peuvent parfois faire des dons de plusieurs millions aux institutions américaines, font rarement des dons à 5 chiffres aux institutions étrangères. De manière globale, les fonds levés par les American Friends des institutions culturelles françaises vont d’une centaine de milliers d’euros par an pour les plus petites à quelques millions pour les plus importantes (elles dépassent rarement les 10 millions).</p>
<p>Cette difficulté à lever des fonds serait due, en partie, à la distance physique et symbolique de l’institution. En effet, comment promouvoir une institution quand celle-ci se trouve à des milliers de kilomètres et que l’on n’a pas de lieu pour organiser des événements ?</p>
<p>Mais cette difficulté à lever des fonds serait due également à un manque de légitimité de ces associations qui sont très critiquées, notamment parce qu’il s’agit d’une philanthropie transnationale qui se caractérise par trois particularités : il s’agit du domaine culturel (alors qu’une majorité des dons transnationaux sont consacrés à l’humanitaire, au sens large du terme) ; il s’agit d’une philanthropie à sens unique – l’argent ne circule que des États-Unis vers la France et non l’inverse – et entre deux pays développés (les États-Unis, la France). Certains se demandent d’ailleurs pourquoi il n’existe pas de « French Friends » du MoMA ?</p>
<h2>La stratégie des American Friends : miser sur le capital symbolique</h2>
<p>Pour dépasser cette difficulté, les associations d’Amis américains vont mettre en œuvre une stratégie : miser sur le capital symbolique, c’est-à-dire qu’elles vont offrir une reconnaissance et un prestige bien supérieurs à ceux offerts par les institutions américaines à don équivalent. Les dons aux American Friends vont ainsi représenter un « bon investissement » : si vous donnez 10 000 dollars au Musée d’Orsay, vous allez pouvoir participer à des événements très prestigieux, être invité à dîner à l’Élysée ou faire une visite privée de l’Assemblée nationale. Or si vous donnez 10 000 dollars au Metropolitan Museum de New York, vous ne serez pas reçu à la Maison Blanche pour autant.</p>
<p>Les American Friends, soutenus par les acteurs étatiques français (hommes politiques, diplomates, acteurs culturels, etc.), vont donc déployer tous les ors de la République française pour attirer les mécènes américains, particulièrement sensibles à ces marques de distinction (événements prestigieux, attribution de décorations, etc.) – ce que les institutions culturelles américaines vont dénoncer comme pratiques « déloyales ».</p>
<h2><strong>Les effets de la philanthropie américaine sur le monde culturel français</strong></h2>
<p>Le développement de cette philanthropie américaine au sein des institutions culturelles françaises n’est pas sans conséquence sur celles-ci et sur le monde culturel français plus largement. En effet, les acteurs culturels doivent adapter leurs pratiques, voient leur légitimité parfois questionnée et leurs métiers évoluer – comme les conservateurs, qui deviennent aussi des fundraisers.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316922/original/file-20200224-24659-wq55zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316922/original/file-20200224-24659-wq55zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316922/original/file-20200224-24659-wq55zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316922/original/file-20200224-24659-wq55zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316922/original/file-20200224-24659-wq55zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316922/original/file-20200224-24659-wq55zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316922/original/file-20200224-24659-wq55zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Nos chers amis américains » est paru en 2019 aux éditions PUF.</span>
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<p>En outre, face au rôle croissant des mécènes au sein des institutions et à leurs exigences de plus en plus importantes, les responsables des institutions cherchent à garder la main et tentent de définir des lignes à ne pas franchir, bricolant en fonction des cas et des situations. Ces conséquences s’inscrivent dans des transformations déjà en cours dans la fonction publique, où les acteurs et les logiques économiques prennent une importance croissante, menant à des reconfigurations public-privé.</p>
<p>Si ces « biens communs » (la culture, l’éducation, la santé, etc.) avaient, à l’origine, une visée universelle (permettre à tous et à chacun d’y avoir accès), ils semblent aujourd’hui de plus en plus réservés à une élite, posant ainsi la question de leur rôle – et de celui de la philanthropie – dans les sociétés démocratiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130446/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Monier a reçu des financements de l'EHESS et de l'ENS.</span></em></p>
De très nombreuses institutions culturelles françaises ont créé leur association d’American Friends. Quel est leur fonctionnement ? Et comment interagissent-elles avec les politiques publiques ?
Anne Monier, Docteure en sciences sociales, spécialiste de la philanthropie, de la sociologie du transnational, des politiques culturelles, École normale supérieure (ENS) – PSL
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tag:theconversation.com,2011:article/129120
2019-12-19T17:50:58Z
2019-12-19T17:50:58Z
Notre-Dame et Venise : pourquoi un tel écart de générosité ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/307783/original/file-20191218-11909-asfa2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=574%2C44%2C5326%2C3538&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'eau est montée jusqu'à 1,87 mètre dans la ville italienne, le 12 novembre dernier.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ihor Serdyukov / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’année 2019 a été marquée par les catastrophes qui ont frappé deux fleurons du patrimoine européen, à sept mois d’intervalle : l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris du 15 avril et les inondations de Venise à partir du 12 novembre. Attirant respectivement 13 et 35 millions de touristes par an, Notre-Dame et Venise sont des symboles mondialement connus qui ont fasciné durant des siècles artistes, croyants et simples visiteurs.</p>
<p>Relayées en boucle dans les médias, bien plus que <a href="http://www.rfi.fr/europe/20191118-italie-matera-inondations-venise">d’autres catastrophes</a> du même ordre, les images de leur destruction ont marqué les esprits et suscité d’innombrables réactions politiques et sociales. Un appel à la générosité publique a été lancé dans les deux cas afin de collecter des dons pour financer la réparation des dégâts. Mais les résultats de ces collectes ont été extrêmement contrastés… Pour en comprendre les raisons, nous avons mené l’enquête en interviewant notamment nos collègues italiens experts de la philanthropie.</p>
<h2>Deux drames, deux mesures</h2>
<p>Alors que les flammes de l’incendie sont à peine maîtrisées et que la toiture, la charpente et la flèche sont dévastées, un <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/une-souscription-internationale-et-d-innombrables-cagnottes-pour-rebatir-notre-dame-de-paris-20190416">incroyable élan de générosité débute</a> en faveur de Notre-Dame. La Fondation du patrimoine lance en premier une campagne de collecte, suivie par trois autres opérateurs (Fondation de France, Fondation Notre-Dame, Centre des monuments nationaux), tous approuvés par l’État.</p>
<p>Le président de la République <a href="https://www.lemonde.fr/societe/video/2019/04/16/incendie-de-notre-dame-nous-la-rebatirons-declare-emmanuel-macron_5450629_3224.html">Emmanuel Macron intervient le soir même à la télévision</a> pour annoncer en direct une grande souscription nationale pour rebâtir Notre-Dame. Dès le mardi, les compteurs s’affolent : 400 millions d’euros promis par les familles Arnault, Pinault et Bettencourt, 100 millions d’euros pour Total, idem pour L’Oréal, de nombreuses PME, des États et collectivités locales… sans oublier d’innombrables particuliers de France et du monde entier qui donnent 30 millions d’euros en quelques heures, surtout par Internet et sur mobile. Mercredi, on estimait déjà à près d’un milliard d’euros de promesses de don, du jamais pour le patrimoine !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1118820557326311424"}"></div></p>
<p>Les inondations de Venise de novembre 2019 ont provoqué des réactions bien différentes. Mardi 12 novembre, une marée haute historique envahit la ville de 1,87m d’eau, suivie de répliques dans les jours qui suivent : <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/nov/17/venice-floods-call-for-help-damages-fundraise">80 % des habitations sont inondées et des quartiers entiers sont submergés</a>. Jeudi, le gouvernement italien décrète l’état d’urgence et débloque un fonds d’urgence de 20 millions d’euros.</p>
<p>Vendredi, le maire de la ville, Luigi Brugnaro, lance une collecte auprès du public pour préserver la ville, « fierté de l’Italie et héritage universel », en <a href="https://www.wantedinmilan.com/news/venice-floods-how-to-donate-to-relief-efforts.html">ouvrant notamment un compte bancaire</a> sur lequel quiconque peut effectuer un virement. D’autres initiatives sont mises en place : les <a href="https://francais.rt.com/international/68122-million-deuros-collecte-parmi-russes-pour-aider-venise-apres-inondations">ambassades italiennes</a> annoncent une collecte auprès des donateurs étrangers, La Scala de Milan se mobilise pour La Fenice, plusieurs <a href="https://it.ambafrance.org/Le-Comite-francais-pour-la-sauvegarde-de-Venise-soutient-la-restauration-de-la">comités pour la sauvegarde de Venise</a> lancent leur propre collecte…</p>
<p>Or, si les dégâts sont estimés à plus d’un milliard d’euros, les fonds collectés sont loin d’être à la hauteur. À peine quelques millions collectés, même s’il est difficile de connaître les chiffres précis. Comment l’expliquer ? Pourquoi une mobilisation sans précédent Notre-Dame alors qu’<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-theorie/la-transition-culturelle-du-lundi-18-novembre-2019">on laisse couler Venise</a> ?</p>
<h2>Notre-Dame, catastrophe imprévisible</h2>
<p>Les deux événements ont en commun de concerner des « stars » du patrimoine dont le rayonnement est mondial et qui se trouvent en situation d’urgence. Dans les deux cas, la catastrophe n’est ni humanitaire, ni sociale. Des voix discordantes ont d’ailleurs ironisé sur la moindre empathie des donateurs <a href="https://actu.fr/societe/notre-dame-pourquoi-milliard-deuros-dons-fait-polemique_23001069.html">sur les questions sociales</a> ou le manque d’attention pour les nombreux autres monuments de notre patrimoine <a href="https://www.fondation-patrimoine.org/l-actualite/liste-des-actualites/lancement-de-plus-jamais-ca-un-fonds-d-urgence-pour-les-monuments-les-plus-menaces">qui s’effondrent en silence</a>.</p>
<p>Pour Notre-Dame comme pour Venise, ce sont avant tout les symboles d’une identité collective qui sont en jeu. Le danger qui les guette peut affecter profondément ceux qui y reconnaissent une part d’eux-mêmes.</p>
<p>Comme le confie Angelo Miglietta, professeur de management de la culture à IULM à Milan à propos des inondations de Venise :</p>
<blockquote>
<p>« Cela donnait une impression de déclin : j’ai perçu le risque de perdre notre héritage culturel. »</p>
</blockquote>
<p>Les deux catastrophes sont pourtant très différentes. Notre-Dame est un monument singulier dont les dégâts ont été exposés aux yeux de tous et clairement recensés. Les images du feu ravageant la toiture et la chute de la flèche ont frappé par leur puissance dramatique.</p>
<p>Dans Venise, les dommages affectent la ville entière ; ils touchent certes des monuments emblématiques, mais aussi des lieux du quotidien : commerces, habitations, voirie… Surtout, la catastrophe de Notre-Dame a pris de court le monde entier alors que celle de la cité des Doges était annoncée. En effet, si l’Église catholique et les experts du patrimoine alertent régulièrement sur le mauvais état des églises en France, un incendie d’une telle ampleur était imprévisible.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/307791/original/file-20191218-11946-1qqrbvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/307791/original/file-20191218-11946-1qqrbvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/307791/original/file-20191218-11946-1qqrbvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/307791/original/file-20191218-11946-1qqrbvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/307791/original/file-20191218-11946-1qqrbvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/307791/original/file-20191218-11946-1qqrbvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/307791/original/file-20191218-11946-1qqrbvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les dégâts de « l’acqua alta » de novembre dernier ont impacté directement les habitants et les commerçants de la ville, contrairement à l’incendie de Notre-Dame.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ihor Serdyukov/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sur le moment, les hypothèses fusent : attentat terroriste, erreur humaine, défaillance électrique ? À l’inverse, les inondations de Venise sont loin d’être un problème nouveau.</p>
<p>Du fait de sa situation géographique particulière, la ville est sujette aux épisodes d’« acqua alta » (hautes eaux), des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/venise-acqua-alta-historique-image-maree-haute_fr_5dcb50b0e4b03a7e02915f30">marées exceptionnellement fortes</a>, amplifiées par le changement climatique. Les phénomènes naturels dévastateurs ne sont pas rares en Italie et entraînent régulièrement la déclaration d’un état d’urgence.</p>
<p>Selon Sara Berloto, chercheuse en philanthropie à l’université Bocconi de Milan :</p>
<blockquote>
<p>« Les inondations à Venise ont été vécues comme une catastrophe naturelle, les Italiens y sont habitués. Pour Notre-Dame, non, il s’agissait d’un drame d’origine humaine. »</p>
</blockquote>
<p>De son côté, Omar Bortolazzi, qui a vécu les deux événements depuis Dubaï, où il est professeur en relations internationales, ajoute :</p>
<blockquote>
<p>« Pour moi, le drame de Venise a été moins traumatisant que celui de Notre-Dame. L’incendie était un événement sans précédent. Pour Venise, les inondations donnaient une impression de déjà-vu, moins saisissante. On avait l’impression d’un événement naturel qui aurait pu être mieux géré, et au moins en partie évité. »</p>
</blockquote>
<p>Des circonstances qui se prêtent moins facilement aux élans de générosité…</p>
<h2>Des outils de collecte incomparables</h2>
<p>Les maigres résultats en matière de dons collectés pour Venise ont une autre explication : les erreurs de stratégie et d’opérationnalisation de la collecte. Les autorités italiennes ont tardé à réagir, alors que le président Macron annonçait une souscription nationale au moment même de l’incendie.</p>
<p>Pour Antoine Martel, directeur de l’éditeur de logiciel iRaiser qui a équipé trois des quatre grands organismes ayant collecté pour Notre-Dame, la <a href="http://chaire-philanthropie.essec.edu/dissemination/lunch-learn/lunch-learn-n-35">réactivité est capitale</a> :</p>
<blockquote>
<p>« 68 % des dons individuels ont été collectés dans les 48 heures suivant l’incendie. Une urgence chasse l’autre. Si vous loupez la fenêtre médiatique, c’est terminé ! »</p>
</blockquote>
<p>Autre point important : les moyens de paiement proposés. Pour Notre-Dame, des formulaires de dons en ligne sécurisés étaient en place dès le lendemain matin, permettant aux particuliers de donner immédiatement et facilement sur leur ordinateur ou leur smartphone via Visa, PayPal, Apple Pay, etc.</p>
<p>Pour Venise, les donateurs sont invités à effectuer manuellement un virement vers un compte bancaire créé pour l’occasion par la mairie. Une solution qui manque cruellement de souplesse, de transparence, de sécurité, sans parler des frais de virement depuis l’étranger. Un système de <a href="https://www.wantedinmilan.com/news/venice-floods-how-to-donate-to-relief-efforts.html">don par SMS</a> a aussi été instauré par la ville, mais il ne permet d’envoyer que deux euros par message…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1195371355526647808"}"></div></p>
<p>Enfin, le caractère éparpillé des initiatives a porté préjudice à la cité flottante. « Il y a eu un manque total de coordination et de gouvernance sur le sujet », analyse Angelo Miglietta. Les grands donateurs et les entreprises sont pourtant d’autant plus enclins à engager des sommes importantes qu’ils ont des interlocuteurs bien identifiés porteurs d’un message clair.</p>
<p>Pour Notre-Dame de Paris, parmi les quatre organismes privés différents qui ont réagi, tous sont des acteurs reconnus dont les comptes sont publics et vérifiés, qui ont été promus dans leur rôle par le gouvernement dès le lendemain de la catastrophe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/307864/original/file-20191219-11900-1o4de7f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/307864/original/file-20191219-11900-1o4de7f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/307864/original/file-20191219-11900-1o4de7f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/307864/original/file-20191219-11900-1o4de7f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/307864/original/file-20191219-11900-1o4de7f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/307864/original/file-20191219-11900-1o4de7f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/307864/original/file-20191219-11900-1o4de7f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La coordination entre les différents acteurs est l’une des raisons qui explique l’importante levée de fonds après l’incendie de Notre-Dame.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Loic Salan/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Outre ces différences de stratégies, un dernier élément explique l’écart considérable des montants collectés : le portage politique de la catastrophe et les responsabilités de l’État et des collectivités locales. Devant le site encore fumant, quand Emmanuel Macron prend l’engagement devant les Français de rebâtir Notre-Dame, il s’exprime en présence de Michel Aupetit, l’archevêque de Paris, d’Anne Hidalgo, maire de la ville, et de Franck Riester, ministre de la Culture.</p>
<h2>Tensions politiques</h2>
<p>Si le gouvernement a été devancé par des acteurs privés dans le lancement de la collecte, il a vite repris la main en coordonnant la souscription nationale puis en supervisant le projet de reconstruction de la cathédrale, confié à un <a href="https://www.ouest-france.fr/culture/patrimoine/notre-dame-de-paris/notre-dame-de-paris-des-conventions-signees-pour-que-l-etat-recupere-les-dons-concretises-6462987">établissement public</a> ad hoc créé le 29 juillet. Malgré quelques remous en coulisse, la réponse apparaît à la hauteur des circonstances.</p>
<p>En Italie, la catastrophe survient dans un contexte politique difficile où le gouvernement italien sort d’une crise politique majeure. Les tensions entre le gouvernement central et la Vénétie, dont les tendances indépendantistes sont bien ancrées, n’ont pas facilité un portage politique unifié et coordonné.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/venise-qu-est-ce-que-le-projet-mose-cense-sauver-la-ville-de-l-engloutissement-depuis-des-annees_3707257.html">gestion calamiteuse du projet Mose</a>, qui devait protéger Venise des marées hautes par un système de digues et qui a déjà englouti près de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/03/a-venise-mose-le-chantier-maudit_5209690_3244.html">6 milliards d’euros</a>, a pris énormément de retard à cause de malversations financières impliquant notamment l’ancien maire de Venise.</p>
<p>Il devait entrer en service en 2016 mais ne sera opérationnel qu’en 2021. On comprend ainsi que « l’acqua alta » de novembre 2019 ait été accueillie avec un « cynisme désabusé » par la population, selon l’expression d’Omar Bortolazzi. Les acteurs publics italiens manquent de légitimité pour encourager particuliers et entreprises à se mobiliser : « Le ressentiment a pris le pas sur l’envie de donner », appuie Omar Bortolazzi.</p>
<p>Derrière ces écarts de générosité, les drames de Notre-Dame et de Venise se rejoignent en effet dans un dernier point commun : les critiques qui se sont mêlées aux démonstrations de tristesse. Alors qu’en France, celles-ci ont ciblé avant tout les grands philanthropes, en Italie, elles se sont focalisées sur la gestion des pouvoirs publics, signe que ces deux monuments, en matérialisant l’identité collective des deux pays, en ont aussi cristallisé les tensions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Les promesses de dons ont rapidement atteint un milliard d’euros après l’incendie de la cathédrale parisienne en avril, contre quelques millions après l’inondation de la cité des Doges en novembre.
Arthur Gautier, Professeur, Directeur exécutif de la Chaire Philanthropie, ESSEC
Éléonore Delanoë, Chargée de recherche, ESSEC
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/122960
2019-09-10T18:39:37Z
2019-09-10T18:39:37Z
Patrimoine architectural : quand modernité rime avec authenticité
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/291778/original/file-20190910-190065-8htdkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C4%2C1020%2C761&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Panthéon en 2004.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bigpinkcookie/69559442">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>La question de l’authenticité s’est posée avec acuité après l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, qui a suscité de nombreux débats autour de sa reconstruction. Illustrer et expliquer comment ces deux composantes – authenticité et modernisation – d’apparence antinomiques – peuvent cohabiter sans pour autant renier les règles du patrimoine architectural nous semble opportun, à l’approche des Journées du Patrimoine.</p>
<p>Reconstruire à l’identique est vite apparu comme la seule possibilité selon l’<a href="https://www.la-croix.com/Culture/Larchitecte-charge-Notre-Dame-veut-reconstruction-lidentique-2019-06-05-1201026817">architecte en chef des Monuments historiques en charge des travaux de la cathédrale</a>, renforçant ainsi le stéréotype selon lequel il est impossible de modifier ou moderniser un monument historique.</p>
<p>Pourtant, au-delà de la communication officielle, les pratiques des acteurs du patrimoine sont variées quand des ajustements contemporains s’imposent. La définition même de l’authenticité, telle qu’elle a été rédigée en <a href="https://whc.unesco.org/archive/opguide77b.pdf">1977 par l’Unesco</a> suggère moins de conservatisme et montre que le leitmotiv « reconstruire à l’identique » sous-tend malgré tout une certaine marge de manœuvre.</p>
<h2>Définir l’authenticité d’un bâtiment</h2>
<p>L’authenticité d’un bâtiment s’élabore initialement avec les éléments d’origine avec une attention particulière pour la forme, les matériaux utilisés et la façon dont ils ont été manufacturés. Cependant, et d’après les orientations des institutions internationales comme celles du Conseil international des monuments et des sites, l’<a href="https://www.icomos.org/fr">ICOMOS</a>, l’authenticité « ne se limite pas à des considérations de forme et de structures originelles ». Pour l’Unesco, en 1977, elle « recouvre aussi toutes les modifications et additions ultérieures faites au cours du temps et qui ont en elles-mêmes une valeur artistique ou historique ». L’authenticité est donc à comprendre au sens large, comme une forme de reconnaissance de la valeur des différentes strates historiques du bâti, et non comme une préservation forcenée des éléments les plus anciens d’un bâtiment.</p>
<p>Dans le cas de Notre-Dame de Paris, et au regard de la <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/dijon/notre-dame-paris-fleche-feu-fait-tour-du-monde-1656088.html">portée symbolique que le monde entier</a> lui a attribuée quand elle est tombée, la flèche de Viollet-le-Duc, dont l’existence même fait débat auprès des acteurs du patrimoine, a donc autant d’importance patrimoniale que la première pierre posée au XII<sup>e</sup> siècle, ou que la fameuse « forêt » maintenant réduite en cendres. Une possible reconstruction de cette dernière n’entacherait donc pas l’authenticité attribuée au bâtiment.</p>
<p>Plus récemment, les nouvelles directives autour de l’authenticité énoncées à <a href="http://www.japan-icomos.org/pdf/nara20_final_eng.pdf">Nara en 2014</a> prônent une forme immatérielle de l’authenticité, qui a du sens pour une communauté donnée. Pour Notre-Dame, c’est valable aussi : la cathédrale est un symbole de la littérature française avec l’œuvre d’Hugo, de la libération de Paris en 1944, du cœur géographique de la France en qualité de Kilomètre 0…</p>
<h2>Moderniser sans sacrifier l’authenticité</h2>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/joms.12413">Notre recherche</a> s’est attachée à montrer comment l’authenticité d’un monument historique est maintenue malgré sa modification et l’introduction de nouveaux matériaux. Dit autrement, nous avons tenté de comprendre et de montrer comment on peut moderniser un monument historique sans compromettre l’authenticité de ce dernier. Cette étude, qui a porté sur les travaux menés sur des bâtiments incontournables en France et au Danemark, met en exergue trois pratiques différentes.</p>
<p>La première suppose un travail important avec les matériaux, qu’ils soient anciens ou nouveaux. Il est tout à fait admis que si l’intégration d’un nouveau matériau se justifie par rapport à la localisation ou à la fonction du bâtiment, son authenticité n’en souffre pas.</p>
<p>L’agrandissement du bâtiment principal du XIX<sup>e</sup> siècle de la Sølvgade Skole à Copenhague étant devenu indispensable pour accueillir plus d’élèves, le bâtiment original a été préservé mais les architectes ont bâti l’extension contemporaine en harmonie avec les bâtiments alentour, avec notamment une façade colorée en accord avec son environnement immédiat. Même chose à l’école des Mines de Paris, où tant que l’enveloppe structurelle du bâtiment n’était pas altérée, l’intégration de nouveaux matériaux pour moderniser les méthodes pédagogiques a été permise.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291460/original/file-20190909-109931-1ppzoj9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291460/original/file-20190909-109931-1ppzoj9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291460/original/file-20190909-109931-1ppzoj9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291460/original/file-20190909-109931-1ppzoj9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291460/original/file-20190909-109931-1ppzoj9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291460/original/file-20190909-109931-1ppzoj9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291460/original/file-20190909-109931-1ppzoj9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’intégration de nouveaux matériaux à la Sølvgade Skole à Copenhague.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Colombero (2015)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Respecter les techniques employées</h2>
<p>La seconde pratique prône le respect de la tradition et surtout des techniques de construction – l’authenticité est alors comprise comme le respect des procédés et des conditions de fabrication des matériaux. L’intérêt réside ici dans la résolution du dilemme qui se pose quand les matériaux à remplacer sont irrécupérables ou n’existent tout simplement plus.</p>
<p>Prenons l’exemple du Panthéon. Ce monument historique semble identique avant et après les travaux subis entre 2013 et 2015. En réalité, sa coupole et sa lanterne comportent de nouveaux matériaux. Ces derniers sont pour la plupart cachés derrière les panneaux métalliques apparents – comme les différentes ferrailles complètement neuves – ou ont été reproduits avec le même tour de main qu’autrefois.</p>
<p>Les pierres dégradées, issues de carrières qui n’existent plus, ont été remplacées par d’autres, dont la composition et le façonnage se rapprochent au maximum des originales. Ces matériaux ont été validés par le <a href="http://www.lrmh.fr/">Laboratoire de recherche des Monuments historiques</a> (le LRMH), acteur qui participe donc au maintien de l’authenticité du bâtiment malgré sa modification.</p>
<h2>Respecter l’esprit du lieu</h2>
<p>La dernière pratique s’articule autour du respect du caractère du bâtiment, là où se niche son authenticité immatérielle. C’est en quelque sorte l’esprit du lieu, ce que Norberg-Schulz appelait le <em>Genius Loci</em>.</p>
<p>En pratique, tant que les travaux évitent la muséification, qu’un programme perdure, et que le bâtiment continue de véhiculer le caractère désiré, une transformation radicale est possible au niveau matériel.</p>
<p>C’est cet « esprit » qui a guidé les travaux à la piscine Molitor, qui n’a rien perdu de son authenticité. Malgré une complète reconstruction après sa destruction totale, les architectes ont réussi à respecter le caractère du bâtiment en livrant, en 2014, un hôtel de standing où l’<a href="https://www.mltr.fr/fr/art/galerie-art/">art moderne est omniprésent</a>.</p>
<p>D’un côté, les architectes ont mis en avant le style Art déco en reproduisant des mosaïques d’époque, ou en installant des fausses cabines d’essayage autour du bassin principal pour reconstituer l’ambiance qui régnait dans ce lieu tendance où le bikini a été inventé dans les années 1930. De l’autre, les propriétaires, par une configuration adéquate du lieu et l’organisation d’expositions d’art moderne, rendent hommage à la période street-art de bâtiment, quand ce dernier était un haut lieu de la culture underground parisienne durant les années 1990. Précisons également que le bâtiment doit sa couleur jaune à l’inventaire complet des matériaux d’origine lors de sa destruction.</p>
<p>Même chose au Danemark lors de l’agrandissement de l’école désignée par le célèbre Arne Jacobsen en 2005. Pour justifier l’appartenance de l’extension au bâtiment d’origine, les architectes ont réutilisé des motifs graphiques inventés par Jacobsen – pourtant absents dans le projet initial – pour consolider l’unité entre les deux bâtiments et donc renforcer l’authenticité qui en émane.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291718/original/file-20190910-190050-k6xyyd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291718/original/file-20190910-190050-k6xyyd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=491&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291718/original/file-20190910-190050-k6xyyd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=491&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291718/original/file-20190910-190050-k6xyyd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=491&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291718/original/file-20190910-190050-k6xyyd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=617&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291718/original/file-20190910-190050-k6xyyd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=617&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291718/original/file-20190910-190050-k6xyyd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=617&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Panthéon durant les travaux de rénovation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Colombero (2015)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tous ces ajouts, aussi divers soient-ils, ne sont pas les arrangements originaux. Cependant, cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas authentiques aux yeux du cadre institutionnel qui gouverne les politiques patrimoniales en Europe. Pour Notre-Dame-de-Paris, les projets innovants sont possibles – <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/incendie-de-notre-dame-de-paris/notre-dame-philippe-starck-suggere-un-college-de-scientifiques-avec-cedric-villani-a-sa-tete-pour-reflechir-a-la-reconstruction_3414303.html">c’est ce que défend Philippe Starck</a> – et doivent être considérés en fonction de l’authenticité que l’on souhaite respecter ou donner au bâtiment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122960/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Colombero a reçu, sur ses divers sujets de recherche, des financements de l'Agence nationale de la recherche, du Danish Council for Independent Research, de la Fondation Mines ParisTech, de la Région Île-de-France, mais aussi de l'Union Européenne et du gouvernement Sud-Coréen.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eva Boxenbaum est également affiliée à la Copenhagen Business School. Elle n'a bénéficié d'aucun financement pour la rédaction de cet article. </span></em></p>
La question de l’authenticité du patrimoine architectural s’est posée avec acuité après l’incendie de Notre-Dame-de-Paris.
Sylvain Colombero, Assistant Professor, Grenoble École de Management (GEM)
Eva Boxenbaum, Professeure en Innovation institutionnelle, Mines Paris - PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/122302
2019-09-04T17:32:05Z
2019-09-04T17:32:05Z
Notre-Dame de Paris : des mesures de contamination au plomb difficiles à interpréter
<p><em>Cet article a été co-écrit avec le Dr Robert Garnier, médecin toxicologue, ancien chef de service du centre antipoison de Paris, Hôpital Fernand Widal.</em></p>
<hr>
<p>Au cours du spectaculaire incendie qui a <a href="https://www.lemonde.fr/societe/video/2019/04/15/notre-dame-de-paris-les-images-de-l-incendie_5450570_3224.html">ravagé la charpente de la cathédrale Notre Dame de Paris</a>, une partie des 450 tonnes de plomb qui constituaient son toit a été vaporisée.</p>
<p>Ces émanations ont pollué l’air et les environs de l’édifice, déposant des poussières contaminées non seulement sur les sols extérieurs, mais aussi <a href="https://www.paris.fr/pages/incendie-de-notre-dame-l-essentiel-concernant-la-pollution-au-plomb-7028#1-le-point-sur-les-creches-et-les-ecoles">dans les bâtiments voisins de la cathédrale</a>, tels que crèches, écoles ou logements. Les analyses réalisées après le sinistre ont également mis en évidence des niveaux de plomb anormaux dans le <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/incendie-de-notre-dame-de-paris-point-de-situation-sur-le-depistage">sang des enfants des riverains</a> ainsi que dans celui des travailleurs du chantier.</p>
<p>Les <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcsaturnismeficheA.pdf">effets toxiques du plomb</a> sont bien connus. Les enfants sont y particulièrement sensibles, les effets sur le cerveau, étant notamment d’autant plus importants que le sujet est jeune. Cependant, si la contamination au plomb due à l’incendie ne fait aucun doute, les résultats des multiples mesures <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/politique/pollution-au-plomb-autour-de-notre-dame-le-grand-cafouillage-des-autorites_135964">ont été diversement interprétés</a>.</p>
<p>Il n’est en effet pas si simple de relier pollution environnementale au plomb et conséquences sur la santé.</p>
<h2>L’environnement est-il plus contaminé que d’habitude ?</h2>
<p>Le plomb <a href="http://www.inrs.fr/risques/plomb/ce-qu-il-faut-retenir.html">ne passe pas à travers la peau</a> : il pénètre dans l’organisme par le nez ou par la bouche. Durant l’incendie de la cathédrale, les personnes qui ont été exposées directement aux fumées ont pu être contaminées par voie respiratoire, mais les quantités de plomb mises en jeu sont très difficiles à estimer rétrospectivement. Après l’incendie, l’exposition de la population générale n’a pu résulter que de l’ingestion des poussières de plomb déposées au sol, par le port à la bouche des mains ou d’objets contaminés. C’est ce qui explique que la population à risque est essentiellement constituée d’enfants de moins de 7 ans, en particulier ceux âgés de 6 mois à 4 ans, chez qui le portage à la bouche est extrêmement fréquent.</p>
<p>Pour savoir si une teneur en plomb dans l’environnement d’un enfant est habituelle ou pas, on peut la comparer aux résultats d’une étude relativement récente et d’envergure nationale dédiée aux <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352007817301932">imprégnations au plomb des enfants et leurs déterminants</a>, ainsi qu’aux <a href="https://www.jle.com/fr/revues/ers/e-docs/exposition_au_plomb_des_enfants_dans_leur_logement._projet_plomb_habitat_2008_2014_principaux_resultats_retombees_et_perspectives_303556/article.phtml">liens entre imprégnation au plomb des enfants et le logement, notamment ses poussières</a>.</p>
<p>Selon ces travaux, pour ce qui est des poussières dans les logements métropolitains, la médiane (50 % des valeurs au-dessous, 50 % au-dessus) est de 9 microgrammes (µg) de plomb par mètre carré (Pb/m<sup>2</sup>) tandis que 95 % des valeurs sont au-dessous de 63 µg de Pb/m<sup>2</sup>. À l’extérieur, 95 % des mesures de poussières sur les aires de jeu en France étaient inférieures à 393 µg de Pb/m<sup>2</sup>. Ces chiffres sont un peu inférieurs si on ne mesure que le plomb dit « acido-soluble », davantage susceptible d’être absorbé par le corps. Enfin, en ce qui concerne les écoles, on peut se référer à une <a href="https://www.mdpi.com/2073-4433/6/11/1676/htm">étude menée dans les crèches et écoles auvergnates en 2015</a>. Dans ces dernières, 95 % des mesures de poussières étaient inférieures à 46 µg de Pb/m<sup>2</sup>.</p>
<p>Dans les rues et sur les trottoirs parisiens, la contamination par le plomb est habituellement forte : la compilation des résultats des campagnes de mesurages réalisées avant l’incendie de la cathédrale indiquent que <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/pollution-au-plomb-suite-lincendie-de-notre-dame-questions-reponses">95 % des concentrations étaient inférieures à 5 000 µg/m²</a>.</p>
<h2>Des concentrations en plomb trop élevées</h2>
<p>Après l’incendie de Notre-Dame, certaines mesures, notamment celles réalisées sur les <a href="https://www.leprogres.fr/france-monde/2019/08/14/incendie-de-notre-dame-une-incroyable-pollution-au-plomb-mesuree">sols extérieurs</a>, ont révélé des niveaux de plomb très supérieurs à la plupart des valeurs mesurées en France métropolitaine. En juillet, sur le parvis, ceux-ci allaient de la centaine de milliers au million de µg/m<sup>2</sup>. Aux abords immédiats de la cathédrale, ils atteignaient plusieurs dizaines de milliers de µg/m<sup>2</sup>.</p>
<p>L’Agence régionale de santé a publié des <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/incendie-n-d-de-paris-questions-reponses">conseils de nettoyage</a> à destination des habitants, afin d’éliminer le plomb de leurs logements. En outre, les concentrations en plomb ont été systématiquement mesurées dans les environnements fréquentés par des enfants lorsque ceux-ci étaient <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/recommandations-concernant-les-prelevements-de-poussiere-de-plomb-prive">situés à moins de 300 m d’une voie publique dont la concentration en plomb sur le sol atteignait 5 000 µg/m²</a>.</p>
<p>Afin de déterminer le seuil à partir duquel <a href="https://www.paris.fr/pages/incendie-de-notre-dame-l-essentiel-concernant-la-pollution-au-plomb-7028">mettre en œuvre les actions appropriées</a> dans les écoles, les autorités se sont basées sur la valeur de 70 µg/m<sup>2</sup>, <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=444">proposée par le Haut Conseil de Santé publique pour déclencher un dépistage du saturnisme</a> (pour les sols extérieurs, le seuil retenu est celui de 300 mg de plomb par kilo).</p>
<p>Souvent citée en référence, cette valeur de 70 µg/m<sup>2</sup> n’est pourtant pas simple à appréhender. Elle a été <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1533426/">calculée</a> comme étant la concentration en plomb dans les poussières qui conduirait, pour une exposition continue, à une teneur en plomb dans le sang, ou plombémie, de 50 µg de plomb par litre de sang pour les 5 % d’enfants les plus exposés, c’est-à-dire ceux qui ingèrent le plus de poussière. Or si l’exposition n’est pas continue, ce qui est le cas des écoles, la plombémie résultante devrait être moins élevée. Autre source d’imprécision : la construction de cet indicateur ne tient pas compte d’une éventuelle co-exposition particulière si les enfants sont simultanément exposés à d’autres sources de plomb.</p>
<p>Par ailleurs, si la relation moyenne entre les valeurs de plomb mesurées dans l’environnement et la contamination sanguine qui en résulterait théoriquement est utile pour guider l’action publique, elle a cependant toute chance d’être fausse pour un enfant particulier, avec ses habitudes, son métabolisme, etc. Pour dépister une sur-exposition excessive d’un enfant et proposer des <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcsaturnismeficheE.pdf">mesures adaptées</a>, on ne peut donc pas s’affranchir de mesurer directement sa plombémie.</p>
<p>Cette analyse a été recommandée pour les enfants âgés de 6 mois à 6 ans séjournant dans des locaux (logements, crèches ou écoles) où la concentration moyenne du plomb sur les sols ou sur les surfaces atteignait ou dépassait 70 µg/m<sup>2</sup>. Cette recommandation s’applique également aux enfants pratiquant des activités dans des espaces extérieurs (jardins, squares, aires de jeux…) où la concentration de poussière sur les sols était au moins égale à cette même valeur de 70 µg/m<sup>2</sup>, ou dont la concentration en plomb dans le sol était au moins égale à 300 mg/kg.</p>
<h2>Que penser des plombémies mesurées ?</h2>
<p>Entre avril et août, le nombre de plombémies infantiles prescrites est allé croissant, finissant par dépasser <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/point-de-situation-cinq-mois-apres-lincendie-de-notre-dame">« le nombre de plombémies réalisées annuellement sur tout Paris au cours des dernières années »</a>, selon l’Agence régionale de Santé Île-de-France. Dans son <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/incendie-de-notre-dame-bilan-6-mois">rapport du 14 octobre</a>, l’Agence indique qu’entre le 15 avril et le 30 septembre, 877 plombémies ont été réalisées sur des enfants de 0 à 18 ans dont 588 chez les 0-6 ans :</p>
<ul>
<li>787 sont inférieures au seuil de vigilance de 25µg/L ;</li>
<li>78 se situent dans l’intervalle de vigilance de 25µg/L à 49µg/L ;</li>
<li>12 sont au-dessus du seuil de déclaration obligatoire de 50µg/L.</li>
</ul>
<p>En France métropolitaine les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1438463913001399">plombémies des enfants de 6 mois à 6 ans</a> étaient en 2007-2008 de 15 µg/L en moyenne et 95 % des enfants avaient une plombémie inférieure à 34 µg/L.</p>
<p>Il est néanmoins difficile de comparer globalement les mesures faites à Paris à la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352007817301932">situation française</a> : les mesures parisiennes ne sont absolument pas représentatives, puisqu’on cherche justement à dépister le saturnisme chez les enfants <em>a priori</em> les plus exposés. Ce dépistage n’est cependant pas inutile, puisqu’il a permis de repérer des expositions au plomb trop importantes chez certains enfants, qu’elles soient dues ou non à l’incendie puisqu’il existe en effet d’autres <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcsaturnismeficheB.pdf">sources possibles de plomb dans l’environnement des enfants</a>.</p>
<p>Jusqu’à présent, les plombémies les plus élevées témoignent d’une exposition anormale, mais demeurent bien en deçà de celles nécessitant une prise en charge médicale. Elles sont de l’ordre de grandeur de celles qui étaient communément observées dans les populations urbaines <a href="https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/saturnisme">exposées au plomb de l’essence dans les années 1980-90</a>. Cela permet de relativiser mais sans pour autant penser que c’est anecdotique puisque le plomb agit sans seuil de toxicité.</p>
<h2>Conséquences sur la santé</h2>
<p>Se basant sur des résultats scientifiques récents, qui ont démontré les effets nocifs du plomb sur la santé en deçà de la plombémie de 100 μg/L (en particulier des effets neurotoxiques chez l’enfant), le Haut conseil de la santé publique avait recommandé en 2014 d’abaisser le « seuil d’intervention rapide » (déclenchant une intervention administrative) à 50 µg/L. Entériné par l’arrêté du 8 juin 2015, ce nouveau seuil (qui correspond à environ 2 % des enfants), vise à consacrer à ces enfants les plus exposés des moyens particuliers de réduction des expositions.</p>
<p>Si ce seuil d’intervention est loin des <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcsaturnismeficheE.pdf">niveaux justifiant une prise en charge médicale</a>, il ne constitue cependant pas un seuil d’innocuité. En effet <a href="https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/saturnisme">on ne connaît pas de concentration de plomb dans le sang qui soit sans danger</a>.</p>
<p>Chez les jeunes enfants, de faibles surexpositions (plombémie < 100 µg/L) peuvent notamment se traduire par des troubles de l’attention, une diminution de l’acuité auditive, une inhibition du développement staturo-pondéral, une altération de l’acuité auditive, un retard de la maturation sexuelle. On estime par ailleurs qu’un point de quotient intellectuel (QI) est perdu dès 12 µg/L, avec une perte de 6 à 7 points de QI <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcsaturnismeficheE.pdf">pour une exposition comprise entre 0 et 100 µg/L</a>. Une baisse vers cette valeur, qui correspond au plus petit effet détectable a d’ailleurs été <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=444">préconisée par le Haut Conseil de Santé Publique</a>.</p>
<p>Entre l’objectif de 12 µg/L et le seuil d’intervention rapide de 50 µg/L, un niveau de vigilance de 25 µg/L a été instauré pour les enfants ayant vraisemblablement été exposé à une source d’exposition particulière justifiant des conseils et un suivi. Cette mesure est censée éviter que leur plombémie n’augmente et n’atteigne 50 µg/L.</p>
<h2>N’oublions pas le saturnisme ordinaire</h2>
<p>Le caractère exceptionnel de l’évènement a braqué les projecteurs sur ces expositions au plomb. Il ne doit cependant pas faire oublier l’existence d’un <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-de-la-mere-et-de-l-enfant/saturnisme-de-l-enfant/documents/article/situation-du-saturnisme-en-france-et-prevention-etat-des-lieux">« saturnisme ordinaire »</a>, lié notamment aux peintures d’un habitat souvent dégradé, à un voisinage industriel ou encore à des activités de ferraillage.</p>
<p>En effet, celui-ci <a href="http://sante.lefigaro.fr/article/notre-dame-5-questions-sur-les-risques-pour-la-sante-de-la-pollution-au-plomb/">occasionne des expositions plus élevées</a> que celles observées suite à l’incendie de la cathédrale Notre-Dame.</p>
<p>En 2018, rien qu’en Ile-de-France, 2 242 plombémies de dépistage ont révélé 137 nouveaux cas de ce « saturnisme ordinaire », qui concerne notamment des populations touchées par la précarité économique, et cumulant de ce fait d’autres facteurs de risque.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122302/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Glorennec conseille des organismes publics comme le Haut Conseil de Santé Publique (groupes de travail sur le saturnisme), l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses, Comité d'Expert Spécialisé Air, Groupe d’expertise collective sur le plomb), l’Agence Régionale de Santé d’Ile de France. Il a reçu des financements publics de recherche (Agence Nationale de la Recherche...) et de la Fondation de France.</span></em></p>
Ni catastrophiques ni anodines, les mesures de plomb effectuées après l’incendie doivent être interprétées en toute connaissance de cause. Explications.
Philippe Glorennec, Professeur en expologie et évaluation des risques, École des hautes études en santé publique (EHESP)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/117869
2019-06-20T21:24:48Z
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Depuis l’Égypte antique, la longue lutte contre le feu
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/280460/original/file-20190620-149831-dzw5ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3882%2C2588&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Feu de bois.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/Nz-zAt4qiuU">Guido Jansen / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La découverte du feu est souvent présentée comme la plus importante de l’histoire de l’homme, tant elle a conditionné le développement du genre <em>Homo</em>. En réduisant la quantité d’énergie nécessaire à la digestion des aliments, la cuisson a notamment conduit à un accroissement du cerveau. <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences/domestication-feu-temps-paleolithiques-soudain-lillumination-2017-05-23-1200849387">La maîtrise du feu semble acquise il y a environ 400 000 ans</a> même si des traces d’utilisation beaucoup plus anciennes ont été repérées. Cependant, avec l’urbanisation, le feu est également devenu un fléau en cas de propagation incontrôlée. Pensons par exemple <a href="https://www.tallandier.com/livre/le-grand-incendie-de-rome/">au grand incendie de Rome</a> en 64 après J.C à celui de la cathédrale Notre Dame de Paris ou encore aux méga-feux qui ravagent désormais de nombreux pays.</p>
<h2>Qu’est-ce que le feu ?</h2>
<p>Un feu nécessite la conjonction de trois éléments : un combustible, un comburant et une source de chaleur, ce que l’on appelle le triangle du feu. Ces éléments interagissent dans un processus complexe dans lequel interviennent des phénomènes physiques tels que les transferts thermiques et des phénomènes chimiques tels que la pyrolyse de la source combustible ou la combustion des produits de pyrolyse.</p>
<p>Techniquement, on distingue réaction et résistance au feu. La réaction au feu concerne les matériaux combustibles, qui sont susceptibles de libérer de la chaleur lors de leur décomposition sous l’effet de la température et en présence d’un comburant (le plus souvent l’oxygène présent dans l’air). La résistance au feu s’intéresse à la capacité d’un élément à maintenir sa fonction porteuse et ses propriétés d’isolation thermique et d’étanchéité aux gaz et aux fumées durant l’incendie. En tant que matériau combustible utilisé comme élément de structure dans des bâtiments, le bois est concerné par ces deux aspects qui font appel à des normes spécifiques et des tests différents.</p>
<p>En matière de lutte contre l’incendie, il existe deux stratégies non exclusives l’une de l’autre. La première prévoit d’utiliser des dispositifs dits actifs en cas d’incendie : extincteurs, détecteurs de fumées ou extincteurs automatiques à eau. La seconde consiste à utiliser des matériaux qui vont contribuer le moins possible à la propagation de l’incendie.</p>
<h2>L’ignifugation</h2>
<p>De nombreux matériaux, tels que la plupart des plastiques ou le bois sont intrinsèquement fortement combustibles, et il est nécessaire d’y incorporer des additifs appelés retardateurs de flamme, qui, incorporés dans ou à la surface d’un matériau combustible, ont vocation à modifier son comportement en perturbant le triangle du feu.</p>
<p>Leurs effets sont principalement de retarder l’apparition de la flamme, ralentir la vitesse de propagation de celle-ci, réduire le dégagement de chaleur et la puissance du feu, limiter l’opacité des fumées et leur toxicité. Tous ces effets sont évalués par l’intermédiaire de tests de réaction au feu normés. Ils conduisent à des classements qui déterminent l’utilisation potentielle du matériau dans une application donnée en fonction de la réglementation. Il n’existe pas de retardateur de flamme universel. Un système ignifugeant doit être adapté au matériau qu’il vise à protéger en prenant en compte notamment son processus de décomposition. Par ailleurs, le choix d’un retardateur de flamme est également guidé par le procédé de fabrication du matériau et ne doit pas altérer de façon sensible les propriétés fonctionnelles attendues.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/notre-dame-de-paris-comment-se-met-en-place-le-terrible-triangle-du-feu-115666">Notre-Dame de Paris : comment se met en place le terrible triangle du feu</a>
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<p>Les archéologues situent les prémices de l’ignifugation dans l’Antiquité. Les Égyptiens, vers 400 av. J.-C., utilisaient des minéraux pour rendre certains tissus résistants au feu comme le coton ou le lin. Plus tard, <a href="https://books.google.fr/books?id=cVHBqhdIEisC&pg=PA271&lpg=PA271&dq=A+history+of+halogenated+flame+retardants+Saadat+Hussain&source=bl&ots=1L8ZnBEFjm&sig=ACfU3U0CnurINRzazHjhlZE7Tj9gbNI59Q&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjt8bze9ffiAhUSWxoKHeAOCsAQ6AEwAHoECAkQAQ#v=onepage&q=A%20history%20of%20halogenated%20flame%20retardants%20Saadat%20Hussain&f=false">durant le siège du Pirée</a> (23 ans avant J.C), des solutions d’alun furent utilisées pour rendre les remparts en bois résistants au feu. Il faut ensuite attendre jusqu’en 18 juin 1735 pour que l’anglais Obadiah Wyld dépose le premier brevet, <a href="http://gcf-scf.lmops.univ-lorraine.fr/files/2016/11/PolyFlame-N%C2%B09.pdf">brevet numéro 551</a>, sur le traitement du coton. <a href="https://www.researchgate.net/publication/296585230_HISTORY_AND_EVOLUTION_OF_FIRE_RETARDANTS_FOR_TEXTILES">Au XIXᵉ siècle</a>, à la demande du roi de France, Louis XVIII, il fallut trouver un système efficace pour prévenir les incendies dans les théâtres parisiens éclairés à la bougie. <a href="https://www.scientific.net/KEM.671.157">Joseph Louis Gay-Lussac</a> déposa alors un brevet sur l’utilisation d’un mélange de phosphate d’ammonium, de chlorure d’ammonium et de borax pour l’ignifugation des rideaux dans les théâtres.</p>
<h2>Les retardateurs de flamme</h2>
<p>Il existe plusieurs familles de retardateurs de flamme, basées sur des éléments chimiques différents et avec des modes d’action variés. Historiquement, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Halog%C3%A8ne">molécules halogénées</a> contenant du chlore ou du brome, ont été très utilisées en raison de leur efficacité, même en faible quantité. Ces molécules agissent en perturbant les réactions de combustion ayant lieu dans la flamme, favorisant son extinction et limitant la quantité d’énergie libérée. On parle alors d’inhibition de flamme. Cependant, le caractère toxique de certains composés halogénés a conduit à leur interdiction. En raison de l’impossibilité de distinguer aisément lors du recyclage les <a href="https://bit.ly/3B53LgK">molécules bromées</a> autorisées de celles qui sont interdites, il n’est plus possible de recycler des plastiques ignifugés par ces retardateurs de flamme. Par ailleurs, ces molécules entraînent la formation de fumées opaques et corrosives lors de l’incendie. Pour toutes ces raisons, cette famille d’ignifugeants est aujourd’hui de plus en plus sur la sellette.</p>
<p>Elle est remplacée principalement par les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Retardateur_de_flamme">retardateurs de flamme phosphorés</a>. Ceux-ci sont d’une très grande variété et, par conséquent, ils peuvent agir selon différents modes d’action. Le mode d’action principal reste cependant la promotion d’une couche résiduelle à la surface du combustible protégeant la partie saine du matériau. La stratégie consiste à perturber les réactions de pyrolyse (décomposition du matériau sous l’action de la chaleur) et à favoriser la formation d’un résidu riche en carbone et thermiquement stable appelé « char ». Certains systèmes particulièrement efficaces sont appelés intumescents car le char forme une couche expansée, isolante et très protectrice. Ce type de systèmes intumescents est notamment utilisé dans des revêtements pour protéger des éléments métalliques ou le bois.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280419/original/file-20190620-149822-1uiwvmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280419/original/file-20190620-149822-1uiwvmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280419/original/file-20190620-149822-1uiwvmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280419/original/file-20190620-149822-1uiwvmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280419/original/file-20190620-149822-1uiwvmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280419/original/file-20190620-149822-1uiwvmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280419/original/file-20190620-149822-1uiwvmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exemple de systèmes polymères intumescents.</span>
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<p>Nous pouvons également mentionner les hydroxydes métalliques, peu chers mais proportionnellement moins efficaces et qui doivent donc être incorporés à des taux élevés (jusqu’à 65 % en masse dans des gaines extérieures pour câbles) pour produire un effet notable. Sous l’effet de la température, ces particules libèrent de l’eau sous forme de vapeur par décomposition endothermique, contribuant ainsi à refroidir le matériau et à diluer les combustibles dans la flamme.</p>
<p>D’autres chimies existent, basées sur l’azote (mélamine), le bore (borate de zinc) ou l’étain (hydroxystannate) par exemple. Les nanotechnologies ont également été employées depuis une quinzaine d’années dans le domaine de l’ignifugation. Les nanoparticules de type argiles lamellaires ou nanotubes de carbone favorisent le caractère isolant du char formé, même à de faibles taux. Mais elles sont insuffisantes à elles seules pour apporter une protection globale du matériau.</p>
<h2>Et le bois ?</h2>
<p>De manière générale, les matériaux d’origine organique (issus du monde du vivant) comme le pétrole, le bois, ou le charbon ont en commun une composition riche en atomes de carbone et d’hydrogène, susceptibles d’être oxydés. Ils sont donc combustibles. Le bois est un matériau à structure complexe avec une composition chimique élémentaire constituée pour moitié de carbone (50 %), d’oxygène (44 %), ainsi que d’hydrogène en faible quantité (6 %).</p>
<p>Peu dense, le bois possède une capacité naturelle à charbonner, c’est-à-dire qu’une couche protectrice de char se forme entre le bois sain et les flammes. Lors de sa combustion, le bois va premièrement perdre de l’eau pour devenir complètement sec à 120 °C. Ensuite, sa structure se décompose progressivement avec l’augmentation de la température. Ses constituants sont relativement stables jusqu’à 250 °C, température à partir de laquelle un dégagement de fumées est observé. À 320 °C, la quantité de gaz est telle qu’elle peut assurer l’inflammation du bois dans l’air. La pyrolyse a lieu principalement jusqu’à 500 °C, après quoi subsiste seulement le charbon de bois (char) qui peut se décomposer lentement par oxydation. Si la couche de char ralentit la pyrolyse du bois sain sous-jacent, sa tenue mécanique est en revanche négligeable. Au fur et à mesure de la pyrolyse, la section utile d’un élément structurel en bois se réduit donc et sa capacité portante également.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280539/original/file-20190620-149822-9rjdvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280539/original/file-20190620-149822-9rjdvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280539/original/file-20190620-149822-9rjdvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280539/original/file-20190620-149822-9rjdvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280539/original/file-20190620-149822-9rjdvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280539/original/file-20190620-149822-9rjdvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280539/original/file-20190620-149822-9rjdvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La dégradation du bois en fonction de la température.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Les retardateurs de flamme utilisés pour l’ignifugation du bois appartiennent aux familles précédemment citées (phosphore, bore, azote, hydroxydes métalliques). Cependant, contrairement aux plastiques, il n’est pas possible d’intégrer ces additifs lors de la fabrication du bois. L’ignifugation a donc lieu sous deux formes : le dépôt d’un revêtement de surface (peinture, vernis) et l’imprégnation à cœur du bois, c’est-à-dire dans la partie creuse – appelée lumen – des cellules du bois, par un procédé en autoclave. Il s’agit de remplir la totalité des lumens en dégazant sous vide dans un premier temps puis en forçant la pénétration de l’ignifugeant par surpression. Cette solution plus complexe permet d’éviter une détérioration du caractère ignifuge en cas de défauts de surface. Dans le cas d’un revêtement, si celui-ci vient à être altéré, il ne peut plus jouer son rôle ignifuge et laisse le bois sans protection en cas d’incendie.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec Clément Lacoste (IMT – Mines Alès), Laurent Ferry (IMT – Mines Alès) et Henri Vahabi (Université de Lorraine).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117869/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rodolphe Sonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La peur de l’incendie est aussi vieille que l’invention du feu.
Rodolphe Sonnier, Maître Assistant des Ecoles des Mines, IMT Mines Alès – Institut Mines-Télécom
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/116294
2019-06-20T21:24:17Z
2019-06-20T21:24:17Z
Notre-Dame de Paris et le sublime : causes et fonctions de l’émoi
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/280285/original/file-20190619-171192-1cj53xa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C5957%2C3332&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cathédrale Notre-Dame de Paris, Incendie 15 avril 2019, vu du Quai de l'Hôtel de Ville.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Notre-Dame_de_Paris,_Incendie_15_avril_2019_19h32.05.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>L’intensité et l’étendue de l’émoi qui a accompagné sur place, en direct et en boucle, le suspense du sauvetage de Notre-Dame, le soir du lundi 15 avril 2019, est une chose dont la quasi-unanimité mérite l’étonnement. Pourquoi autant de crainte et de chagrin devant cet incendie, scandaleusement photogénique, alors que grandit la tension politique et sociale dont témoigne le mouvement persistant des gilets jaunes et que l’échéance des élections européennes se rapproche ? « Merci pour Notre-Dame, mais pensez aux Misérables », ce slogan de certains gilets jaunes fait mouche. Un singulier déplacement serait-il à l’œuvre ? Faute de point de ralliement effectif, l’angoisse d’un monde menacé trouverait-elle un emblème et une issue dans Notre-Dame de Paris ? Comment appréhender le sublime qui a ainsi vibré ?</p>
<p>À notre émoi, il y a, certes, des raisons objectives qui tiennent à la valeur religieuse, historique, artistique et esthétique de Notre-Dame. Notre-Dame nous semble irremplaçable à la fois comme monument de la chrétienté – maison de Dieu pour les croyants –, lieu de mémoire pour Paris, pour la France et pour le monde entier, exemplaire unique du « grand livre de pierre », témoignant de la transition du roman au gothique et de l’union de l’ogive et du plein-cintre. Chacun peut y retrouver l’un des plus saisissants rendez-vous du beau et du sublime, dans l’alliance du gracieux et du grotesque, du bien assis et de l’élancé, de l’harmonieux et du vertigineux.</p>
<h2>L’émergence tardive de la valeur d’ancienneté</h2>
<p>Mais tout le monde n’est pas sensible à ce qu’on appelle l’âme d’un monument et au génie du lieu. De surcroît, on ne saurait vivre seulement dans le passé. Aussi bien « la valeur de nouveauté » brille-t-elle d’un éclat qui déclasse « la valeur d’ancienneté » et ne la concurrence que tardivement dans l’histoire de l’humanité, comme l’a montré Aloïs Riegl dans <em>Le culte moderne des monuments</em> (1903).</p>
<p>Qu’est-ce qui nous a tant émus dans l’effondrement des deux tours jumelles géantes du World Trade Center, le 11 septembre 2001 ? D’une part, elles semblaient incarner, aux yeux du monde entier, la puissance présente des États-Unis. Et, d’autre part, leur disparition ne s’inscrivait pas dans l’ordre de la nature : il s’agissait d’un attentat sanglant, politique et religieux. Deux raisons majeures d’être bouleversé.</p>
<h2>La question du sublime</h2>
<p>Le cas de Notre-Dame est tout autre. D’une part, il s’agit d’un monument très ancien, dont la portée sublime ne vient pas d’apparaître, mais a été reconnue et renforcée à travers le temps. D’autre part, sa mort redoutée est une mort accidentelle. À la différence de la valeur de nouveauté, saisie dans son surgissement, la valeur d’ancienneté doit sans cesse être entretenue et éduquée par le contact, par le rêve et par l’étude. Notre-Dame aurait-elle suscité plus d’amour que nous l’aurions cru ? Une passion à vif pour notre cathédrale se serait-elle cachée au fond du cœur de chacun d’entre nous ?</p>
<p>Pourquoi, devant ce drame qui a affligé tant de témoins en profondeur, sentons-nous que les risques d’hystérie collective et de fétichisme ne sont pas complètement absents ? Tout le problème du sublime est là : celui de son instabilité et de sa métamorphose, du renversement qu’il opère d’un extrême à l’extrême opposé. D’une part, c’est un traumatisme positif, dont prédomine tantôt l’aspect révulsif (la blessure, la privation) et tantôt l’aspect fécond (l’obligation de le penser, de prendre du recul, de se dépouiller des intérêts du seul ego). D’autre part, le sublime est à la fois rencontré et produit. Certes, c’est à moi de décider ce que, dans le secret de mon for intérieur, je trouve ou non sublime : le sublime fait appel à la subjectivité, dans ce qu’elle a de plus central et de plus mystérieux. Mais cela ne l’empêche pas de se propager, de sorte que, comme l’écrit Edmond Burke en 1757, « nous brûlons d’un feu qui brûlait déjà chez un autre ». Force est de reconnaître que, « de même que le mal, le sublime a sa contagion », comme l’affirme Balzac dans <em>L’Envers de l’histoire contemporaine</em> (1846). Le sublime s’inocule avant de se choisir.</p>
<h2>Du rôle de l’émoi dans l’expérience du sublime</h2>
<p>Si l’émoi quasi général (mais quasi seulement) devant l’incendie de Notre-Dame est bien fondé, cela ne l’empêche pas d’être ambigu. Nous retrouvons là une ligne de clivage entre le beau et le sublime. Le beau – académisable et académisé – a ses raisons, ses moyens, ses visées, sur lesquels s’établit une entente qui évoque le consensus scientifique par la précision de ses critères et par la sûreté d’une démarche hypothético-déductive. Le sublime, au contraire, est structuré comme un risque. Il semble plus obscur, plus aléatoire, moins déterminé ; il est doté de « véhicules » plus que de moyens. Mais il a pour propre d’ouvrir la question de la finalité et des enjeux.</p>
<p>À la différence de ce qui se passe dans l’expérience du beau, le choc émotionnel (ou la commotion) est essentiel au sublime, comme le veut Kant dans la <em>Critique du jugement</em> (1790). Dès l’antiquité, Longin soulignait le fait que le sublime naît moins d’une volonté de persuasion, laquelle concerne l’intellect, que d’une sortie hors de soi qui nous fait prendre de la hauteur par rapport à nous-mêmes, à autrui et au monde. Qu’il y ait dans l’intensité de l’émoi quelque chose de peu supportable et d’inconvenant, qu’elle avoisine la folie et qu’elle risque de nous exclure du monde supposé « normal » et commun, est ce sur quoi le romantisme a insisté. Plus récemment, Pierre Kaufmann, inspiré par la psychanalyse, a mis en évidence un fait trop négligé : la rafale émotionnelle une fois passée, nous avons tendance à oublier nos émotions les plus singulières et les plus vives, à les « irréaliser », c’est-à-dire à leur ôter leur poids de réalité (<em>L’Expérience émotionnelle de l’espace</em>, 1967).</p>
<p>Tel n’était, cependant, pas le cas pour l’incendie de Notre-Dame qui, au lieu de séparer, nous a plutôt réunis et a suscité toutes sortes de déclarations et d’analyses passionnantes, visant à « réaliser » notre émoi. La volonté de ne pas se priver d’une source incomparable d’énergie s’y est jointe au désir de retrouver un lien substantiel avec le monde et autrui. L’émoi à lui seul a pris corps et fait événement.</p>
<p>La fonction de l’émoi aura finalement été de transformer ce qui aurait bien pu n’être qu’un accident subalterne en inquiétude fondamentale : qu’est ce quelque chose d’énigmatique qui fait soudain vibrer nos cœurs ?</p>
<p>Ce lundi 15 avril 2019, Notre-Dame de Paris n’était plus un monument comme un autre : elle était créditée de quelque chose comme d’une âme ; cette supposée âme résisterait-elle au feu ?</p>
<p>Rappelons-nous les premières fumées, la chute de la flèche, la charpente-forêt saisie par les flammes, le repli sur les tours, l’arrivée du robot Colossus, la chaîne humaine déployée pour sauver le Trésor, le cri tant espéré de Jean‑Marie Gontier à 22h : « Elle est sauvée ! »</p>
<p>Quelle était la terreur alors éprouvée ? Celle que Notre-Dame ne devienne une tête de mort vide de regard ou cette grande « carcasse lourde » qui terrifiait Nerval. Le génie, l’âme se retireraient-ils du lieu ? « Quasimodo est-il sauvé ? », a demandé un enfant. Le sonneur de Notre-Dame qui avait arraché Esmeralda au tombereau fatal et qui courait sur les trois étages de la cathédrale, la tenant dans ses bras et criant « Asile, Asile, Asile », semble, en effet, appartenir à cette cathédrale vivante, donatrice de salut, que beaucoup se refusent obstinément à porter seulement dans leurs cœurs. Un puissant désir s’est affirmé : celui de garder la cathédrale visible pour les générations actuelles futures, et de veiller avec la plus grande attention sur la restauration du joyau que sertit l’île de la Cité.</p>
<h2>Où est le sublime ?</h2>
<p>Le sublime est-il plutôt du côté des qualités sensibles et des passions qu’elles suscitent, comme le veut Burke, ou, selon Kant, plutôt du côté du sujet dont se découvre la destination suprasensible ? Est-ce Notre-Dame qui est sublime ou bien l’essor de la pensée et la sublimation qui se produisent à son contact ? Le sublime semble faire corps avec le sensible, lui être coextensif ; mais, dans le même temps, il s’en montre plus ou moins séparable. Un lien profond, mais toujours à patiemment renouer, relie ainsi l’effroi devant l’abîme ouvert par l’incendie de Notre-Dame et la prise de conscience du besoin quasi viscéral de réanimer le squelette qu’elle nous lègue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Saint Girons Baldine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Comment faire tourner à bien la grande émotion du 15 avril 2019 ?
Saint Girons Baldine, Professeur émérite de Philosophie, Membre honoraire de l'Institut universitaire de France, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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tag:theconversation.com,2011:article/118789
2019-06-18T20:51:41Z
2019-06-18T20:51:41Z
Notre-Dame, « gilets jaunes »… Les limites démocratiques des cagnottes en ligne
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/279502/original/file-20190614-158953-1fe2qfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=98%2C27%2C1845%2C1171&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Christophe Dettinger est devenu un symbole du mouvement des « gilets jaunes ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/millets100fs/39918741293">Mamasuco/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Cagnotte pour la reconstruction de Notre-Dame, cagnotte en faveur de l’ex-boxeur de la passerelle Leopold-Sédar-Senghor, ou encore de soutien aux forces de police… La finance altruiste s’invite dans l’actualité depuis le début de cette année. Initiés au cœur des réseaux sociaux, ce mouvement utilise les formes numériques de collecte de dons dans le but de financer un projet ayant une dimension d’intérêt général. Elles ont en commun leur spontanéité – tout le monde a été surpris par la constitution de la <a href="https://www.franceinter.fr/justice/comprendre-la-bataille-juridique-autour-de-la-cagnotte-leetchi-de-christophe-dettinger">cagnotte pour Christophe Dettinger</a> dans le cadre de l’« acte VIII » des « gilets jaunes » dont le versement à son bénéficiaire doit encore être tranché devant les tribunaux – et leur montant parfois spectaculaire : certains pensent que les <a href="https://www.lepoint.fr/societe/notre-dame-il-y-a-assez-d-argent-pour-la-reparer-deux-fois-22-04-2019-2308820_23.php">cagnottes pour Notre-Dame</a> pourraient dépasser le double du coût total des travaux !</p>
<p>Mais plus encore, les cagnottes proposent une forme d’action politique dans l’univers marchand d’Internet. Elles soulèvent des questions quant aux valeurs qu’elles peuvent incarner ; doit-on soutenir telle ou telle cause ? Elles interrogent également l’action de l’autorité publique : l’État ne doit-il pas <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/le-billet-economique-du-jeudi-31-mai-2018">se charger de collecter les fonds</a> pour le patrimoine ? Le choix du don individuel au détriment du prélèvement, dans lequel certains voient un moyen d’échapper à l’impôt, n’affaiblit-il pas l’État ? Finalement, dans quelle mesure ces actions cristallisent les mutations en cours sur l’articulation entre marché et démocratie ?</p>
<h2>Réalités et ambiguïtés</h2>
<p>Les plates-formes de crowdfunding, de cagnottes ou de solidarité embarquée (l’arrondi au supérieur lors d’un règlement) connaissent un succès de plus en plus grand, sortant des cercles d’initiés de la première heure. Selon le baromètre du crowdfunding en France 2018 de KPMG, le financement participatif a connu un bond de 39 % en un an et le premier semestre 2018 accusait déjà une hausse de 36 % par rapport au premier semestre 2017. Parmi ces pratiques de financement participatif, les cagnottes en ligne connaissent une hausse de 113 % (passant de 155 millions d’euros en 2017 à 330 millions en 2018).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279558/original/file-20190614-158936-gjwn02.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://assets.kpmg/content/dam/kpmg/fr/pdf/2019/01/fr-barometre-du-crowdfunding-kpmg-et-fpf-edition-2018.pdf">KPMG, baromètre du crowdfunding en France 2018.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si les appels à la solidarité et le financement communautaire ne sont pas nouveau (<a href="http://www.shareparis.com/statue-de-la-liberte-crowdfunding/">ce principe a financé la statue de la Liberté</a> en son temps), il prend une tout autre dimension avec le développement des services d’Internet, la démocratisation de ses usages, ou encore les formes actuelles de mobilisation des mouvements sociaux dans lesquelles les réseaux sociaux jouent un rôle primordial.</p>
<p>Or, les ambiguïtés de la finance altruiste en ligne se révèlent régulièrement et sont multiples. Deux d’entre elles nous semblent les plus surprenantes : d’une part, la finance altruiste en ligne s’émancipe des formes habituelles de la réciprocité pour se rapprocher du monde marchand ; d’autre part, la finance altruiste ravive le débat sur l’articulation entre le marché, l’altruisme et la démocratie</p>
<h2>Loin des réciprocités habituelles</h2>
<p>Alors que la finance participative repose en partie sur une mobilisation du don (20,7 % en France, d’après les chiffres de KPMG), elle semble se différencier des actions traditionnelles de charité. Les acteurs en présence ne sont plus les institutions habituelles de la charité ou de la philanthropie. Ils deviennent des intermédiaires financiers qui construisent leur modèle économique sur la fonction d’intermédiation financière et sociale. La plate-forme prélève bien une <a href="https://www.capital.fr/votre-argent/18-plateformes-de-crowdfunding-au-banc-d-essai-1167087">commission</a> afin d’avoir une rétribution pour avoir mis en relation donataires et donateurs.</p>
<p>Alors que l’affichage des plates-formes met en avant les aspects alternatifs et déontologiques, le recours à des valeurs sème de la confusion. Et c’est bien ce qu’il vient de se passer dans le cas de la cagnotte <a href="https://www.leetchi.com/">Leetchi</a> de l’ancien boxeur… On est bien loin de la mise en exergue des caractéristiques des formes d’altruisme qui sont habituellement concomitantes à la philanthropie.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279503/original/file-20190614-158949-1a98xjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279503/original/file-20190614-158949-1a98xjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279503/original/file-20190614-158949-1a98xjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279503/original/file-20190614-158949-1a98xjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279503/original/file-20190614-158949-1a98xjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1085&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279503/original/file-20190614-158949-1a98xjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1085&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279503/original/file-20190614-158949-1a98xjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1085&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://hu.wikipedia.org/wiki/Fájl:Polányi_Károly.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Faisons appel à <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-bibliotheque-ideale-de-leco/la-grande-transformation-karl-polanyi">Karl Polanyi</a> (1944), auteur de référence pour expliciter les rapports entre économie et société. Ses travaux permettent d’éclairer les ambiguïtés portées par cette finance altruiste.</p>
<p>L’économiste hongrois examine la différence entre l’économie de marché et le don à partir de deux éléments : les relations entre les individus et le statut des institutions. Dans le cas du don, les individus sont complémentaires, appartenant à une communauté politique qui encadre leurs actions. Cette communauté repose sur des institutions encadrant le don (politiques, religieuses, etc.) indépendantes des acteurs de l’économie marché. Le don est alors le ciment de l’interdépendance des individus et le support d’actions de redistribution hors de la sphère marchande.</p>
<p>Ici, l’ambiguïté des plates-formes réside dans leurs rapports avec le monde marchand. D’une part, les plates-formes ne créent pas nécessairement un partenariat entre donateurs et destinataires. Il est d’ailleurs probable qu’ils ne partagent pas les mêmes valeurs : un donateur peut contribuer au lancement d’un start-up pour « soutenir » des jeunes gens, alors que le bénéficiaire entend seulement financer son projet ; un donateur peut contribuer à une cagnotte pour « soutenir les forces de l’ordre », mais la police nationale en tant qu’administration publique est censée être déjà rémunérée par le biais des contribuables. Les « décalages » entre les intentions des protagonistes sont parfois saisissants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1118516023622295552"}"></div></p>
<p>D’autre part, le secteur des plates-formes se caractérise par son atomicité, la diversité et souvent l’indépendance des organismes. Finalement, ils ne forment pas « une institution » installée dans le paysage économique, dans la mesure où ils n’instaurent pas de règles, de conventions ou de croyances qui régiraient les relations entre agents. De plus, les plates-formes appartiennent bien au monde de l’économie de marché car ce sont des entreprises ayant vocation de générer un chiffre d’affaires.</p>
<p>Ce nouveau canal de financement, reposant sur le don, ne relève pas du principe du don ; bref, la finance alternative s’appuie sur ce dernier sans en adopter les principes d’action.</p>
<h2>Marché, altruisme et démocratie</h2>
<p>Dans l’inconscient collectif, l’Internet se conçoit comme une extension naturelle du marché et du libre jeu de l’offre et la demande. Plusieurs des acteurs dominants sur Internet se positionnement comme des <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2001/01/15/leon-walras-fondateur-de-l-economie-neoclassique_136706_3234.html">« commissaires-priseurs walrasiens »</a> indispensables à la rencontre entre l’offre et la demande, à la transparence de l’information et à l’établissement du prix d’équilibre.</p>
<p>Cette représentation fondée sur des principes d’égalités, de transparence et d’expression de toutes les sensibilités fait écho aux principes démocratiques incarnées dans nos régimes politiques. Il suffit d’un pas, pour nous laisser penser que l’Internet comme le marché seraient des espaces de démocraties économiques. Or, sans parler d’oxymore, le marché est loin d’être un espace dans lequel tous les agents seraient égaux. Au-delà même de l’existence des positions dominantes, le « jeu de l’offre et la demande » est nécessairement perturbé car certains acteurs ont plus de pouvoir que d’autres. Les agents n’ont pas les mêmes fonctions économiques, ni les mêmes informations. En situation d’incertitude, ils n’ont pas les mêmes comportements, ni les mêmes sources d’inspiration de ces comportements – sources que l’on peut nommer convention ou institution.</p>
<p>De plus, le recours aux formes alternatives de financement semble être une réponse intéressante pour retrouver un pouvoir citoyen et démocratique face à un système financier confisqué par une élite. Vu de l’extérieur, le système financier traditionnel se structure autour d’une hiérarchie forte (Banque centrale, réglementations diverses, etc.) et <a href="https://www.culturebanque.com/banques/classement/banques-francaises/">des poids lourds de la finance</a> (Société Générale, Natixis, Parisbas, etc.) qui ont été pour certains discrédités depuis la crise financière de 2008. En effet, le secteur bancaire connaît à la fois une concentration forte autour de grandes banques et une montée de la défiance vis-à-vis de ces dernières. Le recours aux formes alternatives de financement semble être une réponse intéressante dans la mesure où elles évitent de faire appel à des acteurs ayant un fort pouvoir économique, qui semblent confisqués la parole des épargnants et elles permettraient finalement d’être plus en phase avec ses propres valeurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279504/original/file-20190614-158917-e1bnyr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279504/original/file-20190614-158917-e1bnyr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279504/original/file-20190614-158917-e1bnyr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279504/original/file-20190614-158917-e1bnyr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279504/original/file-20190614-158917-e1bnyr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279504/original/file-20190614-158917-e1bnyr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279504/original/file-20190614-158917-e1bnyr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le géant Facebook a choisi de se lancer dans le crowdfunding.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rvlsoft/Shutterstock</span></span>
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<p>Pourtant, rien n’est moins sûr. Internet est devenu sans doute le lieu de tous les <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/intelligence-artificielle/pour-une-politique-numerique-pragmatique-134353">monopoles et oligopoles</a>. Les exemples sont nombreux. Le mécanisme de l’activité en réseau favorise la prise de position dominante et les gouvernements n’ont toujours pas résolu cette question ; ils restent démunis face à Google ou Amazon, entreprises qui ont au plus 20 ans d’existence. Gageons qu’il en sera de même pour la finance alternative. D’ailleurs, on voit déjà certains acteurs sortir du lot comme <a href="https://www.kickstarter.com/?lang=fr">Kickstarter</a>, <a href="https://www.babyloan.org/fr/">Babyloan</a> ou… <a href="https://www.journaldunet.com/economie/finance/1194038-facebook-marche-du-crowdfunding/">Facebook</a> !</p>
<p>Ainsi, le marché ou l’Internet ne permettent pas d’avoir une expression démocratique de nature économique. Alors que certains pensaient que l’usage des plates-formes de financement ouvrirait des perspectives égalitaires et expressives, l’exemple des cagnottes nous montre qu’au contraire, le marché et la finance sont des lieux de grande violence symbolique et des lieux de lutte politique. En effet, il ne faut oublier que la philanthropie est concomitante à l’émergence de la démocratie et qu’elle est aussi un lieu d’<a href="https://www.ethnographiques.org/2017/Lambelet">expression de la contestation politique</a>. Aujourd’hui comme dans l’Antiquité, la philanthropie est autant un mode de financement d’activités d’intérêt général qu’une modalité de l’action politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118789/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Les plates-formes spécialisées dans la finance participative ont des intérêts commerciaux qui les éloignent de la logique de don sur laquelle elles reposent.
Virginie Monvoisin, Associate professor, Grenoble École de Management (GEM)
Amélie Artis, Enseignant-Chercheur et Maître de conférences à Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/117204
2019-05-16T19:30:58Z
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Vu du Moyen Âge : reconstruire la cathédrale, hier et aujourd’hui
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/274691/original/file-20190515-60554-i96cd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C2%2C1897%2C1074&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une simulation de reconstruction audacieuse.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://notre-dame-paris.miysis.be/fr">Miysis 3D Studio</a></span></figcaption></figure><p>Le choc des images de Notre-Dame de Paris en feu passé, experts et grand public s’interrogent sur la bonne manière de reconstruire la cathédrale. S’il semble évident à tous que l’aspect extérieur de la toiture doit demeurer la même, il s’agit de déterminer si la charpente interne doit être reconstruite en métal ou en bois, et dans ce cas selon quelles méthodes ? De même, l’usage du plomb ou d’un métal similaire mais moins toxique pour la couverture pose question. Mais la principale interrogation concerne la flèche : faut-il la reconstruire à l’identique ou bien assumer une aiguille contemporaine ?</p>
<p>Les hommes et les femmes du Moyen Âge ont eu, à de très nombreuses reprises, à reconstruire leurs cathédrales, mais ils ne se posèrent jamais réellement ce type de questions. Est-ce le signe que notre rapport à ces édifices a fondamentalement changé ?</p>
<h2>Des cathédrales en mouvement !</h2>
<p>Dans nos esprits profondément pénétrés par l’idée de patrimoine, la cathédrale est unique et destinée à conserver à jamais sa forme matérielle et son emplacement. Mais les hommes et les femmes du Moyen Âge n’ont pour leur part jamais eu de problème à changer de cathédrale. Pour eux, le bâtiment a d’ailleurs été moins important que le trône épiscopal (<em>cathedra</em>) qui donnait par extension son nom à l’édifice qui l’accueillait. La cathédrale est en effet avant tout l’église que l’évêque a choisie pour installer son siège, au sens littéral et figuré.</p>
<p>L’évêque pouvait tout à fait décider de déménager la cathédrale, ce qui a pu arriver plusieurs fois dans l’histoire de certaines villes. Prenons un seul exemple, celui d’Orvieto, cité située entre Rome et Florence. À la fin de l’Antiquité, le siège cathédral est situé dans une première église dédiée à saint André et situé au cœur de la ville. Mais vers le VII<sup>e</sup> siècle, l’évêque décide de déplacer la cathédrale dans une petite église située à l’extérieur des fortifications urbaines. La cathédrale est alors littéralement au milieu des champs, une situation étonnante pour nous mais relativement banale en l’Italie à l’époque.</p>
<p>Au milieu du XI<sup>e</sup> siècle, l’évêque décide de transférer de nouveau la cathédrale à l’intérieur de la ville, mais fait le choix de ne pas retourner dans l’église Saint-André et de fonder une nouvelle et modeste église, dédiée à la Vierge. Les églises cathédrales dédiées à la vierge sont typiques des XIe-XII<sup>e</sup> siècle, car durant le haut Moyen Âge, elles sont plutôt dédiées à de grands martyrs. La cathédrale de Paris était ainsi dédiée à Saint Étienne entre le IV<sup>e</sup> siècle et les années 1160. Cette cathédrale parisienne du haut Moyen Âge n’était d’ailleurs pas située sur l’emplacement de Notre Dame, mais sur la place qui la devance. Les visiteurs de la crypte archéologique peuvent d’ailleurs toujours en voir quelques vestiges ! Et lorsque Notre Dame fut construite, les bases du mur arrière de Saint-Étienne furent réutilisées comme fondations pour la façade de la nouvelle cathédrale. Ainsi, Paris a elle aussi connu un déplacement de sa cathédrale, même si ce n’est que de quelques dizaines de mètres.</p>
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<span class="caption">Emplacement de la cathédrale Saint-Étienne de Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<span class="caption">La cathédrale Saint-Étienne de Paris avant 1163.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Laurence Stefanon, 2013</span></span>
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</figure>
<h2>Reconstruire d’une manière totalement différente</h2>
<p>Contrairement à nous, les hommes et les femmes du Moyen Âge cherchent rarement à imiter les formes du passé lorsqu’ils doivent refaire un édifice. Ils reconstruisent presque toujours dans le style de leur temps et montrent même à certaines périodes un goût marqué pour la nouveauté.</p>
<p>Reprenons notre exemple d’Orvieto : lorsque la cathédrale est de nouveau transférée en ville au milieu du XI<sup>e</sup> siècle, elle est construite selon les standards de l’art roman de l’époque. En réalité, la cathédrale n’est alors pas un bâtiment unique, mais un ensemble d’édifices que l’on désigne comme le « groupe cathédral ». Il y avait l’église cathédrale elle-même, c’est-à-dire celle où l’évêque plaçait son siège majestueux (<em>cathedra</em>). Mais à Orvieto comme dans de nombreux autres lieux, elle ne constituait pas l’édifice principal. D’ailleurs, à cette époque, l’évêque s’intéresse bien plus à son palais attenant qu’à la cathédrale elle-même : dans les années 1140-1200, les évêques négligèrent si durablement de réparer le toit de la cathédrale que de l’herbe poussait sur son dallage et que l’état de l’église scandalisait bien des habitants. </p>
<p>Au centre du groupe cathédral se trouvait surtout un petit édifice de plan centré (carré ou octogonal) : le baptistère. Et accolée à cet édifice se trouvait la plus grande église de l’ensemble, celle des chanoines qui constituaient la fine fleur du clergé de la ville. Le tout était entouré de cloîtres, de réfectoires, de dortoirs, de chambres, de maisons et même de boutiques et d’ateliers à l’usage des chanoines, de l’évêque et de leurs serviteurs. Si la physionomie de cet ensemble peut étonner nos esprits contemporains, elle était normale pour les individus du temps : les archéologies ont par exemple retrouvé un ensemble cathédral similaire à Genève.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Le groupe cathédral de Genêve au haut Moyen Âge.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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</figure>
<p>Pour les personnes qui vivent dans la première moitié du Moyen Âge, l’église cathédrale n’a pas réellement à briller par son architecture. D’ailleurs, il n’est pas rare que la cathédrale ne soit pas la plus grande ou la plus belle des églises de la ville. Mais, à partir du XII<sup>e</sup> siècle en France, et surtout au XIII<sup>e</sup> siècle en Italie, la croissance économique permet de lancer de grands projets pour reconstruire des cathédrales monumentales. Et à cette occasion encore, les contemporains font des choix radicaux : à Paris comme à Orvieto, on décide de raser totalement l’ancienne cathédrale et toutes ses éventuelles dépendances et d’en construire une nouvelle, dont le plan, les volumes et la sculpture marquent une profonde rupture avec l’édifice précédent. C’est à ce moment que naissent les grandes cathédrales gothiques, voulues et pensées comme des édifices uniques et majestueux.</p>
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<span class="caption">La cathédrale d’Orvieto, dont les travaux ont débuté en 1292.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<h2>Entre entretien et transformation</h2>
<p>Pour que la construction pensée par les premiers architectes de ces grands édifices soit menée à bien, il fallut souvent des décennies, parfois des siècles de travaux. Mais si les grandes lignes des premiers plans furent bien respectées, la cathédrale ne fut jamais un objet pétrifié. Les architectes et chefs de chantiers successifs font régulièrement évoluer les plans initiaux. Il n’est pas rare qu’à un moment des travaux, décision doit prise d’agrandir l’édifice par rapport aux dimensions initialement prévues.</p>
<p>De même, les façades et parties sculptées sont toujours au moins en partie redessinées et repensées par la personne responsable du chantier au moment de la réalisation de ce segment des travaux. Le maître tenait en effet autant à y laisser son empreinte qu’à adapter l’œuvre au goût de son temps. Plusieurs croquis des façades de la cathédrale d’Orvieto nous permettent par exemple de suivre l’évolution du projet au cours du temps.</p>
<p>Et même lorsque l’intégralité des murs et des charpentes sont enfin construits, la cathédrale n’est jamais terminée. Les ouvriers ont régulièrement eu à changer le bois d’un beffroi, à refaire une toiture abîmée. Et il est rare que l’on refasse à l’identique : c’est souvent selon les méthodes ou les formes du temps que l’on refait. Pour des raisons esthétiques, on continue sans cesse à transformer des parties de l’édifice. Parfois, une statue est rajoutée sur la façade ou sur le toit. Il est fréquent qu’une mosaïque ou une peinture soit refaite, souvent sans se soucier d’imiter le style original. Régulièrement enfin, on ajoute une chaire à prêcher ou une chapelle dont le style n’a rien à voir avec celui de la structure initiale. Dans sa structure, Notre Dame de Paris est ainsi achevée vers 1250, mais on ajoute au XIV<sup>e</sup> siècle une clôture en bois sculpté autour du chœur, de nombreuses statues, autels et stalles à l’époque moderne.</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Projet non réalisé de modification des tours de Notre Dame de Paris par Viollet-le-Duc (v. 1860).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Ainsi, non seulement les cathédrales n’ont jamais été conçues comme des monuments figés dans le temps, mais elles ont constamment bougé, évolué, été refaites et transformées. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui encore, un grand nombre d’églises se présentent comme des patchworks qui désorientent le touriste et ravissent l’amateur d’art. On peut souvent retrouver dans le même édifice religieux une colonne romaine, une mosaïque du IV<sup>e</sup> siècle, un autel du VIII<sup>e</sup> siècle, des murs et une volumétrie romane, une sacristie gothique, un plafond renaissance et des chapelles baroques.</p>
<p>Les premiers qui furent réellement choqués par toute cette hétéroclicité furent les hommes du XIX<sup>e</sup> siècle qui, tel Viollet-le-Duc, cristallisèrent l’idée d’un patrimoine éternel et hors du temps. Pour extirper des monuments ce mouvement et cette accumulation d’époques qu’ils considéraient comme une hérésie, ils imaginèrent arbitrairement un état initial du bâtiment qui n’exista sans doute jamais, et entreprirent des restaurations qui, bien loin de restituer la construction originelle qu’ils fantasmaient… ne firent que créer un état nouveau et des transformations supplémentaires.</p>
<p>Ainsi, malgré les volontés de « refaire à l’identique », les cathédrales restent et resteront toujours le résultat de siècles de transformations et de remaniements. La vraie question est donc surtout de savoir ce que nous voulons que nos cathédrales deviennent. Et c’est seulement de la réponse que nous apporterons à cette question que doivent découler les choix techniques et artistiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117204/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Fulconis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le choc des images de Notre-Dame de Paris en feu passé, le plus dur semble de savoir comment la restaurer.
Maxime Fulconis, Doctorant à l'Université Paris-Sorbonne, (Ecole Doctorale Mondes Ancien et Médiévaux) , Sorbonne Université
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2019-05-16T19:30:56Z
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Comment les acousticiens peuvent reconstruire le « son » de Notre-Dame
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/274964/original/file-20190516-69174-mfel7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Reconstitution de Notre-Dame.</span> <span class="attribution"><span class="source">©Brian FG Katz, CNRS</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Catastrophe patrimoniale, l'incendie de Notre-Dame en 2019 permet aussi d’accroître nos connaissances : les débris de la célébrissime cathédrale sont autant de précieux témoins du passé ! Cette série suit le chantier scientifique de Notre-Dame, où bois carbonisés et pièces en métal révèlent leurs secrets. Après de premiers épisodes sur <a href="https://theconversation.com/quand-la-charpente-de-notre-dame-nous-renseigne-sur-la-meteo-medievale-etudier-la-charpente-de-notre-dame-pour-connaitre-la-meteo-medievale-184990">la charpente</a>, <a href="https://theconversation.com/comment-sont-reveles-les-secrets-des-poutres-de-la-charpente-de-notre-dame-dou-viennent-les-bois-de-notre-dame-les-scientifiques-menent-lenquete-185746">l’origine des bois</a>, on s'est intéressé à <a href="https://theconversation.com/de-fer-et-de-feu-les-metaux-de-notre-dame-a-travers-les-siecles-185748">la structure de la cathédrale</a> et <a href="https://theconversation.com/estimer-la-solidite-des-voutes-de-notre-dame-apres-lincendie-186333">aux maçonneries</a>. Pour ce dernier épisode, on tend l’oreille…</em> </p>
<hr>
<p>Depuis l’incendie qui a dévasté la cathédrale Notre-Dame de Paris, la reconstruction de ce site du patrimoine mondial a fait l’objet de nombreuses discussions. Parmi celles-ci, la question de la grande acoustique de la cathédrale. Contrairement à la pierre, au bois et au verre de la construction et décor, qui sont des entités solides, l’acoustique d’un espace est un produit de ces éléments, à la fois de leur forme et de leurs propriétés matérielles. Cependant, bien qu’intangible, ce n’est pas mystique. Grâce à la technologie et de la puissance de calcul modernes, des connaissances historiques, et quelques gouttes d’inspiration, deux équipes de chercheurs français se sont penchées sur la manière de recréer l’acoustique des sites historiques.</p>
<p>Co-auteure de cet article, Mylène Pardoen, de la Maison des sciences de l’homme de Lyon, travaille sur la notion d’archéologie du paysage sonore. Docteure en musicologie et responsable du <a href="https://www.msh-lse.fr/projet/nomadhiss">projet NOMADHISS</a> et du <a href="https://www.msh-lse.fr/projet/bretez">projet associé Bretez</a>, elle travaille à la reconstruction numérique de quartiers de la ville de Paris à partir du XVIII<sup>e</sup> siècle. La particularité de ce travail réside dans la nature multisensorielle de ce projet inspiré par l’histoire, qui met l’accent non seulement sur le visuel, mais aussi sur le paysage sonore (l’équivalent auditif du paysage visuel) : il offre une recontextualisation, une dimension supplémentaire dans un travail de restitution. À l’aide d’une multitude de sources historiques (archives, écrits, peintures, gravures, plans architecturaux, etc.), l’équipe identifie une multitude d’objets sonores et leur contexte, qui sont ensuite intégrés dans le modèle 3D virtuel. Utilisant des plates-formes de moteurs de jeux vidéo modernes, ces rendus multimédia et interactifs permettent aux visiteurs de faire une visite virtuelle de la ville de Paris au XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Modèle acoustique géométrique en 3D de la nef</h2>
<p>Quant à moi, je suis directeur de recherche CNRS américano-français à l’Institut d’Alembert de la Sorbonne Université. Je suis un acousticien travaillant à la fois en acoustique des salles et en réalité virtuelle. En tant que responsable de l’équipe de recherche <em>Espaces Sonores</em> du groupe <em>Luthiers – Acoustique – Musique</em>, j’ai travaillé à la reconstruction virtuelle de l’acoustique des salles de différents lieux historiques, dont le plus remarquable est la cathédrale Notre-Dame de Paris. En <a href="http://www.conservatoiredeparis.fr/">collaboration avec Jean‑Marc Lyzwa du CNSMDP</a>, un enregistrement de concert et des mesures acoustiques ont été réalisés dans la cathédrale en 2013. <a href="http://www.ica2016.org.ar/ica2016proceedings/ica2016/ICA2016-0269.pdf">Ces mesures</a> ont été utilisées pour <a href="http://dx.doi.org/10.1121/1.4971422">créer et calibrer un modèle acoustique géométrique 3D de la nef</a> de la cathédrale.</p>
<p>Un tel modèle décrit non seulement la géométrie (dans le format d’un maillage, comme un modèle visuel 3D) mais également les propriétés acoustiques de chaque surface (comme on décrirait la couleur ou la texture dans un modèle visuel 3D). Réintroduisant dans le modèle les enregistrements en proximité de l’orchestre, ils ont produit une <a href="http://www.lam.jussieu.fr/Projets/GhostOrchestra.html">reconstruction virtuelle de la performance</a> qui peut être explorée en 360°, permettant aux visiteurs d’entendre l’acoustique et comment ça varie dans l’espace.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zk1us0NYfug?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’équipe a récemment travaillé sur une <a href="http://dx.doi.org/10.1121/1.5095882">étude acoustique du Palais de Trocadéro</a> à Paris où nous avons examiné de nombreux documents d’archives de la construction et des rapports sur les études acoustiques et les rénovations effectuées. Les résultats soulignent que les méthodes utilisées et les solutions proposées par l’équipe de conception et l’équipe de rénovation dans le passé n’avaient pas permis de comprendre la complexité de la physique et de la psychoacoustique de l’acoustique des salles. Cet échec a probablement conduit à la démolition de la salle en 1937. En revanche, notre étude sur l’évolution de l’acoustique au Théâtre de l’Athénée à Paris, au cours du siècle dernier, à travers diverses rénovations utilisant une approche similaire (archives de la documentation de construction) pour créer les modèles acoustique géométrique a montré une amélioration constante de l’acoustique de ce joyau de théâtre.</p>
<p>Nos deux équipes espèrent unir leurs forces en réunissant des designs sonores historiquement informés et des simulations archéo-acoustiques précises afin de permettre aux personnes d’aujourd’hui d’entendre et d’explorer l’acoustique de Notre Dame et de ses environs, qui ont subi des transformations et ont changé au fil des siècles.</p>
<p>En plus d’écouter le passé, une telle reconstruction virtuelle physiquement fondée pourrait également être utilisée par les équipes de reconstruction pour évaluer l’impact des choix de rénovation sur l’acoustique résultante de la cathédrale et permettre aux orgues, sauvées des flammes de pouvoir résonner de nouveau dans une acoustique qui soit la plus proche possible de celle pour laquelle elles ont été construites.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117279/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mylène Pardoen est expert scientifique pour la restauration de Notre-Dame.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Brian FG Katz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Des mesures acoustiques ont été réalisées dans la cathédrale en 2013 et un modèle acoustique géométrique 3D de la nef a été créé. Ce travail sera très utile pour reconstruire le « son » de Notre-Dame.
Brian FG Katz, Directeur de recherche CNRS à Sorbonne Université, acousticien, Sorbonne Université
Mylène Pardoen, Archéologue du paysage sonore, expert scientifique pour la restauration de Notre-Dame, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)
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2019-05-07T12:41:13Z
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Notre-Dame de Paris, cathédrale ou musée ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/272820/original/file-20190506-103057-jvi1h0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5463%2C3637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Notre-Dame, un musée et un lieu de culte</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/de-de/foto/architektur-beten-dom-fenster-369214/">Magda Ehlers, pexels</a></span></figcaption></figure><p>En évoquant Notre-Dame de Paris, après l’incendie du 15 avril 2019, de quoi parlons-nous ? D’un lieu de culte ou d’un musée ? Lorsque j’enseignais l’histoire de l’art médiéval à l’ ISAM, université d’art et d’histoire de Gabès (Tunisie), la question m’était souvent posée par les étudiants « est-ce que Notre-Dame est un musée ? ». Lorsque je répondais « c’est une église », leur mine s’allongeait. « Alors on ne pourra pas y entrer, notre religion nous l’interdit ». Ma réponse était, et serait toujours la même après plus de 15 ans, « c’est une église et c’est un musée ». En effet, comme une église peut être un musée, un musée peut être un sanctuaire. </p>
<p>Vues sous ces angles, les réflexions suscitées autour d’une restauration « à l’identique et encore plus belle » de Notre-Dame, permettent de renouveler les questions posées par la destruction par le feu, le 2 septembre 2018, du <a href="http://theconversation.com/apres-lincendie-du-museu-nacional-de-rio-que-faire-maintenant-10411">Museu Nacional de Rio</a>. Si les pertes matérielles sont loin d’être aussi considérables à Notre-Dame de Paris qu’au musée de Rio, tous reconnaissent la place éminente de Notre-Dame au « kilomètre zéro » de la connaissance de la France à l’étranger, mais aussi du <a href="http://theconversation.com/notre-dame-de-paris-la-cathedrale-des-archeologues-115794">roman national</a> qui s’échafaude autour de cette cathédrale du XII<sup>e</sup> siècle, dite <a href="https://www.grandpalais.fr/fr/article/lart-gothique">« Gothique »</a> selon les critères des études stylistiques.</p>
<h2>Une certaine idée du (des) Moyen Age(s)</h2>
<p>« Gothique » : ce qualificatif, reçu et employé par tous, historiens, artistes, grand public, reposerait, selon les sources, sur une relecture de l’architecture médiévale dans son ensemble au temps de la Renaissance italienne. Traumatisé, comme nombre d’artistes italiens, par le sac de Rome (1527), Giorgio Vasari, artiste et biographe, lui-même qualifié de « maniériste » par l’historiographie, juge sans appel les édifices du <a href="https://journals.openedition.org/crm/13765">Moyen Age</a>, qu’il nomme de « style Gothique ». Dans son introduction à la partie architecturale des <em>Vite</em>, en 1568, Vasari juge que l’on doit fuir comme <a href="https://clio-texte.clionautes.org/renaissance-les-arts-peinture-sculpture-architecture.html">« monstrueux et barbare »</a>, le style de ces édifices voûtés sur arcs en ogive.</p>
<p>Également appelé « art français » (<em>Opus francigenum</em>) l’art « Gothique » fut, en France du XIXe jusqu’au début du XXe siècle, un symbole de l’<a href="https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1991_act_20_1_1512">identité culturelle nationale</a>. Lorsqu’en 1831, Victor Hugo publie son roman <em>Notre-Dame de Paris</em>, il souhaite <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/hugo/dame-paris/dame">éveiller les consciences</a> de ses contemporains à la dégradation par l’histoire récente de cet édifice, de 1789 à 1830 :</p>
<blockquote>
<p>« Si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant des dégradations, des mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui avait posé la première pierre, pour Philippe-Auguste qui en avait posé la dernière. »</p>
</blockquote>
<p>Lassus et Viollet-le-Duc, les architectes de sa restauration, voulaient « rétablir dans un état complet » la cathédrale de Paris » qui, pour eux, est celle de Maurice de Sully ; car <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Lassus,_Viollet-le-Duc_-_Projet_de_restauration_de_Notre-Dame_de_Paris.djvu">« à partir du XIII e siècle ce n’est plus, pour l’église Notre-Dame, qu’une suite de mutilations, de changements sous prétexte d’embellissements. »</a>. Alors, à présent que voit-on vraiment à Notre-Dame ?</p>
<h2>Art « Gothique » et sauvagerie</h2>
<p>Le stryge à l’angle de la tour Nord, est le symbole reconnaissable entre tous, d’une époque, le Moyen Âge et d’un édifice, Notre-Dame. Avant la photographie, la gravure était l’art de multiplier et transmettre une image, en témoigne <a href="https://journals.openedition.org/lha/257">celle de Méryon</a> (1853-1854) pour l’édition de Hugues (1877) du <a href="http://aronvinegar.net/wp-content/uploads/2016/05/ebook_complet_fr_18ViolletleDuc.pdf">roman de Victor Hugo</a>. Au premier plan veille le stryge, une image gothique et sauvage que l’on peut penser authentiquement médiévale, tant elle fait corps avec l’image médiatisée de Notre-Dame. Une image tant reproduite, depuis la photographie de Charles Nègre de 1853, jusqu’à celles de Brassaï en 1933 et tous les produits dérivés vendus aux abords de la cathédrale. Or, en mille ans (VIe-XVe siècles) le Moyen Âge occidental n’a pas été une (longue) période unifiée de l’histoire, sauf dans l’esprit de certains qui le rêvent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>Paris, Notre-Dame, Les Chimères, Le Stryge</em>, eau-forte de Charles Pinet (série Paris 44).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:PARIS_44_Notre-Dame_Les_Chim%C3%A8res,_Le_Stryge.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En outre ces monstres hybrides, si caractéristiques de cette période, mais si éloignés du Beau idéal laissé par l’Antiquité, n’ont pas toujours fait l’unanimité même aux temps qui les ont vu naître. En témoignent les paroles de saint Bernard (1090-1153) abbé de Clairvaux, contemporain de Maurice de Sully (1105-1196) :</p>
<blockquote>
<p>« Que signifient là où les religieux font leurs lectures, ces monstres ridicules, ces horribles beautés et ces belles horreurs ? […] Ici on y voit une seule tête pour plusieurs corps ou un seul corps pour plusieurs têtes : là c’est un quadrupède ayant une queue de serpent et plus loin c’est un poisson avec une tête de quadrupède […] ou qui a la tête d’un animal à cornes et le derrière d’un cheval […] Grand Dieu ! si on n’a pas de honte de pareilles frivolités, on devrait au moins regretter ce qu’elles coûtent. »</p>
</blockquote>
<p>(<a href="http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome02/guillaume/guillaume.htm">Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, 1123-1127</a>)</p>
<p>Le goût pour le merveilleux et la brutalité que l’on prête au Moyen Âge, ne s’est pas éteint avec le XIX e siècle, le Moyen Âge ne cesse d’être réinventé par le cinéma et les romans appartenant au genre <em>Fantasy</em>. Alors que la série HBO <em>Games of Thrones</em> (tirée des romans de Georges R.R. Martin, <a href="https://journals.openedition.org/crm/11092"><em>A Song of Ice and Fire</em></a>) connaît un succès mondial, de nombreuses études universitaires tentent d’en décrypter les sources, d’en démêler les éléments du vrai « rapiécé » avec le faux, afin de dépister les erreurs et de tracer des parallèles avec notre époque. L’idéal de beauté antique survit dans nombre d’images actuelles (films et publicités telle celle <a href="https://www.tendance-parfums.com/invictus-paco-rabanne-publicite.html">d’Invictus de Paco Rabanne</a>), mais il ne cesse de se heurter à l’attrait d’un Moyen Age, rêvé et brutal. Des images médiévales éloignées de leur vérité historique puisque vidées du contenu spirituel et du rôle de l’Église dans leur apparition.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolas Jean Baptiste Raguenet, Une vue de Paris et l’île de la Cité, 1763.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Nicolas-Jean-Baptiste_Raguenet,_A_View_of_Paris_with_the_%C3%8Ele_de_la_Cit%C3%A9_-_Getty_Museum.jpg">Wikipédia</a></span>
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</figure>
<h2>Le musée est un sanctuaire et l’Église « l’amie des arts »</h2>
<p>Dès le XIXe siècle, les églises sont devenues des musées alors que les musées se transforment progressivement en sanctuaires laïques. « Le sacré fait aujourd’hui un retour inattendu au musée » alors que le monde des intellectuels est habitué à raisonner dans un cadre qui exclut l’expérience de la foi religieuse » (Jean‑Hubert Martin catalogue de l’exposition <em>La mort n’en saura rien</em>, octobre 1999-janvier 2000, Paris, MAAO). Comme un écho Roseli Pellens et Philippe Grandcolas écrivent, <a href="http://theconversation.com/apres-lincendie-du-museu-nacional-de-rio-que-faire-maintenant-104115">au sujet de l’incendie du Museu Nacional de Rio</a>, « Dans la culture occidentale, le musée est une sorte de lieu (rendu) <em>sacré</em> par l’Art ou par la Science ». </p>
<p>De son côté, l’Église, au XX<sup>e</sup> siècle, a pris conscience d’un divorce avec l’art de son temps, elle peine à retrouver sa place de mécène des arts, alors que le rôle historique d’enseignement dévolu à l’art religieux s’est perdu. Pour ce faire, le Magistère de l’Église catholique n’a cessé, depuis Pie X et tout au long du XXe siècle, de s’adresser aux artistes, pour rappeler, selon les termes de Paul VI, <a href="https://docplayer.fr/399339-Paul-vi-l-eglise-et-l-art-chapelle-sixtine-le-jeudi-7-mai-1964-messe-du-jour-de-l-ascension-a-l-intention-des-artistes.html">« l’amitié »</a> qui les lie à l’Eglise. </p>
<p>C’est dans cette mouvance que Mgr Jean‑Marie Lustiger, archevêque de Paris, a fait réaliser par Marc Couturier, en 1994, la croix dorée et sa gloire <a href="http://www.narthex.fr/reflexions/le-sens-des-images/combat-dans-les-ruines-la-tristesse-l2019esperance-et-la-gloire-a-notre-dame-de-paris">dont le socle est la « Pietà »</a> de Nicolas Coustou (1723), formant le centre du groupe du « vœu de Louis XIII ». L’art ancien servant, d’une certaine façon, de « fermentum » pour le nouveau. Si les visiteurs ne font pas toujours la part de l’histoire, Notre-Dame, synthèse rendue harmonieuse par la patine des siècles, est une église que l’on peut visiter comme un musée, mais un musée vivant d’art sacré, toujours porté par la foi qui conduit à voir, là, l’invisible dans le secret des consciences.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116620/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Bethmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Dès le XIXe siècle, les églises sont devenues des musées alors que les musées se transforment progressivement en sanctuaires laïques.
Sylvie Bethmont, Enseignante en iconographie biblique, Collège des Bernardins
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tag:theconversation.com,2011:article/115942
2019-04-28T20:10:25Z
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Et si on transformait Notre-Dame en entrepôt géant ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/270709/original/file-20190424-121220-q3lf0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C14%2C995%2C766&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Notre-Dame est morte, vive « Notre-Damazon » !
</span> <span class="attribution"><span class="source">Gilmanshin / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Suite à l’incendie de Notre-Dame, un débat s’est ouvert sur ce qu’il convient désormais de faire de la cathédrale en ruine, dont les travaux de sécurisation du site ont <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2584999-20190819-incendie-dame-travaux-consolidation-edifice-reprennent-lundi">repris ce lundi</a>. C’est peu dire que les <a href="https://www.batiactu.com/edito/reconstruction-notre-dame-controverse-anciens-modernes-56210.php">propositions</a> ne manquent pas. Le débat fait ainsi rage entre les classiques, qui se sont dès à présent mis à <a href="https://www.europe1.fr/societe/notre-dame-de-paris-un-exploitant-forestier-inquiet-du-stock-de-chene-disponible-pour-la-reconstruire-3892949">stocker du bois</a> pour reconstruire à l’identique la toiture, et les modernes, qui se revendiquant de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, proposent de repenser celle-ci, par exemple avec un <a href="https://archpaper.com/2019/04/foster-partners-pitches-notre-dame-spire-competition/">toit et une flèche en verre</a>. Malgré l’intérêt de ces suggestions, celles-ci s’appuient sur un présupposé qui n’est jamais questionné : celui que la future Notre-Dame doit rester une cathédrale.</p>
<h2>Un autre usage est possible</h2>
<p>Certes, quelques-uns s’interrogent pour savoir s’il ne faudrait pas <a href="http://www.slate.fr/story/175854/ne-pas-reconstruire-notre-dame-de-paris">laisser la cathédrale en l’état</a>, et consacrer le milliard d’euros proposé à d’autres causes. Mais personne n’est allé jusqu’à suggérer un autre usage du bâtiment. C’est ce que nous souhaiterions faire ici.</p>
<p>Évidemment, pour être accepté, ce futur usage doit respecter certaines conditions. Tout n’est pas possible en ce lieu et avec ces murs ! Par exemple, pour des raisons évidentes, il serait inconcevable de transformer Notre-Dame en boîte de nuit, d’en faire une sculpture de Jeff Koons, etc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1119395073475661836"}"></div></p>
<p>Pour être plus précis, un nouvel usage n’a de chance d’être accepté qu’à la condition qu’il satisfasse aux trois critères suivants et :</p>
<ul>
<li><p>s’inscrive dans la tradition religieuse qui est celle de Notre-Dame ;</p></li>
<li><p>soit adapté à la situation centrale de l’ancienne cathédrale ;</p></li>
<li><p>promeuve, à l’heure où la planète brûle, un développement plus durable.</p></li>
</ul>
<h2>« Notre-Damazon », un entrepôt pour livrer Paris</h2>
<p>Si d’autres usages sont possibles, une solution satisfaisante au regard de ces critères est de transformer la cathédrale en un gigantesque entrepôt servant à livrer Paris. Cet entrepôt pourrait être nommé « Notre-Damazon », en hommage à la firme de Jeff Bezos, première capitalisation au monde et qui possède des entrepôts les plus grands et en pointe.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dAXdeqcHBp4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>J’entends déjà les cris d’orfraies des chrétiens qui dénonceront un sacrilège ! Quoi, transformer un lieu de culte en un vulgaire stock et le renommer d’une marque américaine ! À ceux-là, je leur rappellerai que l’Histoire est avec moi, et qu’après la Révolution française, des églises furent transformées en entrepôt. Ce fut ainsi le cas de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01395041/document">Sainte-Élisabeth-de-Hongrie</a> dans le 3<sup>e</sup> arrondissement, qui servit au XIX<sup>e</sup> siècle de lieu de stockage pour la farine, afin d’éviter une pénurie de pain à Paris. À ceux-là, je leur dirai surtout de ne pas s’arrêter à une réaction épidermique, et de regarder « objectivement » si cet usage satisfait aux trois critères énoncés plus haut, qui ne semblent pouvoir être discutés.</p>
<h2>L’entrepôt, lieu du culte de la consommation</h2>
<p>La religiosité d’abord. À l’heure où la majorité des Français est athée ou non croyante, où la pratique religieuse est en berne, la religiosité est moins à trouver dans les croyances comme le catholicisme que dans le <a href="http://www.marketing-professionnel.fr/parole-expert/consommation-alienation-liberation-religion-spiritualite-201605.html">consumérisme</a>. Ce qui nous relie aujourd’hui, ce qui fait société, c’est comme l’ont écrit de nombreux sociologues et marketers depuis Baudrillard la consommation : les produits que nous achetons, les marques que nous aimons, les tribus de consommateurs auxquelles nous appartenons. Or, quel est aujourd’hui le lieu du culte de la consommation ? Ce n’est plus le marché, ni le grand magasin, ni le centre commercial, qui ont fait leur temps, mais l’entrepôt.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/271008/original/file-20190425-121237-1a590hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/271008/original/file-20190425-121237-1a590hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/271008/original/file-20190425-121237-1a590hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/271008/original/file-20190425-121237-1a590hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/271008/original/file-20190425-121237-1a590hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/271008/original/file-20190425-121237-1a590hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/271008/original/file-20190425-121237-1a590hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ikea peut être considéré comme un entrepôt plus qu’un magasin !</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tooykrub/Shutterstock</span></span>
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<p>C’est en effet depuis ce lieu qu’arrivent les innombrables produits que nous commandons en un clic sur Internet et qui se déversent à un rythme toujours plus soutenu vers nos domiciles. C’est d’ailleurs lui qui fait l’objet comme les cathédrales en leur temps d’une <a href="https://blog.delaplace.pro/les-10-plus-grands-entrepots-du-monde/">course au gigantisme</a>, les firmes cherchant à avoir des entrepôts toujours plus grands, plus hauts, plus automatisés ! L’un des temples de la consommation moderne, les magasins Ikea, ne sont d’ailleurs rien d’autre que des entrepôts dans lesquels les clients retirent les produits !</p>
<h2>L’entrepôt, au barycentre de la consommation</h2>
<p>La géographie ensuite. La cathédrale Notre-Dame est située au cœur de Paris. C’est autour d’elle que la ville s’est développée de manière concentrique, cassant au fil des siècles les remparts qui ont délimité Paris de manière provisoire. Une telle situation est idéale pour implanter un entrepôt, car elle se situe au barycentre des lieux à livrer dans (le grand) Paris. Être au barycentre minimise les trajets jusqu’aux points de livraison et permet de baisser les coûts et d’augmenter la vitesse de livraison. Nos ancêtres ne s’y étaient pas trompés, puisque la zone sur laquelle est implantée Notre-Dame est à l’origine un port, qui servait à acheminer dans Paris les marchandises transportées depuis la Seine.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270719/original/file-20190424-121254-ouo5un.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les ponts et les ports de Paris vers l’an 1000.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://paris-atlas-historique.fr/15.html">L’Atlas historique de Paris.</a></span>
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</figure>
<h2>Diminuer l’empreinte carbone des livraisons</h2>
<p>Le développement durable enfin. C’est peu de dire que l’empreinte carbone de Notre-Dame est un problème. Je ne parle pas des cierges, qui représentent sur le plan environnemental une goutte d’eau (si j’ose dire), mais de l’impact de la venue des millions de touristes à Paris pour visiter Notre-Dame. Déversés sur Paris par des compagnies aériennes low-cost, ces touristes, par les quantités astronomiques de kérosène requise à leur venue, ne font qu’aggraver le réchauffement climatique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270735/original/file-20190424-121220-1mn8nng.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270735/original/file-20190424-121220-1mn8nng.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270735/original/file-20190424-121220-1mn8nng.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270735/original/file-20190424-121220-1mn8nng.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270735/original/file-20190424-121220-1mn8nng.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270735/original/file-20190424-121220-1mn8nng.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270735/original/file-20190424-121220-1mn8nng.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’entrepôt, clef pour mutualiser et diminuer les livraisons.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.interloggroup.com/nos-metiers/interlog-logistic/">Capture d’écran du site Interlog group.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Inversement, la mutation de Notre-Dame en entrepôt aiderait à mutualiser les livraisons. Une telle mutualisation pourrait réduire le nombre de camions dans la capitale de près de 40 % et aurait un impact énorme sur l’empreinte carbone de Paris. Concrètement, ce nouvel entrepôt serait livré par des barges fluviales, mode de transport massif et peu impactant pour l’environnement. Puis, depuis cet entrepôt, les marchandises reçues en masse seraient triées et les commandes clients préparées. Il serait aisé enfin d’aller livrer les commandes aux Parisiens à l’aide de véhicules légers (vélos-cargo, utilitaires électriques).</p>
<h2>Disparition des infrastructures logistiques</h2>
<p>L’ironie de mon ton n’aura échappé à personne, et pour être honnête, je ne songe nullement à transformer Notre-Dame en entrepôt. Pour autant, loin d’être une boutade, cet article vise à soulever une question sérieuse et stratégique : celle de la place des infrastructures logistiques dans Paris. En effet, le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que plus aucun lieu dans Paris ne permet de massifier l’acheminement des marchandises.</p>
<p>Les quais de seine, qui au XVIII<sup>e</sup> siècle étaient des ports recevant en masse des marchandises ? Piétonnisés. Les Halles, ce ventre de Paris ? Déplacées à Rungis, d’où chaque jour partent des milliers de camions pour réapprovisionner Paris. Les gares du centre qui disposaient de zones de fret ? Dédiées au transport de voyageurs. Les entrepôts qui existaient intra-muros ? Transformés en bureau ou zone commerciale, comme à Bercy. Les lieux de production où des flux massifs arrivaient ? Réaménagées en zone de culture, comme les abattoirs de la Villette. etc.</p>
<h2>Situation catastrophique</h2>
<p>Or, à force d’avoir fait disparaître toutes les infrastructures qui acheminaient en masse les marchandises dans Paris, la situation est catastrophique. Les marchandises sont livrées à Paris par des camions (qui sont à moitié vide !), depuis des entrepôts situés toujours plus loin en périphérie ! Cela entraîne des nuisances insupportables : pollution environnementale, maladies respiratoires, etc. Il convient ainsi qu’en prévision des municipales, une véritable réflexion des candidats ait enfin lieu à ce sujet et qu’on imagine comment, dans le contexte foncier parisien que l’on sait, des zones puissent être dédiées à la logistique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270722/original/file-20190424-121233-ox1422.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les entrepôts neufs en Île-de-France (1980-2009).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2012-3-page-236.htm">Extrait de l’article de recherche « Quel rôle pour le fleuve dans le Grand Paris des marchandises ? » d’Antoine Frémont.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si je revenais sur les solutions possibles dans un prochain article, pour stimuler l’imagination des politiques, ma proposition serait que soit lancé en même temps que le concours de Notre-Dame un concours intitulé « Logistisons Paris ». Demandons aux architectes, aux urbanistes, aux distributeurs, aux prestataires logistiques, aux acteurs de l’immobilier logistique, etc. de plancher, dans une perspective prospective et innovante, aux manières d’inclure la logistique à l’échelle du Grand Paris. Des projets récents ont vu le jour, comme l’<a href="https://www.lejournaldugrandparis.fr/chapelle-international-inauguration-dun-hotel-logistique-iconique/">Hôtel logistique de la Chapelle</a>. Il faut aller plus loin, et imaginer pour Paris une révolution logistique du même ordre que celle d’Haussmann !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélien Rouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les arguments qui plaident en faveur de cette piste, certes un peu farfelue, ne manquent pas…
Aurélien Rouquet, Professeur de logistique et supply chain, Neoma Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/115755
2019-04-25T19:06:55Z
2019-04-25T19:06:55Z
Notre-Dame, La Fenice, château des Hohenzollern : pourquoi reconstruire n’est pas construire
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/270406/original/file-20190423-175542-5d77lt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C3000&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le chantier de reconstruction du château royal de Berlin, en avril 2016.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Berlin#/media/File:Berlin,_Germany_(April_2016)_-_044.JPG">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2018, l’incendie du musée national du Brésil avait affecté les Brésiliens et ému le monde, mais le monument et ce qu’il renfermait n’avaient pas le statut d’icône mondiale de la cathédrale parisienne ; un statut acquis au fil du développement d’une conscientisation du patrimoine mondial.</p>
<p>La cathédrale en feu a fait l’effet d’une meurtrissure à la carte postale mentale qui avait imprégné l’imaginaire de plusieurs milliards de personnes au cours des dernières décennies.</p>
<p>Il en surgit une souffrance que l’horizon d’une reconstruction rapide veut soigner : le « nous la rebâtirons » du président Macron a entraîné un certain nombre de décisions : des autorités publiques françaises, de la Fondation du patrimoine, de gens fortunés, de donateurs divers mais nombreux. La reconstruction de Notre-Dame de Paris était bel et bien engagée, un jour seulement après le drame.</p>
<p>La valeur symbolique d’un monument médiatisé est un facteur essentiel d’action dans un projet de reconstruction. Cela touche à une valeur partagée par une communauté et plus celle-ci est large, plus cette valeur est élevée. Elle recouvre plusieurs composantes : mémoire collective, représentation collective, référents identitaires, canon esthétique partagé, intensité communicationnelle.</p>
<h2>Le temps des reconstructions</h2>
<p>Dans l’histoire récente de quelques grandes reconstructions européennes, aucune n’a bénéficié de cadres symboliques, événementiels et temporels aussi puissants, que ce soit l’opéra La Fenice à Venise, le château royal de Berlin ou Notre-Dame de Dresde (Frauenkirche).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270516/original/file-20190423-175548-r14tht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270516/original/file-20190423-175548-r14tht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270516/original/file-20190423-175548-r14tht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270516/original/file-20190423-175548-r14tht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270516/original/file-20190423-175548-r14tht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270516/original/file-20190423-175548-r14tht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270516/original/file-20190423-175548-r14tht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Fenice en 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Teatro_La_Fenice,_Venice.jpg">YouFlavio/Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les deux derniers d’ailleurs ne sont pas liés à des accidents mais, hélas, sont des legs de la dernière guerre. Cela leur a conféré un certain attrait médiatique, plus limité que pour Notre-Dame de Paris, les racines événementielles de leur destruction étant maintenant lointaines.</p>
<p>Des deux monuments allemands, c’est la reconstruction du temple de Dresde (1994-2005) qui prit le caractère symbolique le plus universel, renvoyant aux tragédies des villes rasées par les bombardements. Au point que la reine d’Angleterre contribua par un don exceptionnel à la résurrection de l’édifice. S’ajoute à cette valeur symbolique une valeur esthétique car la <a href="https://www.frauenkirche-dresden.de/en/dates-facts-figures/">Frauenkirche</a> était réputée comme l’un des plus beaux lieux de culte du monde luthérien.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270517/original/file-20190423-175548-1kt5gsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270517/original/file-20190423-175548-1kt5gsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270517/original/file-20190423-175548-1kt5gsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270517/original/file-20190423-175548-1kt5gsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270517/original/file-20190423-175548-1kt5gsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270517/original/file-20190423-175548-1kt5gsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270517/original/file-20190423-175548-1kt5gsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les ruines de la Frauenkirche de Dresde en 1958.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://de.wikipedia.org/wiki/Frauenkirche_(Dresden)#/media/File:Bundesarchiv_Bild_183-60015-0002,_Dresden,_Denkmal_Martin_Luther,_Frauenkirche,_Ruine.jpg">Giso Löwe, Bundesarchiv/Wikipédia</a></span>
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<p>Singularité, valeur symbolique, cadre temporel et médiatisation du projet sont cependant insuffisants pour rendre compte des enjeux de reconstruction d’un patrimoine culturel matériel. Une autre dimension, celle de l’objet même de la reconstruction, entremêlée aux précédentes, entre elle aussi en ligne de compte.</p>
<h2>Que reconstruire, et comment ?</h2>
<p>Ce qui est à reconstruire et comment on le reconstruira devient vite une question cruciale… Pour Notre-Dame, la marge de choix semble serrée. Beaucoup plus qu’elle ne l’a été à Berlin.</p>
<p>Tout le bâtiment de Notre-Dame ayant été <a href="http://www.gamsau.map.cnrs.fr/3D-monuments/presentation-intro.php">scanné</a>, il est possible de faire une réplique exacte de ce qui a été détruit. Ce n’était pas le cas pour le château des rois de Prusse, notamment pour des éléments de décoration intérieure dont les reconstructeurs n’avaient pas de références précises.</p>
<p>En vérité, la question de la copie à l’identique se scinde en deux selon qu’il s’agit de l’aspect extérieur du bâti (son image première) ou de son intérieur (ses fonctions).</p>
<p>Ainsi, le château des Hohenzollern reconstruit présentera trois façades identiques à l’ancien et une façade d’architecture contemporaine. Mais le lieu ne servira plus aux fonctions d’État qui furent les siennes jusqu’à la chute de l’empire allemand en 1918. Il reprendra sa fonction de musée – déjà en place sous la République de Weimar. Cette fonction sera cependant rehaussée grâce à son rattachement à la prestigieuse université Humboldt qui lui a donné son nom de Humboldt Forum et y déposera ses collections scientifiques.</p>
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<p>Rien de tel à Paris, où la cathédrale gardera sa fonction religieuse et son caractère spirituel, entraînant la restitution d’intérieurs adéquats à un usage cultuel.</p>
<p>Sur la question des fonctionnalités du lieu à restaurer, il est intéressant de comparer la reconstruction d’un sanctuaire à celle d’un opéra. La décision de reconstruire La Fenice à l’identique concernait le faste du lieu de divertissement artistique distingué accessible au public. Mais en amont du spectacle, on fit bénéficier la production des normes spatiales et techniques les plus modernes.</p>
<p>Là encore, rien de tel est possible à Notre-Dame où l’intérieur du sanctuaire est consubstantiel au culte et vu du public, que celui-ci soit croyant ou visiteur intéressé par le monument.</p>
<p>Quant aux techniques et aux matériaux utilisés, choisira-t-on ceux de la première édification (bois pour les charpentes, réutilisation des pierres d’origine…) ou ceux d’aujourd’hui ? Les réponses seront certainement fonction du temps et du budget alloué à la reconstruction.</p>
<p>À Berlin, on n’a pas hésité à couler du béton pour les cloisons intérieures non visibles tandis qu’à Dresde, on a pu reconstruire en partie avec les pierres de l’ancienne église. Elles avaient été minutieusement référencées durant la période d’indécision et stockées sur le terrain clos où la ruine était conservée. À Paris, « l’identique » ira sans doute aussi jusqu’à utiliser le plus possible d’anciennes pierres pour la voûte.</p>
<p>On pourrait poser l’hypothèse suivante en matière de reconstruction : plus le patrimoine monumental a imprégné les esprits comme un <a href="http://www.bnfa.fr/livre?biblionumber=15727">construit social</a> « universel », plus ce symbole pèse dans la reproduction à l’identique de l’image de l’original détruit.</p>
<p>Mais on n’oubliera pas que reconstruction et objet de la reconstruction s’inscrivent aussi dans un ensemble de règles. Pour un monument classé s’appliquent des réglementations assez contraignantes légitimées par le besoin d’une (certaine) authenticité. Cette notion, centrale pour les professionnels de la conservation, l’est au final aussi pour les publics – bien que ceux-ci la reçoivent et la perçoivent à travers un storytelling. Les propriétaires et les parrains du lieu doivent donc s’en préoccuper. Dans le cas de Notre-Dame de Paris, son universalité et sa fonction cultuelle ont depuis longtemps bâti un récit que les flammes du 15 avril ont révélé d’une manière très parlante.</p>
<h2>Le choix du mode de financement</h2>
<p>Les financements choisis ne sont pas neutres, ni dans le processus de reconstruction ni dans ses résultats.</p>
<p>Un financement exclusif par le budget public, d’autant plus logique pour les tenants d’une conception stricte du bien commun qu’un patrimoine est propriété d’État, rend pour tenants du mécénat participatif une reconstruction moins notoire en la confinant aux arcanes techno-bureaucratiques.</p>
<p>Le recours à une souscription – choix certes contraint par les déficits publics – revient à l’inverse à donner une <a href="https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations-2017-2-page-15.htm">dimension participative à la reconstruction</a>. Mais la donne en est modifiée, surtout avec les moyens actuels permettant de sensibiliser le plus grand nombre, en France et au-delà, à une telle opération.</p>
<p>De ce fait, la durée de l’opération devient un paramètre important de la conduite de la reconstruction. Les donateurs s’empresseraient-ils autant si l’on affichait une période indéterminée (on rebâtit mais on ne sait pas pour quand) ? Ou même si la durée annoncée dépassait le seuil psychologique des 10 ans ? À Dresde, Venise (et aussi pour le château de Windsor ravagé par les flammes en 1992), les opérations ont été conduites sur des durées courtes, inférieures à 10 ans.</p>
<p>Et à Berlin, 17 ans reste un délai court pour faire ressortir de terre l’immense palais qui sera inauguré en septembre prochain.</p>
<h2><em>Bottom up</em> et <em>top down</em></h2>
<p>À Berlin, l’initiative était partie d’en bas. Deux associations se constituent en 1998, alimentant débats et controverses. La décision formelle de la reconstruction, en 2002 revint au Bundestag, régime parlementaire oblige. Il vota la loi marquant le début officiel des travaux. À Paris, c’est le président, clé de voûte des institutions, qui proclame depuis le lieu du sinistre encore en cours, la reconstruction du monument.</p>
<p>Pour le prestigieux temple de l’art lyrique vénitien (comme auparavant pour le Liceo de Barcelone en 1994), la décision officielle a relevé des municipalités et ministères de la culture concernés. Mais l’ouverture de souscriptions y était le corollaire du caractère patrimonial des opérations à conduire. Ces projets n’auraient pas motivé de geste donateur de même ampleur s’ils s’étaient juste agi de rebâtir une salle moderne.</p>
<p>La souscription crée un pont entre le processus technique, politique et administratif, d’une part, et la communauté dont l’investissement symbolique se traduit par une opération sonnante et trébuchante.</p>
<p>On doit donc s’attendre à Paris à ce que les dons ne soient pas de simples chèques en blanc. Tous les actes décisifs sur le monument en devenir devront être motivés et expliqués : à l’heure où l’on s’interroge sur les vertus de la démocratie participative, voilà un exercice d’application grandeur nature.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115755/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>.</span></em></p>
Reconstruire Notre-Dame de Paris, patrimoine culturel universel, est un projet qui s’inscrit dans un contexte symbolique, médiatique et temporel contraignant.
Mario d'Angelo, Professeur émérite à BSB, coordinateur de projet à Idée Europe, Burgundy School of Business
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/115483
2019-04-24T20:13:28Z
2019-04-24T20:13:28Z
Doit-on parler de christianisme européen ou des racines chrétiennes de l’Europe ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/269801/original/file-20190417-139116-2dyydm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1198%2C704&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statues du Christ et des 12 apôtres sur la façade de la basilique Santa Maria de Montserrat à Monistrol de Montserrat, Catalogne</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/apôtres-église-christianisme-jésus-3281206/">Pixabay/BarBud</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’Europe a-t-elle des racines chrétiennes ? Si la réponse paraît évidente, elle fait néanmoins l’objet de débats <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-europe-est-elle-chretienne-olivier-roy/9782021406689">et de crispations</a>. Les <a href="https://www.touteleurope.eu/revue-de-presse/revue-de-presse-notre-dame-emotion-dans-toute-l-europe.html">réactions</a> au récent incendie de Notre-Dame de Paris l’ont ravivée de manière inattendue.</p>
<p>Car, en effet, les paysages architecturaux sont les premiers témoins du christianisme, qui est depuis longtemps la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Christianity_in_Europe">religion majoritaire des Européen·ne·s</a>. Toutefois si l’Europe est majoritairement chrétienne (bien que le christianisme n’ait jamais été la seule religion d’Europe), l’inverse n’est pas vrai.</p>
<p>Le christianisme, par lequel l’on désigne les différents groupes d’individus se reconnaissant comme disciples de Jésus-Christ, n’a pas toujours été européen. <a href="https://www.puf.com/content/Le_christianisme_des_origines_%c3%a0_Constantin">Il s’est construit d’abord au Proche-Orient</a>. Aujourd’hui, la plus grande part de ses adeptes vivent hors d’Europe. Si donc l’identité européenne reposait sur la présence visible du christianisme, elle n’aurait rien de spécifique.</p>
<p>Toutefois, quand on parle d’Europe chrétienne, on ne pense pas seulement aux paysages et aux bâtiments. Il s’agit plutôt d’arrimer le destin politique de la construction européenne à celui de ce que l’on a appelé la Chrétienté. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-08-octobre-2015">Ce terme n’est lui-même pas très clair</a>. Utilisé avec une majuscule, il désigne généralement un territoire et une période historique à peu près déterminés, que les historiens font généralement commencer avec l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_carolingien">Empire carolingien (9ᵉ siècle)</a>, et qui se termine avec le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Schisme_d%27Occident">grand schisme d’Occident</a> au XIV<sup>e</sup> siècle, sans que le terme disparaisse par la suite. Il s’agit globalement du territoire des chrétiens utilisant le latin, par opposition aux chrétiens grecs (Empire byzantin) et à l’Islam.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des religions en Europe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Europe_religion_map_fr.png">San Jose/Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La Chrétienté : un lieu de conflits et de rivalités</h2>
<p>Même au cours de cette période, le territoire, en plus de ne pas recouper exactement ce qu’on appelle actuellement l’Europe, n’est jamais complètement unifié. L’Empire carolingien tend à se disloquer sitôt constitué. En fait, la Chrétienté sera progressivement le lieu de conflits et de rivalités entre différentes formes d’autorité : le pape, l’empereur, et les royaumes ou seigneuries.</p>
<p>L’idée de Chrétienté devait permettre théoriquement d’articuler ces différents pouvoirs, et elle indique certainement une forme d’appartenance commune qui s’affirme dans les discours politico-religieux des XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles <a href="https://www.jstor.org/stable/42960125">à l’occasion des premières croisades</a>.</p>
<p>Mais, en dehors de cette courte période de domination du pape sur l’Europe latine, elle désigne moins une réalité politique constituée qu’un idéal et un mot d’ordre susceptibles comme tels d’être utilisés par des puissances politiques rivales.</p>
<p>À partir du XIV<sup>e</sup> siècle, l’idéal de la Chrétienté s’éloigne de plus en plus à mesure que l’opposition entre le pape et l’empereur se durcit, que les royaumes nationaux s’affirment et finalement que la Réforme – soit la division politique et religieuse de l’Europe entre protestants et catholiques – met un terme définitif à l’unité confessionnelle des pouvoirs de l’Europe latine.</p>
<h2>Quelle réalité culturelle ?</h2>
<p>La réalité historique de la Chrétienté comme construction politique est donc douteuse. Qu’en est-il de sa réalité culturelle ? On ne peut pas contester que le christianisme dans ses différentes formes a constitué le milieu ambiant dans lequel on vécu les Européens pendant des siècles. Il les a parfois aussi asphyxiés, selon les cas, puisque les sociétés chrétiennes n’ont pas toujours été les plus accueillantes pour les minorités : pensons aux persécutions régulières contre les juifs, mais aussi aux conversions forcées de populations non-chrétiennes du nord de l’Europe (XII<sup>e</sup>-XIII<sup>e</sup> s.) et des musulmans d’Espagne (XVI<sup>e</sup> s.).</p>
<p>Cette communauté culturelle les a-t-elle unifiés ? Sans remonter jusqu’aux guerres de religions, il faut souligner que le christianisme a autant pu être un facteur d’unité que d’affrontement : les nations se sont massacrées en son nom, jusqu’encore dans la Première Guerre mondiale, où les prières régulières, paraît-il, de <a href="http://www.memorialgenweb.org/mobile/fr/com_global.php?insee=59135&dpt=59&comm=Cassel&">Foch au « Dieu des armées »</a> répondaient au <a href="https://www.rtbf.be/14-18/thematiques/detail_dieu-sera-avec-nous-contre-gott-mit-uns-une-guerre-de-religion?id=8512865">« Gott mit uns »</a> inscrit sur les ceinturons des soldats allemands.</p>
<p>Il y a donc, derrière l’idée de Chrétienté, une grande ambiguïté. Il s’agit d’un idéal nostalgique réactif contre un présent divisé, contre une altérité plus ou moins extérieure à repousser (islam) ou intérieure à éliminer (judaïsme, hérésies). En Europe, la Chrétienté a été facteur de guerre et de divisions, autant que d’union et de paix.</p>
<h2>Le christianisme contre la Chrétienté</h2>
<p>Il serait donc non seulement illusoire mais contradictoire de vouloir bâtir sur cette notion une Europe pacifiée et démocratique. Est-ce à dire que le christianisme doive rester indifférent à la construction européenne ?</p>
<p>Ce serait oublier qu’il y a dans le christianisme, depuis deux siècles, tout un courant critique de la chrétienté. Le philosophe et théologien <a href="https://journals.openedition.org/rgi/386">Søren Kierkegaard</a> n’a pas seulement distingué le christianisme et la chrétienté : il les a opposés frontalement.</p>
<p>Que signifie la chrétienté ? C’est le territoire sur lequel être chrétien est un donné identitaire : on est chrétien comme on est français ou danois. Étant né à tel endroit, ayant telles <em>racines</em>, il a été décidé pour moi que je serais chrétien. Or pour Kierkegaard, cela est incompatible avec un christianisme authentique.</p>
<p>Celui-ci suppose au contraire une <em>décision</em> de l’individu, un <em>effort</em> de sa part pour devenir chrétien par une adhésion intérieure. C’est pourquoi il va jusqu’à dire que <em>la chrétienté a aboli le christianisme</em>. Elle l’a aboli en supprimant la possibilité de se décider pour lui. Dans la chrétienté, le christianisme ou plutôt ses signes extérieurs vont de soi : ils sont la norme sociale, l’ordre établi. En principe, tout le monde est chrétien, mais du coup plus personne ne peut décider de le devenir.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le chemin de croix de l’église St Symphorien de Pfettisheim, Alsace.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Église_St_Symphorien_(Pfettisheim)">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Car pour qu’il y ait décision véritable, il faut que le choix soit difficile. Il faut donc que le christianisme suscite un certain scandale, dérange l’ordre établi, à l’exemple de Jésus-Christ : scandale d’un messie qui se laisse crucifier, scandale de l’inversion des valeurs sociales (le faible devant le fort, le pauvre devant le riche, l’étranger devant le proche, etc.). Sera chrétien qui décidera de l’être <em>malgré le scandale</em> – mais il faut donc bien que ce scandale existe.</p>
<h2>Le christianisme « n’appartient » à personne</h2>
<p>Dans cette conception, et pour revenir à l’Europe et à l’Union européenne, le christianisme est un appel avant d’être un état, et doit rester un appel, une exigence : il ne peut donc <em>stricto sensu</em> appartenir à personne, et ne peut avoir aucun territoire.</p>
<p>On ne saurait le revendiquer contre d’autres appartenances, moins encore se prévaloir du christianisme pour s’affirmer contre elles. Un tel christianisme sera donc nécessairement solidaire des tentatives pour neutraliser religieusement l’instrument politique, et contre toute utilisation politique du christianisme « culturel », qui ne pourra être, à ses yeux, qu’une manière supplémentaire de masquer l’exigence chrétienne.</p>
<p>Sera-ce pour autant un christianisme désinvesti de la politique et en particulier de la politique dans sa dimension européenne ? Ce n’est pas certain, et notamment pas si l’on considère la construction européenne comme une tentative pour dépasser démocratiquement les antagonismes nationaux, et jusqu’à la conception nationale du politique. « La démocratie, a pu écrire <a href="http://www.religare.org/livre/humanisme/hu-bergson-source-religion.pdf">Henri Bergson</a>, est d’essence évangélique » : ce n’était pour refonder une chrétienté, ou pour interdire aux non-chrétiens le droit d’être démocrates. Cette essence n’est pas un contenu doctrinal, c’est une émotion. Elle est d’ailleurs passée historiquement, dit-il, dans la plupart des religions du monde, qui n’en ont pas pour autant perdu leur spécificité.</p>
<h2>Une émotion paradoxale</h2>
<p>Or l’émotion chrétienne est semblable à l’émotion démocratique : suscitée non par la force mais par la faiblesse, et non par la distance hiérarchique mais par l’égalité, non par l’intensité des victoires mais par la grisaille de la paix.</p>
<p>C’est une émotion paradoxale puisqu’elle vit d’un certain renoncement : un renoncement à la grandeur, une forme de consentement à l’échec (la mort de Jésus sur la Croix) qui sont en eux-mêmes un signe de rédemption. On oppose régulièrement une Europe procédurale, celle du <a href="https://www.nonfiction.fr/article-6297-habermas-et-le-patriotisme-constitutionnel.htm">« patriotisme constitutionnel » théorisé par Jurgen Habermas</a>, et dont l’un des achèvements principaux est tout négatif, puisqu’il n’est que la paix, à une Europe substantielle, celle de l’héritage chrétien et des États-nations.</p>
<p>Mais ce christianisme pourrait bien être, contre la Chrétienté, du côté de la procédure, et de la place vide du pouvoir. Il pourrait être du côté non de l’exaltation de la puissance mais de la paix, modestement construite et non imposée par la co-dépendance économique (qu’on a peut-être fini par mal comprendre comme une exaltation de la concurrence et de la consommation délocalisée) imaginée par les initiateurs – chrétiens, cela a souvent été remarqué – de la communauté européenne. Ses imaginaires et ses théologies pourraient donner des ressources pour charger d’émotion le refus même du pouvoir et son remplacement par des procédures, l’abandon (joyeux ?) de la ferveur patriotique et le renoncement (enthousiaste ?) à la puissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115483/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Feneuil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Derrière l’idée de Chrétienté se cache une grande ambiguïté. Il s’agit d’un idéal nostalgique qui a été, en Europe, facteur de guerre et de divisions, autant que d’union et de paix.
Anthony Feneuil, Maître de conférences en théologie, Université de Lorraine
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/115926
2019-04-24T20:11:56Z
2019-04-24T20:11:56Z
Notre-Dame de Paris, « l’effet Matthieu » du patrimoine
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/270690/original/file-20190424-19300-1bjmj02.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C16%2C991%2C649&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Peut-on valoriser la dimension immatérielle du monument ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Radu Razvan/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Car on donnera à celui qui a et il aura en plus ; mais celui qui n’a pas, on lui enlèvera même ce qu’il a. » (Matthieu, XXV, 29)</p>
</blockquote>
<p>Ce fut un élan spectaculaire pour Notre-Dame de Paris, cet édifice de pierre, de bois, de plomb, pour ses vitraux et ses reliques, lorsqu’on apprit l’incendie du monument. L’émotion se propagea alors que les braises n’étaient pas même encore éteintes. L’<a href="https://theconversation.com/dons-pour-notre-dame-particuliers-ou-entreprises-qui-sont-vraiment-les-plus-genereux-115598">argent afflua</a> là où on le sait plutôt rare, pour le patrimoine. Car celui-ci est trop fréquemment une variable d’ajustement des budgets culturels, les vieilles pierres, muettes et peu revendicatives, pouvant attendre des conjonctures favorables… Mais la sidération devant le monument en feu fit naître un flot de générosité soudaine.</p>
<p>Les images en boucle devinrent le socle de réflexes additifs : il s’agissait de donner là où on donnait déjà. La communion laïque mondialisée devant le désastre conduisit à la focalisation des attentions privées et publiques sur ce seul monument, quand tant d’autres se meurent faute d’attention, dans l’indifférence générale. Joua un « effet Matthieu du patrimoine », qui consiste à donner tout à celui qui possède déjà et rien à celui qui n’a rien.</p>
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<p>Les interrogations naquirent très vite, et parmi celles-ci : comment reconstruire ? Faut-il reproduire à l’identique le dernier aspect du monument ou prolonger le cycle des transformations et des ajouts que chaque siècle a déposés ? Faut-il laisser des traces de l’événement sur ce monument que le monde entier semble connaître, même s’il ne l’a pas toujours visité ? La <a href="http://patrimoine-de-france.com/charte-de-venise-1964.php">charte de Venise</a>, texte international sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, stipule que « les éléments destinés à remplacer les parties manquantes doivent s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales », et que les adjonctions ne peuvent être tolérées que dans le respect de l’édifice et de ses relations avec le milieu environnant.</p>
<h2>Dimension intangible</h2>
<p>On prit alors la mesure de ce que ce monument parisien appartient à bien d’autres qu’à Paris ou à la France : il est la propriété de tous. Victor Hugo, l’auteur magnifique de <em>Notre-Dame de Paris</em>, l’avait-il d’ailleurs écrit dans un <a href="http://www.quandletigrelit.fr/images/Victor-Hugo-Litterature-et-Philosophie-melees.pdf">pamphlet de défense du patrimoine</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde. »</p>
</blockquote>
<p>Beaucoup fut aussitôt écrit, avec cette affirmation angélique que « plus rien ne serait comme avant » grâce à la prise de conscience soudaine de ce que représente notre patrimoine. Quelques chiffres à cet égard : l’État dépense en France pour le patrimoine monumental environ <a href="http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/decryptage/les-vrais-chiffres-du-budget-consacre-a-notre-patrimoine-par-l-etat-20190420">320 millions d’euros</a> chaque année. Le loto du patrimoine, lancé l’automne dernier, aura rapporté <a href="https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/le-loto-du-patrimoine-rapportera-au-moins-20-millions-d-euros-selon-stephane-bern-1101493.html">20 à 30 millions d’euros</a>. Pour Notre-Dame, en à peine quelques jours, près de <a href="https://www.bfmtv.com/economie/dons-pour-notre-dame-la-barre-du-milliard-d-euros-sera-depassee-aujourd-hui-1674822.html">1 milliard d’euros</a> furent collectés grâce à un mix de dons et d’avantages fiscaux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270688/original/file-20190424-19276-qcez2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270688/original/file-20190424-19276-qcez2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270688/original/file-20190424-19276-qcez2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270688/original/file-20190424-19276-qcez2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270688/original/file-20190424-19276-qcez2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=694&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270688/original/file-20190424-19276-qcez2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=694&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270688/original/file-20190424-19276-qcez2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=694&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Deux jours après l’incendie, les promesses de dons ont atteint la barre du milliard d’euros.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Boris Stroujko/Shutterstock</span></span>
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<p>Il semble intéressant d’observer que la force des émotions collectives relevait de ce que la valeur du patrimoine monumental et artistique procède en large partie de sa dimension intangible. En d’autres termes, si Notre-Dame est un monument à l’indéniable beauté, un lieu de culte et de célébration, elle est aussi un condensé d’histoire, un objet de littérature, un référent culturel. Sa valeur esthétique, historique, religieuse, justifie le classement au titre des monuments historiques (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000315319">loi de 1913</a>), et sa « valeur universelle » fonde son appartenance au <a href="http://whc.unesco.org/fr/list/&order=country#alphaF">patrimoine de l’humanité</a>. La cathédrale tire un trait d’union entre le paysage monumental et le paysage intellectuel de la nation, entre le monument et son immatérialité, entre le religieux et le païen, entre la France et le reste du monde : elle est un bien commun et un bien global.</p>
<p>La cathédrale n’a pas de prix, mais elle a un impact économique : on vient admirer Notre-Dame, et au sein d’un séjour touristique parisien en moyenne assez court, le touriste lui accorde un temps non négligeable. Le monument crée ainsi une externalité qui profite à l’industrie touristique, mais qui a son revers, à travers la hausse des prix des cafés, restaurants et boutiques alentour, et les effets de gentrification du centre de la ville : on a pu mesurer le fait que l’existence de monuments historiques n’est pas neutre sur la valeur des immeubles alentour. Toute une <a href="https://www.researchgate.net/publication/275187682_Price_Effects_of_Landfills_on_Different_House_Value_Strata">littérature économique</a> s’est d’ailleurs penchée sur la question.</p>
<h2>Valoriser la dimension immatérielle</h2>
<p>Qui doit alors payer pour la restauration des cathédrales ? Si l’on s’en tient à l’analyse économique, quatre catégories d’acteurs peuvent être sollicitées, l’État, les visiteurs, les bénéficiaires des externalités produites par le monument, les donateurs. Le juste équilibre entre ces quatre catégories de ressources est aujourd’hui loin d’être acquis.</p>
<p>Commençons par l’État. Les cathédrales – ou du moins leurs façades – sont des biens publics, dont la vue par les uns ne gêne guère celle des autres, et pour lesquels il est difficile de réclamer un tarif. Elles appartiennent de surcroît à l’État aux termes de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749">loi de séparation</a> de l’Église et de l’État. L’État doit donc prendre sa part de l’effort financier nécessaire à la conservation du lieu.</p>
<p>Que dire des visiteurs ? Le débat sur la tarification de l’entrée (en dehors des moments consacrés au culte) fut ouvert mais <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Faire-payer-lentree-cathedrales-reponse-Mgr-Jacques-Habert-2017-11-13-1200891665">rapidement refermé</a>. Les exemples sont pourtant nombreux où cela se fait, comme à l’abbaye de Westminster, à Saint-Pierre de Rome, ou encore à Séville. Il est vrai que cela impliquerait une révision de la loi de 1905 qui stipule que la visite des édifices ne peut donner lieu à une redevance.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270689/original/file-20190424-19269-vsrn3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270689/original/file-20190424-19269-vsrn3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270689/original/file-20190424-19269-vsrn3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270689/original/file-20190424-19269-vsrn3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270689/original/file-20190424-19269-vsrn3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270689/original/file-20190424-19269-vsrn3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270689/original/file-20190424-19269-vsrn3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La piste d’une hausse des tarifs à l’entrée de la cathédrale a été rapidement écartée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MarKord/Shutterstock</span></span>
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<p>Faut-il alors se tourner vers les bénéficiaires des externalités ? Un <a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000512.pdf">rapport</a> du Conseil d’analyse économique (CAE) a proposé d’internaliser ces externalités via une très faible hausse de la taxe de séjour dont le produit reviendrait au patrimoine. La proposition est simple, fondée économiquement, et typique d’un mode d’imposition efficace : une base très large (les nuitées dans les hôtels) et un taux très faible. La proposition fut étudiée, puis mise de côté.</p>
<p>Restent enfin les donateurs ; ils ne donnent en vérité que la partie du don qui n’est pas assortie de défiscalisation. Sans cela, ils reprennent par le biais de déductions fiscales environ les deux tiers des sommes qu’ils ont « offertes » (la déduction doit être portée à 75 % pour les dons inférieurs à 1 000 euros).</p>
<p>Peut-on valoriser la dimension immatérielle du monument ? Sa valeur peut être assimilée à celle de la marque : c’est ainsi que la marque « Château de Chambord » a pu <a href="https://www.chambord.org/fr/les-produits-chambord/marque-chateau-de-chambord/">être déposée</a> en 2011 et se retrouver sur un certain nombre de produits dérivés, ou que le Louvre a loué sa marque pour 30 années au Louvre Abu Dhabi pour la somme de <a href="https://www.franceculture.fr/societe/le-louvre-a-abu-dhabi-a-quel-prix">400 millions d’euros</a>. Mais l’on imagine mal se lancer dans cette aventure dans le cas d’une cathédrale… </p>
<p>On est alors confronté à une sorte d’impasse économique : l’immense valeur immatérielle du patrimoine conduit à considérer qu’il n’a ni prix ni valeur marchande ; mais il a un coût, engendre des revenus, affecte la valeur d’autres biens et services, et peut constituer le socle d’une valorisation à travers le droit des marques. Pour Notre-Dame, la somme totale des dons qui auront été versés est-elle une approximation de la valeur du monument ? Elle aura simplement exprimé la valeur d’émotion et de communication que l’incendie de ce monument phare aura créée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115926/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Françoise Benhamou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Pour comprendre l’afflux de dons pour la reconstruction de Notre-Dame, il faut se référer à la dimension immatérielle du capital que représente le monument.
Françoise Benhamou, Professeur d'économie, , Université Sorbonne Paris Nord
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