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politiques publiques – The Conversation
2024-03-14T18:54:29Z
tag:theconversation.com,2011:article/221195
2024-03-14T18:54:29Z
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Marseille : l'État a-t-il vraiment abandonné les cités ?
<p><em>Comment vit-on dans la cité Félix-Pyat, situé dans l'un des arrondissements les plus pauvres de Marseille ? Les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen y ont passé sept mois en immersion, entre 2021 et 2023. Ils expliquent que bien que de nombreuses familles soient soutenues financièrement par l'État, elles se sentent pourtant abandonnées sur le volet sécuritaire.</em></p>
<hr>
<p>Il est courant de lire dans les médias que les cités de Marseille ont été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/01/a-marseille-le-trafic-de-drogue-prospere-sur-l-abandon-de-la-ville_6093031_3232.html">« abandonnées »</a> par l’État français. C’est une expression qui revenait aussi souvent dans nos conversations avec les habitants de Félix-Pyat, comme Selim, pour qui « le plus gros problème de Félix-Pyat, c’est l’abandon ».</p>
<p>Il faisait ici référence à l’apparente incapacité de l’État à résoudre les problèmes de la cité :</p>
<blockquote>
<p>« la violence, le trafic, la saleté, l’insalubrité, la criminalité, la pauvreté, les risques sanitaires… »</p>
</blockquote>
<p>Quand on parcourt le quartier, il peut en effet apparaître abandonné. Le trafic est une présence très visible, et génère de nombreuses insécurités pour les habitants de la cité, comme nous l’avons décrit dans un <a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-2-4-des-trafics-pas-si-juteux-des-morts-complexes-220893">article précédent</a>. Les rues sont pleines d’ordures non ramassées, et de nombreux bâtiments sont aussi visiblement en mauvais état.</p>
<p>Cette insalubrité a de multiples effets nuisibles sur les habitants, comme nous avons pu le constater en discutant avec Mounia, une habitante du bâtiment B, au lendemain d’un incendie dans l’immeuble :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai commencé à sentir la fumée, j’ai attrapé mes enfants et je suis sortie en courant. »</p>
</blockquote>
<p>Heureusement, le feu a été rapidement maîtrisé, mais elle nous a raconté que ses enfants avaient refusé de revenir tout de suite dans l’appartement, car ils avaient « trop peur », et elle était inquiète pour leur santé mentale sur le long terme. « Ce n’est pas la première fois », elle nous a dit, exaspérée, se plaignant du bailleur social gestionnaire du bâtiment, Marseille Habitat :</p>
<blockquote>
<p>« Ils ne réparent jamais rien, tout s’empire, il y a déjà eu des morts à cause des feux, il y en aura d’autres, c’est garanti… »</p>
</blockquote>
<h2>Un État-providence très présent</h2>
<p>Pourtant, au-delà de l’état des bâtiments, nous avons constaté que l’État est bel et bien présent dans la cité. En témoigne par exemple cette conversation avec la directrice d’une association locale implantée dans la cité Félix-Pyat. En lui faisant part de notre recensement statistique qui montrait que 54 % des ménages de la cité dépendaient de l’assistance sociale, elle nous a expliqué pourquoi cela était particulièrement significatif.</p>
<p>Pour ce faire, elle nous a dessiné un croquis illustrant comment les vies des habitants de la cité étaient intrinsèquement liées aux institutions sociales : la Sécurité sociale, la CAF, les programmes de développement professionnel de Pôle emploi, les bailleurs de logement social, les services de santé, etc. Et de souligner les difficultés des familles du quartier à naviguer dans les méandres de la bureaucratie de l’État-providence français.</p>
<p>Les procédures d’accès à ces services publics demeurent également souvent absconses pour bien des usagers, et la <a href="https://theconversation.com/la-numerisation-des-administrations-produit-tensions-et-exclusion-207049">numérisation</a> progressive des services sociaux ajoute aux difficultés. Peu d’habitants ont accès à des supports informatiques autres que leurs téléphones, et beaucoup – surtout au dessus d’un certain âge – ne sont pas à l’aise avec cet outil. De fait, la crainte d’être privé d’une prestation – de la CAF, du chômage, du RSA – soit par méconnaissance ou parce qu’on pourrait commettre une erreur de procédure en demandant une prestation, est très répandue à Félix-Pyat.</p>
<p>Plus encore, tout engagement avec l’administration française se double d’une paranoïa tangible, et une grande partie du travail des associations locales dans la cité Félix-Pyat repose sur de « l’accompagnement ». Il s’agit d’aider les habitants de la cité avec leurs demandes et la préparation de leurs dossiers – également souvent en raison de problèmes de langue pour les non-francophones – et d’éviter des sanctions qui sont vécues comme une menace constante et souvent arbitraire.</p>
<h2>Un État bifurqué ?</h2>
<p>Cette omniprésence – que l’on peut de plus qualifier d’oppressive – de l’État-providence dans la vie intime des habitants de Félix-Pyat s’accorde a priori mal avec l’idée que la cité a été « abandonnée ». Mais ce paradoxe peut en partie s’expliquer par l’existence d’une forme de cloisonnement dans les modes d’intervention de l’État français vis-à-vis de lieux comme Félix-Pyat. D’un côté, il y a le social, de l’autre, le sécuritaire.</p>
<p>En parcourant des documents relatifs à la politique de la ville à Marseille, nous avons ainsi constaté que ces derniers sont dépourvus de références aux questions de criminalité et de délinquance. Les mots « crime », « délinquance », « sécurité » ou « insécurité » sont même complètement absents des textes que nous avons consultés, qui se focalisent plutôt sur des thèmes tels que le « service au public », la « transition écologique », le « soutien aux associations », le « logement et cadre de vie », le « développement économique », « l’inclusion sociale », « l’éducation », ou bien « l’emploi et insertion professionnelle », entre autres.</p>
<p>Cela peut sembler à première vue très étrange compte tenu de l’importance des questions sécuritaires dans les discours officiels concernant les cités de Marseille (et d’ailleurs). Mais il existe en fait un phénomène que nous pourrions qualifier de « bifurcation » entre l’action sociale et l’action sécuritaire de l’État français, comme nous l’a expliqué une personne chargée des questions de politique de la ville associée à la Préfecture de Marseille :</p>
<blockquote>
<p>« Les questions de sécurité, ça a un côté très régalien. C’est la police nationale qui… [s’]en charge… [N]ous, au niveau de la politique de la ville ou des compétences exercée par les collectivités territoriales, on n’a pas ce volet sécurité… enfin, ce n’est pas un objectif… [Nous] on va être… sur le volet social ».</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, lors d’un entretien avec un policier du III<sup>e</sup> arrondissement, il nous a clairement affirmé que la police estimait également que la sécurité n’avait rien à voir avec les questions sociales : « la police ne fait pas du social ».</p>
<p>Dans de nombreux autres contextes à travers le monde, une telle séparation des domaines d’intervention n’existe pas. La police travaille en étroite collaboration avec les systèmes de protection sociale, par exemple par le biais d’initiatives de police de proximité. Au <a href="https://academic.oup.com/bjc/advance-article-abstract/doi/10.1093/bjc/azad025/7208975">Danemark</a>, par exemple, l’unité de police chargée de promouvoir la sortie d’individus des gangs vise à développer des relations personnelles avec des membres de gangs, travaillant en tandem avec les travailleurs sociaux.</p>
<p>En France, depuis 2003, ce genre d’initiative a été <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-6-page-1147.htm">abandonnée</a>, et remplacée par une <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-469.htm?ref=doi&contenu=article">forme très différente de maintien de l’ordre</a>. Cette dernière n’est plus basée sur le développement d’un rapprochement avec les communautés locales, mais plutôt sur une stratégie qui vise à les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-force-de-l-ordre-didier-fassin/9782021050837">contrôler</a> à travers <a href="https://www.cairn.info/bavures-policieres--270713502X.htm?contenu=presentation">l’emploi régulier de la force</a>.</p>
<h2>Une incertitude généralisée</h2>
<p>Cette approche policière est particulièrement bien incarnée par les multiples interventions – ou « descentes » – qui sont effectuées à Félix-Pyat par toute une pléthore de différents types de police – CRS, police municipale, police nationale – que nous avons nous-mêmes constatés plusieurs fois par semaine.</p>
<p>Même si ces interventions n’aboutissent que très rarement à des arrestations – qui se font généralement uniquement sur la base d’informations précises – elles suscitent une inquiétude généralisée au sein de la cité, car elles sont perçues comme imprévisibles et arbitraires.</p>
<p>Cette dynamique sécuritaire particulière s’inscrit dans le courant de la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/29/a-marseille-une-nouvelle-strategie-du-pilonnage-face-au-trafic-de-drogue_6074811_3224.html">« stratégie de pilonnage »</a> annoncée en 2021 par Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur français, pour lutter contre le trafic de drogue, mais elle peut aussi être reliée au discours politique plus large du besoin d’une <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1384207024481705995">« reconquête républicaine »</a> que le président de la République Emmanuel Macron a lancée en 2018.</p>
<p>Celui-ci identifie un certain nombre de zones urbaines en France – dont Félix-Pyat – comme des <a href="https://www.fayard.fr/livre/les-territoires-perdus-de-la-republique-9782842058241/">« territoires perdus de la République »</a>, où séviraient des attitudes et des pratiques criminelles, anti-républicaines, et anti-françaises, un discours qui peut clairement servir à légitimer la mise en œuvre toujours plus intense de nouvelles formes de maintien de l’ordre répressives afin de les « reconquérir ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I4Fr6xokozw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Athéna, de Romain Gavras, 2023, YouTube.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un abandon de l’éthos républicain français</h2>
<p>La représentation symboliquement très violente des <a href="https://www.cairn.info/la-france-a-peur--9782707165039.htm">cités comme des lieux intrinsèquement problématiques</a> qu’il faut « reconquérir », est de fait facilitée par cette bifurcation entre l’action sociale et l’action sécuritaire de l’État français. C’est cette dernière qui permet d’ignorer le fait que socialement, la vie quotidienne dans les cités est fondamentalement régie par l’État, et de mettre en avant l’idée que les cités ont besoin d’être « reconquises » par l’État.</p>
<p>Plusieurs de nos interlocuteurs étatiques – tant sociaux que sécuritaires – ont d’ailleurs explicitement justifié leurs modes d’intervention souvent très verticaux en argumentant que les habitants des cités les avaient « abandonnés », et que les consulter ne servait à rien. Pour les habitants de cités telles Félix-Pyat, par contre, ces stratégies de « reconquête » sont clairement perçues comme un abandon de la promesse de l’éthos républicain français d’inclusion et d’égalité.</p>
<p>Une habitante de la cité, que nous appellerons Noémie, nous a par exemple livré avec force sa conviction lors d’un entretien à propos de la violence policière dans la cité : « la police, c’est censé être des gardiens de la paix ». Sélim, pour sa part, nous a dit : « la police vient quand on ne les veut pas et ne vient jamais quand on les appelle… ».</p>
<p>En d’autres termes, les habitants de la cité ne se perçoivent plus comme vivant au sein d’espaces bénéficiant des règles et des principes d’un état de droit s’appliquant de manière égalitaire et universellement, mais plutôt dans des <a href="https://shs.hal.science/halshs-01151204v1/document">« espaces d’exception »</a>, au sein desquels ils sont confrontés à une politique sécuritaire répressive et un État-providence oppressif, dont les actions sont mises en œuvre de manière différenciée, inconstante, et arbitrairement. C’est cela qui constitue la forme « d’abandon » la plus importante affectant les cités telles que Félix-Pyat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>
Comment vit-on dans la cité Félix-Pyat à Marseille, l'un des quartiers les plus pauvres de France ? Bien que de nombreuses familles soient soutenues financièrement par l'État, elles se sentent pourtant abandonnées sur le volet sécuritaire.
Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/219756
2023-12-18T18:58:42Z
2023-12-18T18:58:42Z
Smart city ? La technologie ne fait pas tout !
<p>Depuis 15 ans, l’<a href="https://theconversation.com/topics/politiques-publiques-54327">action publique locale</a> a été profondément impactée par l’essor des technologies numériques : déploiement de la fibre optique (<a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/infrastructures-numeriques-amenagement-territoire-impacts-economiques-sociaux-plan">Plan France très haut débit</a>), dématérialisation des procédures administratives (<a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/action-publique-2022-pour-transformation-service-public">programme Action publique 2022</a>), ouverture des données (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000031589829/">loi pour une République numérique</a>), utilisation du numérique comme <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2022-2-page-9.htm">levier de gestion de l’austérité budgétaire</a>, etc.</p>
<p>De manière plus générale, la société et l’économie se sont également fondamentalement transformées sous l’influence du numérique. La première est entrée dans l’ère de la <a href="https://www.cairn.info/culture-numerique--9782724623659.htm">culture numérique</a>, tandis que la seconde reste marquée par le succès des plates-formes et la systématisation de l’exploitation des données, conduisant certains auteurs à alerter sur les risques du <a href="https://www.zulma.fr/wp-content/uploads/2022-01-Capitalisme-de-surveillance-Za.pdf">« capitalisme de surveillance »</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, les acteurs publics locaux français ont notamment réagi en s’emparant du concept d’origine anglo-saxonne de <a href="https://theconversation.com/topics/villes-intelligentes-27675"><em>smart city</em></a> et en le déclinant sous forme de politiques du même nom, ou le plus souvent en le traduisant sous l’appellation « <a href="https://theconversation.com/topics/villes-23233">villes</a> et territoires intelligents ».</p>
<p>Cette dynamique a alors fait l’objet d’une attention particulière de l’État au regard des enjeux économiques et de souveraineté numérique. Trois rapports ont ainsi été publiés en <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9140-rapport-de-m-luc-belot-sur-les-smart-cities">2017</a>, <a href="https://univ-tlse2.hal.science/hal-02053591">2018</a> et <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/fr/etudes-et-statistiques/dossiers-de-la-dge/de-la-smart-city-la-realite-des-territoires-connectes">2021</a>. 200 projets de ce type y ont été recensés en 2021. Depuis, la dynamique s’est renforcée avec le lancement de l’appel à projets Territoires intelligents et durables en 2022. Une <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/la-communaute-des-territoires-connectes-se-met-en-place-sous-legide-de-la-banque-des-territoires">communauté des territoires connectés</a> est également en cours de mise en place sous l’égide la Banque des territoires.</p>
<p>La compréhension des modalités de mise en œuvre de ce type de politiques et des conditions de leur réussite semble donc plus que jamais nécessaire. C’est l’objet de deux <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-management-public-2021-3-page-235.htm">publications</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2023-4-page-9.htm">récentes</a>, nourries d’observations empiriques issues de trois études de cas français : le projet <a href="https://www.angersloiremetropole.fr/un-territoire-en-mouvement/territoire-intelligent/index.html">« Angers Territoire intelligent »</a> conduit depuis 2018 par Angers Loire-Métropole, la politique « ville des intelligences » engagée par la <a href="https://www.smartcitymag.fr/article/719/mulhouse-se-reinvente-avec-ses-habitants">Ville de Mulhouse</a> et la stratégie <em>smart city</em> pilotée par la <a href="https://www.calameo.com/ville2biarritz/read/0012420115e97adcc08e2">Ville de Biarritz</a>. Nous identifions dans ces travaux deux grands facteurs clés de succès pour expliquer la réussite de ces démarches innovantes.</p>
<h2>Se centrer sur les usages</h2>
<p>Nous avons d’abord observé l’importance de penser la <em>smart city</em> sous forme de politiques publiques mobilisant de manière cohérente et organisée les technologies numériques et les données massives au service d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2023-3-page-22.htm?ref=doi">ambition de création de valeur publique</a> multidimensionnelle, mise en œuvre par des acteurs internes et/ou externes, avec des financements publics et/ou publics-privés.</p>
<p>Cette ambition, au sens d’une réponse aux attentes des citoyens sous forme de <a href="https://www.ctg.albany.edu/media/pubs/pdfs/dgo2011_opengov.pdf">résultats tangibles</a> et de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1467-8500.2007.00545.x">processus générateurs de confiance ou d’équité</a> peut être pensée à deux niveaux. De manière globale, il est possible d’identifier une thématique dominante, à l’instar de la qualité de vie et de la transition écologique pour Angers Loire-Métropole, de la ville du quart d’heure pour Mulhouse, et du renouvellement des relations de proximité pour Biarritz.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1541722342228910080"}"></div></p>
<p>Au niveau des actions et des outils ensuite, l’enjeu est de n’engager des déploiements qu’après avoir travaillé sur les cas d’usage et en créant les conditions pour établir un bilan création/destruction de valeur publique. Compte tenu du potentiel des technologies numériques, les cas d’usages apparaissent très diversifiés. On peut toutefois distinguer trois grandes catégories.</p>
<p>D’abord, les projets d’optimisation des infrastructures par les technologies numériques orientés vers la préservation des ressources naturelles (eau et assainissement, arrosage des espaces verts, éclairage public). Ensuite, les outils facilitant l’aide à la décision, l’information et la concertation des habitants.</p>
<p>Angers Loire-Métropole utilise ainsi un <a href="https://www.geodatadays.fr/_medias/afigeo/files/GDD_2022/Supports_ppt/3D_Jumeaux_numeriques/4-GDD22-ANGERSLOIREMETROPOLE-JUTEAU.pdf">jumeau numérique de territoire</a> pour améliorer la planification urbaine sur deux thématiques : les îlots de chaleur urbains et la prévention du risque d’inondation. Mulhouse travaille sur un outil aux fonctionnalités similaires, en l’enrichissant de l’ambition d’en faire une <a href="https://www.mulhouse.fr/wp-content/uploads/2023/01/CP-Le-jumeau-numerique-un-dispositif-innovant-pour-concevoir-le-futur-quartier-DMC.pdf">plate-forme collaborative urbaine</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1199987568365985792"}"></div></p>
<p>Enfin, le renouvellement des relations de proximité motive le déploiement d’applications interactives dans lesquelles les habitants peuvent signaler des dysfonctionnements, suivre l’avancée de leurs demandes, recevoir des informations personnalisées, participer à des consultations ciblées, etc. L’objectif est alors de renforcer le niveau de satisfaction et de confiance des utilisateurs dans les acteurs publics. Dans les trois cas, les impacts sur les organisations sont importants, impliquant de travailler sur les modalités de gouvernance de ces politiques publiques.</p>
<h2>Développer une gouvernance proactive et ouverte</h2>
<p>Nos recherches ont ainsi permis de mettre en évidence l’importance, mais aussi la difficulté, de conduire les politiques de villes et de territoires intelligents dans une approche équilibrée entre <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-management-public-2021-3.htm">gouvernance « proactive » et gouvernance « ouverte »</a>.</p>
<p>Dans les trois collectivités étudiées, nous constatons en effet l’intérêt d’un leadership politique et administratif fort, c’est-à-dire d’un engagement constant des maires et/ou de leurs adjoints et des directions générales. Les instances réglementaires des collectivités restent un point de passage important, mais le pilotage opérationnel se fait au travers d’une « comitologie » spécifique, orientée vers l’agilité et la réactivité.</p>
<p>À Biarritz, Angers ou Mulhouse, nous constatons également la mise en œuvre de pratiques de gouvernance ouverte. La dynamique est d’abord interne, en direction des services et des agents. La transversalité est essentielle. L’ouverture est ensuite à destination des acteurs du territoire, qu’il s’agisse des autres acteurs publics, des opérateurs économiques, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, ou des citoyens. Sur ce dernier point, le <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2019-02/Guide%20des%20outils%20num%C3%A9riques%20pour%20la%20participation%20citoyenne%20dans%20les%20collectivit%C3%A9s%20territoriales.pdf">potentiel de co-création offert par les technologies numériques</a> reste immense. Dans une ville comme Biarritz, sujette à de très fortes variations saisonnières de sa population, il est par exemple particulièrement intéressant pour développer de nouvelles formes de proximité dans la co-construction de l’action publique.</p>
<p>Toutefois, nos observations convergent sur la difficulté rencontrée par les acteurs publics locaux pour pratiquer de manière simultanée gouvernance proactive et gouvernance ouverte. Les prérequis technologiques et organisationnels à la mutation des propositions de valeur publique et au développement des processus de co-création, conjugués à de fortes tensions sur les ressources, constituent des facteurs limitatifs forts.</p>
<p>La fiabilisation des socles technologiques constitue un chantier souvent chronophage. La tension sur les ressources ne se limite pas aux seules ressources opérationnelles. Elle affecte aussi les responsables politiques et administratifs. La prise en compte de cette dimension est donc essentielle pour réussir à conduire des politiques créatrices de valeur publique.</p>
<h2>Déconstruire ou construire différemment ?</h2>
<p>Dès lors, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-meilleur-des-mondes/ville-de-demain-faut-il-deconstruire-la-smart-city-7191900">« faut-il déconstruire la <em>smart city</em> ? »</a> La question, encore récemment posée par un grand média et sur laquelle la recherche s’interroge, témoigne de l’importance du questionnement sur les finalités de ces politiques publiques, qui ne doivent pas se limiter aux seules dimensions technologiques.</p>
<p>De notre point de vue, l’enjeu est plutôt de poursuivre la construction de politiques publiques de villes et de territoires intelligents, ou plutôt de politiques de villes et de <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/fr/actualites/territoires-connectes-durables-rapport-ministre-delegues-numerique">territoires « connectés »</a>, pour dépasser les limites sémantiques de la traduction en français du mot <em>smart</em> et mieux valoriser les dynamiques d’interconnexion technologique et humaine à l’œuvre. Ces politiques de Territoires connectés doivent alors être assorties d’objectifs ambitieux et multidimensionnels, co-construits avec les parties prenantes des territoires, portées par une gouvernance à la fois proactive et ouverte, et inscrites dans des démarches de co-évaluation de leurs résultats.</p>
<hr>
<p><em>Pierre Marin, fonctionnaire de sécurité des systèmes d’information au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a contribué à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219756/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Carassus, via la chaire OPTIMA, a reçu des financements de la fondation INDARRA pour réaliser une recherche sur les smart cities. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Didier Chabaud est directeur de la Chaire entrepreneuriat Territoire innovation de l'IAE Paris-Sorbonne qui bénéficie de financements d'acteurs publics et privés pour effectuer ses recherches.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascal Frucquet a reçu des financements du fonds de dotation INDARRA, via la chaire OPTIMA, pour réaliser ses recherches sur la Smart City.</span></em></p>
Deux études récentes relèvent l’importance de la gouvernance et de la prise en compte des attentes des habitants dans les politiques de Smart City ou de Territoires connectés.
David Carassus, Professeur en sciences de gestion, IAE Pau-Bayonne
Didier Chabaud, Directeur de la Chaire entrepreneuriat Territoire innovation, Professeur en sciences de gestion - SRM/LAB IAE Paris-Sorbonne, IAE Paris – Sorbonne Business School
Pascal Frucquet, Directeur d'hôpital (Disponibilité) - Doctorant en Sciences de gestion (LIREM, UPPA), IAE Pau-Bayonne
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tag:theconversation.com,2011:article/218458
2023-12-11T20:44:33Z
2023-12-11T20:44:33Z
La parentalité, un levier politique face aux troubles à l’ordre public ?
<p>Suite à la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/29/le-drame-de-nanterre-heure-par-heure-du-controle-routier-de-nahel-m-a-la-marche-blanche-pour-l-adolescent-tue_6179840_3224.html">mort du jeune Nahel</a>, tué par un policier lors d’un contrôle routier en juin 2023, la France a connu de nouveaux épisodes de turbulences urbaines qui ont fait monter la question de l’autorité au sein de la classe politique. Sans être parfaitement unanimes, les discours politiques et médiatiques semblent désigner la <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-apres-la-mort-de-nahel-la-responsabilite-des-parents-mise-en-avant_5924672.html">« parentalité »</a> comme étant impliquée dans ces troubles à l’ordre public tout en jouant un rôle de levier d’action de leur régulation.</p>
<p>L’étude de l’Inspection générale de l’administration (Igas) conduite sur le <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/291024-violences-urbaines-profils-et-motivations-des-delinquants-interpelles">profil des émeutiers</a> à partir des dossiers des 1800 condamnations prononcées a montré que 30 % étaient mineurs et que 40 % d’entre eux étaient âgés de 13 à 15 ans. Le jeune âge des délinquants a dès lors réactivé les discours sur la supposée « démission des parents », et a suscité la production de mesures à même de lutter contre le fléau.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TKvaguN3hmc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Nuits de violence en France : Emmanuel Macron appelle les parents à « la responsabilité » (France 24, juin 2023).</span></figcaption>
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<p>Ainsi, le ministère de la Justice a rappelé que, si les parents ne peuvent pas être poursuivis pénalement pour des faits commis par leurs enfants, ils peuvent en revanche être poursuivis en <a href="https://www.sudouest.fr/justice/emeutes-apres-la-mort-de-nahel-que-risquent-les-parents-des-mineurs-qui-se-revoltent-15773884.php">cas de grave manquement à leurs obligations légales</a>.</p>
<p>Ces parents risqueraient alors deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Nouvelle disposition prévue par la loi suite à ces récents évènements : la création d’une circonstance aggravante « quand le délaissement du jeune a permis la commission de l’infraction » ; cette disposition prévoit ainsi d’alourdir la peine encourue en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043409233">cas de délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales</a>.</p>
<p>À cela s’ajoute un éventail de mesures : « travaux d’intérêt général », « stages de responsabilité parentale », « suppression des allocations familiales », « expulsion de ces familles de leur logement social »… en cas de manquement réputé à l’exercice de l’autorité parentale. Ainsi, de nouveau placé au cœur des débats politiques et médiatiques, cet appel à l’exercice d’une « bonne parentalité » interroge les injonctions dont les parents sont la cible, d’autant que celles-ci visent plus particulièrement les plus modestes d’entre eux.</p>
<h2>Privilégier une approche collective de la question éducative</h2>
<p>Une première précision doit porter sur la notion de « démission parentale » dont on souligne qu’elle ne repose pas sur l’observation de la dimension éducative mais qu’elle se fonde sur l’observation du comportement des enfants, lorsque celui-ci déroge aux attentes des institutions. Par exemple, si l’on se réfère au champ du scolaire, l’échec ou encore l’absentéisme scolaire laissent poindre un doute sur les capacités éducatives des parents, expliquant ces troubles par les manquements de ces derniers.</p>
<p>Lorsque les troubles à l’ordre scolaire ou, pour le cas présent, à l’ordre public concernent des enfants appartenant à des populations stigmatisées du point de vue de leur appartenance sociale, l’affectation du caractère « démissionnaire » fait écho à la dénonciation d’une socialisation réputée défaillante. Dans le cas bien particulier des émeutes urbaines, le fait que ces épisodes surviennent majoritairement la nuit, à une heure où il est admis que les mineurs sont sous le contrôle de leurs parents au sein de l’espace domestique, décuple la suspicion de <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2016-4-page-66.htm">défaillance</a>.</p>
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<p>Mais, une nouvelle fois, il nous semble nécessaire d’insister sur le fait que cette approche de la « démission parentale » fait fi de toute démarche empirique. A contrario, des travaux, conduits notamment en sociologie, <a href="https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_2001_num_63_1_933">prennent du recul face aux théories attribuant aux seuls parents la responsabilité des comportements déviants de leurs enfants</a>. Dans différents champs – les résultats scolaires, l’absentéisme ou la déscolarisation, les actes de délinquance des enfants – ils mettent en évidence des processus où s’entrecroise une diversité de facteurs, relevant notamment de faits sociaux.</p>
<p>Ces éclairages sont précieux tant ils permettent de (re)collectiviser la question éducative, se plaçant à distance d’une approche individualiste de ces phénomènes, basée sur une seule grille d’analyse comportementaliste et psychologisante.</p>
<h2>Une conception hypertrophiée de la capacité d’agir des parents</h2>
<p>Une seconde remarque porte sur la conception hypertrophiée de la capacité d’agir des parents qu’embrassent les pouvoirs publics. La parentalité devient dans un même temps la cible d’un ensemble disparate de politiques relevant à la fois des politiques familiales, des politiques sociales et des politiques de prévention.</p>
<p>Nombreux sont les chercheurs à démontrer d’ailleurs que la gestion publique des risques sociaux s’appréhende de plus en plus en référence aux risques familiaux, et que la <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2016-1-page-95.htm">dénonciation de l’« irresponsabilité parentale »</a> participe d’une tentative de redéfinition du welfare (c’est-à-dire de notre système de redistribution en faveur des populations défavorisées).</p>
<p>Appliquée à la régulation des épisodes de turbulences urbaines, la prévalence de la mobilisation de la catégorie de « parentalité » sur celle de « jeunesse » doit d’abord au fait que celle-ci se situe plus en amont dans le régime de la prévention des risques. Elle incarne aussi une mise en œuvre du paradigme en vogue de la responsabilisation des personnes. Au principe de la solidarité d’une société envers ses membres se substitue celui d’une responsabilité des personnes vis-à-vis de la société.</p>
<p>À ce principe de responsabilisation collective des parents se greffe au niveau des personnes un autre mouvement de responsabilisation tenu, lui, par une approche capacitaire des parents. Pour le dire autrement, le développement de la parentalité sous le joug des « compétences parentales » résonne avec l’impératif de développement de soi décuplé ces vingt dernières années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guides-sur-la-parentalite-une-infinie-course-au-bien-etre-142441">Guides sur la parentalité : une infinie course au bien-être ?</a>
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<p>Ces préconisations sont d’une part indexées aux styles éducatifs des parents appartenant aux couches moyennes et supérieures de la population et revêtent une dimension normative obligeante. D’autre part elles présument d’une approche hypertrophiée de leur possibilité d’agir tant qu’elles ne s’adossent pas à un examen minutieux des conditions de possibilité d’exercice de la parentalité.</p>
<h2>Les risques de stigmatisation des familles</h2>
<p>Enfin, la norme de pénalisation des parents en cas d’infraction de la part de leurs enfants fait cécité sur ce que l’on désigne par les termes de « condition parentale ».</p>
<p>Depuis les années 1960, les changements démographiques en ce qui concerne la fécondité, la nuptialité, ou encore le divorce ont considérablement fait évoluer la « condition parentale », c’est-à-dire l’ensemble des « conditions dans lesquelles les parents exercent leur rôle ».</p>
<p>Concernant la « condition parentale » des parents d’enfants émeutiers, celle-ci apparaît particulièrement marquée par la monoparentalité, si l’on considère que 60 % des émeutiers vivent dans des foyers monoparentaux caractérisés par l’absence des pères. Celle-ci conjuguerait donc solitude éducative, précarité relationnelle, vulnérabilité sociale, et compose sur un plan matériel avec des conditions d’habitat dégradées et un climat d’insécurité. Les craintes de stigmatisation de ces familles sont multiples.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/v2swqTcMZkU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Qui sont les familles monoparentales ? (France Culture, 2020)</span></figcaption>
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<p>D’abord, l’imputation à la monoparentalité de ces mouvements de turbulence urbaine renoue avec des discours particulièrement stigmatisants. Les familles monoparentales se sont vues accusées d’être la cause des désordres sociaux et de produire des enfants sans repères et incapables de s’intégrer à la société au cours d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-dialogue-2011-4-page-45.htm">histoire longue débutée au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle</a>.</p>
<p>Ces analyses doivent au préjugé selon lequel le parent seul serait moins capable d’élever correctement et de contrôler son enfant que la famille stable d’apparence unie. Si la théorie psychanalytique postule les conséquences catastrophiques de l’absence de père, il n’existe pas, à notre connaissance, d’études longitudinales permettant de tester pleinement cette hypothèse.</p>
<p>De plus, cette lecture s’appuie sur un fait sociologique tu : « les <a href="https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_2001_num_63_1_933">familles dissociées et les jeunes délinquants se rencontrent principalement dans les mêmes milieux défavorisés</a>, dès lors leur liaison apparente est massivement un effet du contexte socio-économique ».</p>
<p>Enfin, au niveau des personnes, comment ne pas craindre que ces discours et les mesures de pénalisation de la parentalité engagées ne participent à disqualifier des mères, dont pour une part d’entre elles la parentalité constitue leur unique rôle social ? Comment ne pas entériner la fabrique d’une « parentalité déviante » ?</p>
<p>La condition parentale gagne au contraire à être éclairée au prisme d’un angle intersectionnel, c’est-à-dire croisant les rapports de domination de genre et de classe sociale notamment. Elle doit aussi être appréhendée dans une perspective de parcours de vie pour mieux <a href="https://www.centre-max-weber.fr/Les-familles-monoparentales-Conditions-de-vie-vecu-et-action-publique-Un-etat">prendre en compte la trajectoire de ces familles</a>, et ainsi penser ce qui caractérise le lien de filiation, de parentalité, et la « circulation des enfants ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218458/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jessica Pothet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les appels à l’exercice d’une « bonne parentalité » marquent un tournant de l’action publique et posent question dans la mesure où ils visent plus particulièrement les familles les plus modestes.
Jessica Pothet, Maîtresse de conférences en sociologie (Université Lyon-1), chercheuse au laboratoire Max Weber, Université Lumière Lyon 2
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tag:theconversation.com,2011:article/217645
2023-12-01T14:17:39Z
2023-12-01T14:17:39Z
COP28 : la crise climatique est aussi un enjeu de santé publique
<p>Le sommet sur les changements climatiques (COP28) a débuté jeudi dernier aux Émirats arabes unis et se poursuit jusqu’au 12 décembre. Avant même son lancement, ce sommet a fait l’objet de nombreuses critiques. Pourquoi ? Notamment parce que <a href="https://www.ledevoir.com/environnement/802652/environnement-elephant-petrolier-salle-cop28">son organisation a été confiée à un PDG d’une compagnie pétrolière</a>. </p>
<p>Néanmoins, le calendrier dévoilé nous donne plusieurs raisons d’entrevoir une lueur d’espoir. L’une d’entre elles provient du fait qu’une journée (le 3 décembre) sera consacrée à des discussions quant aux effets des changements climatiques sur la santé. Une première mondiale. </p>
<p>Mais pourquoi devrions-nous donc nous intéresser à la dimension santé du problème ? </p>
<p>Doctorante en science politique à l’Université de Montréal, mes travaux portent sur la construction sociale des problèmes publics. Je m’intéresse notamment aux effets de cadrage de la crise climatique et leur rôle dans l’apport de changements de politique publique.</p>
<h2>Quels effets sur notre santé ?</h2>
<p>Si les liens entre santé et environnement ne sont pas nouveaux, les liens entre santé et changements climatiques relèvent quant à eux d’un phénomène plus récent. </p>
<p>Dans les années 80, on parlait déjà de supposés <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1524-4725.1988.tb03589.x">problèmes dermatologiques causés par le trou dans la couche d’ozone</a>. </p>
<p>Le lien avec les changements climatiques s’est toutefois fait plus tard, à la fin des années 2010. C’est à ce moment que le prestigieux journal médical <em>The Lancet</em> a publié un <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(09)60935-1/fulltext">rapport</a> indiquant que le réchauffement climatique constituait « la plus grande menace sanitaire mondiale du XXI<sup>e</sup> siècle ».</p>
<p>D’après ce même rapport, on souligne que le réchauffement climatique entraîne une intensification et une multiplication des évènements météorologiques extrêmes, lesquels peuvent être en retour dangereux pour notre santé. </p>
<p>Les inondations peuvent entraîner l’apparition de maladies transmises par l’eau, telles que le choléra ou la malaria. </p>
<p>Les sécheresses, en réduisant la productivité agricole, mènent quant à elles à de graves cas de malnutrition et de déshydratation. </p>
<p>Les vagues de chaleur ainsi que les feux de forêt endommagent notre système cardiorespiratoire et entraînent un ralentissement du rythme de travail ainsi que de la pratique de loisirs en extérieur. </p>
<p>Plus généralement, la hausse des températures nous expose davantage à des maladies transmises par des rongeurs ou à transmission vectorielle, comme la maladie de Lyme ou la dengue, car elle permet à certaines espèces animales d’étendre leur zone d’habitat dans des latitudes plus au nord du globe. </p>
<p>Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces risques sont inégalement répartis sur les territoires et peuvent se superposer les uns avec les autres. De telles expériences ont aussi des conséquences sur le plan psychologique, en entraînant notamment l’apparition du syndrome de stress post-traumatique.</p>
<h2>Parler de santé : une opération de communication efficace ?</h2>
<p>Depuis leur apparition sur l’agenda public et politique, les changements climatiques ont été essentiellement définis comme un problème environnemental ou économique. Or, la <a href="https://psycnet.apa.org/record/1982-30300-001">façon dont on cadre un problème détermine souvent les solutions</a> mises sur la table pour y répondre. </p>
<p>Aujourd’hui, on constate que les cadrages dominants montrent des signes d’essoufflement. À ce sujet, le <a href="https://www.ulaval.ca/developpement-durable/actualites/4e-editions-du-barometre-de-laction-climatique">Baromètre de l’action climatique</a> (constats du Groupe de recherche sur la communication marketing climatique de l’Université Laval) indique par exemple qu’un écart persiste entre les intentions de la population québécoise à en faire plus pour la crise climatique et sa prise d’actions concrètes. La mise en place de politiques climatiques efficaces soulève également encore des controverses et l’on constate la <a href="https://www.ouranos.ca/fr/projets-publications/communiquer-et-favoriser-engagement">présence d’une fatigue informationnelle sur l’enjeu</a>.</p>
<p>Plusieurs études, dont <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12889-023-15105-z">certaines réalisées au Canada</a>, montrent que le cadrage santé pourrait aider à contourner cette problématique. </p>
<p>La population étant déjà familière avec ces risques sanitaires dans d’autres contextes, <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-2458-10-299">elle se sentirait plus concernée par la crise climatique</a> que lorsqu’elle est confrontée à une image d’un ours polaire sur une banquise qui fond. </p>
<p>Parler des cobénéfices santé – comme celui de prendre le vélo pour aller travailler parce que c’est bon pour la santé et la planète – permettrait aussi un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10584-012-0513-6">discours plus optimiste</a>. </p>
<p>De plus, des experts montrent que le cadrage santé rejoint une plus grande proportion de la population, <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-2458-10-299">y compris les personnes considérées comme climatosceptiques</a>. </p>
<h2>Quels objectifs santé à la COP28 ?</h2>
<p>D’une part, les discussions du 3 décembre auront pour but d’élaborer des stratégies de financement pour décarboniser les systèmes de santé à travers le monde. À titre d’exemple, un <a href="https://aspq.org/app/uploads/2023/11/dunsky_decarbonation-sante_rapport_21-novembre-2023.pdf">récent rapport de l’Association pour la Santé publique du Québec</a> indique que le réseau de la santé est responsable de 3,6 % des émissions de gaz à effet de serre de la province (en particulier en raison du chauffage de l’air et de l’eau chaude sanitaire, de l’usage de gaz médicaux, mais aussi des transports de patients par ambulances, navettes et avions). On nous dit qu’il faudrait investir près de 3,8 milliards de dollars d’ici 2040 pour atteindre l’objectif zéro-émission dans le secteur. De ce fait, il existe une réelle nécessité de rendre les systèmes de santé moins énergivores. </p>
<p>D’autre part, on peut s’attendre à ce que les acteurs présents à la COP28 insistent pour une plus grande reconnaissance des effets des changements climatiques sur la santé afin que ceux-ci soient davantage pris en considération dans les plans gouvernementaux d’adaptation et autres initiatives. En 2021, un <a href="https://www.who.int/publications/i/item/9789240038509">sondage de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)</a> montrait que seulement 52 % des pays répondants possédaient un plan d’adaptation en santé et que 25 % étaient en train d’en développer un. </p>
<p>Le Canada, quant à lui, faisait partie des 23 % restants n’ayant aucun plan.</p>
<p>Cependant, il se pourrait bien que le vent soit en train de tourner, tant au niveau national qu’international. </p>
<p>Au pays, le <a href="https://www.canada.ca/en/public-health/corporate/publications/chief-public-health-officer-reports-state-public-health-canada/state-public-health-canada-2022/report.html">rapport 2022 de l’administratrice en chef de la Santé publique du Canada</a> était par exemple dédié aux effets des changements climatiques.</p>
<p>De plus, les <a href="https://natural-resources.canada.ca/simply-science/canadas-record-breaking-wildfires-2023-fiery-wake-call/25303">feux de forêt sans précédent</a> durant l’été 2023 et la toxicité dans l’air qui s’en est suivie, ont possiblement engendré un changement de mentalité.</p>
<p>Dans les dernières années, les <a href="https://www.thelancet.com/countdown-health-climate">rapports du <em>Lancet Countdown</em></a> dénotent une hausse de la visibilité de l’enjeu dans les médias ainsi qu’une présence plus récurrente dans les débats à l’Assemblée générale des Nations unies. </p>
<p>Le fait que la COP28 fasse de la santé une de ses thématiques centrales est, somme toute, un pas dans la bonne direction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217645/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alizée Pillod est affiliée au Centre d'Études et de Recherches Internationales de l'UdeM (CERIUM), au Centre de recherche sur les Politiques et le Développement Social (CPDS) et au Centre pour l'Étude de la citoyenneté démocratique (CECD). Ses recherches sont subventionnées par les Fonds de Recherche du Québec (FRQ). Alizée a aussi obtenu la Bourse départementale de recrutement en politiques publiques (2021) ainsi que la Bourse d'excellence Rosdev (2023). Elle a également été la coordonnatrice pour un projet financé par Ouranos et le MELCCFP sur la communication climatique en contexte pandémique.</span></em></p>
Le 3 décembre, la COP28 aura une journée consacrée aux discussions sur les effets des changements climatiques sur la santé, soit une première mondiale. En quoi est-ce important ? À quoi s’attendre ?
Alizée Pillod, Doctorante en science politique, Université de Montréal
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tag:theconversation.com,2011:article/217950
2023-11-28T17:10:05Z
2023-11-28T17:10:05Z
Mieux comprendre la charge mentale des aidants
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560880/original/file-20231121-17-i905ud.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C13%2C2233%2C1482&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La charge mentale des aidants s'impose dans cette photographie du semainier de Mme B.</span> <span class="attribution"><span class="source">Semainier de Mme B. © Illés Sarkantyu, ADAGP Paris, 2022</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Jour après jour, Mme B., particulièrement investie dans la prise en charge de sa belle-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, consigne des informations sur un agenda. Ces informations portent sur un fait marquant qui a eu lieu dans la journée ou dans la semaine, sur son cheminement émotionnel du moment, ou sur des choses à faire dans un avenir proche.</p>
<p>Cette photographie utilise la technique de surimpression pour représenter l’aperçu de dix semaines (de janvier à juin 2021) qui ont été autorisées à être reproduites par Mme B. Cette photographie constitue également un excellent témoignage pour montrer l’accumulation d’éléments constituant la charge mentale mobilisée chaque jour dans le travail de l’<a href="https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/solutions-pour-les-aidants/trouver-du-soutien/aidant-familial-proche-aidant-quelles-definitions-et-quelles-aides">aidante</a>.</p>
<blockquote>
<p>« La charge mentale est “le fait de devoir penser simultanément à des choses appartenant à deux mondes séparés physiquement”. » (<a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1984_num_26_3_2072">Monique Haicault, 1984</a>)</p>
</blockquote>
<p>Madame B fait partie des 9,3 millions d’<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/93-millions-de-personnes-declarent-apporter-une-aide-reguliere-un">aidants</a> en France qui prennent en charge un ascendant (direct ou indirect), qui taisent leur besoin d’aide et dont la santé se dégrade jour après jour.</p>
<h2>Une recherche en sciences sociales sur les aidants : une vulnérabilité qui ne doit pas se dire ou se montrer</h2>
<p>L’implication de cette aidante dans son travail quotidien a été importante alors qu’elle a eu des tensions par le passé avec sa belle-mère qui lui signifiait sans cesse sa supériorité intellectuelle. Ce document montre combien l’humanité de l’aidante transcende les tensions qui apparaissent dans les relations intrafamiliales.</p>
<p>Aujourd’hui, la malade se trouve dans un établissement médicalisé, Mme B. n’est plus chargée de l’aider comme avant, mais elle n’est pas moins complètement libérée de la charge mentale. Lors de l’<a href="https://www-aidant-alzheimer.univ-ubs.fr/fr/index.html">entretien</a> mené le jour où la photo a été prise, Madame B. nous confie non sans émotion :</p>
<blockquote>
<p>« Où est la limite de l’acceptable ?</p>
<p>La dégradation de la santé d’une malade n’est pas acceptable.</p>
<p>Elle nous a dit en nous tenant le poignet, de mon mari et le mien : ce n’est pas possible qu’il n’y ait pas un moyen de me faire mourir ?</p>
<p>Mais depuis un moment nous ne comprenons plus rien de ce qu’elle nous dit.</p>
<p>Maintenant, on ne sait pas ce qui se passe dans sa tête ; je suis toujours à me dire mais comment on peut la laisser vivre comme ça, elle n’aurait jamais accepté.</p>
<p>Le personnel de santé nous a demandé de ne plus venir aussi régulièrement.</p>
<p>Je ne veux pas vivre ça, ni faire vivre ça. »</p>
</blockquote>
<p>Le caractère personnel, voire intime, de ce document et de ces témoignages rend habituellement difficile son accès aux chercheurs. Seuls les projets de recherche qui s’inscrivent sur le moyen et long terme favorisent un lien, entre chercheur et aidant, qui peut aller au-delà de ce que le projet de recherche prévoyait initialement : invitation personnelle à des événements familiaux marquants, remerciements sincères par de longs mails, messages vocaux emplis d’émotion… et mise à disposition des documents à caractère intime et sensible renvoyant à une forme de vulnérabilité qui ne doit pas se dire ou se montrer. Ce type de documents constitue ainsi du matériau riche, singulier et inédit pour la recherche en sciences humaines.</p>
<p>Par ailleurs, ces documents difficiles à obtenir rendent plus intéressante une confrontation menée entre sciences humaines et art – ici entre des chercheurs et le photographe professionnel <a href="https://sarkantyu.com/">Illés Sarkantyu</a>.</p>
<p>Ce moment capturé apporte le regard subjectif du photographe, qu’il livre au grand public. Cette photographie nous montre combien il est important de décentrer son regard, pour réfléchir ensemble sur la question de la prise en charge et, <em>in fine</em>, pour faire évoluer les politiques publiques dans le domaine de la dépendance et du grand âge.</p>
<p>Cela fait 40 ans que la notion de <em>charge mentale</em> a été introduite par Monique Haicault dans un article de sociologie <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1984_num_26_3_2072">« La gestion ordinaire de la vie en deux »</a>. Cette notion s’est installée dans l’espace public plus récemment, par exemple en 2021 avec l’<a href="https://www.editions-larousse.fr/livre/la-charge-mentale-des-femmes-9782035947864">ouvrage</a> d’Aurélia Schneider, psychiatre, spécialisée en psychiatries comportementales et cognitives, mais surtout avec la bande dessinée de l’autrice Emma <a href="https://massot.com/collections/un-autre-regard-2/">« Fallait demander »</a> diffusée au départ sur Internet.</p>
<p>Cependant, on constate que la charge mentale n’est pas encore scientifiquement mesurée et quantifiée dans le domaine de l’aide à la prise en charge du malade d’Alzheimer. Elle n’est pas non plus étudiée en la croisant avec d’autres variables : épuisement, stress, accès ou non aux dispositifs d’aides proposés par la puissance publique, entre autres.</p>
<p>Tant que la recherche en sciences humaines et sociales sur la charge mentale n’aura pas produit des savoirs disciplinaires croisés sur ce que cette charge induit chez l’aidant, la prise en charge sur mesure et les dispositifs adéquats se feront malheureusement attendre – formules de répit différentes selon que le proche aidé se trouve au début du diagnostic de la maladie ou quand la maladie est bien installée, <a href="https://aidants.morbihan.fr/">centralisation de l’information sur la disponibilité des places en Ehpad sur un territoire donné</a>, reconnaissance graduée des besoins de l’aidant par l’employeur, dispositifs d’écoute…</p>
<hr>
<p><em>Dans le cadre de ce projet de recherche, nous avons sollicité Illés Sarkantyu, photographe et cinéaste, enthousiaste pour travailler avec nous, selon une « commande » très ouverte qui consistait à nous accompagner chez les aidants pour les photographier et capturer ce qui, dans leur environnement, attirait le regard de l’artiste.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Pugniere-Saavedra a reçu des financements de l'Iresp (Inserm) dans le cadre de l'appel à projet AAP2019 HPA10_01.
Cette recherche a bénéficié de l'aide de la Caisse Nationale des Solidarités pour l'Autonomie (CNSA) dans le cadre de l'appel à projets blanc 2019 "Handicap et perte d'autonomie"-session 10 lancée par l'Iresp. </span></em></p>
La vulnérabilité des aidants ne se dit pas, ne se montre pas. Sciences sociales et photographie s’allient pour mettre en lumière leurs charges mentales.
Frédéric Pugniere-Saavedra, Maître de conférences en sciences du langage, Université Bretagne Sud
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tag:theconversation.com,2011:article/215608
2023-10-30T19:07:27Z
2023-10-30T19:07:27Z
Le don aux associations, une incitation efficace pour changer les comportements
<p>Imaginez qu’à chaque fois que vous choisissez le vélo plutôt que la voiture pour aller au travail, que vous diminuez la consommation électrique de votre domicile ou que vous renoncez à la cigarette, une somme soit versée à une cause qui vous est chère. Surprenant ? C’est en tout cas ce que proposent de récentes études, selon lesquelles l’incitation à soutenir une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/associations-38336">association</a> pourrait être un puissant levier pour vous encourager à adopter des comportements plus responsables.</p>
<p>Depuis quelques années, les <a href="https://theconversation.com/topics/sciences-comportementales-84125">sciences comportementales</a> ont acquis une reconnaissance croissante au sein des services de conception de politiques publiques. Elles permettent d’en améliorer l’efficacité en s’appuyant sur une connaissance scientifique du comportement humain et de sa cognition. Cette reconnaissance se manifeste notamment par la création de groupes de travail dédiés à l’application des sciences comportementales au service des politiques dans plusieurs pays, tels que la <a href="https://www.bi.team/">Behavioral Insight Team</a> au Royaume-Uni ou l’équipe <a href="https://www.modernisation.gouv.fr/loffre-daccompagnement-de-la-ditp/sciences-comportementales">Sciences comportementales</a> au sein de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) en France.</p>
<p>L’un des défis majeurs pour les politiques publiques est aujourd’hui de trouver des moyens d’encourager les citoyens à adopter des comportements jugés plus bénéfiques (car plus écologiques pour l’environnement ou plus sains pour les citoyens par exemple). Dans ce contexte, une pratique issue de l’économie comportementale est régulièrement utilisée : celle de l’incitation financière. Le principe est de conditionner la délivrance d’une récompense monétaire à la réalisation d’un comportement souhaité, afin de motiver les individus à réaliser ce comportement.</p>
<p>Par exemple, c’est le cas en France lorsque vous bénéficiez du <a href="https://www.economie.gouv.fr/cedef/bonus-ecologique-velo-electrique">bonus écologique</a> lors de l’achat d’un vélo électrique, d’une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16213">prime de 100 euros</a> pour proposer en covoiturage votre trajet quotidien pour vous rendre au travail, ou que votre facture de gestion des déchets ménagers est allégée à <a href="https://www.linfodurable.fr/conso/besancon-la-redevance-incitative-pour-reduire-les-dechets-la-source-1239">Besançon</a> (Doubs) si vous réduisez la quantité que vous produisez.</p>
<h2>Une efficacité qui reste débattue</h2>
<p>Bien que ces pratiques soient largement répandues, leur efficacité reste débattue dans la littérature scientifique, notamment dans le cadre de ces comportements visés par les politiques publiques. Plusieurs méta-analyses (agrégations statistiques de nombreux articles scientifiques portant sur un domaine) révèlent une efficacité parfois limitée. Soit parce que le changement comportemental observé est de faible ampleur (voir par exemple <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0272494416300676">ici</a> pour des comportements écologiques), soit parce qu’il tend à revenir rapidement à la normale lorsque l’on arrête l’incitation (voir <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25843244/">ici</a> pour des comportements sains). Le changement de comportement via cette stratégie ne semble donc pas toujours si efficace.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"948998988195180544"}"></div></p>
<p>Dans ce contexte, une alternative prometteuse existe qui, en plus, permet de conserver une pratique similaire : l’incitation financière à base de don associatif. Son principe est simple, il consiste à conditionner le versement d’un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/don-105808">don</a> vers une association caritative à la réalisation du comportement visé. Mais comment ce changement de paradigme, passant d’une rémunération directe à un don associatif, peut-il affecter l’efficacité de cette pratique pour changer les comportements ? Pour convaincre les responsables de politiques publiques d’explorer cette possibilité et d’en faire bénéficier la société (et les associations !), examinons comment une théorie majeure de la motivation en psychologie, la théorie de l’autodétermination, offre des éclairages sur cette question.</p>
<h2>« Crowding-out effect »</h2>
<p>Selon la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1207/s15327965pli1104_01">théorie de l’autodétermination</a>, développée par les psychologues et professeurs de psychologie américains Edward Deci et Richard Ryan dans les années 1970, pour qu’un comportement soit adopté par les individus, il est essentiel que la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/motivation-60842">motivation</a> à réaliser ce comportement soit la plus autonome possible (c.-à-d., issue de sa propre initiative, par conviction ou par plaisir).</p>
<p>La théorie de l’autodétermination distingue ainsi plusieurs formes de motivation, toutes regroupées au sein d’un continuum de la motivation. Ce continuum représente le degré auquel ces différentes formes de motivation sont intégrées à la volonté propre de l’individu, en allant de l’amotivation, qui est un état d’absence totale de motivation à s’engager dans une activité, à la motivation intrinsèque, où l’activité est réalisée pour le simple plaisir et la satisfaction qu’elle procure.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=136&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=136&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=136&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=170&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=170&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553648/original/file-20231013-22-95uaun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=170&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Continuum de la motivation.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Entre ces deux extrêmes, 4 autres formes de motivations (dites extrinsèque) sont décrites, qui prennent en compte 4 sources de motivation de plus en plus internes à l’individu :</p>
<p>la régulation externe : comportement perçu comme contrôlé par les autres, souvent par le biais de récompenses et/ou de menaces (lorsque vous évitez de vous garer sur un passage piéton par peur d’une amende).</p>
<p>la régulation introjectée : comportement motivé par la recherche d’approbation, de statut ou de reconnaissance (lorsqu’un enfant finit son assiette pour faire plaisir à ses parents).</p>
<p>la régulation identifiée : comportement motivé par l’importance de sa réalisation, elle-même intégrée à la volonté propre de l’individu (lorsqu’un étudiant révise ses examens car c’est important pour son avenir).</p>
<p>la régulation intégrée : comportement motivé par certaines valeurs et pour lesquelles on se sent personnellement concerné (lorsqu’une personne est bénévole aux restos du cœur car c’est important pour elle d’aider son prochain).</p>
<p>L’intérêt de cette théorie est ainsi de pouvoir proposer une explication sur l’efficacité limitée que peuvent parfois avoir les incitations financières classiques pour changer les comportements. En mettant en place des récompenses monétaires (par le biais de remboursements par exemple), la régulation « externe » du comportement est favorisée.</p>
<p>Autrement dit, on favorise ici l’une des formes de motivation les moins autonomes, limitant ainsi l’adoption du comportement visé. D’ailleurs, en économie, cette baisse de la motivation à réaliser un comportement après incitation porte également un nom : « le crowding-out effect » (effet initialement étudié par le chercheur britannique Richard Titmuss pour comprendre pourquoi récompenser financièrement des <a href="https://thenewpress.com/books/gift-relationship">donneurs de sang</a> pouvait parfois réduire leur motivation à réaliser ces dons).</p>
<h2>Une incitation moins coûteuse</h2>
<p>En parallèle, la théorie de l’autodétermination permet également d’expliquer en quoi une incitation à base de don associatif permettrait d’être théoriquement plus efficace. En effet, le don associatif peut permettre à la fois de se sentir « bien vu » par la société (c’est-à-dire une régulation introjectée) et de rester en accord avec des considérations et des valeurs importantes pour les individus à titre personnel (autrement dit, une régulation identifiée et intégrée). Utiliser ce type d’incitation permet ainsi de renforcer plus facilement des formes de motivation plus autonomes, qui favorisent l’adoption du comportement visé.</p>
<p>Une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10865-021-00218-w">étude récente</a> menée aux États-Unis soutient cette idée. L’étude visait à utiliser des incitations à base de dons associatifs pour encourager les survivants d’un cancer à faire de l’exercice physique plus régulièrement. En plus d’un effet significatif et positif du don associatif sur l’augmentation de l’activité sportive des participants, les chercheurs ont également observé des différences sur les formes de motivation impliquées dans la réalisation du comportement.</p>
<p>Comparativement à une condition de contrôle (c’est-à-dire sans don associatif conditionné à la réalisation du comportement), les participants de la condition « don associatif » déclaraient en effet des formes de régulation intrinsèque et intégrée significativement plus élevées, et une régulation externe plus faible. Autrement dit, conditionner l’activité sportive des participants à la réalisation d’un don associatif permettait bien d’augmenter la motivation autonome des individus à réaliser cette activité sportive. Une piste donc très prometteuse pour changer les comportements.</p>
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<p>Sans compter que l’incitation à base de don associatif coûte moins cher ! C’est en tout cas l’une des conclusions qui peut être tirées de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272713002168">l’étude</a> du chercheur en économie comportementale Alex Imas de 2014. En s’intéressant à l’effet des incitations à base de <em>don associatif</em> vs de <em>récompense monétaire</em> sur une tâche d’effort (serrer plus ou moins fort un objet), ce chercheur a montré que, lorsque le montant est faible, l’incitation à base de <em>don associatif</em> est significativement plus efficace que celle à base de <em>récompense monétaire</em> (autrement dit, davantage d’effort réalisé par les participants dans la condition <em>don associatif</em> que dans la condition <em>récompense monétaire</em>).</p>
<p>De plus, augmenter le montant de l’incitation avait pour seul effet de rendre l’incitation à base de <em>récompense monétaire</em> aussi efficace que celle à base de <em>don associatif</em>. Pour un même effet, une incitation à base de don associatif coûterait donc moins cher qu’une incitation financière plus classique.</p>
<p>En conclusion, les incitations financières basées sur des dons associatifs représentent une approche prometteuse pour accompagner le changement comportemental. En renforçant la motivation autonome des individus, et en étant moins coûteuses, elles méritent l’attention des politiques publiques cherchant à promouvoir des changements de comportement plus durables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215608/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Quentin Victeur a reçu un financement de la Fondation MAIF pour la recherche ainsi qu’un financement de la région Hauts-de-France. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Deplancke a reçu un financement de la Fondation MAIF pour la recherche ainsi qu’un financement de la région Hauts-de-France.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Florent Varet a reçu des financements de la Fondation MAIF pour la recherche, de la Région Hauts-de-France ainsi que de la Délégation à la sécurité routière.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Lenglin a reçu un financement de la Fondation MAIF pour la recherche ainsi qu’un financement de la région Hauts-de-France.</span></em></p>
Les individus se montrent davantage motivés à réaliser une action si une somme est versée à une association plutôt qu’à eux-mêmes, montrent plusieurs études.
Quentin Victeur, Ingénieur de recherche en psychologie, consultant scientifique, Institut catholique de Lille (ICL)
Antoine Deplancke, Lab Manager - Anthopo-Lab (laboratoire ETHICS), Institut catholique de Lille (ICL)
Florent Varet, Chargé de recherche en psychologie sociale, Institut catholique de Lille (ICL)
Vincent Lenglin, Chargé de recherche en économie experimentale, Institut catholique de Lille (ICL)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/210493
2023-08-01T16:19:43Z
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Emploi : pourquoi les politiques publiques à destination des quartiers prioritaires n’ont-elles pas fonctionné ?
<p>En 2022, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) évaluait le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414575">taux de pauvreté</a> des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/quartiers-101901">quartiers</a> dits « prioritaires » à 42,6 % (contre 14,8 % à l’échelle nationale) et le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414557">taux de chômage</a> à plus de 19,6 % pour les hommes et 16,5 % pour les femmes (contre respectivement environ 7,5 % et 7,1 % à l’échelle nationale). Face à ces inégalités économiques persistantes, de nombreuses mesures en faveur de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">emploi</a> ont été mises en place, tels que les <a href="https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F34547">« emplois francs »</a>, le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> ou encore <a href="https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/cites-de-lemploi-571">« les Cités de l’emploi »</a>.</p>
<p>Or, dans <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-dispositifs-en-faveur-de-lemploi-des-habitants-des-quartiers-prioritaires-de-la">son rapport</a> faisant le bilan de ces dispositifs entre 2015 et 2021, la Cour des comptes dressait un constat sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« Les dispositifs en faveur de l’emploi, tels qu’ils sont aujourd’hui conçus et déployés, ne sont pas en mesure de réduire les écarts entre les [quartiers prioritaires] et le reste de la population ».</p>
</blockquote>
<p>Comment expliquer cet échec durable des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/politiques-publiques-54327">politiques publiques</a> ?</p>
<h2>Des dispositifs inadéquats</h2>
<p>Selon la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Les spécificités des quartiers prioritaires de la politique de la ville et de leurs habitants sont insuffisamment prises en compte. »</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux idées reçues, la mobilité résidentielle et le trafic de stupéfiants ne suffisent pas à expliquer la précarité économique.</p>
<p><iframe id="aR1BA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aR1BA/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="TnHQO" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/TnHQO/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Plutôt, deux causes complémentaires semblent plus robustes et conduisent à un cercle vicieux : la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a> et le décrochage scolaire. Ce constat était déjà souligné par le Conseil d’analyse économique (CAE) dans une <a href="https://www.cae-eco.fr/Prevenir-la-pauvrete-par-l-emploi-l-education-et-la-mobilite">note rendue en avril 2017</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les enfants “héritent” en quelque sorte de la pauvreté de leurs parents : ils résident dans des zones défavorisées, ont davantage de difficultés scolaires et dès lors un accès plus difficile à l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Or, les dispositifs en faveur de l’emploi ne se concentrent que sur trois axes : l’accompagnement vers un retour à l’emploi, l’aide pour faciliter le recrutement et la coordination des programmes. Dès lors, la source du problème lié au décrochage scolaire reste faiblement prise en compte et conduit à investir dans des mesures qui se concentrent davantage sur les conséquences finales que sur les causes premières.</p>
<p>Comme l’indique la note précitée :</p>
<blockquote>
<p>« Pour briser ce cercle vicieux de reproduction de la pauvreté, il est indispensable d’aller au-delà des aides monétaires octroyées aux plus modestes et de s’attaquer aux déterminants de la pauvreté : l’échec scolaire, les difficultés d’insertion professionnelle des peu ou pas diplômés, et la concentration de la pauvreté dans certains quartiers, contribuant à sa persistance. »</p>
</blockquote>
<h2>Un investissement mal ciblé</h2>
<p>Par ailleurs, notons la difficulté à évaluer de manière rigoureuse le montant des dépenses ainsi que leurs postes d’affectation. Selon le rapport de la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Le ministère chargé de l’emploi n’est pas en mesure de calculer le montant des moyens publics déployés en faveur de l’accès à l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), pas même sur les seuls crédits budgétaires dont il a la responsabilité. »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la part des dépenses à destination des quartiers prioritaires demeure insuffisante. Prenons le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> dont l’objectif est principalement de financer l’apprentissage. Le montant de ce dernier s’élève à 6,26 milliards d’euros au total.</p>
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<p>Or, pour les habitants des QPV, le montant dépensé serait d’environ 563 millions d’euros, soit 9 % du total, soit « un pourcentage inférieur à la proportion de jeunes de QPV sur le territoire national et à la part des jeunes des QPV en recherche d’emploi ».</p>
<p><iframe id="aeRuM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aeRuM/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À cela, s’ajoute une deuxième difficulté : « les dispositifs profitent souvent aux habitants les moins en difficulté ». Le cas des emplois d’avenir, déployés entre novembre 2012 et janvier 2018, illustre bien cette situation. Selon le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/bdaecb66fc086b65afb8f692780dd749/DE_bilan_emplois%20d%27avenir.pdf">bilan</a> dressé en 2021 par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (qui dépend du ministère du Travail) :</p>
<blockquote>
<p>« Le dispositif est moins efficace en termes d’insertion dans l’emploi pour les jeunes peu diplômés ou habitant en zones défavorisées, qui sont pourtant le cœur de cible des emplois d’avenir. »</p>
</blockquote>
<h2>Une organisation trop complexe</h2>
<p>En outre, l’organisation même du déploiement des dispositifs apparaît problématique. D’une part, la multiplicité des dispositifs et le défaut d’une communication renforcent l’éloignement des personnes les plus fragiles à leur égard. D’après l’enquête menée par la Cour des comptes, 65 % des habitants jugent les dispositifs peu connus. Cette proportion atteint même 72 % pour les moins de 35 ans. Aussi, qu’ils s’agissent des entreprises comme des usagers, la répartition de ces dispositifs entre différentes institutions rend leur compréhension et leur accès difficile.</p>
<p><iframe id="Bys87" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Bys87/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>D’autre part, au niveau national, la gestion partagée entre les ministères du Travail et de la Ville reste inefficace en raison d’un fonctionnement en « silo ». Ce cloisonnement est tel que des actions concurrentes sont mises en œuvre ; comme l’illustre le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/emploi-et-insertion/service-public-insertion-emploi-spie/">« Service public de l’insertion et de l’emploi »</a> (ministère du Travail) et des « Cités de l’emploi » (politique de la Ville). À cela s’ajoute l’absence totale du ministère de l’Éducation nationale, dont le rôle reste central dans la lutte contre le décrochage scolaire.</p>
<h2>Changer de paradigme</h2>
<p>Quelles sont, dès lors, les solutions pour que ces politiques deviennent efficaces ? En premier lieu, l’unité d’action qui fixe le cadre fondamental des politiques publiques doit se situer au niveau du citoyen et non des dispositifs. Comme l’indique la Cour des comptes,</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie non encore explorée consisterait à s’adapter à la situation des personnes accompagnées dans toutes ses dimensions (sociale, éducative, professionnelle, etc.) plutôt que de leur demander sans cesse de s’adapter aux dispositifs. »</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, cela implique de concevoir les dispositifs appropriés avec les citoyens concernés. Il s’agit de rompre avec une politique de la Ville qui, selon le <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">sociologue des « quartiers sensibles Cyprien Avenel</a> :</p>
<blockquote>
<p>« encourage une démocratie participative mais développe un lien paternaliste avec la population et met en œuvre une action descendante (offre de service). »</p>
</blockquote>
<p>En ce sens, les <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">travaux du sociologue</a> sur les modalités de cette participation sont précieux pour penser au mieux les défis d’une telle action.</p>
<p>Enfin, l’organisation même doit être revue notamment au niveau national où le décloisonnement administratif est indispensable tant il représente un frein aux avancées constructives. Au niveau local, la <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/ansa_rapportwwc_2017_vf.pdf">mise en place de « What Work Centers »</a> sur le modèle britannique, dont le rôle serait d’accompagner les expérimentations afin de pallier leurs lacunes et attesté de leur efficacité constitue une voie non explorée qui semblerait pertinente.</p>
<p>Enfin, <a href="https://theconversation.com/que-peuvent-apporter-les-entreprises-aux-quartiers-prioritaires-209456">l’idéal de justice sociale</a> doit demeurer le moteur central. S’il est un ordre à défendre, il n’est pas sécuritaire mais juridique ; celui qui fonde la dignité et la liberté des individus et nous oblige à la justice. Ainsi, comme l’énonçait le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Id%C3%A9e_de_justice_sociale_d%E2%80%99apr%C3%A8s_les_%C3%A9coles_contemporaines">philosophe français Alfred Fouillée</a> au XIX<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« Toutes les fois que la France se laisse dominer par des idées d’intérêt, ou par des idées de force, de lutte pour la vie, de guerre entre nationalités ou entre classes, elle sort de sa vraie tradition […]. Qu’elle s’appuie sur l’idée de justice et elle sera fidèle à son propre esprit. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/210493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss est membre de la chaire Reliance en complexité (Université de Montpellier). </span></em></p>
Les dispositifs mis en place ces dernières années, mal calibrés et complexes, n’ont pas permis de faire reculer le taux de pauvreté dans les quartiers défavorisés.
Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de Montpellier
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/209008
2023-07-09T15:32:16Z
2023-07-09T15:32:16Z
Quartiers populaires : 40 ans de déni ?
<p><em>Sociologues, géographes, historiens ou anthropologues alertent depuis près d’un demi-siècle sur la façon dont les « quartiers populaires » sont représentés dans les médias et les imaginaires, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/300623/mort-de-nahel-les-reponses-des-politiques-vont-etre-determinantes">leurs réalités instrumentalisées par le monde politique</a> ou les <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20130219.OBS9360/banlieues-le-gouvernement-n-a-pas-pris-la-mesure-du-probleme.html">pistes proposées par les pouvoirs publics</a> insuffisantes.</em></p>
<p><em>Pour The Conversation, quatre de ces universitaires reviennent en détail sur la façon dont la société française et ses représentants politiques se sont positionnés vis-à-vis de ce qu’on a nommé les « banlieues », les « cités » ou les « quartiers populaires », termes désignant ces grands ensembles d’habitations nées aux marges des métropoles françaises après-guerre. Leurs réflexions balaient le traitement médiatique de ces lieux et leurs habitants, leur politisation et les tensions qui les traversent.</em></p>
<hr>
<p><strong>Quel est le traitement médiatique de ces espaces, comment contribue-t-il à construire une image et un discours sur ces lieux à travers les années ?</strong></p>
<p><strong>Julie Sedel :</strong> Rappelons d’emblée que <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/05/emeutes-urbaines-les-journalistes-face-a-la-difficulte-de-travailler-dans-les-quartiers-populaires_6180705_3224.html">ce traitement médiatique</a> a beaucoup évolué et qu’il faudrait de nouvelles enquêtes aujourd’hui, dans un contexte autre pour le qualifier. <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/les-medias-et-la-banlieue/">Le travail que j’ai mené</a> s’attachait, dans un premier temps, à mettre en évidence les cadrages journalistiques successifs associés aux « banlieues », des années 1960 à 2002, en s’appuyant sur les archives de l’INA et de presse écrite.</p>
<p>S’il existe des prémices avant, le terme « émeute » entre dans le vocabulaire courant en 1990 <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1990-les-emeutes-de-vaulx-en-velin">lors des soulèvements à Vaulx-en-Velin</a> pour s’installer durablement dans le débat public.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/f5MVW7ZUv6M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">À Vaulx-en-Velin, dans la banlieue Lyonnaise, émeutes, incendies, pillages et affrontements avec les forces de police à la suite de la mort controversée, samedi 6 octobre 1990, de Thomas Claudio, passager d’une moto percutée par la police (INA).</span></figcaption>
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<p>Parallèlement, j’ai mené deux enquêtes dans deux grands ensembles d’habitat social de banlieue parisienne croisant observations, entretiens, analyse de documents (rapports, données statistiques, plans d’urbanisme, résultats électoraux…). Je me suis ensuite intéressée aux relations entre les journalistes de rédaction nationale et locale et les acteurs locaux. J’ai étudié les efforts de ces acteurs (élus, fonctionnaires municipaux, travailleurs sociaux, associatifs, enseignants, médecins, habitants, etc.) pour contester, tenter de rectifier <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2014-2-page-51.htm">l’image publique de ces espaces urbains et de leurs habitants</a>.</p>
<p>Pour finir, j’ai observé les usages journalistes et politiques des « banlieues » à travers la couverture de la visite du ministre de l’Intérieur à la cité des 4000 à la Courneuve à la suite du décès d’un enfant. C’est à cette occasion qu’il a prononcé le mot de « karcher ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Nicolas Sarkozy visite la cité des 4000, à la Courneuve, 20 juin 2005 (INA).</span></figcaption>
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<p>Ce travail réalisé post-émeutes de 2005, dans une période de remise en question du journalisme en banlieue, m’a permis d’étudier, au plus près, les conditions de production de l’information en « banlieues », et de souligner comment celles-ci pouvaient varier d’une institution de presse, d’un support (média écrit, audiovisuel), d’un journaliste à un autre ou, au contraire, présenter des régularités.</p>
<p>Dans les années 1990-2000, les journalistes qui traitaient des banlieues n’étaient par toujours très disposés à répondre à mes questions, car ce sujet pouvait être embarrassant. Les journalistes investis sur ces sujets étaient proches du terrain avec un réseau local, mais étaient peu considérés dans leur rédaction. Cela pouvait aussi être des journalistes plus aguerris et militants. Mais le plus souvent, et dans les gros services généralistes des chaînes de télévision, il s’agissait de jeunes entrants, sans expérience ni connaissance de la question urbaine ou prise de distance critique, qui y étaient comme parachutés pour répondre à des commandes parfois farfelues, comme réaliser un reportage sur les ventes d’armes en banlieues pour le lendemain…</p>
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<h2>La comparaison actuelle avec 2005 est-elle pertinente ?</h2>
<p><strong>Julie Sedel :</strong> Pour établir une comparaison, il faudrait refaire l’enquête aujourd’hui. Cela impliquerait, dans un premier temps, de regarder les transformations de ces espaces urbains au principe de leur représentation. Cela nécessiterait ensuite d’étudier les conditions de production de ces représentations. Cela consisterait à étudier la façon dont le champ journalistique s’est transformé, sous l’effet de la concentration des entreprises et des plates-formes, des modèles économiques, de la généralisation d’Internet, des <a href="https://theconversation.com/twitter-snapchat-tiktok-brut-une-nouvelle-facon-de-sinformer-pour-les-jeunes-171226">réseaux sociaux</a> (Facebook, YouTube, TikTok, etc.), des autopublications. Ajouté à cela, le renouvellement des pratiques de consommation des actualités, tout cela mis bout à bout a bouleversé le champ des médias d’information, c’est-à-dire les hiérarchies entre journaux, la définition des médias qui « comptent ».</p>
<p>Parallèlement, les conditions d’exercice de la profession ont changé, avec l’augmentation de la précarité et les « entraves » au métier : <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-la-source/a-la-source-chronique-du-samedi-26-novembre-2022-9749123">procédure « baillon »</a> ou <a href="https://www.liberation.fr/checknews/manifestations-les-journalistes-denoncent-une-vague-de-violences-policieres-et-dentrave-a-linformation-20230322_YVL7CNRZ25H5LIVL5RCMFCH2D4">pressions policières</a>.</p>
<p>Pour comparer, il faudrait aussi prendre en considération les politiques publiques, la manière dont sont élaborés les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/06/emeutes-urbaines-ce-qu-elles-relevent-ce-n-est-pas-tant-l-echec-de-la-politique-de-la-ville-que-celui-de-toutes-les-politiques-publiques_6180744_3232.html">« diagnostics de crise » et les réponses</a>. Pour finir, il conviendrait d’étudier le rôle des <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2017-4-page-6.htm">« entrepreneurs de cause »</a>, qui cherchent à problématiser une situation, à la constituer en problème qui puisse être débattu publiquement.</p>
<p>Aujourd’hui, on observe une tension entre une volonté d’inscrire les <a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-et-violences-policieres-ce-que-lhistoire-nous-apprend-108796">violences</a> commises par les forces de l’ordre (voire les <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/mort-de-nahel-combien-dautres-morts-faudra-t-il-pour-reformer-la-police-20230630_AYDPZGXUKZETNFCFSSQDHOGPIU">homicides</a>) sur l’agenda politique, et une volonté de maintenir confinés ces éléments, portée par des <a href="https://www.theses.fr/s331638">acteurs institutionnels</a> (Parquet, syndicats de police, gouvernement).</p>
<p>Si le problème est parvenu, récemment, à gagner en visibilité, c’est qu’il s’est étendu à d’autres univers, secteurs. Alors qu’en 2005, les « violences policières » étaient associées aux jeunes hommes d’origine sociale modeste et immigrée, leur extension aux « gilets jaunes », c’est-à-dire à une population plus installée, et aux militants écologistes, plus proches des classes moyennes, a donné à ce problème une portée plus générale et, peut-être aussi, davantage de considération.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violence-et-police-un-probleme-dencadrement-juridique-185097">Violence et police : un problème d’encadrement juridique</a>
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<p><strong>De nombreux travaux montrent que les voix politiques qui émergent de ces espaces sont souvent minorées. Parfois, elles sont disqualifiées car taxées de <a href="https://theconversation.com/debat-le-fantasme-des-listes-communautaires-130897">communautaristes</a>. Quelles place et forme prennent-elles ? Pourquoi est-ce difficile de les structurer ?</strong></p>
<p><strong>Julie Sedel :</strong> Ces voix souffrent d’une forme d’asymétrie de l’espace public. Celle-ci vient souligner les <a href="https://www.pur-editions.fr/product/4712/agir-par-la-parole">conditions inégales d’accès des groupes sociaux au débat public</a>. Certains collectifs y ont un accès privilégié (les journalistes, les acteurs politiques) parce qu’ils co-animent ce débat public. D’autres y ont un accès intermittent. Une troisième catégorie – sans caricaturer, car il existe un camaïeu de situations – y accède seulement sous des formes (actions violentes) qui se retournent contre leurs auteurs. Typiquement les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Faire_l_opinion-3118-1-1-0-1.html">« jeunes de banlieues »</a>, catégorie du sens commun qui s’est imposée, à partir des années 1980, dans le débat public.</p>
<p>Ces fractions de la jeunesse n’ont pas de porte-parole pour exprimer leurs griefs et leurs revendications dans les <a href="https://theconversation.com/prends-moi-un-yop-labsurde-au-coeur-des-emeutes-208958">formes attendues</a>, c’est-à-dire, de façon argumentée, raisonnée, présentable. Cela explique que les « jeunes de banlieue » doivent, la plupart du temps, s’en remettre <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1984_num_52_1_3333">à une forme d’autorité supérieure</a>. Cela peut – être des sociologues, les « experts » au sens large, éducateurs, enseignants, élus… avec tous les problèmes inhérents <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1984_num_52_1_3331">à la délégation</a> que cela comporte.</p>
<p><strong>Julien Talpin :</strong> Dès les années 1980, lorsque les habitants des quartiers populaires s’organisent de façon autonome, ils sont délégitimés, ramenés à leurs origines, par les pouvoirs publics de gauche comme de droite. C’est très clair par exemple en 1982-1983 dans les grèves dans le secteur automobile, où les ouvriers, majoritairement musulmans, vont être accusés de <a href="https://geneses.hypotheses.org/1758">fondamentalisme</a>. Ces phénomènes vont s’accélérer avec <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/30-ans-de-l-affaire-du-foulard-de-creil-le-voile-de-la-discorde-7058333">l’affaire du foulard à Creil</a>, en 1989, qui va contribuer à l’émergence du « problème musulman » et à la focalisation sur l’islam dans le débat public.</p>
<p>Ce phénomène n’a cessé de s’accentuer avec le temps. La catégorie <a href="https://www.puf.com/content/Communautarisme">« communautarisme »</a> se développe vraiment après le 11 septembre 2001, et plus encore les révoltes de 2005. Cette catégorisation contribue à disqualifier les revendications portées par les groupes minoritaires, les renvoyant à un <a href="https://theconversation.com/qui-est-identitaire-enquete-dans-les-quartiers-populaires-160629">particularisme de principe</a>.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> Les événements comme les révoltes peuvent représenter un moment dans la construction d’une subjectivité politique. Or celle d’une organisation politique qui découlerait de ce moment particulier n’est pas donnée d’avance. Ainsi, les révoltes de 2005 n’ont pas conduit à un « mouvement unifié des quartiers populaires » malgré les <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2015-3-page-17.htm">tentatives qui ont suivi</a>. Des associations comme ACLFEU, née à Clichy-sous-Bois à ce moment-là, sont cependant toujours très actives à côté d’autres collectifs comme le collectif Vérité pour Adama créé en 2017 ou le collectif Pas sans Nous.</p>
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<figcaption><span class="caption">Une trentaine de militants du collectif ACLEFEU, créé après les émeutes de l’automne 2005, ont investi un hôtel particulier parisien pour y installer « un ministère de la crise des banlieues » (21 février 2012).</span></figcaption>
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<p>Une des difficultés reste la coordination de ces collectifs. Mais nous ne sommes plus en 2005. Les révoltes sont sorties des quartiers populaires, pour aller vers les centres-villes. Elles succèdent à des mouvements sociaux importants comme les « gilets jaunes » ou le mouvement contre la réforme de la retraite, qui se sont heurtés <a href="https://theconversation.com/les-contestations-des-violences-policieres-ont-une-histoire-109272">à la même logique répressive</a>. Ce contexte donne peut-être la possibilité d’alliances ou de convergences.</p>
<p><strong>La dé-politisation ou du moins une autre forme de politisation semble aussi suivre l’histoire de la désindustrialisation de la société française. Qu’en est-il ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière :</strong> <a href="https://journals.openedition.org/lectures/14279">La disparition des banlieues rouges et des systèmes sociaux</a> qui les accompagne ont laissé la classe ouvrière exsangue. Les premières générations de jeunes de cité apparaissent comme des <a href="https://books.openedition.org/septentrion/13944?lang=fr">enfants d’ouvriers et d’immigrés</a> (pour la plupart) qui ne peuvent plus embaucher comme ouvriers du fait de la désindustrialisation. Le système social et politique des « banlieues rouges » s’est effiloché progressivement dans les années 1980 et peine à être remplacé par de nouvelles dynamiques politiques malgré les initiatives et les bonnes volontés.</p>
<p>Confrontée aux fermetures d’usines, cette génération fait aussi face à un secteur tertiaire qui exige de nouvelles qualifications que beaucoup n’ont pas à l’époque, ce qui contribue à les entraîner dans une spirale de précarité. Au début des années 1980, on constate également l’arrivée des drogues dures dans la petite couronne parisienne avec les <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-catastrophe-invisible/">dégâts sanitaires et sociaux</a> que cela va provoquer une décennie plus tard.</p>
<p><strong>Comment cela a-t-il influencé les systèmes de solidarité, le travail associatif notamment ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière :</strong> Les solidarités populaires sont moins fortes qu’elles ne l’étaient dans les années 1980 en raison des processus d’individuation qui se sont matérialisés dans différentes compétitions, dans la poursuite des études pour certains, le business pour d’autres, sans oublier la volonté de quitter le « quartier » lorsque les personnes s’en sortent.</p>
<p>Les associations sont beaucoup moins denses. Et les municipalités ont cherché à garder le contrôle sur les initiatives politiques et associatives des quartiers populaires urbains, étouffant les démarches et autres doléances politiques émanant de ces quartiers. Le travail social est confronté <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-social-est-il-devenu-un-metier-a-risque-163500">à une perte de sens et de moyens financiers</a> due à un management et des mesures de plus en plus néo-libérales. Et sur le terrain, les éducateurs peinent encore à exercer leur métier car les mesures sécuritaires imposent des restrictions réelles sur l’accompagnement éducatif confidentiel auprès des jeunes. Depuis le début des années 2010, beaucoup d’éducateurs expérimentés <a href="https://champsocial.com/book-ou_va_le_travail_social_controle_activation_et_emancipation,1258.html">ont déserté la prévention spécialisée</a>.</p>
<p><strong>Julien Talpin :</strong> Aujourd’hui, la revendication d’égalité des associations antiracistes est majoritairement disqualifiée comme « communautariste » par les pouvoirs publics, le simple fait de mettre en évidence des inégalités de traitement venant entacher l’universalisme républicain…</p>
<p>En 2021, le terme de « communautarisme » a été remplacé par celui de « séparatisme » avec la loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042635616/">« confortant le respect des principes de la République »</a>, dite loi <a href="https://theconversation.com/la-lutte-contre-le-separatisme-le-nouveau-cadre-de-laction-publique-147472">« séparatisme »</a> qui <a href="https://theconversation.com/lutte-contre-le-separatisme-une-loi-qui-stigmatise-les-minorites-159576">institutionnalise</a> tout un ensemble de pratiques jusque là informelles. Par exemple avec la création du Contrat d’engagement républicain (CER) que doivent désormais signer les associations, qui constitue un instrument de surveillance et de défiance des pouvoirs publics à l’égard du monde associatif, tout particulièrement dans les quartiers populaires.</p>
<p>Initialement pensé pour lutter contre des organisations à visées terroristes, ou qui voudraient lutter contre les intérêts fondamentaux de la nation, le CER a surtout servi <a href="https://aoc.media/analyse/2023/02/16/loi-separatisme-la-critique-associative-face-au-contrat-dengagement-republicain/">à criminaliser des associations écologistes</a>. Mais il a également des incidences dans les quartiers populaires, des MJC ou des associations ayant perdu leurs financements du fait du port du voile, pourtant parfaitement légal, par certaines salariées. Il constitue surtout une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête des associations qui ne les incitent pas à s’emparer de sujets sensibles comme les violences policières ou la lutte contre les discriminations.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> On observe cependant beaucoup de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-developpement-social-urbain-2018-2-page-16.htm">formes de solidarité</a> dans les quartiers populaires comme les périodes de confinement ont pu le mettre en lumière. Cette solidarité prend des formes <a href="https://www.cairn.info/quel-monde-associatif-demain--9782749270425-page-157.htm">individuelles et collectives</a> à travers différentes initiatives qui peuvent être très spontanées comme des maraudes, de l’activité associative ou des collectifs moins pérennes.</p>
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<figcaption><span class="caption">À Marseille, la solidarité spontanée s’organise durant la crise sanitaire (2020).</span></figcaption>
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<p>Il est difficile de mesurer comment cette solidarité s’exprime pendant cette période de révolte. Il semble que les familles et les professionnels de la jeunesse, les animateurs, ceux que l’on qualifie parfois de « grands frères » partagent la colère des jeunes, même s’ils ne se joignent pas à des manifestations violentes. Beaucoup sont descendus dans la rue, non pour essayer d’étouffer la révolte mais pour empêcher des dérapages, en quelque sorte jouer un rôle de protection.</p>
<p><strong>D’où vient la défiance que peuvent ressentir certains jeunes vis-à-vis de la politique institutionnelle ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière :</strong> Ces jeunes vivent dans un pays perçu comme développé et donc « riche ». Mais ils ont aussi le sentiment réel de se retrouver exclus du mode de vie de ce qu’ils perçoivent des classes moyennes. Le triptyque républicain « Liberté, Egalité, Fraternité » est vécu comme un mensonge au regard de leur vécu au quotidien. <a href="https://theconversation.com/les-trajectoires-scolaires-des-jeunes-des-quartiers-populaires-entre-parcours-dobstacles-et-aspirations-a-la-reussite-192042">L’école</a> est appréhendée comme une institution instaurant une compétition économique par le diplôme dont <a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">ils se retrouvent exclus</a>.</p>
<p>Beaucoup d’institutions d’encadrement sont appréhendées au mieux comme inefficaces, au pire comme hostiles. Les injonctions de réussite par la consommation véhiculent des valeurs contradictoires de la société contemporaine car elles incitent à la défiance vis-à-vis du politique institutionnel. Il existe une <a href="https://theconversation.com/pourquoi-a-t-on-ou-pas-confiance-dans-les-responsables-politiques-72483">réelle défiance</a> à l’égard des politiques d’une manière générale, qui n’est pas propre aux banlieues mais peut-être plus exacerbée. La parole publique n’a plus de crédibilité pour une majorité des habitants des quartiers populaires urbains.</p>
<p>Les politiques sécuritaires ont dépolitisé les problèmes économiques et sociaux auxquels ils sont confrontés. Au bout de quarante ans (trois générations de jeunes), les enjeux politiques, économiques et sociaux ne se sont pas améliorés.</p>
<p><strong>Julien Tapin :</strong> Les habitants de ces quartiers sont pris dans une sorte de dilemme intenable : il ne faut pas qu’ils mettent en avant leurs origines s’ils veulent être reconnus (et financés) par les pouvoirs publics, mais c’est au nom de cela, et des formes de pacification sociale qu’on attend d’eux que l’on va les considérer – on parlera à l’époque de <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2001-1-page-104.htm">« politique des grands frères »</a>.</p>
<p>À Roubaix par exemple, un de mes principaux terrains d’enquête, on voit dans les années 1980 émerger des « associations de jeunes », composées en fait majoritairement de jeunes descendants de l’immigration postcoloniale, soucieux d’égalité et de lutte contre les discriminations, qui ne peuvent l’afficher trop ouvertement, sous peine de sanctions. Ainsi, dès le début des années 1990, on va leur reprocher une <a href="https://www.cairn.info/la-jeunesse-comme-ressource--9782865869138-page-213.htm">« dérive ethnique »</a>, le fait que ces associations soient majoritairement composées de minorités ethnoraciales, c’est-à-dire qu’elles soient <a href="https://books.openedition.org/septentrion/53114?lang=fr">à l’image de ces quartiers</a>.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> Notre enquête Pop-Part auprès de jeunes de quartiers populaires en Île-de-France de 2017 à 2021 montre la <a href="https://theconversation.com/les-podcasts-jeunes-de-quartier-leur-quotidien-raconte-par-eux-memes-182088">force des expériences communes à ces jeunes</a>. Ces expériences sont marquées par la stigmatisation territoriale, la discrimination raciale et la force des inégalités sociales.</p>
<p>Ces jeunes ont aussi en commun une expérience de l’altérité ; ils habitent dans des quartiers aux populations très diverses de part leurs origines et trajectoires migratoires. La religion a aussi joué un rôle important dans <a href="https://theconversation.com/fabien-truong-je-refuse-de-considerer-les-attentats-islamistes-en-ne-raisonnant-qua-travers-le-prisme-de-la-religion-86126">leur socialisation</a>, qu’ils soient comme la plupart musulmans ou bien évangélistes.</p>
<p>Le rapport distendu avec la politique institutionnelle peut s’accompagner <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-politique-elle-se-fait-a-cote-179811">d’un réel intérêt pour le politique</a>, que ce soit au niveau local, national ou international. Cette distance s’explique par le sentiment de ne pas être entendu, de ne pas être représenté. Les jeunes trouvent donc d’autres voix pour se faire entendre.</p>
<p>Notons cependant que parmi les cent jeunes de notre <a href="https://jeunesdequartier.fr/">recherche POP-PART</a>, 7 se sont présentés aux dernières élections municipales, sur des listes diverses, et sans affiliation politique. Ce constat s’inscrit plus globalement dans les villes populaires en Île-de-France, par l’émergence de nouveaux profils d’élus, issus de la société civile, appartenant aux minorités racisées, et, depuis la loi pour la parité, plus féminins.</p>
<p><strong>De quand datent les premiers travaux sociologiques sur les « quartiers populaires » ? Voit-on une prise en compte de ces travaux dans les politiques publiques ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière</strong> Les premiers travaux remontent aux années 1980. Mais sans qu’il n’ y ait eu de véritables évolutions des préconisations. Certains collègues dont les travaux étaient pionniers dans ces années, pensons à <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048">François Dubet</a>, ou <a href="https://www.cairn.info/la-galere--9782222036340.htm">Jean-Charles Lagrée et Paula-Lew Faï</a> étaient clairs sur les enjeux sociaux et économiques liés à la désindustrialisation et ses conséquences sur les quartiers populaires urbains.</p>
<p>La plupart de ces travaux n’ont malheureusement pas été pris en compte par les politiques publiques. La question sociale et les discriminations ethniques apparaissent toujours taboues ou délicates à traiter pour les politiciens de premier plan. Il n y a pas de prise en compte du malaise exprimé par les jeunes, les seules réponses sont répressives. Les travaux des sociologues ne sont pas véritablement relayés par les politiques de gauche comme de droite.</p>
<p><strong>Julien Talpin :</strong> Le déni institutionnel semble n’avoir jamais été aussi grand : il suffit de voir les réactions, récemment encore, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-force-de-l-ordre-didier-fassin/9782757848760">sur le racisme dans la police</a>, à rebours de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2022-2-page-85.htm">toutes les études</a> qui le démontrent, témoignant d’une action publique qui se fait d’une certaine façon contre la science.</p>
<p>D’un autre côté, on assiste à une montée de l’extrême droite, une <a href="https://theconversation.com/nostalgie-reactionnaire-et-politique-la-fabrique-dune-memoire-fantasmee-180609">circulation de ses idées</a> et de ses <a href="https://theconversation.com/dou-vient-lobsession-identitaire-de-la-politique-francaise-175540">schèmes de perception</a> dans la société et le débat public via les relais médiatiques qu’elle est parvenue à acquérir, qui rend le processus de racisation (clivage sur bases raciales) encore plus violent qu’il ne l’était.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> La période récente a été marquée par une remise en cause de certains travaux critiques d’abord taxés <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pour_la_sociologie-9782707188601">« d’excuse sociologique »</a> puis d’idéologiques quand ce n’est pas <a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">« d’islamo-gauchistes »</a>. Beaucoup de ces travaux ont tiré depuis longtemps le signal d’alarme sur la situation sociale et économique des quartiers populaires, la prégnance de la discrimination, la fragilisation du tissu associatif par la baisse des moyens mais aussi la répression et la volonté d’encadrement qu’il subit. On ne peut pas dire qu’ils aient été entendus.</p>
<p>J’ai pour ma part eu l’occasion de rédiger en 2013 avec Mohamed Mechmache un <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/33298-pour-une-reforme-radicale-de-la-politique-de-la-ville">rapport</a> sur la participation dans les quartiers populaires. Nous avions fait un ensemble de propositions élaborées et discutées avec des habitants, des professionnels, des militants des quartiers populaires. Elles sont restées lettre morte. Aujourd’hui, quand des jeunes s’attaquent aux bâtiments institutionnels, ils reposent pourtant bien la question de leur participation et de leur reconnaissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209008/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Hélène Bacqué a co-coordonné le projet de recherche participative Pop-Part (ANR) <a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part/">https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part/</a>. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eric Marliere et Julie Sedel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Des universitaires travaillent depuis 40 ans sur les banlieues, pourquoi ont-ils le sentiment de ne pas être écoutés ? Décryptage avec quatre sociologues.
Eric Marliere, Professeur de sociologie à l'université de Lille, Université de Lille
Julien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de Lille
Julie Sedel, Maîtresse de conférences - HDR, Université de Strasbourg
Marie-Hélène Bacqué, Sociologue, urbaniste, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/206423
2023-05-30T16:11:42Z
2023-05-30T16:11:42Z
Les politiques publiques doivent-elles sauver des vies ou des années de vie en plus ?
<p>Les dépenses publiques pour réduire la mortalité doivent-elles tenir compte de l’âge ? Par exemple, à la suite d’une intense vague de chaleur ou d’une violente épidémie, convient-il d’éviter d’abord le décès d’enfants, d’adultes ou de vieilles personnes ? Dit autrement, pour un budget donné doit-on chercher à sauver le plus grand nombre de vies possibles, sans opérer de distinction d’âge parmi elles, ou sauver le plus grand nombre d’années de vie possibles en privilégiant la population qui bénéficie d’une espérance de vie plus longue car plus jeune ?</p>
<p>La question est vivement débattue chez les économistes. Elle y prend la forme d’un choix de l’emploi de la valeur d’une vie humaine uniforme ou de la valeur d’une année de vie humaine, deux notions qui peuvent être mises en regard des dépenses publiques pour évaluer leur pertinence et les comparer. Nous préconisons de compter selon les années de vie gagnées – donc selon l’âge – lorsque les aléas frappent avant tout les personnes âgées. Comme dans le cas des canicules ou du Covid-19. Rappelons qu’en France <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-rapportthematique-surmortalitecaniculeaout2003-rapportfinal.pdf">86 % des décès de la canicule de 2003</a> et <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432505?sommaire=5435421">83 % des décès de l’épidémie du SARS-CoV-2</a> ont affecté des personnes de 70 ans et plus.</p>
<h2>Quelle est la « valeur statistique d’une vie » ?</h2>
<p>Avant d’argumenter ce choix, nous devons revenir à quelques notions et principes de base du calcul économique. Afin de mieux répartir les dépenses publiques pour sauver des hommes, l’économie appliquée a besoin de chiffres. Pour décider quelles actions mener contre les accidents de la route ou contre le tabagisme, il est nécessaire de comparer leurs coûts aux bénéfices en termes de vies humaines épargnées. Et comme le coût s’exprime en euros, il faut bien aussi exprimer les bénéfices en euros.</p>
<p>On arrive ainsi à la notion consacrée de « valeur statistique d’une vie ». Attention, il ne s’agit pas du prix d’une vie : depuis la fin de l’esclavage, il n’y a plus de marché, donc de prix des vies humaines. Il ne s’agit pas plus d’une valeur de <em>la</em> vie, et encore moins de <em>la</em> valeur de <em>la</em> vie. Il s’agit d’une valeur statistique à double titre. En premier lieu, elle reflète la diminution d’un risque individuel de décès qui résulte d’une politique publique. À ce titre, elle ne doit pas être confondue avec une valeur des vies humaines. En second lieu, elle concerne un individu non identifié.</p>
<p>Imaginons une société de 100 000 individus qui envisagent de financer un projet public de sécurité. Supposons que chacun soit prêt à payer 100 euros en moyenne pour réduire la probabilité de décès de 3/100 000 à 1/100 000, soit 2 décès en moins pour l’ensemble de cette société. On en déduira une « valeur statistique d’une vie » de 5 millions d’euros (100.000x100/2). Ou, selon une formulation bien meilleure mais plus longue, « le coût d’évitement d’une mort anonyme additionnelle » de 5 millions d’euros.</p>
<p>Cette approche statistique constitue un instrument d’aide à la décision publique visant à réduire le risque de mortalité et à le faire le plus intelligemment possible. L’État ne peut pas consacrer exclusivement son budget à sauver des vies humaines. Il est important d’estimer s’il convient de dépenser un peu plus pour prévenir les maladies cardio-vasculaires que pour les soigner, pour lutter contre l’alcool et l’héroïne, ou encore pour réduire les accidents de la route et d’avion. L’enjeu est d’épargner le plus de vies possible avec un budget donné.</p>
<p>Bien entendu, la mort ne peut pas être perpétuellement évitée. Intuitivement, la valeur d’un individu pour retarder sa mort dépend du temps gagné – un an c’est mieux qu’une semaine – et de l’âge – un an de plus à 40 ans c’est mieux qu’un an de plus à 80 ans. D’où la seconde notion, celle de « valeur statistique d’une année de vie », pour désigner la perte d’une année de vie en moins.</p>
<h2>Trois millions d’euros en moyenne pour une vie sauvée en plus</h2>
<p>Une des méthodes largement utilisées pour estimer ces valeurs consiste à demander aux individus eux-mêmes ce qu’ils sont prêts à payer pour une réduction du risque. Les montants déclarés sont ensuite agrégés et les moyennes calculées.</p>
<p>Le recensement le plus complet des études portant sur la valeur d’une vie humaine sauvée est celui produit par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2012. Il couvre les quelque 1000 études académiques faites sur le sujet ; il les classe selon le type de risque pris en compte (transports, santé, environnement), selon le type d’enquêtes (questionnaire administré face à face, par téléphone, par échanges de courriels, etc.), selon la méthode (analyse contingente dans laquelle on demande à l’interviewé la somme d’argent qu’il est prêt à consacrer pour une réduction de X de son risque de décès au cours de l’année prochaine ; ou l’analyse conjointe où on demande à l’interviewé son choix entre deux situations qui lui sont proposées et qui diffèrent par le risque et par la somme d’argent qu’il doit payer). Ce recensement a abouti à une <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/environment/la-valorisation-du-risque-de-mortalite-dans-les-politiques-de-l-environnement-de-la-sante-et-des-transports_9789264169623-fr">valeur moyenne statistique d’une vie de 3 000 000 euros</a> pour l’ensemble de l’OCDE.</p>
<p>À côté de ces nombreuses estimations de la valeur statistique d’une vie, celles qui portent sur l’année de vie sont plus rares. Citons comme exemple une étude, portant sur plus d’un millier de personnes interrogées en 2010 dans plusieurs pays européens, qui aboutit à un montant de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1470160X10002116">40 000 euros pour la valeur d’une année de vie</a>. La question portait sur leur consentement à payer pour un gain d’espérance de vie de 3 mois ou de 6 mois selon un scénario de réduction de la pollution plus ou moins ambitieux.</p>
<p>Derrière ce type de résultats, il faut imaginer des protocoles aussi précis que complexes (en particulier pour expliquer les difficiles notions de risque et de probabilité) et des jeux de questions testées avec rigueur et formulées avec soin. Il faut savoir aussi que les valeurs obtenues dans les réponses sont dispersées parmi les individus soumis à la même enquête.</p>
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<p>Plus élevée pour les individus plus riches, par exemple. Idem pour les valeurs moyennes obtenues d’une enquête à l’autre selon les protocoles choisis et les questions posées. Elles sont plus élevées pour un programme de santé que pour un projet d’aménagement routier. Pour tenir compte des progrès théoriques et de la multiplication des travaux appliqués, les valeurs officiellement recommandées ou adoptées par les administrations évoluent d’ailleurs avec le temps.</p>
<p>En France, la valeur statistique d’une vie est ainsi passée de la première référence en1970 à la plus récente en 2013 <a href="https://jeromemathis.fr/livre/">d’un peu moins de 300 000 d’euros d’aujourd’hui à un peu plus de trois millions</a> d’aujourd’hui. L’un des auteurs de cet article a d’ailleurs dirigé les réflexions et les travaux qui ont abouti en 2013 au choix de ce montant ainsi qu’au montant de 160 000 euros pour la valeur statistique de l’année de vie. Le <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/Elements-pour-une-r%C3%A9vision-de-la-valeur-de-la-vie-humaine.pdf">rapport</a> qui justifie ces valeurs précise qu’il est utile de recourir à l’année de vie perdue pour compléter les analyses et les calculs quand « la question de l’âge se pose ». Il ne recommande pas toutefois dans ce cas d’employer uniquement cette valeur. Il convient désormais de trancher ce ni oui ni non.</p>
<h2>Fair innings</h2>
<p>Pourquoi proposons-nous d’opter en faveur d’une valeur tenant compte de l’âge ?</p>
<p>Examinons d’abord les conséquences d’un tel choix. Les personnes âgées ayant moins d’années à vivre devant elles, le passage d’une comptabilité en valeur d’une vie perdue à une comptabilité en année de vie perdue conduit à retenir proportionnellement moins de projets de réduction du risque de mortalité en leur faveur. Par exemple, dans le choix entre un projet qui évite des décès de canicule et un projet qui évite des décès d’accident de la route et donc bénéficie à une population plus équilibrée en âge, le premier sera économiquement plus avantageux, toutes choses égales par ailleurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En France, la valeur statistique d’une vie est ainsi passée de la première référence en1970 à la plus récente en 2013 d’un peu moins de 300 000 d’euros d’aujourd’hui à un peu plus de trois millions d’aujourd’hui.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wallpaperflare.com/label-tag-string-shape-card-space-paper-mockup-design-space-wallpaper-awxrs">Wallpaperflare</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le choix d’une valeur ou d’une autre relève ainsi d’un souci de justice intergénérationnelle, soit celui de privilégier les vieilles générations soit celui de privilégier les jeunes générations.</p>
<p>Privilégier ces dernières et non l’inverse repose sur l’idée que chacun disposerait d’une durée d’existence semblable égale à l’espérance de vie de sa classe d’âge. Toute personne qui décèderait plus tôt subirait une injustice que la collectivité devrait prévenir. Ce <a href="https://www.jstor.org/stable/27504067">principe</a> est défendu par un économiste de la santé anglais, Alan Harold Williams. Il s’est inspiré des réflexions d’un <a href="https://philpapers.org/rec/HARTVO-4">philosophe compatriote</a>. En référence au sport national de l’Angleterre, il porte le nom d’argument du <em>Fair innings</em>, ce dernier terme désignant une manche du jeu de cricket pour l’équipe du batteur.</p>
<p>Il pose que l’évitement de décès de personnes ayant franchi ou s’approchant du cap de la vieillesse n’est pas acceptable s’il peut seulement être obtenu en coûtant des vies à ceux qui en sont loin. Une telle situation apparaît quand la société s’est fixé un budget contraint pour les dépenses de santé et de sécurité civile. Plus largement, l’argument du <em>Fair innings</em> rejoint l’idée d’une <a href="https://hal-univ-paris-dauphine.archives-ouvertes.fr/halshs-03670001/">réduction légitime des inégalités de durée de vie</a> entre les individus.</p>
<p>Observons que ce principe n’est pas sans références imagées. Par exemple à travers la formulation populaire « d’années de bonus » pour qualifier celles au-delà de l’espérance de vie. Ou même dans la Bible spécifiant que « Les jours de nos années <a href="https://lire.la-bible.net/76/detail-traduction/chapitres/verset/Psaumes/90/10/SEG">s’élèvent à 70 ans</a> » et suggérant que ceux qui vivent plus longtemps n’ont pas à en tirer orgueil car <a href="https://www.bibliaplus.org/fr/commentaries/4/commentaire-biblique-par-albert-barnes/psaume/90/10">ils n’y sont pour rien</a>.</p>
<h2>Courbe en U renversé</h2>
<p>Dès lors, quelle valeur du coût d’une année de vie en moins évitée choisir ?</p>
<p>Une première façon consiste à la déterminer à partir de la « valeur statistique d’une vie » en la saucissonnant. Pour un individu de 40 ans bénéficiant d’une espérance de vie de 78 ans, la valeur d’une tranche d’une année de vie est égale à la « valeur statistique d’une vie » divisée par 38 (i. e., 78 – 40). Mais pour tenir compte dans le temps de l’arbitrage entre consommer aujourd’hui ou demain, il est nécessaire d’actualiser le nombre d’années de vie au dénominateur. C’est l’approche suivie dans le rapport cité plus haut qui aboutit au montant de 160.000 euros en prenant un taux d’actualisation de 3 %.</p>
<p>Cette façon de faire est très commode car on dispose d’un beaucoup plus grand nombre de travaux qui déterminent directement la valeur statistique « d’une vie » plutôt que « d’une année de vie ». Une de ses principales faiblesses est que le résultat est très sensible au taux d’actualisation alors qu’il n’a pas été observé. Il résulte d’un choix des experts et ce choix comporte donc une part d’arbitraire.</p>
<p>Une seconde méthode repose encore sur la « valeur statistique d’une vie » mais considère qu’elle n’est pas indépendante de l’âge. Un grand nombre d’enquêtes et de modèles laissent penser en effet que c’est bien le cas. Ils montrent que la valeur d’une vie en fonction de l’âge prend approximativement la forme d’un U renversé. Elle augmente rapidement au cours des jeunes années, se stabilise à l’âge adulte et diminue plus ou moins vite au cours de la vieillesse. La forme précise du U renversé et donc la valeur d’une année de vie selon l’âge, qui n’est donc plus constante contrairement à la première méthode, diffère cependant beaucoup selon les études.</p>
<p>Une troisième façon consiste à repérer à travers des questions auprès des individus comment leur déclaration sur la valeur d’années de vie additionnelles varie selon leur âge. Il existe cependant extrêmement peu de travaux en France ou ailleurs procédant de cette façon.</p>
<p>En attendant que ce type d’enquêtes directes se développent ou d’autres avancées de la recherche, nous suggérons d’employer l’une des deux autres méthodes. Mais nous recommandons que la présentation des résultats pour évaluer telle ou telle dépense publique soit accompagnée d’une étude de sensibilité au taux d’actualisation et courbes de U renversés choisies.</p>
<p>Concluons par deux observations qui rejoignent les débats et réflexions actuelles sur la fin de vie. En premier lieu, la pondération des vies sauvées par le nombre d’années de vie gagnées doit naturellement tenir compte de la qualité de vie au cours de ces années gagnées. C’est un autre pan bien fourni de la recherche économique qui prolonge ceux mentionnés ici. Il s’est notamment développé dans le secteur de la santé. En second lieu, notre proposition doit être discutée et débattue au-delà des experts de la question et de l’administration. Il ne s’agit pas d’un choix technocratique. Les citoyens doivent y être associés et en délibérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Plusieurs travaux ont tenté d’apporter des réponses à ce dilemme qui reste largement débattu chez les économistes.
François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSL
Emile Quinet, Professeur émérite Ecole des Ponts-ParisTech et membre associé de Paris School of Economics, École des Ponts ParisTech (ENPC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/204877
2023-05-09T18:23:59Z
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Qatar : l’entrepreneuriat pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/524083/original/file-20230503-22-t16e6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C852&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les politiques économiques décidées par Doha portent leurs fruits mais du chemin reste à parcourir.
</span> <span class="attribution"><span class="source">ilfioredellavita / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La dernière <a href="https://theconversation.com/fr/topics/coupe-du-monde-qatar-2022-130239">Coupe du monde de football</a>, organisée fin 2022, a été l’occasion de mieux connaitre le <a href="https://theconversation.com/topics/qatar-39492">Qatar</a>, pays organisateur, et ses 2,9 millions d’habitants. De nombreux <a href="https://theconversation.com/coupe-du-monde-au-qatar-quand-les-sponsors-se-mettent-a-la-geopolitique-195227">articles</a>, études et enquêtes ont été relayés sur des sujets de société, sur son <a href="https://theconversation.com/la-coupe-du-monde-une-simple-etape-de-lambitieux-plan-de-developpement-du-qatar-192794">économie</a>, sur l’utilisation du sport comme outil de <a href="https://theconversation.com/apres-le-qatar-larabie-saoudite-joue-la-carte-du-soft-power-par-le-sport-201513"><em>soft power</em></a>, éclairant moult polémiques autour de l’événement. À nos yeux, un aspect est toutefois resté peu abordé : comment le Qatar ambitionne-t-il de sortir de sa dépendance aux hydrocarbures en développant l’entrepreneuriat ?</p>
<p>Lancé en 2008, l’ambitieux plan de développement <a href="https://www.gco.gov.qa/en/about-qatar/national-vision2030/">« Qatar National Vision 2030 »</a> vise à modifier le pays en profondeur en l’engageant dans une transition vers l’économie de la connaissance et de l’entrepreneuriat. Cette volonté gouvernementale s’est traduite par des réformes et des politiques incitant les Qataris à créer des entreprises. Ainsi, sous l’impulsion de l’État, un écosystème entrepreneurial favorable a-t-il vu le jour : développement de pépinières et d’incubateurs, de centres de recherche en entrepreneuriat, de fonds d’investissement, a même été créée une Banque de Développement du Qatar en 1997, qui a mis en route le Qatar Business Incubation Center en 2014.</p>
<p>La <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/978-1-80071-517-220221003/full/html?skipTracking=true">recherche</a> que nous avons menée permet de mieux se saisir du sujet, d’observer les premiers résultats des politiques mises en place et de cibler les défis qui restent à relever.</p>
<h2>6 % d’entrepreneurs établis</h2>
<p>Pour saisir la dynamique dans toutes ses nuances, le <em>Global Entrepreneurship Monitor</em> (<a href="https://www.heg-fr.ch/fr/recherche-et-services/projets/global-entrepreneurship-monitor-gem/">GEM</a>), étude menée chaque année dans 60 pays par plusieurs institutions pour appréhender les phénomènes entrepreneuriaux, a mis au point une méthodologie. Nous l’avons reprise dans notre étude pour distinguer trois types d’entrepreneurs correspondant à trois phases de développement.</p>
<p>Les <em>entrepreneurs naissants</em> sont ceux engagés dans les premières phases du processus de création et qui ont versé entre 0 et 3 mois de salaire ; les <em>nouveaux entrepreneurs</em>, ceux engagés dans un processus depuis moins de 42 mois et qui ont payé des salaires entre 4 et 41 mois ; enfin, les entreprises des <em>entrepreneurs établis</em> fonctionnent depuis plus de 42 mois et qui ont versé au moins 42 mois de salaire.</p>
<p><iframe id="V66vl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/V66vl/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Depuis 2016, les taux des trois phases de la création d’entreprise connaissent une croissance continue au Qatar. Un pic semble avoir été atteint en 2020 avant un ralentissement en 2021, conséquence de la pandémie. Sur cette période, le taux d’entrepreneurs naissants a plus que doublé, passant de 4,3 % à 10,1 % de la population du pays. Les nouveaux entrepreneurs progressent aussi sur la même période pour passer de 3,6 % à 6 %. Ces changements indiquent qu’au Qatar de plus en plus de personnes se lancent dans l’aventure entrepreneuriale.</p>
<p>Le taux d’entrepreneurs établis permet, lui, de mesurer la transformation de ces projets entrepreneuriaux en entreprises plus pérennes. Là aussi, ce taux progresse sur la période pour passer de 3 % en 2018 à 6,1 % en 2021. Il semble clair que les différentes politiques mises en place pour encourager l’entrepreneuriat portent leurs fruits.</p>
<h2>Qui sont les entrepreneurs et pourquoi se lancent-ils ?</h2>
<p>Au Qatar, la population des entrepreneurs a de particulier d’être fortement représentée parmi les segments les plus âgés de la population (55-64 ans) même si ces dernières années, les 25-34 ans constituent le premier groupe d’entrepreneurs. Les plus jeunes (18-24 ans) sont les moins nombreux à tenter l’aventure entrepreneuriale. Le faible taux de chômage et donc, les nombreuses opportunités de trouver un emploi stable à un âge où l’on ressent souvent le besoin de se forger une première expérience professionnelle et un capital de départ peuvent constituer des pistes d’explications.</p>
<p>Les motivations des entrepreneurs naissants et nouveaux pour créer une entreprise au Qatar sont restées inchangées depuis 2019. La volonté de devenir riche est de loin le facteur numéro 1, puis viennent respectivement le besoin de gagner sa vie car les emplois sont rares, le souhait de faire une différence dans le monde et enfin la volonté de perpétuer une tradition familiale. À titre de comparaison, les résultats du GEM 2021 en <a href="https://www.gemconsortium.org/report/gem-france-2021-report">France</a> placent le besoin de gagner sa vie en première <a href="https://theconversation.com/la-culture-entrepreneuriale-est-elle-vraiment-plus-developpee-ailleurs-quen-france-195770">position</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>De façon peut-être contre-intuitive, l’écart entre les genres était minime, en 2019, pour les entreprises établies et quasiment à parité pour les entreprises naissantes et nouvelles. Le Qatar faisait alors figure d’exception. Reste que cette situation n’a pas duré. Depuis 2020, on observe une différence notable entre les hommes et les femmes sur toutes les phases de la création d’entreprise. Alors que la perception des opportunités est haute et quasiment à parité entre les hommes et les femmes, les différences se creusent sur la perception de leurs compétences entrepreneuriales et sur la peur de l’échec. Les femmes ont une perception moindre de leurs capacités à entreprendre et une peur de l’échec plus élevée. En cela, la population des entrepreneuses au Qatar n’a rien de spécifique.</p>
<p>Les aspirations et les motivations des entrepreneuses sont dans le même ordre que leurs homologues masculins avec la volonté de devenir riche en première position mais elles sont plus nombreuses que les hommes à voir la création d’entreprise comme un moyen de gagner leur vie. Enfin, si les femmes ont souvent des intentions entrepreneuriales plus élevées que les hommes il semblerait qu’elles aient plus de difficultés à transformer ces intentions en entreprises pérennes.</p>
<h2>Quel avenir pour cette transition économique ?</h2>
<p>Le dernier <a href="https://www.qdb.qa/en/Documents/Qatar_GEM_2021_en.pdf">rapport</a> du <em>Global Entrepreneurship Monitor</em> sur l’année 2021 au Qatar note que les politiques publiques durant la pandémie du Covid n’ont pas toujours été particulièrement propices au soutien de l’activité entrepreneuriale. En dépit d’un écosystème toujours considéré comme favorable avec notamment un large réseau d’incubateurs efficaces et des politiques fiscales encourageantes, les experts considèrent que la facilité et la rapidité d’accès à l’information pour les entrepreneurs auprès des agences gouvernementales restent limitées.</p>
<p>Une transition économique de cette ampleur demande du temps non seulement pour mettre en place un écosystème incitatif mais surtout pour insuffler un esprit entrepreneurial au sein de la population afin de considérer la création d’entreprise comme un choix de carrière possible et valorisé. Il apparait aussi important d’accompagner spécifiquement les entrepreneuses dès les premières phases de la création afin de réduire l’écart avec leurs homologues masculins.</p>
<p>S’il est encore trop tôt pour mesurer un éventuel effet Coupe du monde sur la création d’entreprise au Qatar, les politiques publiques possèdent ainsi d’ores et déjà des indications claires sur les différents points de friction à atténuer.</p>
<hr>
<p><em>Ahmad Hawi, Directeur général adjoint Gestion des données et gouvernance à la Banque de Développement du Qatar, a également contribué à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204877/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Garonne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les politiques qataries portent leurs fruits : la dynamique entrepreneuriale semble bien enclenchée dans le pays mais uniquement auprès de populations spécifiques.
Christophe Garonne, Professeur d'entrepreneuriat, Kedge Business School
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tag:theconversation.com,2011:article/197191
2023-02-21T14:48:20Z
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Communiquer efficacement les connaissances scientifiques permet de sauver des vies
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510615/original/file-20230216-30-4w55bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C0%2C5568%2C3709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les campagnes de vaccination à travers le monde sont dûes à la volonté des dirigeants politiques, qui sont influencés par ce qu'ils savent -ou ne savent pas- des dernières découvertes scientifiques. D'où l'importance de bien les communiquer.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://theconversation.com/nouveau-rapport-du-giec-toujours-plus-documente-plus-precis-et-plus-alarmant-178378">Les rapports alarmants du GIEC</a> ainsi que la pandémie de Covid-19 sont des exemples récents d’un phénomène qui n’est pas nouveau, mais prend de l’ampleur : la difficulté de bien communiquer les dernières recherches scientifiques afin de guider les actions des dirigeants. Il manque des stratégies efficaces pour traduire des données de recherche en actions sur le terrain et en politiques publiques. </p>
<p>Les efforts nécessaires pour partager des connaissances scientifiques afin d’en favoriser l’utilisation sont trop souvent sous-estimés. Les compétences pour le faire s’acquièrent rarement dans les laboratoires de recherche ou sur les bancs des universités. Ceci fait en sorte que, malgré les grandes habiletés de certains pour transformer des résultats de recherche dans un format approprié à un public non expert, la grande majorité des chercheurs et chercheuses n’ont reçu aucune formation pour le faire. </p>
<p>Nous faisons partie de l’Équipe RENARD, une équipe de recherche sur le transfert de connaissances (TC). Nous avons participé à plusieurs projets de recherche portant sur le transfert de connaissances et ses outils, mécanismes et activités. </p>
<p>Par exemple, une de <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pntd.0008305">nos études</a> menée au Burkina Faso a évalué l’efficacité d’une vidéo pour transmettre des informations à des agentes et agents de santé au sujet de la dengue. Cette maladie, souvent confondue avec le paludisme, peut s’aggraver jusqu’à causer la mort lorsqu’on administre à la personne atteinte un traitement anti-paludique. La version finale de la vidéo produite a été diffusée par le ministère de la Santé du Burkina Faso et visionnée par des centaines de personnes. Une étude subséquente a montré <a href="https://doi.org/10.29392/001c.29879">l’efficacité de ce moyen</a> pour sensibiliser et influencer les pratiques infirmières. </p>
<h2>Une démarche pour utiliser la science</h2>
<p>Il n’y a malheureusement pas de recette miracle pour communiquer efficacement les connaissances scientifiques. Mais la recherche sur le transfert de connaissances a clarifié la démarche et les étapes à suivre grâce une compréhension fine du processus qui fait que des savoirs vont être mis en pratique — ou pas.</p>
<p>Grâce aux <a href="https://policy.bristoluniversitypress.co.uk/what-works-now">nombreuses études sur ce sujet</a>, on sait aujourd’hui que le fait de produire des connaissances, aussi pertinentes et rigoureuses soient elles, ne suffit pas. Les résultats validés par la science doivent être présentés à celles et ceux qui prennent des décisions pour changer leur pratique ou politique dans un format accessible (exit les rapports de centaines de pages que seuls quelques scientifiques lisent !), avant d’être diffusés vers les publics susceptibles de les utiliser. </p>
<p>Afin d’utiliser le potentiel de la recherche, il faut aussi prévoir un accompagnement du changement lorsque nécessaire. Car opinions, habitudes ou <a href="https://books.openedition.org/pum/3607?lang=fr">idées reçues</a> provoquent des <a href="https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2021/07/19/chercheurs-et-acteurs-humanitaires-passer-de-la-mefiance-a-lefficience/">résistances</a>, qui ne peuvent être vaincues sans interactions avec les personnes qui vont utiliser la recherche. </p>
<p>Toutes ces questions et bien d’autres constituent le domaine de recherche à part entière du <a href="https://www.acfas.ca/publications/magazine/2015/11/transfert-connaissances-scientifiques-c-est-bien-c-est-pas-encore">transfert de connaissances</a>, en pleine effervescence depuis une vingtaine d’années, et qui se définit désormais comme la « science de l’utilisation de la science. »</p>
<h2>Délaisser le jargon scientifique</h2>
<p>L’<a href="https://www.equiperenard.org/">équipe de recherche RENARD</a>, de l’Université de Montréal, et l’<a href="https://www.ird.fr/">Institut de recherche pour le développement</a> (IRD), basé en France, ont élaboré depuis 2020 <a href="https://catalogue.edulib.org/fr/series/le-transfert-de-connaissances/">trois cours gratuits en ligne</a>. Ces MOOC (massive open online courses) sont offerts sur un mode asynchrone et autoportant, c’est-à-dire que les apprenantes et apprenants peuvent les suivre à leur rythme, au moment qui leur convient. Le premier présente une introduction au TC, le deuxième porte sur la préparation d’une note de politique et le troisième, sur le courtage de connaissances.</p>
<p>Des milliers de personnes ont ainsi découvert, de façon autonome, la science du transfert de connaissances, ses principes, et surtout les critères pour mesurer son efficacité. Par ailleurs, un accompagnement est offert à des équipes d’interventions en santé publique au Québec, en Côte d’Ivoire, au Mali, à Madagascar, au Kenya ou en France.</p>
<p>En Côte d’Ivoire, les chercheurs et chercheuses du <a href="https://web.pac-ci.org/">centre de recherche d’exception PAC-CI</a>, dont les travaux ont inspiré des recommandations de l’OMS sur plusieurs fronts en prévention et traitement du VIH, se sont ainsi attelés à la rédaction de « notes de politique ». <a href="https://www.equiperenard.org/post/la-collection-des-notes-de-politique-pac-ci-et-col-cc-c%C3%B4te-d-ivoire">Ces documents synthétiques</a> présentent des résultats de recherche dans un format accessible, assortis de recommandations pour l’action destinées aux personnes qui en auront besoin, comme des responsables, des soignants ou des personnes décisionnaires.</p>
<p>Se confronter à la pratique du transfert n’est pas chose facile. Il faut délaisser le jargon scientifique, sur lequel repose souvent la légitimité des scientifiques dans leur groupe de pairs, et aller à l’essentiel pour informer et convaincre. L’enjeu est de taille afin de contribuer efficacement à de nouveaux efforts internationaux en santé, comme l’éradication du cancer du col de l’utérus. Les notes de politiques préparées par les chercheurs et chercheuses de PAC-CI sont largement diffusées et présentées lors d’événements impliquant des personnes décisionnaires. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des gens portant le masque en train de faire des courses dans un magasin" src="https://images.theconversation.com/files/510188/original/file-20230214-14-ey90p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510188/original/file-20230214-14-ey90p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510188/original/file-20230214-14-ey90p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510188/original/file-20230214-14-ey90p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510188/original/file-20230214-14-ey90p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510188/original/file-20230214-14-ey90p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510188/original/file-20230214-14-ey90p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des gens portant le masque se pressent dans les allées dans un Costco à Burnaby, en Colombie-Britannique, le 13 décembre 2020. Les élus ont imposé le port obligatoire du masque au pays à la suite de recommandations de scientifiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Jonathan Hayward</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des impacts concrets</h2>
<p>À l’Institut Pasteur de Madagascar, cinq équipes de recherche entretiennent des réseaux serrés autour de projets cruciaux, comme l’amélioration du taux de vaccination infantile ou la santé en milieu carcéral. Pour accélérer l’impact de ces recherches, des partenaires d’agences gouvernementales, d’ONG, et des scientifiques, ont suivi <a href="https://www.pasteur.mg/projet-rise-formation-renforcement-des-capacites-en-transfert-de-connaissances-%ef%bf%bc%ef%bf%bc/">deux cycles de formation sur le transfert de connaissances</a>. Il en a résulté des ateliers délibératifs, des formations en milieu carcéral et de nombreux outils et initiatives qui contribuent à transformer le paysage de la recherche en santé et en sciences sociales sur l’Île.</p>
<p>En <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2020-4-page-103.htm">Afrique de l’Ouest</a>, de multiples activités de transfert des connaissances réalisées ces dix dernières années ont permis de faire évoluer les politiques publiques. <a href="https://www.nature.com/articles/s41599-018-0173-x">Au Burkina Faso</a>, la mobilisation d’un « courtier en connaissances » et la production de plusieurs ateliers où les personnes peuvent débattre à partir de données probantes et de notes de politiques ont contribué à la formulation d’une nouvelle politique d’exemption du paiement des soins pour les enfants de moins de cinq ans. </p>
<p>Au Mali et au <a href="https://revue-tuc.ca/index.php/accueil/article/view/9">Niger</a>, des ateliers, des notes et un film ont permis de montrer aux responsables nationaux les difficultés de la mise en œuvre des politiques de santé en faveur des enfants. Au Sénégal, la capitalisation (et un <a href="https://hal.science/hal-01824189/document">atelier délibératif national</a>) d’un projet sur les mutuelles de santé a inspiré le gouvernement à l’étendre à l’ensemble du pays afin de renforcer sa politique de couverture sanitaire universelle. </p>
<p>Enfin, en France, une intervention de <a href="https://ideas4development.org/recherche-developpement-courtage-connaissances/">« courtage en connaissances »</a> est en cours d’expérimentation au sein d’une Agence régionale de santé pour favoriser l’utilisation des connaissances scientifiques afin de planifier des actions de santé publique pour réduire les inégalités sociales de santé, par exemple dans le domaine de l’environnement ou de l’habitat insalubre. </p>
<h2>Un métier en quête de légitimité</h2>
<p>Qui a la responsabilité de réaliser et de financer le transfert de connaissances ? Alors que l’agenda des scientifiques déborde déjà, réaliser des activités de transfert demande de transformer des résultats de recherche complexes, les simplifier sans les trahir, et d’encourager le public ciblé — différent selon les situations — à passer à l’action et à soutenir la formulation de politiques. Au-delà de stratégies de communication ponctuelle, il s’agit d’un engagement de longue haleine qui doit être soutenu par les bailleurs de fonds en recherche afin d’assurer l’utilisation effective des résultats scientifiques.</p>
<p>Les <a href="https://catalogue.edulib.org/fr/series/le-transfert-de-connaissances/">MOOC développés par l’Équipe RENARD et l’IRD</a> sont certainement utiles pour mener à une plus grande utilisation de la recherche pour améliorer les pratiques et la prise de décision. Nous croyons que de plus en plus de personnes devraient en maîtriser les contenus. Bien sûr, à eux seuls, ils ne seront pas suffisants pour changer le monde, mais ils contribueront certainement à développer progressivement une compréhension commune du transfert de connaissances, et pourquoi pas, <a href="https://www.exemplars.health/stories/how-burkina-faso-cut-its-under-five-mortality">sauver des vies</a>. </p>
<p>C’est ce qui s’est passé au Burkina Faso pour l’exemption du paiement des soins en faveur des enfants. Une politique de santé a été formulée et mise en œuvre à partir de connaissances scientifiques, grâce à la mobilisation des responsables politiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197191/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Dagenais a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC), des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de l'ARN, de l'OMS et de l'Initiative (Expertise France). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aurelie Hot a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC) et de l'Initiative (Expertise France). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valery Ridde a reçu des financements de l'ANR, des IRSC, d'ONG et de l'OMS. </span></em></p>
Bien communiquer les dernières recherches scientifiques aide à guider les actions des dirigeants et ultimement, à sauver des vies. Mais communiquer efficacement n’est pas chose facile.
Christian Dagenais, Professeur, département de psychologie, Université de Montréal
Aurélie Hot, Conseillère principale de recherche - Équipe RENARD sur le transfert de connaissances, Université de Montréal
Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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tag:theconversation.com,2011:article/199830
2023-02-15T23:10:44Z
2023-02-15T23:10:44Z
Bonnes feuilles : Transformation digitale et politiques publiques
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509814/original/file-20230213-20-fqnm73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C24%2C1211%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le numérique contribue aujourd’hui à redessiner les rapports entre gouvernants et gouvernés.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/argonne/14557566204">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Dans nos sociétés contemporaines, l’ampleur de la digitalisation n’est plus à démontrer. Alors que les entreprises ont intégré les enjeux du numérique depuis plus de vingt ans, le secteur public s’y trouve aujourd’hui confronté de plein fouet.</em></p>
<p><em>Comment cette nouvelle donne « numérique », portée principalement par les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/plates-formes-31157">plates-formes</a> et le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/big-data-23298">big data</a>, entre-t-elle en résonnance avec les nouvelles politiques publiques ? Et comment le numérique contribue-t-il à redessiner les rapports entre gouvernants et gouvernés ? L’ouvrage collectif coordonné par Valérie Revest et Isabelle Liotard</em>, <a href="https://www.istegroup.com/fr/produit/transformation-digitale-et-politiques-publiques/">Transformation digitale et politiques publiques : les enjeux actuels</a> <em>(Éditions ISTE), étudie la manière dont l’utilisation des outils digitaux affecte certaines politiques publiques.</em></p>
<p><em>Dans cette recherche, dont The Conversation France publie ci-dessous des extraits, deux grandes questions sont soulevées : si les acteurs publics mobilisent de manière croissante ces outils, quels sont concrètement les instruments/mécanismes choisis ? Les catégories d’outils digitaux utilisés influencent-elles les objectifs et la mise en œuvre des politiques publiques ? Ces problématiques sont abordées au travers de trois terrains : les plates-formes et les politiques d’innovation, les modèles de microsimulation et les politiques sociales, et les big data et les politiques de la santé.</em></p>
<hr>
<h2>Une analyse impérative</h2>
<p>Selon un large consensus, les technologies digitales sont en cours de restructurer radicalement des industries entières. La multiplication et la mise à disposition de vastes ensembles de données numériques provenant de sources hétérogènes, couplées à une capacité d’analyse de plus en plus rapide et de moins en moins coûteuse, ouvrent en effet la voie à de nouvelles expertises dans des domaines très variés. Dans le secteur privé, ces technologies sont à l’origine de nouveaux business models et de nouveaux modes d’organisations et d’interactions.</p>
<p>Dans le prolongement de cette tendance, le soutien à la production et à l’exploitation des données numériques est appréhendé par les États comme un des piliers de leur développement économique et social, ainsi qu’en témoignent les investissements massifs réalisés ces dernières années dans des secteurs aussi variés que la santé ou la sécurité intérieure.</p>
<p>Les promoteurs de la révolution numérique voient dans l’émergence d’une « nouvelle » politique de la donnée, une transformation de la conception traditionnelle de l’État et de ses modes d’intervention. Le déploiement de cette « nouvelle forme d’action publique » basée sur la régulation par la donnée susciterait de profondes recompositions dans les modes de gouvernance existants.</p>
<p>C’est ainsi qu’émergent de nouveaux concepts – e-government, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2012-2-page-367.htm">open-government</a> ou <a href="https://www.economie.gouv.fr/igpde-editions-publications/analyse-comparative-n6">citizen sourcing</a>. Ces derniers permettent de concrétiser la venue de nouveaux acteurs, l’émergence de nouveaux savoirs et instruments davantage dépolitisés ciblant la conduite individuelle, ainsi que de nouvelles formes d’action collective.</p>
<p>Se déployant dans un contexte marqué par une forte défiance à l’égard du pouvoir politique traditionnel, ces technologies digitales sont présentées par certains acteurs comme un moyen de répondre au déficit démocratique des sociétés contemporaines.</p>
<p>D’un côté la production et l’accès à des données massives de la part des décideurs publics permettraient d’améliorer l’efficacité des politiques publiques, ainsi que la démocratie. Ces technologies leur offriraient ainsi la possibilité de prendre des décisions rapides et de résoudre des problèmes d’une manière beaucoup plus flexible. Elles amélioreraient ainsi l’efficacité de la prise de décision.</p>
<p>D’un autre côté, les effets des outils numériques sur l’action publique seraient plus complexes à analyser et ambivalents. Le cas du recours aux <a href="https://www.etalab.gouv.fr/retour-sur-lopen-data-maturity-index-2021-politique-gouvernance-de-lopen-data-en-france-1-4/">open data</a> (données ouvertes) est particulièrement révélateur de cette complexité. Ces dernières désignent, de manière synthétique, des données auxquelles n’importe qui peut accéder, que tout le monde peut utiliser ou partager.</p>
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<p>Parallèlement, on observe également un recours croissant de l’État à des bases de données possédées par des entreprises privées : on pense par exemple à l’utilisation des données de téléphonie mobile pour mesurer la répartition de la population sur le territoire en période de confinement.</p>
<p>Deux thématiques apparaissent comme primordiales. Premièrement, les interactions entre les producteurs de données publiques et privées, en lien avec la notion de propriété, nécessitent une réflexion approfondie. Deuxièmement, les questions de l’accès, du coût, et de l’utilisation des données constituent un enjeu majeur pour les usagers.</p>
<h2>Une intégration accrue… mais difficile</h2>
<p>Les études de terrain nous ont permis de mettre en lumière deux grands enseignements. Il n’existe pas une réponse unique aux questions posées, et la spécificité des politiques conduites dans des domaines bien particuliers nécessite des outils adaptés, reflétant les objectifs de la politique concernée, ses enjeux et ses obstacles.</p>
<p>Dans le contexte de la politique d’innovation européenne, nous soulignons que deux forces sont à l’œuvre : d’un côté la volonté des autorités européennes de « faire » de la politique d’innovation différemment, au travers de <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/15/4/3240">concours</a> et de plates-formes, et de l’autre les limites vis de vis de l’inclusivité des parties prenantes, et donc de la démocratisation du processus. Le défi pour les pouvoirs publics consiste à apprendre à dominer l’outil des plates-formes digitales, ainsi que le souligne Claudine Gay, afin que le design de ces dernières soit en accord avec les objectifs politiques.</p>
<p>Dans le domaine de la santé, Audrey Vézian montre que l’engouement des acteurs publics français pour l’accès aux données de santé génère une tension entre les effets bénéfiques (faciliter l’accès aux données, stimuler la recherche, etc.), et la complexité des mécanismes de gouvernance. Enfin, dans le contexte des politiques sociofiscales Franck Bessis et Paul Cotton étudient les stratégies déployées par les agents de l’administration et les chercheurs pour l’ouverture des données et des codes, dans le cadre des modèles de microsimulation utilisés pour évaluer des réformes. Ils questionnent les enjeux du maintien d’une pluralité et d’un partage des capacités d’évaluation entre administrations et universitaires.</p>
<h2>Des réflexions incontournables pour demain</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509820/original/file-20230213-30-bx5ubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.istegroup.com/fr/produit/transformation-digitale-et-politiques-publiques/">Éditions ISTE</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les politiques publiques font face actuellement à de grands défis sociétaux (« <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11024-017-9332-2">grand challenge</a> » en anglais) de plus en plus complexes, incluant notamment dimension technologique, environnementale et sociale (le réchauffement de la planète, la préservation de la biodiversité ou le vieillissement de la population). Aujourd’hui, un grand nombre de chercheurs converge vers l’argument selon lequel, la nature même des grands défis de société bouscule les approches traditionnelles des politiques publiques.</p>
<p>Des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13662716.2016.1146124">pistes de réflexion</a> sur la nécessité de concevoir de nouvelles formes de politiques publiques de l’innovation sont apparues. Selon cette perspective, une vision tournée vers la co-création et le co-design entre gouvernants et gouvernés fait son chemin par exemple la citizen science (portée par exemple par la <a href="https://www.nasa.gov/sites/default/files/atoms/files/2019_nasa_open_innovation_report_final.pdf">NASA</a>). Cette dernière traduit la capacité du citoyen à s’impliquer dans des programmes de recherche tournés vers la science. L’idée générale est que les amateurs (le grand public) peuvent contribuer à la production de connaissances scientifiques (par exemple la remontée de données venant du terrain), avec en filigrane la volonté de renforcer des actions d’éducation et de sensibilisation.</p>
<p>L’autre mouvement à l’œuvre concerne l’impact croissant de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">l’intelligence artificielle (IA)</a>. Si les plates-formes privées ont été les premières à mettre l’IA au cœur de leur stratégie, les acteurs publics commencent à se saisir également des opportunités offertes par cette technologie. L’arrivée de l’IA affecte notamment les frontières entre les domaines d’intervention des acteurs privés et publics. D’une part, son usage par le secteur privé peut conduire ce dernier à considérer d’un œil nouveau des services jusqu’alors délivrés par le secteur public, et à y trouver une forme nouvelle de rentabilité. Si le <a href="https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/puissance-publique-et-plateformes-numeriques-accompagner-l-uberisation">périmètre du service public est connu pour être évolutif</a>, l’arrivée de cette technologie a accéléré cette tendance.</p>
<p>D’autre part, à l’inverse, de nouvelles activités de service public ou bien le renforcement de certaines autres peuvent en résulter. Les applications en termes de traitement des données de santé, de défense, d’agronomie, de météo, d’éducation, de justice, de transport et de mobilité en sont une illustration. Ainsi, le défi majeur pour les politiques publiques de demain sera de tenter de concilier les avancées technologiques avec les besoins et souhaits exprimés par la société, tout en satisfaisant aux principes d’efficacité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199830/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Liotard a reçu des financements de la MSH-LSE
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valérie Revest a reçu des financements de la MSH-LSE et du programme H2020 GROWINPRO.</span></em></p>
Un ouvrage publié récemment dresse un panorama des enjeux actuels de la transformation digitale des organisations publiques. Extraits.
Isabelle Liotard, Maître de Conférences et chercheure en économie de l'innovation, des plateformes et des réseaux, Université Sorbonne Paris Nord
Valérie Revest, Professeure des universités en sciences économiques, centre de recherche Magellan, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3
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tag:theconversation.com,2011:article/194274
2022-11-15T16:51:15Z
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Quelles politiques pour limiter l’absentéisme dans le secteur public local ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/494419/original/file-20221109-15-job7mo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=143%2C67%2C1065%2C708&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La ville d’Alès dans le Gard (mairie en photo) a mis en œuvre la démarche participative «&nbsp;DEFI&nbsp;» (définir, engager, former, initier).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Town_hall_of_Ales.jpg">Krzysztof Golik/Wikimedia commons</a></span></figcaption></figure><p>Les chiffres de <a href="https://www.cnracl.retraites.fr/sites/default/files/SERVICES/FNP/Rubrique%20statistiques/2021%20Panorama_sofaxis_QVT.pdf">l’absentéisme dans la fonction publique territoriale</a>, en hausse, traduisent un niveau croissant de mal-être au travail des agents territoriaux. Les recherches académiques expliquent en effet l’absentéisme par <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/02683940710733115/full/html?journalCode=jmp">deux processus</a>. D’une part, un processus d’affaiblissement et de détérioration de la santé, affectant la capacité à être présent. D’autre part, un processus de démotivation au travail lié, par exemple, à une faible satisfaction dans son emploi ou son travail en général, ou un faible degré d’implication organisationnelle.</p>
<p>Au cours d’une de nos <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2021-2-page-79.htm">recherches</a>, nous nous sommes concentrés plus précisément sur deux déterminants de l’absentéisme : l’un lié au contexte social, à savoir le soutien organisationnel perçu (SOP), l’autre lié à une attitude de travail, à savoir l’implication organisationnelle (IO). Le SOP traduit l’évaluation faite par un salarié du <a href="http://classweb.uh.edu/eisenberger/wp-content/uploads/sites/21/2015/04/22_Perceived_Organizational_Support.pdf">degré d’implication de l’organisation</a> à son égard. À l’inverse, l’implication organisationnelle traduit le degré d’investissement du salarié à l’égard de son organisation.</p>
<p>Selon nos résultats, les agents territoriaux auraient une perception plutôt faible du soutien organisationnel et manifesteraient une implication plutôt négative de type calculée, liée notamment à l’obligation de rester dans leur organisation en raison des faibles opportunités d’emplois, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur organisation.</p>
<h2>Démarche participative</h2>
<p>Face à ces problèmes, plusieurs collectivités ont d’ores et déjà mis en œuvre des innovations managériales et organisationnelles. Ces innovations ont toutes en commun la mobilisation des richesses humaines des collectivités afin d’encourager la valorisation, le bien-être et le partage entre collaborateurs.</p>
<p>À ce titre, la ville d’Alès (Gard) a mis en œuvre la « Démarche DEFI » (définir, engager, former, initier). Reposant sur une démarche participative, associant élus, directeurs de pôle et direction, et participation du personnel autour de groupe de travail thématique, elle a pour objet le renforcement du dialogue social afin de co-construire les projets et changements territoriaux. Ce qui lui a permet simultanément de mettre en œuvre des actions d’amélioration de l’environnement de travail, de réduction des accidents de travail et de réflexion sur de nouvelles pratiques managériales.</p>
<p>Ce dernier axe a nécessité notamment le déploiement d’une campagne de formation, de sensibilisation, et d’accompagnement des cadres territoriaux à la conduite du changement, afin qu’ils puissent au mieux soutenir leurs équipes (réunir, réfléchir et con-construire) et leur donner les ressources nécessaires pour livrer une meilleure qualité de service rendu aux usagers.</p>
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<p>Les retombées de cette innovation ont été, d’une part, une baisse de l’absentéisme, du turn-over, du coût des assurances, du présentéisme, des griefs et conflits sociaux et, d’autre part, une nette amélioration du climat social, de la motivation et de l’implication des agents, de la créativité et de la qualité des décisions prises. Cette démarche a redonné du sens aux projets et changements entrepris et a redynamisé la confiance organisationnelle. Sa réussite tient, notamment, à une véritable impulsion et à un soutien de la direction.</p>
<h2>Transversalité</h2>
<p>Dans le même ordre d’idée, la mairie d’Orléans (Loiret) a créé un réseau interne de cadres – le réseau IX innovation et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a>. Issue de la volonté des cadres de mieux travailler ensemble afin de ne plus subir le changement mais en être les acteurs, ce réseau a fait de la communication un levier d’action et de la dynamique collective son outil.</p>
<p>Dans cette perspective, une organisation en mode participatif a été élaborée. En a découlé une pratique managériale centrée sur une démarche ascendante et un travail en transversalité où la coopération a permis de faire naître une créativité en berne et enrichir le métier de manager.</p>
<p>Cette innovation a permis d’impulser des dynamiques de formation des cadres territoriaux, un meilleur déploiement des formations des agents, le maintien d’un management de proximité, d’un travail de lien avec les agents, dans un contexte managérial lui aussi contraint. Elle a été source de motivation, d’amélioration continue du fonctionnement des collectivités de l’agglomération d’Orléans, d’accroissement de leur efficacité/efficience par le biais d’un accroissement du sentiment d’appartenance, du sens des actions menées, du développement d’une nouvelle capacité de partage de l’information et des compétences de chacun, d’une intelligence collective au-delà des liens hiérarchiques.</p>
<p>Il en a découlé, comme dans l’exemple précédent, une baisse de l’absentéisme des agents territoriaux, une meilleure image de la collectivité et une attractivité plus forte des talents en termes de recrutement. De même, l’impulsion et le soutien de la direction générale ont constitué des facteurs clés de succès de cette innovation.</p>
<h2>Des compétences managériales clés</h2>
<p>Enfin, la ville d’Antibes (Alpes-Maritimes), prix Territoria or 2015 pour sa démarche d’innovation organisationnelle, a notamment mis en place, pour un management plus collaboratif et soutenant, un outil appelé « Time out » fondé sur une démarche de réflexion et de recul sur les pratiques au sein des services. Impulsé par l’encadrement, ce temps d’échange a pour objectif de vérifier avec les équipes l’adéquation entre l’activité déployée et ses finalités initiales afin de mettre en exergue les conditions de réussite de l’activité et la dynamique d’équipe, et identifier les freins et blocages pour une amélioration continue du fonctionnement de l’activité du service.</p>
<p>Source de remobilisation des équipes, par leur participation, l’appropriation de leur activité de travail, l’assimilation des processus et décisions, la création du sens, le sentiment d’appartenance, et le développement de solutions appropriées, cet outil met en évidence le fait que les résistances, les mal-être professionnels et les conflits ne sont pas de barrières à l’innovation mais des mécanismes légitimes qu’il convient de gérer au plus près des situations de travail pour motiver et rendre plus performante les équipes.</p>
<p>C’est dans ce sens que la ville de Romans-sur-Isère (Drôme) déploie 4 compétences managériales clés pour affronter les nouveaux défis des collectivités : fédérer, réguler, faciliter et innover. Dans cette veine, afin de définir des processus organisationnels et managériaux optimaux (fédérer = impulsion et vison politique, efficacité des choix politiques et efficience des choix de gestion), source de comportements performants des agents au travail (assiduité, implication, satisfaction, fidélité à l’organisation et dans le travail), ces processus doivent être ajustés (réguler = flexibilité, adaptabilité, réflexivité) en agissant sur les freins et blocages (faciliter = coopération, dialogue social, transversalité, écoute) afin de produire de la performance (innover = anticiper, prévoir, écouter, expérimenter, structurer).</p>
<p>Cette démarche permet des apprentissages organisationnels, des améliorations opérationnelles ainsi que l’appropriation et l’assimilation de nouvelles pratiques. Il s’agit là d’autant d’occasions données aux agents et à l’encadrement de repenser et de réinventer leur activité de travail et de légitimer la vision politique, les choix politiques et de gestion (fédérer = confiance et soutien organisationnel, motivation).</p>
<p>Que retenir de ces expériences ? On décèle quelques facteurs clés de succès, comme un portage politique fort, une implication de la direction, un accompagnement, soutien et une formation des cadres en amont sont nécessaires pour mener des innovations managériales permettant de lutter contre l’absentéisme et soutenant en environnement de travail dans lequel les agents peuvent s’identifier.</p>
<p>En termes de pratiques, ces expériences soulignent en outre l’importance d’un dialogue social nourri, d’une communication maîtrisée, du déploiement d’une intelligence collective nécessitant d’aller au-delà de l’organisation en silo des organisations publiques, d’une reconnaissance non monétaire basée sur la confiance et l’échange, un travail de lien à redéployer dans le management tout au long de la ligne hiérarchique, donnant aux agents, tous statuts confondus, un sentiment d’utilité et de sens dans et des actions déployées ainsi qu’un sentiment d’appartenance à l’organisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194274/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Carassus a reçu des financements de collectivités locales et de leurs partenaires dans le cadre de la chaire OPTIMA (Observatoire du PiloTage et de l'Innovation Managériale locAle) de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amar Fall et Fatéma Safy-Godineau ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Certaines initiatives à Alès, Orléans, Antibes ou encore Romans-sur-Isère soulignent notamment l’importance de l’implication de la hiérarchie ou encore du dialogue social.
Fatéma Safy-Godineau, Maître de conférences en sciences de gestion, IAE Pau-Bayonne
Amar Fall, Maître de conférences - HDR, IAE Pau-Bayonne
David Carassus, Professeur en sciences de gestion, IAE Pau-Bayonne
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tag:theconversation.com,2011:article/189738
2022-10-03T14:21:48Z
2022-10-03T14:21:48Z
Fonderie Horne : quel rôle occupent les preuves scientifiques dans la décision politique au Québec ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487793/original/file-20221003-3479-f229kf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C20%2C4518%2C3428&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda?</span> <span class="attribution"><span class="source">(Maikel Rosabal Rodriguez)</span></span></figcaption></figure><p>Lorsque nous prétendons avoir la preuve de quelque chose, nous avons tendance à agir en conséquence, car nous pensons connaître la vérité. On pourrait donc penser que lorsqu’une nouvelle preuve scientifique est disponible, celle-ci devrait suffire en elle-même à entraîner une décision politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/decrochage-de-la-population-aux-mesures-sanitaires-une-sante-publique-plus-autonome-est-necessaire-176629">Décrochage de la population aux mesures sanitaires : une Santé publique plus autonome est nécessaire</a>
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<p>Or, comme le montre la <a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/2875-risque-cancerigene-concentrations-arsenic-cadmium-air-rouyn-noranda">récente évaluation de risques de cancers dans la ville de Rouyn-Noranda</a> et les <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/745239/nouvelles-normes-quebec-arsenic-fonderie-horne-rouyn-noranda">négociations gouvernementales avec la fonderie Horne</a> considérée responsable, la réalité semble bien plus complexe.</p>
<p>Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques ? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda ?</p>
<p>Professeur titulaire et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches sur la science, l’expertise et les politiques publiques cherchent à apporter un éclairage sur ces questions. Dans un chapitre d’un livre collectif à paraître (Molly Kao et Julien Prud’homme, <em>Faire preuve. Comment nos sociétés distinguent-elles le vrai du faux</em>, Presses de l’Université de Montréal) sur l’utilisation des preuves scientifiques dans la décision politique, nous argumentons que celles-ci ne peuvent suffire en elles-mêmes. Ces dernières font l’objet de diverses stratégies et n’apportent qu’un regard spécifique sur une situation, ce qui rend l’exercice du jugement politique indispensable.</p>
<p>Surtout, le niveau de preuve suffisant pour agir ne va pas de soi.</p>
<h2>L’importance des preuves scientifiques</h2>
<p>Nous évoquons dans notre chapitre <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300251852/the-misinformation-age/#:%7E:text=The%20Misinformation%20Age%2C%20written%20for,depends%20on%20who%20you%20know.">deux philosophes de la science</a> qui affirment que la vérité et les preuves scientifiques nous permettent d’agir de la bonne façon. Pourquoi ? Car si nous agissons en fonction de conceptions erronées, nous nous exposons à ce que le réel « nous heurte ».</p>
<p>Par exemple, si un décideur augmente la limitation de vitesse de 50 km/h en pensant que cela ne causera pas davantage d’accidents, la réalité risque de s’imposer et de « heurter » la population. Pour cette raison, un champ des politiques publiques <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/978-1-137-51781-4#:%7E:text=The%20Politics%20of%20Evidence%20Based,evidence%20relevant%20to%20policy%20problems.">vise à informer la décision publique au travers de preuves scientifiques</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’INSPQ et la Santé publique ont produit des preuves scientifiques identifiant certains risques que poseraient l’activité de la fonderie Horne sur la santé des riverains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Maikel Rosabal Rodriguez)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au Québec, c’est ce qui justifie l’existence de la Santé publique et de groupes d’experts comme l’INSPQ, dont la mission est, <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/i-13.1.1">selon sa Loi constitutive</a>, de soutenir et « [d’]informer le ministre des impacts des politiques publiques », et « la population sur son état de santé ».</p>
<h2>Fonderie Horne : une preuve scientifique à l’origine du débat public</h2>
<p>Forts de leur mission d’information, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1896064/conference-presse-boileau-cancer-arsenic-rouyn">l’INSPQ et la Santé publique ont produit des preuves scientifiques identifiant certains risques que poseraient l’activité de la fonderie Horne sur la santé des riverains</a>, dont récemment, celui de cancer du poumon.</p>
<p>Aussitôt après la publication du <a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/2875-risque-cancerigene-concentrations-arsenic-cadmium-air-rouyn-noranda">rapport de l’INSPQ</a>, au début du mois de juillet 2022, le Directeur national de la Santé publique, Luc Boileau, <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/730686/fonderie-horne-un-niveau-d-emissions-d-arsenic-pas-tolerable">affirmait que les émissions d’arsenic de la fonderie n’étaient pas « tolérables »</a>. Dans la foulée, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1895848/arsenic-politique-environnement-premier-ministre-rouyn-noranda">premier ministre François Legault n’excluait pas la fermeture de l’usine</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de la carte Google Maps créée par le journaliste Thomas Gerbet (Radio-Canda) recensant les 89 entreprises bénéficiant d’une dérogation aux normes de pollution.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Radio-Canada</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien que des risques semblaient <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1885025/cancer-arsenic-nickel-abitibi">déjà avoir été identifiés dans le passé</a>, la solidité de la preuve paraît cette fois générer une attention publique considérable, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1910888/cinq-chefs-election-entrevue-quebec-radio-canada">essaimant dans la campagne électorale</a>, et générant un débat public sur les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1905872/attestations-assainissement-89-quebec">dérogations aux normes de pollution</a>.</p>
<p>Toutefois, l’orientation gouvernementale choisie semble s’être gardée de toute mesure préventive. Le gouvernement compte en effet imposer des <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/745239/nouvelles-normes-quebec-arsenic-fonderie-horne-rouyn-noranda">« cibles intermédiaires », dont des émissions de 15 nanogrammes d’ici 5 ans pour l’arsenic, au lieu des 3 requis par la norme nationale</a>. Pourquoi ?</p>
<h2>Une preuve scientifique suffit-elle pour agir ?</h2>
<p>En réalité, décider en se fondant sur une preuve scientifique n’est pas un processus linéaire. <a href="https://doi.org/10.1080/02691728.2016.1172365">Il existe bien une « hiérarchie des preuves » plaçant les essais expérimentaux (c’est-à-dire reproduisant le phénomène en conditions de laboratoire) en première position</a>, mais ils ne sont parfois pas adaptés aux décisions publiques et à la réalité.</p>
<p>Dans le cas de Rouyn-Noranda, des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1898316/fonderie-horne-contaminants-metaux-arsenic-nickel-plomb">doutes ont par exemple été émis sur les effets synergiques (multiplicatifs) de plusieurs polluants émis par la fonderie</a>, même à des taux peu élevés. Un expert indiquait ainsi lors de la <a href="https://www.ledevoir.com/depeches/751698/fonderie-horne-soiree-d-information-pour-les-residents-du-quartier-notre-dame-jeudi">récente soirée d’informations de la Santé publique</a> que de tels effets sont documentés de manière expérimentale <a href="https://fb.watch/fsQ4CW9mAm/">« dans des laboratoires »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Benoît Charrette durant une conférence de presse" src="https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoît Charette, s’adresse aux médias lors d’une conférence de presse à Montréal, le 23 avril 2021. Il a fixé les émissions moyennes d’arsenic permises pour la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, un nouvel objectif à atteindre d’ici cinq ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cependant, ce dernier ajoutait également que <a href="https://fb.watch/fsQ4CW9mAm/">« l’état de la science actuellement ne permet pas tout simplement […] de pouvoir vérifier si ça s’observe vraiment »</a> à des niveaux faibles d’exposition. En d’autres termes, la preuve disponible demeure, dans ce cas, inadaptée et implique l’utilisation d’autres preuves.</p>
<p>Pour cette raison, les décideurs doivent souvent faire appel au jugement humain et fixer par eux-mêmes le niveau de preuve qu’ils considèrent suffisant pour qu’une décision soit prise (ou non). Ceci peut expliquer la position médiane du gouvernement.</p>
<h2>Un niveau de preuve insuffisant pour fermer la fonderie ?</h2>
<p>De plus, une preuve scientifique n’est jamais qu’un point de vue spécifique sur un problème. Comme le rappelait le Dr Boileau en <a href="https://youtu.be/o5OGDVNdx7A?t=1309">conférence de presse</a>, « [il] y a des effets lorsque l’on ferme des emplois […] pour la santé des personnes qui sont touchées ».</p>
<p>Une politique publique ne peut donc pas traduire linéairement une preuve en décision. Dans le doute, c’est aux représentants démocratiquement élus, ou à la population, de trancher à partir des preuves disponibles. Ce à quoi devrait servir la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911276/qualite-air-rouyn-noranda-glencore-autorisation">consultation citoyenne récemment lancée</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de « l’expertise scientifique rapide » produite par l’INSPQ le 10 août 2022 à la demande des autorités de santé publique afin de connaître, selon la question posée, « quelles sont les valeurs de référence à respecter afin de prévenir les risques d’effets autres que le cancer (effets sur l’enfant à naître et sur le développement de l’enfant en bas âge) dans le contexte actuel ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/breffage-fonderie-horne">L’INSPQ a proposé le mois dernier dans des considérations supplémentaires</a> un repère de 15ng d’émissions d’arsenic, jugé « acceptable ». Le mandat, « confié par les autorités de santé publique », cherche à identifier les risques autres que le cancer pour les personnes vulnérables (enfants à naître, enfants en bas âge).</p>
<p>On comprend que ce « repère », qui répond à des objectifs fixés par le mandat, montre que le niveau de preuve semble <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1896064/conference-presse-boileau-cancer-arsenic-rouyn">paraître insuffisant</a> pour les autorités afin d’envisager une fermeture. Elles demandent des preuves scientifiques supplémentaires.</p>
<h2>Quel équilibre entre preuves scientifiques et décision politique ?</h2>
<p>Le niveau de preuve suffisant pour prendre une décision relève donc du jugement politique. Dans un <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691218939/politics-and-expertise">ouvrage remarquable d’une professeure de science politique à la London school of economics</a>, il est considéré que ce niveau de preuve devrait être fixé par des structures de délibérations démocratiques.</p>
<p>Lors d’une <a href="https://ici.radio-canada.ca/tele/le-telejournal-avec-celine-galipeau/site/segments/reportage/376366/francois-legault">récente entrevue</a>, le premier ministre François Legault a semblé vouloir cadrer le débat en affirmant qu’il revenait seulement « aux gens de Rouyn-Noranda de décider ». Ce faisant, il propose donc une façon de choisir comment et qui devrait juger du niveau de preuve suffisant.</p>
<p>Or, s’il existe bien une preuve scientifique permettant de déterminer un repère intermédiaire « sécure » pour les « plus vulnérables » (15ng), le <a href="https://youtu.be/o5OGDVNdx7A?t=1309">Dr Boileau a également rappelé</a> que nous n’en disposons pas concernant les effets socio-économiques d’une fermeture. Dans ces conditions, une véritable délibération semble donc difficile.</p>
<p>Une question qui, en période électorale, mérite une place de choix dans la campagne afin d’identifier, surtout après la pandémie, quel équilibre adopter entre preuves scientifiques et décision politique. Une façon, aussi, de se préparer à l’avenir et aux changements climatiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189738/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Lemor reçoit une bourse du Fond de recherche du Québec société et culture (FRQSC) dans le cadre de ses recherches doctorales. Il a également effectué en stage en évaluation auprès de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) pour lequel il a reçu une bourse du FRQSC. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Éric Montpetit reçoit un financement du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) pour ses travaux sur la COVID-19. </span></em></p>
Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques ? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda ?
Antoine Lemor, Political science PhD candidate and lecturer, Université de Montréal
Éric Montpetit, Professor, Public Policy, Université de Montréal
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/191007
2022-09-27T20:00:50Z
2022-09-27T20:00:50Z
La demande de voitures neuves peu impactée à court terme par la hausse des prix des carburants
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485579/original/file-20220920-21-sqpif1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C67%2C1708%2C1014&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2019, le transport en France était ainsi le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre avec 30&nbsp;% des émissions nationales.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ancienne_station_essence_Oil_France_à_Antony_le_18_avril_2016_-_3.jpg">Wikimedia commons/Lionel Allorge</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La situation exceptionnelle à la suite de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> a conduit en <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/15/prix-des-carburants-pourquoi-le-diesel-depasse-l-essence-pourquoi-une-ristourne-plutot-qu-une-baisse-de-taxes_6117646_4355770.html">mars 2022 à un dépassement du seuil des 2 euros/L pour le prix du carburant à la pompe</a>. Une hausse conjoncturelle du prix du carburant peut-elle avoir des effets bénéfiques pour l’environnement ? Peut-elle limiter la pollution par le transport routier, notamment via le renouvellement du parc automobile ?</p>
<p>La réduction des <a href="https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone">émissions de gaz à effet de serre</a> par les véhicules (<a href="https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/defis-environnementaux/changement-climatique/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-des-transports?type-ressource=liens&ancreretour=ancreretour928&lien-ressource=5182&theme-ressource=434">principalement du CO₂</a>) reste en effet un enjeu fort pour les pouvoirs publics. En 2019, le transport en France était ainsi le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre avec <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat-2022/pdf/pages/donnees-cles.pdf">30 % des émissions nationales</a> et le transport routier représente <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat-2022/pdf/pages/partie4/11-emissions-de-ges-des-transports.pdf">94 % des émissions du transport</a>. Le transport routier pollue également du fait de l’émission par les véhicules diesel, <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/Vehicules_circulation_2020_infographie_1.pdf">toujours majoritaires dans le parc automobile français</a>, de <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/emissions-des-voitures-essence-diesel-et-hybrides-recentes-gouvernement-rend-publique-letude">particules fines (en l’absence de systèmes de dépollution) et d’oxydes d’azote</a> aux effets néfastes sur les voies respiratoires.</p>
<h2>Taxation impopulaire</h2>
<p>La taxation du carburant est un outil pour modifier les choix des consommateurs. Une taxe carbone peut en effet jouer le rôle de <a href="https://partageonsleco.com/2021/04/12/la-taxe-pigouvienne-fiche-concept/">taxe pigouvienne</a>, c’est-à-dire renchérir le coût des produits aux effets négatifs sur l’environnement pour que les consommateurs internalisent les externalités ainsi générées.</p>
<p>Taxer le carburant présente même un double bénéfice en permettant non seulement une diminution du kilométrage mais aussi un renouvellement du parc avec davantage de véhicules moins polluants (avec cependant le risque d’un <a href="https://www.jstor.org/stable/41323081">effet rebond</a>, c’est-à-dire que les consommateurs augmentent leur kilométrage lorsqu’ils achètent une voiture plus économe en carburant).</p>
<p>Ce type de taxation reste malheureusement impopulaire du fait de son <a href="https://www.senat.fr/rap/r08-543/r08-54331.html">caractère dit régressif</a>, c’est-à-dire réduisant le pouvoir d’achat des ménages, en particulier les plus modestes, qui n’ont pas toujours d’autres stratégies de substitution énergétique. Ceci explique qu’en France, après le rejet de deux projets législatifs en 2000 et 2010, la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/fiscalite-carbone">taxe carbone</a> ait été introduite en 2014 avec un montant initial assez modeste de 7 euros par tonne de CO<sub>2</sub>. Ce montant a été réévalué chaque année jusque 44,60 euros/t de CO<sub>2</sub> en 2018. Suite au <a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quest-ce-que-cest-108213">mouvement des « gilets jaunes »</a>, aucune réévaluation n’a eu lieu en 2019.</p>
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<p>Sans même recourir à une taxe, la hausse conjoncturelle du prix du carburant peut modifier les comportements des consommateurs. La demande de carburant diminue ainsi quand son prix augmente avec des <a href="https://www.cae-eco.fr/Les-effets-de-la-fiscalite-ecologique-sur-le-pouvoir-d-achat-des-menages-463">élasticités de l’ordre de -0,5</a> en France (quand le prix augmente de 1 %, la demande baisse de 0,5 %). Du fait du caractère régressif de cette augmentation, l’État décide de subventionner une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/12/carburants-une-remise-a-la-pompe-de-15-centimes-par-litre-s-appliquera-a-partir-du-1er-avril-annonce-jean-castex_6117275_823448.html">remise de 18 centimes d’euro (15 hors taxe) par litre de carburant</a> pendant 4 mois à partir du 1<sup>er</sup> avril, qu’il <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15912">prolonge jusqu’au 31 décembre 2022, en deux phases</a> (30 centimes à partir du 1<sup>er</sup> septembre 2022, puis 10 à partir du 1<sup>er</sup> novembre 2022). Cette mesure s’applique actuellement à tous les carburants et concerne tous les ménages sans distinction de revenus et toutes les entreprises.</p>
<h2>Paradoxe énergétique</h2>
<p>Quel est l’impact d’une hausse des prix du carburant, qu’elle soit conjoncturelle ou fiscale, sur le comportement d’achat de véhicules plus ou moins polluants ? Plusieurs études mettent l’accent sur un <a href="https://direct.mit.edu/rest/article/96/5/779/58196/Gasoline-Prices-Fuel-Economy-and-the-Energy">paradoxe énergétique</a>, qui désigne la sous-estimation systématique par les consommateurs des économies futures en matière d’efficacité énergétique ; <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0047272716000049">d’autres</a> ne trouvent <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.103.1.220">aucune preuve</a> d’une telle myopie du consommateur.</p>
<p><a href="https://www.epa.gov/sites/default/files/2014-12/documents/evaluating_the_consumer_response_to_fuel_economy.pdf">Plusieurs</a> <a href="https://trid.trb.org/view/920593">métaétudes</a> constatent que les preuves empiriques ne sont pas concluantes. Si la plupart des articles se concentrent sur le marché américain, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0095069613000430">exception notable</a> évalue cet effet sur les huit plus grands marchés européens, y compris la France, et observe de fortes différences avec les tendances observées outre-Atlantique.</p>
<p>Comme nous l’avons montré dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140988318301671">travail de recherche</a>, la demande de véhicules neufs en France est peu sensible à court terme aux prix du carburant, confirmant ainsi les <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/pol.2.3.134">résultats obtenus sur données américaines</a> et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0095069613000430">sur certains pays européens</a>.</p>
<p>Cette faible sensibilité présente une hétérogénéité significative entre les consommateurs, et tout particulièrement entre les particuliers et les entreprises : les entreprises réagissent moins que les ménages aux modifications des prix du carburant. Ce résultat peut sembler contre-intuitif mais il s’explique probablement par les autres incitations fiscales des entreprises et tout particulièrement par la <a href="https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F22203">taxe sur les véhicules de société</a>, qui détermine, plus que les prix du carburant, la structure des achats de véhicules par les entreprises.</p>
<p>Même les consommateurs privés semblent sous-évaluer considérablement l’économie de carburant : ils ne sont prêts à payer que moins de 10 centimes (entre 1,4 et 9,6 centimes, selon le type de consommateur) afin de réduire de 1 euro la valeur actualisée nette de leurs coûts d’exploitation.</p>
<p>Ces résultats sont comparables (légèrement inférieurs) aux estimations précédentes obtenues dans la littérature, principalement sur le <a href="https://trid.trb.org/view/920593">marché américain</a>. Cette sous-évaluation de l’économie de carburant future peut s’expliquer par une <a href="https://www.epa.gov/sites/default/files/2014-12/documents/evaluating_the_consumer_response_to_fuel_economy.pdf">rationalité limitée ou une difficulté à calculer les économies de carburant attendues</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=225&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=225&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=225&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485568/original/file-20220920-1112-ermdgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Consentement à payer pour l’économie de carburant en % de la valeur actualisée nette de cette économie de carburant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteures.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces estimations permettent de prédire l’impact à court terme de deux taxes ambitieuses sur le carburant, calibrées pour être comparables : l’égalisation des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/19/pourquoi-le-diesel-coute-t-il-maintenant-aussi-cher-que-l-essence_5372033_4355770.html">taxes sur le diesel et l’essence</a> et une taxe carbone d’un niveau conséquent.</p>
<p>En supposant que les consommateurs réagissent de manière identique aux changements de prix dus à la taxe sur les carburants et à ceux dus aux fluctuations du marché du pétrole, nous montrons que l’égalisation des taxes sur le diesel et l’essence réduit la part de marché des voitures diesel de quelques points à court terme sans changer notablement la consommation moyenne et les émissions moyennes de CO<sub>2</sub> des véhicules neufs. Une taxe sur le carbone (avec un prix de 51 euros/t de CO<sub>2</sub>, supérieur au niveau actuel) laisse la part du diesel presque inchangée et a un faible impact sur les deux autres grandeurs.</p>
<h2>Des politiques avec un impact limité à court terme</h2>
<p>Ainsi, nos résultats montrent l’impact limité à court terme d’une hausse, conjoncturelle ou fiscale, des prix du carburant sur la demande de véhicules neufs moins consommateurs et moins émetteurs de CO<sub>2</sub>. Cela n’exclut pas un impact sur les émissions via une réduction du kilométrage parcouru par les détenteurs de voitures ou via un changement à long terme du côté de l’offre.</p>
<p>Ces effets sont mesurés sur la période <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1302725/prix-carburant-france/">2003-2007, période au cours de laquelle les</a> <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1302725/prix-carburant-france/">prix de l’essence et du diesel ont augmenté de près de 30 % et de plus de 40 %, respectivement</a>, mais <a href="https://www.carburants.org/statistiques/evolution-prix-essence/">avec des niveaux inférieurs à ceux actuellement observés</a>. Il n’y a aucune raison pour que l’impact d’une augmentation des prix du carburant soit linéaire. Ainsi, l’impact de l’augmentation actuelle pourrait être plus élevé que celui que nous mesurons tout en restant vraisemblablement limité à court terme.</p>
<p>En outre, depuis la période d’étude, deux évolutions importantes ont marqué le marché automobile : le <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/developper-lautomobile-propre-et-voitures-electriques">développement des voitures électriques</a> et un <a href="https://franchise-automobile.fr/actualites/le-monde-auto/les-chiffres-du-marche-automobile-francais-en-2021/">ralentissement important de la vente de véhicules neufs</a>. Ce ralentissement est dû à la pénurie de composants électroniques, aux retards d’approvisionnement, et aussi probablement à l’attente de la part des acheteurs d’une plus grande autonomie des véhicules électriques. Cette tendance a <a href="https://franchise-automobile.fr/actualites/le-monde-auto/les-chiffres-du-marche-automobile-francais-en-2021/">favorisé le marché de l’occasion</a>.</p>
<p>Dans ce marché de l’occasion en plein essor, le choix entre les voitures diesel ou essence ou entre des véhicules moins ou plus polluants se présente dans des termes similaires à ceux de notre étude et ne serait donc vraisemblablement pas fortement modifié à court terme par les variations des prix du carburant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Une étude récente montre que l'effet à court terme sur les achats de véhicules d'une augmentation, conjoncturelle ou fiscale, des prix du carburant reste limité.
Céline Grislain-Letrémy, Economiste-chercheur en économie de l'environnement, ENSAE ParisTech
Helene Naegele, Doctoral candidate, Department of Psychiatry and Neurosciences, Charité – Berlin University of Medicine
Pauline Givord, Économiste, Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP), Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/190863
2022-09-25T15:39:19Z
2022-09-25T15:39:19Z
Les autosolistes sont-ils prêts à se mettre au covoiturage pour les trajets du quotidien ?
<p>Les embouteillages restent un problème majeur dans les grandes villes françaises : selon les <a href="https://inrix.com/scorecard/">données INRIX</a>, les automobilistes à Paris, Lyon, Marseille, Grenoble et Strasbourg ont respectivement perdu en moyenne 140, 102, 78, 71 et 64 heures dans les embouteillages routiers en 2021, et ce malgré l’essor du télétravail.</p>
<p>Selon les <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/se-deplacer-en-voiture-seul-plusieurs-ou-en-covoiturage-0?rubrique=60&dossier=1345">dernières données Insee</a> disponibles, 88 % des déplacements en voiture pour motif professionnel se font sans passager. On parle, dans ce cas, d’« autosolisme ». 9 % n’en transportent qu’un seul. En Île-de-France, à peine plus de <a href="https://e.infogram.com/978cf630-658f-447f-b041-f7fb959c2cd7?src=embed">7 000 trajets</a> quotidiens entre son domicile et son travail ont été répertoriés via les plates-formes dédiées par l’Institut Paris région. Les statistiques montrent une lente progression depuis mars 2021, mais les chiffres restent bien loin du pic de 20 000 atteint lors des grèves de 2019.</p>
<p>Avec tous ces sièges vides dans les automobiles, une grande capacité de transport reste inutilisée. Le covoiturage est donc souvent considéré comme une solution à moindre coût aux problèmes de congestion routière mais aussi de pollution. Le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, défendait encore récemment cet outil pour progresser en termes de sobriété énergétique et de pouvoir d’achat.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1553058040781447168"}"></div></p>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000039666777">L’article 35</a> de la loi d’orientation des mobilités (dite loi LOM), votée fin 2019, visait à <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/covoiturage-en-france-avantages-et-reglementation-en-vigueur">favoriser les expérimentations</a> de voies réservées aux véhicules transportant au moins deux personnes et la plupart des villes précitées (mais aussi d’autres comme <a href="https://www.20minutes.fr/nantes/3148579-20211015-nantes-voies-reservees-bus-covoiturage-vont-multiplier-grands-axes">Nantes</a> ou <a href="https://www.permismag.com/arrete-du-18-ao%C3%BBt-2022-relatif-a-lexperimentation-dune-signalisation-routiere-de-voie-reservee-a-certaines-categories-de-vehicules-sur-les-routes-departementales-1508-et-3508-sur-les-communes-de/">Annecy</a>) s’y sont employées. L’idée, que les gains de temps qu’elles offriraient car elles seraient moins bouchonnées, motive des individus aujourd’hui dans des véhicules séparés à effectuer leurs trajets ensemble.</p>
<p>À <a href="https://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/controle-du-covoiturage-les-premiers-radars-en-test-sur-le-peripherique-14-03-2021-8428456.php">Paris</a>, des radars ont été posés Porte de Montreuil pour compter le nombre de passagers par véhicules sur le Boulevard Périphérique, préfigurant peut-être la mise en place d’une <a href="https://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/peripherique-et-si-la-voie-de-gauche-etait-reservee-au-covoiturage-17-01-2019-7990983.php">voie réservée</a> après les Jeux Olympiques et Paralympiques. À Strasbourg, la mise en place de l’autoroute de contournement par l’ouest s’est accompagnée de la mise en place de voies réservées aux covoitureurs sur l’axe historique, la A35. Neuf mois après l’inauguration, les élus se montrent <a href="https://actu.fr/grand-est/strasbourg_67482/neuf-mois-apres-son-inauguration-le-grand-contournement-ouest-gco-de-strasbourg-remplit-il-son-role_53448505.html">mitigés</a> à leur sujet.</p>
<p>Les métropoles de Lyon et Grenoble expérimentent aussi depuis 2020 des voies pour covoitureurs sur des axes majeurs, indiqués par un <a href="https://actu.fr/auvergne-rhone-alpes/lyon_69123/c-est-quoi-ce-panneau-ou-un-losange-apparait-sur-la-m6-et-la-m7-aux-entrees-de-lyon_53179366.html">panneau en forme de losange</a>. C’est le cas de la M7, par exemple, à Lyon, la voie qui longe le Rhône et le traverse devant le musée des Confluences avant de rejoindre la gare Perrache et le tunnel de Fourvière. Le gain de temps y était estimé entre 5 et 15 minutes.</p>
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<p>C’est à la capitale des Gaules que nos <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0967070X21002833?via%3Dihub">travaux</a> se sont intéressés. Quelles leçons attendre de ces expérimentations ? Pourquoi des premiers retours assez <a href="https://actu.fr/grand-est/strasbourg_67482/neuf-mois-apres-son-inauguration-le-grand-contournement-ouest-gco-de-strasbourg-remplit-il-son-role_53448505.html">prudents</a> ? Le projet de recherche Covoit’Aura a pour objectif d’étudier les changements potentiels de choix de mode de transport et de comprendre dans quelles conditions les autosolistes seraient prêts à covoiturer pour leurs déplacements quotidiens. Il montre que beaucoup le sont, mais à condition de garder le volant, ce qui n’est pas sans conséquence pour les politiques publiques.</p>
<h2>Prêt à plus pour s’éviter le covoiturage</h2>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.3141/2021-13">Indépendance et flexibilité</a>. Tels sont les arguments souvent avancés par les autosolistes pour expliquer leur choix de mode de transport. Les covoitureurs, eux, déclarent <a href="https://www.actu-environnement.com/media/pdf/dossiers/806-ademe-developpement-covoiturage-regulier.pdf">apprécier la sociabilité et valoriser l’écologie</a>. Le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0965856419305920">critère économique</a> importe également.</p>
<p>Une des mesures de première importance pour analyser le choix d’un mode de transport est ainsi la <a href="https://eprints.whiterose.ac.uk/104595/1/European%20meta%20paper%20final%20accepted%20for%20publication.pdf">valeur du temps</a>, que les économistes appellent aussi « coût d’opportunité » du temps. L’idée est de mesurer combien chacun est prêt à payer pour diminuer son temps de déplacement. D’un individu à l’autre, les réponses restent très hétérogènes, de même qu’entre les moyens de transport. Une minute dans un véhicule bondé sera, par exemple, appréciée différemment d’une minute dans un véhicule vide.</p>
<p><iframe id="8Dd1o" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8Dd1o/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Nous avons donc mené une enquête auprès de 1556 individus qui effectuent leurs déplacements domicile-travail seuls dans leur voiture sur l’aire urbaine de Lyon. Un questionnaire proposant diverses options de trajet, avec différents temps, différents modes, différents niveaux de fiabilité et de sécurité et différents coûts, leur a été soumis. Il comprenait également des questions sur leurs positionnements face aux enjeux d’écologie. Les individus participant à l’enquête ont été confrontés à une succession de scénarios dans lesquels ils doivent effectuer un choix parmi plusieurs modes de transport.</p>
<p>Ce sont ces choix qui nous permettent d’extraire de l’information sur leurs préférences. Il s’agissait de mesurer la valeur du temps liée au covoiturage en tant que conducteur et en tant que passager pour la comparer avec celle d’un déplacement en tant qu’autosoliste. Les résultats ont été utilisés dans différents modèles dont nous avons retenu les plus performants.</p>
<p>Un premier résultat qui a retenu notre attention est que les individus de notre échantillon, lorsqu’ils se déplacent respectivement comme conducteur et passager d’un trajet en covoiturage, sont prêts à dépenser en moyenne respectivement 30 et 28€ pour s’épargner une heure de trajet. Lorsqu’ils se déplacent en tant qu’autosoliste, ce montant moyen ne dépasse pas 20 euros. On semble ainsi prêt à payer bien plus pour s’éviter une heure de covoiturage : ces valeurs suggèrent donc une forte préférence pour une conduite seul dans son véhicule.</p>
<h2>D’où viendraient les passagers ?</h2>
<p>Néanmoins, on remarque au-delà une forte hétérogénéité entre les individus. Une analyse plus poussée nous a permis d’identifier quatre profils types parmi les conductrices et conducteurs actuels : 20 % s’avèrent réticents à abandonner l’autosolisme, 35 % pourraient basculer sur un autre mode si l’offre était disponible, 12 % seulement préféreraient utiliser les transports en commun et 32 % se disent prêts à covoiturer mais seulement sur le siège conducteur.</p>
<p>Qu’est-ce à dire du point de vue des politiques publiques ? Nos simulations suggèrent que les potentiels passagers en covoiturage semblent une ressource rare parmi les autosolistes. Or, il est peu intéressant qu’ils proviennent d’autres moyens de transport car, dans ce cas, la mise en place de la voie de covoiturage n’entraînerait pas une diminution du nombre de véhicules. Pour que le covoiturage réduise les embouteillages et la pollution, il faut qu’il induise une diminution du nombre de véhicules sur le réseau et donc que ce soient des conductrices et conducteurs actuels qui acceptent de devenir passagers.</p>
<p><iframe id="CVKGo" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/CVKGo/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cette étude empirique est dite de « préférences déclarées », au sens où sont analysées des déclarations récoltées lors d’enquête, et non pas des comportements réellement observés. On parlerait alors de « préférences révélées ». Ainsi, les résultats obtenus demandent à être vérifiés par les données issues de l’expérimentation de la voie réservée menée à Lyon. Les <a href="https://www.cerema.fr/system/files/documents/2022/01/20211216ctt_ce_vr2m6m7_lduffy.pdf">premières évaluations</a> du dispositif produites par le CEREMA montrent une absence de report modal significatif en dépit du gain de temps permis par la voie réservée, confirmant la difficulté pour les autosolistes à devenir passager d’un covoiturage.</p>
<p>Les autorités publiques se doivent donc d’être vigilantes sur l’origine modale des passagers de covoiturage. Si des incitations, telles que des voies réservées, sont mises en place, elles devront rendre le covoiturage passager aussi attrayant que possible auprès d’actuels conductrices et conducteurs. Des études complémentaires seront alors nécessaires pour activer les leviers spécifiques aux catégories ciblées.</p>
<hr>
<p><em>Ont également contribué à ce projet de recherche Charles Raux (CNRS, LAET) et Martin Koning (Université Gustave Eiffel, SPLOTT)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190863/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Monchambert est membre du comité scientifique de l’Observatoire des villes du transport gratuit. Il a effectué des activités de conseil pour SNCF Réseau et SNCF Voyageurs. Cette recherche a été financée par la Région Auvergne-Rhône-Alpes (Pack ambition recherche 2018 : Projet Covoit’AURA). Les auteurs remercient également l'IRT SystemX et les partenaires du projet d'expérimentation du covoiturage à Lyon (LCE) - Métropole de Lyon, Vinci Autoroutes, APRR et Ecov - qui ont participé à la diffusion de l'enquête. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>La thèse d'Alix le Goff a été financée par la région Auvegne Rhône Alpes (Projet Covoit'AURA). Les auteurs remercient également l'IRT SystemX et les partenaires du projet d'expérimentation du covoiturage à Lyon (LCE) - Métropole de Lyon, Vinci Autoroutes, APRR et Ecov - qui ont participé à la diffusion de l'enquête.</span></em></p>
La réponse est plutôt oui, mais en majorité à condition qu’ils restent conducteurs du véhicule, d’après une étude. La ressource rare semble ainsi être les passagers.
Guillaume Monchambert, Maître de conférences en économie, Université Lumière Lyon 2
Alix le Goff, Doctorant en économie des transports, Université Lumière Lyon 2
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/186400
2022-08-28T18:09:34Z
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Comment la culture peut redynamiser les territoires de montagne
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/481383/original/file-20220827-11663-oahy7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=91%2C4%2C1444%2C811&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Oeuvre de la VIAPAC au Col de l'Arche, David RENAUD, Table relief représentant la vallée autour du col de l'arche</span> </figcaption></figure><p>La culture occupe une place croissante dans les <a href="https://fr.unesco.org/creativity/policy-monitoring-platform/culture-developpement-0">Plans de Développement Economique et Social de l’Unesco</a> et les innovations de produits et de services sont au cœur des réflexions territoriales et nationales.</p>
<p>Depuis plusieurs décennies, un grand nombre de territoires s’appuie sur le <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000189382_fre">développement de la culture comme un outil de développement territorial</a>. C’est le cas de nombreuses villes comme Liverpool en Angleterre, Bilbao en Espagne ou encore Philadelphie et Baltimore aux États-Unis. Ces villes se sont appuyées sur le <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01487348/file/IADT-CERAMAC_DevCulturel.pdf">développement de la culture pour faire face à la désindustrialisation</a>, à une croissance démographique ralentie <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01487348/file/IADT-CERAMAC_DevCulturel.pdf">ou encore à une image défavorable</a></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/481384/original/file-20220827-22711-fn8frx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/481384/original/file-20220827-22711-fn8frx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/481384/original/file-20220827-22711-fn8frx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/481384/original/file-20220827-22711-fn8frx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/481384/original/file-20220827-22711-fn8frx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/481384/original/file-20220827-22711-fn8frx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/481384/original/file-20220827-22711-fn8frx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Oeuvre Horizons Art-Nature, Edition 2015, Massif du Sancy.</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La culture apparaît comme levier pertinent de redynamisation et de renforcement de l’attractivité territoriale et touristique. Par exemple, aujourd’hui la région métropolitaine du « Grand Bilbao » abrite la moitié de la population et de l’activité économique du Pays basque, se classant ainsi <a href="https://www.agenda21culture.net/sites/default/files/files/cities/content/bilbao-fra_def.pdf">parmi les régions européennes les plus compétitives, innovantes et productives</a> (PIB par habitant supérieur de 30 % à la moyenne de l’Union européenne).</p>
<p>Ce modèle de développement par la culture pour pallier à un déficit d’attractivité touristique inspire de plus en plus de politiques de développement territorial. En France, dans le massif du Sancy, le développement du festival <a href="https://www.horizons-sancy.com/">Horizons Art Nature</a> en est un exemple, tout comme la <a href="https://www.tourisme-alpes-haute-provence.com/route-art-contemporain/">VIAPAC</a> qui relie les villes de Digne-les-Bains (en France) à Caraglio (en Italie), grâce aux œuvres de douze artistes contemporains. Cependant, le modèle de développement de la culture sur les territoires urbains est difficilement transposable aux territoires ruraux et de montagne dont les spécificités vont imposer des modèles adaptés.</p>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-entrepreneuriat-2022-2-page-121.htm">Les données de notre étude</a> ont été recueillies grâce à des observations sur les deux terrains et des discussions avec les habitants et touristes. Des entretiens ont également été menés au cours de l’été 2018 auprès d’acteurs institutionnels et économiques en charge d’un PCT sur un territoire de montagne. Nous avons ensuite suivi les deux PCT (en 2019 et 20) pour nous assurer d’une certaine stabilité dans le temps des observations faites en 2018 (notamment sur la partie « Retombées sur le territoire »).</p>
<h2>La spécificité des territoires de montagne</h2>
<p>Les territoires de montagne ont une saisonnalité touristique marquée et sont très peu reconnus comme des destinations culturelles. Or pour être attractifs, les <a href="https://www.demainsavoiemontblanc.com/">territoires doivent développer une offre culturelle qui valorise le paysage et le patrimoine local</a>, ainsi que l’histoire et les spécificités du territoire, tout en intégrant des activités sportives, de nature, etc. D’autant que dans le cas de la montagne, le tissu culturel local est souvent très riche : fêtes de village à caractère thématique, festivals locaux marqués par des savoir-faire ancestraux, écomusée basé sur des ressources naturelles, etc. Il est crucial de s’appuyer sur cette richesse et de favoriser les partenariats avec les associations et entreprises locales afin d’ancrer le projet culturel sur le territoire.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Oeuvre de la VIAPAC, Village D'Aisone, Italie, Paolo GRASSINO, Incursione, Sculpture en accès libre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutefois, si la culture peut devenir un atout dans le jeu de la mondialisation et permettre au territoire de se différencier durablement, il apparaît essentiel de déterminer d’une part les éléments clés des projets culturels de territoire et d’autre part de construire des outils et méthodes pour accompagner leur gestion.</p>
<h2>Valoriser les ressources territoriales</h2>
<p>Les spécificités des territoires ruraux de montagne, comme le relief, la pente et le climat difficile deviennent à l’aune du nouveau système des ressources potentielles qui, si elles sont convenablement valorisées, peuvent devenir une source de dynamisme, de richesse et d’inspiration pour la création artistique. À titre d’illustration, pour la VIAPAC, les ressources différenciantes sont les spécificités géologiques du territoire et pour le festival HAN, l’abondance des reliefs volcaniques et les spécificités de la flore et de la faune de ses zones cairns.</p>
<p>Dans le cadre des événements culturels, la valorisation de ces ressources territoriales apparaît comme un élément fédérateur. En effet, les habitants interrogés sont devenus les premiers ambassadeurs du projet car ils voyaient leur territoire mis en lumière. Ils se sont alors rapprochés du projet et leur participation est alors devenue primordiale dans la formation de relais d’informations.</p>
<p>Pour le directeur de l’association Marcovaldo : « l’artiste disait à la population ce qu’il allait faire et ce dont il avait besoin comme informations et comme participation, et la population se mettait en ordre de marche ». Enfin, dans un effet boule de neige, cette valorisation du territoire et cette participation des habitants favorisaient la participation des acteurs privés qui à leur tour souhaitaient investir et développer de nouveaux produits.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Oeuvre de la VIAPAC au Col de l'Arche, David RENAUD, Table relief représentant la vallée autour du col de l'arche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les deux cas étudiés, on remarque que combiner le projet culturel au sport, à l’industrie, au patrimoine permet d’une part d’attirer des publics qui ne sont pas nécessairement adeptes des activités culturelles et d’autre part de différencier l’offre tout en motivant les populations locales.</p>
<h2>Faire participer les populations locales</h2>
<p>La seconde clé repose sur la gestion démocratique du projet. Sur les territoires ruraux comme ailleurs, une gouvernance démocratique des PCT favorise leur réussite.</p>
<p>La gestion démocratique du projet implique d’accorder à l’ensemble des parties prenantes le même pouvoir. Autrement dit, adopter des modalités de gouvernance démocratique implique de favoriser la participation des citoyens auxquels on reconnaît la capacité de faire des choix en matière de politique publique et de mobiliser des outils favorisant la participation au débat et à la décision publique.</p>
<p>Cela suppose de créer des instances et d’instaurer des règles de gouvernance pluralistes et participatives qui associent à la prise de décision l’ensemble des acteurs qui sont ou peuvent être affectés par la réalisation du projet. Toutefois, la gestion démocratique est limitée par la volonté des acteurs à s’engager et à participer au projet, ce qui peut faire défaut dans certains cas.</p>
<p>L’appropriation du projet apparaît comme la seule source de légitimation des PCT ruraux. En effet, là où, sur un territoire urbain, un leadership détenu par des experts de la culture apparaît comme légitime, ce n’est pas le cas sur un territoire de montagne. Ainsi l’accès limité à la culture en zone rurale et quelques fois la non-compréhension de l’art conceptuel peuvent provoquer des réticences et réactions négatives chez les habitants des territoires de montagne. La stratégie d’inclusion des populations est donc primordiale. Par exemple, dans la VIAPAC ou HAN, les producteurs agricoles locaux sont invités à venir vendre leur production et à en faire la promotion lors des évènements organisés dans le cadre du projet.</p>
<h2>Croiser les activités et mesurer les retombées</h2>
<p>Il s’agit également de croiser les activités culturelles avec les autres activités du territoire (agriculture, sport, industrie, tourisme, etc.). Mêler les différents publics peut non seulement permettre de structurer une offre touristique plus complémentaire, mais aussi créer une dynamique pouvant donner naissance à la création d’activités novatrices.</p>
<p>Enfin, la dernière clé -et pas la moindre –, la valorisation des retombées de l’offre constituée dans le cadre du PCT, apparaît comme un élément primordial pour la pérennisation de l’offre. En effet, le manque d’évaluation des impacts réels du projet pour le territoire contribue à renforcer les interrogations des acteurs du territoire sur la légitimité du projet. L’absence d’outils de mesure des impacts complique le renouvellement des financements et représente donc un frein important à la pérennisation de l’offre constituée dans le cadre d’un PCT.</p>
<p>Ces outils d’évaluation sont habituellement peu présents dans les politiques culturelles et surtout rarement mis en place dès le départ du projet. Pour y faire face, il est recommandé d’établir en amont une liste d’indicateurs pour l’évaluation de l’offre. Cette liste doit être coconstruite avec l’ensemble des parties prenantes du territoire (publique, privée et civile).</p>
<p>Les principaux résultats de nos études montrent l’importance d’une gouvernance démocratique et participative du service public avec une vision innovante de la culture associée à un nouveau modèle économique. L’appropriation et la valorisation du territoire par les artistes permettent de développer une culture différenciante et facilitent son appropriation par les populations locales. De même, le croisement des activités du territoire avec les activités culturelles permet de mobiliser de nouveaux réseaux de publics.</p>
<p>Si le rôle de la culture comme facteur d’innovation et d’attractivité d’un territoire est souvent mis en exergue dans les articles scientifiques et les rapports professionnels, les dynamiques à l’œuvre tout au long du développement des projets de territoire, bien que primordiales ne sont pas suffisamment explicitées. Ce sujet mérite plus que jamais toute l’attention des managers territoriaux s’ils souhaitent réinventer leurs territoires de montagne !</p>
<p>Pour en savoir plus, lisez Favre-Bonté, V., Da Fonseca, M., & Régent, B. (2022). Entrepreneurship and Territorial Cultural Projects: Towards a Development of Territorial Effectuation Concept. Revue de l’Entrepreneuriat. Disponible auprès des auteurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186400/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Pour des territoires de montagne en mal d’attractivité, la culture apparaît comme levier pertinent de redynamisation. Encore faut-il savoir comment développer ce type de projets.
Véronique Favre-Bonté, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, IAE Savoie Mont Blanc
Benoît Régent, MCF Sciences de Gestion, Université Savoie Mont Blanc
Marie Da Fonseca, Maitre de Conferences, IAE Perpignan School of Management – Université de Perpignan Via Domitia
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/189179
2022-08-26T13:41:43Z
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Covid-19 : la surmortalité en Suède durant la pandémie a été parmi les plus faibles d’Europe
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/481200/original/file-20220825-17-gbap46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C0%2C3844%2C2554&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des gens sont attablés dans un café de Stockholm, lei 8 avril 2020. Le gouvernement suédois a fait le choix d'imposer peu de mesures restrictives afin de lutter contre la Covid-19.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andres Kudacki, File)</span></span></figcaption></figure><p>Alors que la plupart des pays du monde ont fermé leurs frontières au début de la pandémie de Covid-19, la <a href="https://theconversation.com/sweden-under-fire-for-relaxed-coronavirus-approach-heres-the-science-behind-it-134926">Suède est restée accessible</a>.</p>
<p>L’approche du gouvernement a été controversée, certains la qualifiant d’ <a href="https://bristoluniversitypress.co.uk/the-swedish-experiment">« expérience suédoise »</a>. Mais près de deux ans et demi après le début de la pandémie, que pouvons-nous dire aujourd’hui des résultats de cette « expérience » ?</p>
<p>Tout d’abord, rappelons en quoi consistait la stratégie de la Suède. Le pays s’en est largement tenu à son <a href="https://www.folkhalsomyndigheten.se/contentassets/b6cce03c4d0e4e7ca3c9841bd96e6b3a/pandemiberedskap-hur-vi-forbereder-oss-19074-1.pdf">plan de lutte contre la pandémie</a>, élaboré à l’origine pour être utilisé en cas de pandémie de grippe. Au lieu d’un confinement, l’objectif était de parvenir à une distanciation sociale par le biais de recommandations de la santé publique.</p>
<p>Les Suédois ont été encouragés à travailler à domicile dans la mesure du possible et à <a href="https://www.folkhalsomyndigheten.se/nyheter-och-press/nyhetsarkiv/2020/mars/tank-over-om-resan-verkligen-ar-nodvandig/">limiter leurs déplacements</a> à l’intérieur du pays. En outre, il a été demandé aux personnes <a href="https://www.folkhalsomyndigheten.se/nyheter-och-press/nyhetsarkiv/2020/mars/personer-over-70-bor-begransa-sociala-kontakter-tills-vidare/">âgées de 70 ans ou plus</a> de restreindre leurs contacts sociaux, et à celles présentant des <a href="https://www.folkhalsomyndigheten.se/nyheter-och-press/nyhetsarkiv/2020/mars/ny-fas-kraver-nya-insatser-mot-Covid-19/">symptômes de Covid-19</a> de s’isoler. L’objectif était de protéger les personnes âgées et les autres groupes à haut risque tout en ralentissant la propagation du virus afin de ne pas surcharger le système de santé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-suede-est-tres-relax-face-au-coronavirus-voici-la-science-derriere-cette-decision-135018">La Suède est très relax face au coronavirus. Voici la science derrière cette décision</a>
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<h2>Un marathon, et non pas un sprint</h2>
<p>Lorsque le nombre de cas a augmenté, certaines restrictions ont été imposées. À la fin mars 2020, on a imposé une <a href="https://www.regeringen.se/artiklar/2020/03/forbud-mot-allmanna-sammankomster-eller-offentliga-tillstallningar-med-fler-an-50-deltagare/">limite de 50 personnes</a> pour les événements publics, et de <a href="https://www.regeringen.se/pressmeddelanden/2020/11/max-atta-personer-vid-allmanna-sammankomster-och-offentliga-tillstallningar/">8 personnes</a> en novembre 2020. Les visites dans les maisons de retraite <a href="https://www.regeringen.se/pressmeddelanden/2020/03/nationellt-besoksforbud-pa-aldreboenden/">ont été interdites</a> et les <a href="https://www.folkhalsomyndigheten.se/nyheter-och-press/nyhetsarkiv/2020/mars/larosaten-och-gymnasieskolor-uppmanas-nu-att-bedriva-distansundervisning/">établissements de niveau secondaire supérieur ont été fermés</a>. Les écoles primaires sont toutefois restées ouvertes tout au long de la pandémie.</p>
<p>Le port du masque n’était pas obligatoire pour le grand public pendant la première vague, et seulement dans <a href="https://sverigesradio.se/artikel/7639458">certaines situations</a> plus tard dans la pandémie.</p>
<p>Au printemps 2020, le taux de décès liés à la Covid-19 rapporté en Suède figurait parmi les <a href="https://www.aftonbladet.se/nyheter/a/8mgXb2/sverige-har-nu-hogst-dodlighet-i-varlden-i-Covid-19">plus élevés au monde</a>. Les pays voisins qui ont mis en place des mesures de confinement rapide, comme la Norvège et le Danemark, s’en sortaient beaucoup mieux, et la Suède a été <a href="https://time.com/5899432/sweden-coronovirus-disaster/">durement critiquée</a> pour son approche laxiste.</p>
<p>Mais les défenseurs de la stratégie suédoise affirmaient qu’elle serait payante à long terme, soutenant que les mesures radicales n’étaient pas durables et que la pandémie était un <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-53498133">marathon</a>, et non un sprint.</p>
<h2>Alors, l’approche de la Suède a-t-elle fonctionné ?</h2>
<p>Considérons la surmortalité comme l’un des principaux exemples. Cette mesure se base sur le nombre total de décès et le compare aux niveaux d’avant la pandémie, en tenant compte de sa portée plus large et des déclarations erronées relatives aux décès dus à la Covid.</p>
<p>Bien que la Suède ait été durement touchée par la première vague, la <a href="https://www.thelancet.com/article/S0140-6736(21)02796-3/fulltext">surmortalité</a> totale au cours des deux premières années de la pandémie a été en fait parmi les <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Excess_mortality_-_statistics">plus basses</a> en <a href="https://www.who.int/data/stories/global-excess-deaths-associated-with-Covid-19-january-2020-december-2021">Europe</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/immunite-collective-contrairement-aux-pays-confines-la-suede-serait-pres-dy-arriver-137192">Immunité collective : contrairement aux pays confinés, la Suède serait près d’y arriver</a>
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<p>En date de cette semaine, la Suède a enregistré 19 682 décès de la Covid-19, pour une population de 10,35 millions d’habitants (en guise d’exemple, le Québec a enregistré 16 222 décès sur une population de 8,4 millions d’habitants).</p>
<p>La décision de garder les écoles primaires ouvertes a également été fructueuse. L’incidence de la Covid aiguë sévère chez les enfants <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMc2026670">est demeurée faible</a>, et une étude récente a montré que les enfants suédois n’ont pas subi les conséquences de la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0883035522000891">perte d’apprentissage</a> observée dans de nombreux autres pays.</p>
<p>Dans cette optique, la stratégie suédoise est passée du statut de <a href="https://time.com/5899432/sweden-coronovirus-disaster/">« désastre »</a> et de <a href="https://www.nytimes.com/2020/07/07/business/sweden-economy-coronavirus.html">« mise en garde »</a> à celui de <a href="https://washingtonmonthly.com/2022/04/19/what-sweden-got-right-about-Covid/">« succès scandinave »</a>. Mais pour tirer des conclusions pertinentes, il est essentiel de creuser un peu plus la façon dont les Suédois ont navigué à travers la pandémie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des gens déambulent dans une rue commerçante" src="https://images.theconversation.com/files/478736/original/file-20220811-12-czgmpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478736/original/file-20220811-12-czgmpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478736/original/file-20220811-12-czgmpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478736/original/file-20220811-12-czgmpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478736/original/file-20220811-12-czgmpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478736/original/file-20220811-12-czgmpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478736/original/file-20220811-12-czgmpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des promeneurs à Malmö, en Suède. Le pays a été largement critiqué pour son approche concernant la Covid-19.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/sweden-june-7-2020-people-take-1751901830">Dan_Manila/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Notamment, toute perception selon laquelle les Suédois ont poursuivi leur vie quotidienne pendant la pandémie comme si rien n’avait changé est fausse.</p>
<p>Dans un relevé effectué par l’Agence suédoise de santé publique au printemps 2020, <a href="https://www.folkhalsomyndigheten.se/nyheter-och-press/nyhetsarkiv/2020/juni/stor-majoritet-har-anpassat-sitt-beteende-under-pandemin/">plus de 80 %</a> des Suédois ont déclaré avoir adapté leur comportement, par exemple en pratiquant la distanciation sociale, en évitant les foules et les transports publics, et en travaillant à domicile. Les données mobiles agrégées ont confirmé que les Suédois ont réduit leurs déplacements et leur mobilité <a href="https://www.svd.se/a/6zlE8O/svenskar-forsiktigast-i-norden-under-pandemin">pendant la pandémie</a>.</p>
<p>Bien qu’ils n’étaient pas obligés de prendre des mesures contre la propagation du virus, ils l’ont tout de même fait. Cette approche volontaire n’aurait peut-être pas fonctionné partout, mais la Suède a toujours eu une grande confiance dans les autorités, et les gens <a href="https://www.thelocal.se/20160608/why-most-swedes-get-their-children-vaccinated/">ont tendance à se conformer</a> aux recommandations de la santé publique.</p>
<p>Il est également difficile de comparer les résultats de la Suède à ceux de pays non scandinaves dont les conditions sociales et démographiques sont très différentes.</p>
<h2>Forces et faiblesses</h2>
<p>Malgré les avantages que représente une absence de confinement, la réponse suédoise n’a pas été sans faille. Fin 2020, la Commission Corona, un comité indépendant nommé par le gouvernement pour évaluer la réponse suédoise à la pandémie, <a href="https://www.government.se/4af26a/contentassets/2b394e1186714875bf29991b4552b374/summary-of-sou-2020_80-elderly-care-during-the-pandemic.pdf">a constaté</a> que le gouvernement et l’Agence de santé publique avaient largement échoué dans leur volonté de protéger les personnes âgées.</p>
<p>À cette époque, près de 90 % des personnes décédées en raison de la Covid-19 en Suède avaient 70 ans ou plus. La moitié de ces personnes vivaient dans une maison de soins, et un peu moins du tiers bénéficiaient de services d’aide à domicile.</p>
<p>En effet, de nombreux problèmes relatifs aux soins aux personnes âgées en Suède sont clairement ressortis pendant la pandémie. Des lacunes structurelles telles que des effectifs insuffisants ont laissé les maisons de retraite <a href="https://www.reuters.com/article/health-coronavirus-sweden-commission-idUSKBN28P1PP">non préparées et mal équipées</a> pour faire face à la situation.</p>
<p>Dans son rapport final sur la réponse à la pandémie, la Commission Corona a conclu que des mesures plus sévères auraient dû être prises <a href="https://sverigesradio.se/artikel/corona-commission-swedens-Covid-response-was-flawed-but-allowed-freedoms">dès le début de la pandémie</a>, comme la mise en quarantaine des personnes revenant des zones à haut risque et une interdiction temporaire d’entrée en Suède.</p>
<p>La commission a toutefois déclaré que la stratégie visant à éviter tout confinement était fondamentalement raisonnable, et que l’État ne devrait jamais interférer avec les droits et libertés de ses citoyens plus qu’il n’est absolument nécessaire. La commission a également soutenu la décision de maintenir les écoles primaires ouvertes.</p>
<p>En comparaison, la Commission Corona en Norvège, l’un des rares pays d’Europe où la surmortalité est inférieure à celle de la Suède, a conclu que, bien que la gestion de la pandémie en Norvège ait été généralement bonne, les enfants ont été <a href="https://www.regjeringen.no/contentassets/d0b61f6e1d1b40d1bb92ff9d9b60793d/no/pdfs/nou202220220005000dddpdfs.pdf">durement touchés</a> par les confinements, et les autorités ne les ont pas protégés de manière adéquate.</p>
<p>La stratégie de la Suède visait à réduire la propagation du virus, mais aussi à prendre en compte d’autres aspects de la santé publique et à protéger la liberté et les droits fondamentaux. Si l’approche suédoise reste controversée, la plupart des pays adoptent aujourd’hui des mesures semblables face à la pandémie persistante.</p>
<p>Avec le recul, il semble un peu injuste que le pays, qui a suivi son plan adopté avant la pandémie, soit celui accusé d’avoir mené une expérience sur sa population. La Suède devrait sans doute être plutôt considérée comme la population de référence, alors que l’expérience se déroulait dans les autres pays du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189179/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>De 2018 à 2021, Emma Frans a occupé un rôle d'ambassadrice de la démocratie dans le cadre de The Committee for a Strong Democracy in Sweden. Ce rôle a été nommé par le gouvernement en place d'octobre 2014 à janvier 2019.
</span></em></p>
Bien que la Suède ait été durement touchée par la première vague, la surmortalité totale du pays au cours des deux premières années de la pandémie a été parmi les plus faibles d’Europe.
Emma Frans, Senior research specialist, C8 Department of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/186946
2022-08-23T18:04:41Z
2022-08-23T18:04:41Z
Le chômage partiel durant la crise sanitaire : quel bilan ?
<p>En 2020, la pandémie de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/Covid-19-82467">Covid-19</a> a provoqué une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/crises-economiques-26781">crise économique</a> majeure qui aurait pu entraîner, comme ce fût le cas en 2007-2008 lors de la crise des subprimes, une hausse importante des défaillances d'entreprises et des licenciements en France. Face à ce choc inédit, le gouvernement a décidé de suivre la stratégie adoptée par l'Allemagne durant la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2012-6-page-791.htm">«grande récession»</a>, en subventionnant massivement le chômage partiel, notamment durant le premier confinement. Au plus fort de la crise, <a href="https://www.unedic.org/publications/activite-partielle-etat-des-lieux-et-perspectives">près de la moitié des employés du secteur privé</a> étaient ainsi placés sous chômage partiel.</p>
<p>Le gouvernement a, entre autres, simplifié les procédures de mise en place du chômage partiel pour les entreprises et étendu la durée maximale de recours au chômage partiel. De mars à décembre 2020, l'employeur était tenu de verser au salarié, pour chaque heure chômée, une indemnité représentant 70% du salaire horaire brut.</p>
<p>Entre mars et mai 2020, l'État a pris en charge l'intégralité de la rémunération des heures chômées, dans la limite de 4,5 le smic. L'aide accordée par l'État a ensuite été <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/274758-ordonnance-24-juin-2020-taux-horaire-allocation-chomage-partiel">abaissé à 60% du salaire horaire brut en juin 2020</a>, puis a été réduite progressivement jusqu'à atteindre 36% du salaire horaire brut en janvier 2022.</p>
<h2>Effets d'aubaines</h2>
<p>Nos <a href="https://www.jstor.org/stable/48674141">simulations</a> (à paraître dans la revue <em>Annals of Economics and Statistics</em>) permettent de montrer que, en l'absence de réponse du gouvernement, les licenciements auraient été bien plus nombreux. Grâce aux mesures exceptionnelles, le taux de chômage est resté <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6443412">relativement stable</a> et finalement contenu sous les 9% durant la crise sanitaire.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Pour cela, nous avons étudié les effets sur l'emploi pour chacun des trois dispositifs de chômage partiel (avant crise, le STW1, entre mars et mai 2022, le STW2, puis entre juin et la fin de l'année, le STW3) si ceux-ci avaient prévalu sur l'ensemble de la période.</p>
<p>Le graphique ci-dessous montre que si le gouvernement avait été passif en laissant en place le dispositif d'avant-crise, le STW1, le taux de chômage aurait augmenté de près de 5 points de pourcentage à l'impact. Notamment, la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2429772">durée moyenne de chômage des travailleurs peu qualifiés</a> étant relativement longue, il aurait probablement fallu attendre plusieurs années avant de retrouver le taux de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chomage-20137">chômage</a> d'avant-crise. Au lieu de cela, nous avons observé une hausse de l'ordre de 1 à 2 points de pourcentage (STW2).</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=533&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=533&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=533&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=669&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=669&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474547/original/file-20220718-26-igr8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=669&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Nous remarquons également qu'il y a peu de différences en termes de dynamique du taux de chômage entre STW2 et STW3, ce qui suggère que l'on aurait pu atteindre les mêmes performances en termes de taux de chômage si le gouvernement avait appliqué un dispositif légèrement moins généreux dès le début de la crise sanitaire.</p>
<p>Dans la figure ci-contre, nous confirmons cette intuition. Un dispositif intermédiaire tel que STW3 permet de sauver à court terme 3,5% de l'emploi non qualifié, mais le passage de STW3 à STW2 (un dispositif plus généreux) ne sauve que très peu d'emplois supplémentaires (entre 0,16 et 0,5% de l'emploi non qualifié). Autrement dit, si le gouvernement avait appliqué le dispositif intermédiaire (STW3) dès le début de la crise, on aurait pu sauver presque autant d'emplois mais à un coût moindre.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474550/original/file-20220718-40251-8wqqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ceci s'explique par l'existence d'effets d'aubaine : certaines firmes, dans lesquelles l'emploi n'était pas menacé, ont utilisé le chômage partiel pour ajuster leurs heures de travail. Si le chômage partiel est trop généreux (comme c'est le cas avec STW2), ces effets d'aubaine peuvent être importants. En adoptant un dispositif légèrement moins généreux, on peut limiter les effets d'aubaine et cibler les aides uniquement sur les entreprises dans lesquelles l'emploi est menacé. On parvient alors aux mêmes résultats en termes de taux de chômage, avec un coût plus modéré.</p>
<h2>Rétention de main-d'œuvre</h2>
<p>À court terme, le chômage partiel permet de sauver des emplois mais il peut également engendrer des effets à plus long terme qui restent aujourd'hui difficiles à mesurer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-partir-de-quand-pourra-t-on-dire-que-la-recession-est-derriere-nous-163108">À partir de quand pourra-t-on dire que la récession est derrière nous ?</a>
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<p>Premièrement, il permet d'éviter que le <a href="https://theconversation.com/quelle-est-la-trajectoire-la-plus-plausible-pour-la-reprise-139806">capital humain des travailleurs</a> ne soit détruit : lorsqu'une personne perd son emploi, une partie du savoir et du savoir-faire accumulé par le travailleur au sein de son entreprise est perdu, ce qui peut induire une perte de productivité pour l'entreprise et une perte d'employabilité pour le travailleur. Le chômage partiel permet, en préservant l'emploi, de sauvegarder une grande partie du capital humain.</p>
<p>Deuxièmement, le chômage partiel permet aux entreprises d'éviter certains coûts de gestion liés aux fluctuations de l'économie et de la main-d'œuvre : en période de récession, la firme n'a pas à subir les coûts liés aux procédures de licenciement, tandis qu'en période d'expansion la firme n'a pas besoin de réaliser des procédures de recrutement chronophages et potentiellement coûteuses.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-partir-de-quand-pourra-t-on-dire-que-la-recession-est-derriere-nous-163108">À partir de quand pourra-t-on dire que la récession est derrière nous ?</a>
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<p>Troisièmement, le chômage partiel freine la réallocation des travailleurs au sein de l'économie et engendre un phénomène de rétention de main-d'œuvre : comme le chômage partiel cible majoritairement des emplois peu qualifiés, il <a href="https://theconversation.com/les-pge-vont-ils-changer-les-entreprises-francaises-en-zombies-145459">maintient en vie des secteurs d'activité peu productifs</a> et potentiellement en déclin, empêchant ainsi certains secteurs en expansion de pourvoir des postes vacants et de se développer. Ce constat semble cohérent avec les <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/expliquer-difficultes-de-recrutement-anticipees-entreprises">difficultés de recrutement</a> actuelles mentionnées par de nombreux chefs d'entreprises.</p>
<p>Il faudra plusieurs années avant de pouvoir mesurer pleinement les effets de long terme du chômage partiel, en termes de préservation du capital humain ou de réallocation des travailleurs. Néanmoins, à court terme, et étant donné les nombreuses incertitudes qui ont entouré la crise sanitaire, nous pouvons déjà établir que la politique menée par le gouvernement a effectivement permis de stabiliser l'emploi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Albertini a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anthony Terriau, Arthur Poirier et Xavier Fairise ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Le taux de chômage aurait bondi de 5 points sans les mesures d'urgence du printemps 2020, selon les estimations d'une équipe d'économistes qui relèvent par ailleurs quelques effets d'aubaine.
Anthony Terriau, Maître de conférences en économie, Le Mans Université
Arthur Poirier, Maître de Conférence en économie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Julien Albertini, Maître de conférences en économie, Université Lumière Lyon 2
Xavier Fairise, Professeur d'Economie, Le Mans Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/183772
2022-05-26T18:59:25Z
2022-05-26T18:59:25Z
Quelle transition écologique pour le gouvernement Borne ?
<p>La <a href="https://politico.eu/wp-content/uploads/2022/05/23/French-org-chart-3.pdf">composition</a> du gouvernement d’Elisabeth Borne est censée, d’après le projet annoncé par Emmanuel Macron depuis sa réélection, amorcer un véritable tournant vers la transition écologique. Le président a d’ailleurs utilisé le terme de « planification écologique », expression au cœur du <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-planification-ecologique-jean-luc-melenchon/9782021482348">programme</a> de son concurrent Jean-Luc Mélenchon.</p>
<p>Contrairement au premier gouvernement Macron, aucun ministre ou secrétaire d’État n’est issu de la société civile, alors même que <a href="https://theconversation.com/planification-ecologique-la-necessaire-concertation-democratique-pour-une-mise-en-oeuvre-juste-et-efficace-182699">plusieurs spécialistes</a> préconisent une meilleure concertation avec les associations et usagers, voire une co-construction de cette transition. Ce choix pourrait s’avérer délicat à l’avenir mais reflète une vision <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-toujours-et-encore-le-neo-liberalisme-179680">techno-libérale</a> de la transition.</p>
<p>L’idée est de répondre aux défis de la transition écologique par la technologie et la coopération public/privé. Pour le logement et le transport, ce sont des pré-requis. Or, ce pragmatisme a ses limites. La transition écologique nécessite aussi, comme l’indiquent plusieurs <a href="https://www.cairn.info/revue-futuribles-2017-4-page-33.htm">recherches</a>, un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/21/la-planification-ecologique-doit-se-mettre-au-service-d-une-dynamique-transgenerationnelle-et-de-la-jeunesse_6127078_3232.html">projet culturel fort</a> et un espace de négociation réel avec les citoyens.</p>
<p>Typiquement, les questions du logement et de la mobilité révèlent des visions multiples. Il faut donc pouvoir mobiliser autour de ces questions pour trouver des compromis locaux. La co-construction avec l’ensemble des acteurs de la société civile apporte des solutions pour une réelle appropriation de ce défi majeur et pour affiner et territorialiser les projets écologiques. Un défi majeur, parmi tant d’autres, est la <a href="http://www.nathalie-lazaric.fr/pdf/GRECODpublic.pdf">politique des déchets</a> qui implique tous les acteurs : des citoyens, aux acteurs publics et privés sans oublier les industriels et les recycleurs. Cette co-construction nécessite une véritable horizontalité au risque d’aliéner certains acteurs, comme cela a été le cas avec les Plans départementaux d’elimination des déchets ménagers et assimilés (PDEDMA), sur la zone francilienne dont les déboires ont bien été <a href="https://journals.openedition.org/developpementdurable/9451">analysés</a>.</p>
<p>Or, l’architecture gouvernementale choisie attribue à la même ministre (Amélie de Montchalin) de très nombreux portefeuilles, comme celui des transports ou du logement, abordé certes par la réhabilitation énergétique. Le risque est ici d’avoir une vision uniquement technophile de la question énergétique.</p>
<p>Ainsi, si on aborde le logement par le seul prisme technologique, on limite la réduction de la consommation énergétique à un exercice de réhabilitation thermique et de maîtrise d’œuvre. Ignorer les pratiques des usagers, leurs besoins, leurs valeurs et leurs priorités compromet la rénovation énergétique car la dimension sociale n’est pas intégrée d’emblée au projet.</p>
<p>Les risques ont bien été soulignés dans ce type d’exercice : sans intégrer la dimension sociale, il y a un potentiel effet rebond (augmentation plus importante qu’initialement prévue) remettant en cause la viabilité économique de ces investissements et privant les ménages de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800920306698">réelles réductions de la facture</a>.</p>
<h2>La justice sociale, grande absente du gouvernement</h2>
<p>Par ailleurs, la question de la justice sociale est la grande absente. Or, c’est par cette entrée que l’on peut mobiliser les citoyens pour les embarquer dans ces mutations. En effet, la crise écologique <a href="https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2017-1-page-111.htm">touche plus durement les plus pauvres</a> (logement, transport, alimentation et accès à la nature).</p>
<p>Rappelons que pour beaucoup de ménages français, transition écologique rime avec <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/eco-anxiete-analyse-dune-angoisse-contemporaine/">éco-anxiété</a>, c’est-à-dire un sentiment de désarmement face au dérèglement climatique et une peur de perte d’emploi et de pouvoir d’achat.</p>
<p>Pour certains ménages en situation de <a href="https://theconversation.com/precarite-energetique-10-ans-plus-tard-une-notion-toujours-floue-150103">précarité énergétique</a>, représentant 12 millions de ménages soit 20 % de la population, cette question est critique : comment se loger et se chauffer et surtout à quel prix ? Si on veut réussir la transition écologique, les changements ne doivent plus être une source de peur et de frustration mais un moyen de se projeter dans l’avenir.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-graphiques-comprendre-la-precarite-energetique-en-france-174654">En graphiques : comprendre la précarité énergétique en France</a>
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<h2>La précarité énergétique défi urgent</h2>
<p>Les inégalités environnementales sont très importantes, comme le rappelait très bien <a href="https://www.inegalites.fr/Mettre-la-question-sociale-au-coeur-des-politiques-ecologiques">Lucas Chancel</a> en 2017. 10 % des ménages le plus riches <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/giec-les-plus-riches-representent-pres-de-la-moitie-des-emissions_fr_624b34b6e4b0e44de9c59d21">émettent huit fois plus de gaz à effet de serre</a> que les 10 % des ménages les plus pauvres.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rénovation énergétique, Ademe.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte, il faut agir sur ces inégalités et permettre aux ménages les plus pauvres de ne pas subir la transition mais d’en bénéficier. C’est tout à fait possible en imaginant des mesures fortes en matière de précarité énergétique. <a href="https://www.economiedenergie.fr/renovation-energetique-europe-modele-suede/">La Suède est bon exemple</a> en la matière, en alliant mesures et concertations collectives. On pourrait ainsi sanctionner lourdement les locations dites passoires thermiques et faciliter la rénovation des logements privés, tout en préservant les droits des plus démunis vis-à-vis des fournisseurs d’énergie pour limiter la charge des ménages.</p>
<p>Par ailleurs, les initiatives issues de l’économie sociale et solidaire (ESS), les tiers lieux et autres endroits alternatifs doivent être regardés comme de véritables lieux d’expérimentation sur ces questions pour former les citoyens et trouver de nouveaux lieux d’insertion. Le <a href="http://scic-tetris.org/">Tiers-Lieu de Tetris</a> sur le Pays de Grasse dans les Alpes Maritimes est un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2016-1-page-77.htm">parfait exemple de nouvelles utopies</a> et d’expérimentations dans de nombreux domaines (agriculture, déchets, recyclage, tourisme, énergie).</p>
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<figcaption><span class="caption">Tiers lieu de Ste Marthe.</span></figcaption>
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<h2>Aller vers un accroissement du bien-être</h2>
<p>La transition écologique repose aussi sur un possible accroissement du bien être : meilleure qualité de l’air, de l’eau et préservation des écosystèmes naturels. Elle offre aussi la possibilité d’une meilleure alimentation et d’une plus grande sécurité alimentaire. C’est une question fondamentale : comment permettre à tous d’arriver à mieux se nourrir, mieux se loger et se déplacer et mieux vivre au quotidien ?</p>
<p>Il est intéressant ici de noter l’introduction du terme « prévention » dans le mandat de la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon, pose des enjeux intéressants.</p>
<p>La prévention rime avec l’éducation et la <a href="https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/en/object/thesis%3A33668">sensibilisation environnementale</a>. Sur ce point, le combat avec les lobbies existants est essentiel. Le dernier quinquennat a montré que le « dogme » du « en même temps » avait ses limites.</p>
<p>Si on parle de prévention, on ne peut pas transiger sur les risques. Sur la question agricole, peut-on encore faire des compromis sur les <a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">pesticides</a> ? Le cap doit être clair à ce niveau.</p>
<p>Par ailleurs, il faut soutenir les initiatives locales d’alimentation de proximité, et d’éducation dans ce domaine. Le projet <a href="https://agronomie.asso.fr/fileadmin/user_upload/revue_aes/aes_vol7_n1_juin2017/pdf/aes-vol7_n1_17_perole.pdf">d’alimentation territorial de Mouans-Sartoux</a> est un parfait exemple dans ce domaine (cantine biologique, ferme éducative, formation et éducation vers l’agriculture locale accessible à tous et conçue pour tous). Il montre la dynamique des territoires et la force des initiatives décentralisées.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouans-Sartoux et ses projets tournés vers l’alimentation locale.</span></figcaption>
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<h2>Le risque d’aller trop vite</h2>
<p>Pour enclencher cette transition, la question de la temporalité se pose aussi, comme le <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mardi-24-mai-2022">soulignait</a> d’ailleurs Amélie de Montchalin sur France Inter. Elle exposait sous l’expression de « fractures écologiques » les deux vitesses auxquelles se confronte la France dans cette transition : ceux qui veulent aller plus vite, et ceux qui freinent.</p>
<p>Le piège de la planification écologique est de vouloir aller trop vite sans concerter les citoyens. Cette concertation décentralisée, que l’on a pu observer dans d’autres pays comme la Suède <a href="https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-23-printemps-2020/dossier-la-planification-pour-la-transition-sociale-et-ecologique/article/la-planification-ecologique-une-approche-institutionnaliste-7330">avec sa politique énergétique</a>, est le seul moyen d’embarquer le plus grand nombre. Or, ce type de politique publique ne se décrète pas mais prend du temps pour arriver à des compromis jugés acceptables par tous.</p>
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<figcaption><span class="caption">Transition énergétique : avec 12 ans d’avance, la Suède remplit ses objectifs, Brut.</span></figcaption>
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<p>Aller vite serait un non-sens, <a href="http://publications.ut-capitole.fr/43263/">tant les solutions possibles sont nombreuses et complexes</a>, reflétant selon moi les priorités du gouvernement Borne : la lutte contre la précarité énergétique, la réhabilitation énergétique des logements sociaux, le plan alimentation durable pour tous, une politique et réglementation environnementale contraignante en matière d’emballage plastique pour avoir des objectifs réalistes de réduction des déchets, une politique anti-gaspillage alimentaire avec des contrôles des acteurs publics et privés, une politique publique exemplaire en matière environnementale servant de moteur, une incitation des acteurs privés et firmes dans le cas de réduction effective du bilan carbone avec déduction d’impôt et un contrôle strict pour éviter le « greenwashing » et les <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ECOPO_050_0083">effets d’aubaine</a>. En matière de rénovation énergétique, les contrôles doivent être mis en place de manière régulière pour éviter ces mécanismes.</p>
<p>L’essor de nouveaux instruments financiers dans ce domaine et les <a href="https://www.cairn.info/revue-responsabilite-et-environnement-2017-4-page-68.htm">« obligations vertes »</a> rendent désormais plus que nécessaire une coordination entre les pouvoirs publics, les banques et les entreprises et les bailleurs publics et privés pour financer les nouveaux projets énergétiques et immobiliers dans ce domaine. Mais, ainsi que le rappelle l’ouvrage d’Hélène Tordjman, il faut constamment regarder <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_croissance_verte_contre_la_nature-9782348067990">ces nouveaux outils</a> avec un regard critique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-loi-climat-va-t-elle-permettre-de-freiner-le-greenwashing-160208">La loi Climat va-t-elle permettre de freiner le greenwashing ?</a>
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<h2>Fracture écologique ?</h2>
<p>Il est enfin intéressant de noter le terme de <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mardi-24-mai-2022">« fracture écologique »</a> en France.</p>
<p>La ministre souligne la nécessité d’une politique de la différenciation des politiques, axée sur la décentralisation avec des politiques territoriales resserrées. En effet, cette transition est aussi une culturelle. Si la <a href="https://theconversation.com/le-casse-tete-de-la-dependance-automobile-en-zones-peu-denses-168902">voiture reste un marqueur de la mobilité</a>, à la fois identitaire et social, les plus jeunes n’ont pas la même <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01995977">perception culturelle</a> de la mobilité. Par ailleurs les politiques de mobilité sont territorialisées avec de fortes divergences entre les cultures locales et l’accessibilité à l’emploi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reorienter-leconomie-une-derniere-chance-pour-sauver-le-climat-171634">Réorienter l’économie : une dernière chance pour sauver le climat</a>
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<p>Les visions sont contrastées sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2017-5-page-771.htm">façon d’aborder</a> le problème. Faut-il des changements mineurs ou plus radicaux ? Quels sont les chemins possibles pour <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02387961">changer nos modèles de consommation</a> et nos <a href="https://isidore.science/document/10670/1.lv5154">représentations</a> de ces derniers ?</p>
<p>Au-delà de ces divergences, il faut travailler sur l’<a href="https://theconversation.com/les-enfants-savent-bien-trier-les-dechets-mais-ne-le-font-pas-a-la-maison-pourquoi-148140">éducation populaire environnementale</a> et offrir de nouvelles opportunités <a href="http://www.nathalie-lazaric.fr/pdf/NiceMatin2022-02-14-Lazaric.pdf">dans l’économie verte</a> sans pour autant négliger le phénomène de sobriété plébiscité par de <a href="https://theconversation.com/une-france-zero-carbone-en-2050-pourquoi-le-debat-sur-la-sobriete-est-incontournable-172185">nombreux spécialistes de la question</a>.</p>
<p>Les premières actions du gouvernement Borne auront ainsi valeur de symbole fort et seront déterminantes pour la transition écologique du second quinquennat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Lazaric ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les ministres choisis pour mettre en œuvre la planification écologique reflètent plutôt une vision techno-libérale des politiques publiques qu’une volonté de concertation avec les usagers.
Nathalie Lazaric, Directrice de recherche en innovation et apprentissage, Université Côte d’Azur
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/183184
2022-05-17T18:35:38Z
2022-05-17T18:35:38Z
Quand l’action publique s’inspire des sciences comportementales
<p>Les pouvoirs publics cherchent chaque jour des solutions aux problèmes auxquels les citoyens sont confrontés. Bien souvent cependant, les politiques qui en découlent n’ont pas l’effet escompté car les citoyens réagissent de manière imprévisible. Le non-recours aux aides sociales est probablement l’exemple le plus dramatique de ce type d’échecs. L’Odenore (Observatoire des non-recours aux droits et services) estime aujourd’hui que 30 % des allocations sociales ne sont pas perçues, 36 % des personnes ciblées par le revenu de solidarité active n’en bénéficient pas, et plus de 50 % des bénéficiaires potentiels des dispositifs d’aide à la complémentaire santé ne la perçoivent pas.</p>
<p>La santé est un autre domaine où les dispositifs déployés par les pouvoirs publics échouent régulièrement à remporter l’adhésion : les effets secondaires des médicaments et des vaccins sont par exemple redoutés et conduisent les Français à manifester une défiance grandissante contre la médecine conventionnelle et les risques supposés auxquels elle nous expose. Dans le même temps, des menaces bien plus grandes, telles que celles liées à la vitesse sur les routes, au tabac, à l’alcool, à la pollution de l’air, marquent moins les esprits.</p>
<p>L’Organisation mondiale de la santé estime par exemple que la plupart des années de vie en bonne santé dans les pays de l’OCDE qui sont perdues le sont aujourd’hui à cause de comportements évitables, tels que le tabac, l’alimentation trop riche, la consommation d’alcool, les relations sexuelles non protégées, les accidents de voiture, etc.</p>
<h2>Mécanismes sous-optimaux</h2>
<p>Face à ce constat, il est tentant de conclure que nous sommes irrémédiablement stupides. Notre esprit serait perverti par d’innombrables biais : nous serions tantôt trop optimistes, tantôt trop pessimistes, incapables de maîtriser les notions les plus basiques de probabilités et de statistiques, trop fainéants pour remplir des formulaires, trop impulsifs pour résister aux tentations, pas assez méfiants de certains dangers objectivement importants, et trop méfiants de risques pourtant minimes. La psychologie humaine serait donc une collection de mécanismes sous-optimaux et le cerveau une machine mal câblée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463560/original/file-20220517-14-qgqtaf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463560/original/file-20220517-14-qgqtaf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463560/original/file-20220517-14-qgqtaf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463560/original/file-20220517-14-qgqtaf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463560/original/file-20220517-14-qgqtaf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463560/original/file-20220517-14-qgqtaf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463560/original/file-20220517-14-qgqtaf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le cerveau humain, une machine mal câblée ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/vectors/cerveau-organe-cérébral-lobe-5605289/">StarGladeVintage/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>En ce qu’ils s’adressent à des humains, les décideurs publics ne peuvent faire l’économie d’une véritable prise en compte de la psychologie lors de la mise en œuvre de réformes. L’intelligence sociale, comme nous le verrons, peut, et doit, être mise au service du bien commun et de l’amélioration de l’action publique. De nombreux gouvernements ont ainsi pris conscience du fait qu’il ne suffit pas d’avoir identifié une bonne solution : les politiques publiques peuvent être bien intentionnées, mais échouer parce qu’elles ne sont pas reçues comme prévu par le public. Les gouvernements anglais, français, australiens, l’OCDE, l’Union européenne, et bien d’autres, s’appuient donc désormais sur des modèles plus réalistes du comportement pour favoriser l’élaboration de politiques publiques plus novatrices, plus adaptées au fonctionnement de l’esprit, et plus évaluées pour s’assurer de leur efficacité.</p>
<p>Dans notre ouvrage <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/homo-sapiens-dans-la-cite_9782415000189.php"><em>Homo sapiens dans la cité : comment adapter l’action publique à la psychologie humaine</em></a> (éditions Odile Jacob), nous proposons un panorama des différents domaines pour lesquels l’association entre sciences comportementales et politiques publiques a été fructueuse.</p>
<h2>L’équité plus que l’efficacité</h2>
<p>Au-delà d’échecs d’actions publiques ponctuelles, la représentation des citoyens comme parfaitement informés et rationnels conduit à des problèmes systémiques dans la mise en œuvre des politiques publiques. Une manière de le mettre en lumière est l’ampleur du non-recours. Il s’agit, pour une prestations donnée – par exemple le RSA – de la part des personnes qui pourraient en être bénéficiaires, mais ne font pas ou ne vont pas au bout des démarches nécessaires pour l’obtenir. Et souvent, le non-recours est le plus fréquent chez les personnes qui en ont le plus besoin – typiquement les visites gratuites chez le dentiste. Si le seul modèle qu’on s’autorise à utiliser est celui de l’<em>Homo œconomicus</em>, le non-recours est difficilement explicable, tant les personnes concernées auraient manifestement intérêt à accomplir les démarches.</p>
<p>Une limite de cette analogie est que l’esprit humain ne se conçoit pas isolément des autres. Notre manière de comprendre le monde s’appuie de manière essentielle sur une dimension sociale, sur nos interactions avec les autres.</p>
<p>Cela a des conséquences immédiates sur l’action publique : en mettant en évidence des comportements non coopératifs, des campagnes de sensibilisation peuvent se révéler contre-productives en normalisant le comportement qu’on essaye d’éviter. Il vaut bien mieux montrer que ce comportement est non seulement dangereux, mais minoritaire.</p>
<p>Les campagnes de lutte contre l’alcoolisme étudiant ont connu un tel tournant. L’inconvénient du « Tu t’es vu quand t’as bu ? » est qu’il donne l’impression que beaucoup d’étudiants boivent jusqu’à une ivresse avancée, en faisant une norme implicite. Les campagnes informant du fait que la plupart des étudiantes et étudiants boivent de manière modérée, que l’alcoolisation extrême ne concerne qu’une minorité qui a besoin d’une prise en charge ont été plus efficaces pour éviter les comas alcooliques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HRieILCAIsA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Tu t’es vu quand t’as bu ? » : campagne de prévention contre la consommation excessive d’alcool de 1996 (Archipub).</span></figcaption>
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<p>Ce fonctionnement explique aussi pourquoi nous acceptons ou rejetons l’action publique moins sur des critères d’efficacité que sur ce que nous percevons comme l’équité. La taxe carbone en fournit un bon exemple. Il n’y a pas vraiment d’argument contre son efficacité pour réduire les émissions de CO<sub>2</sub>. L’opposition à cette taxe s’est cristallisée sur le fait qu’elle porterait principalement sur les ménages les plus contraints financièrement (pas forcément les plus modestes, d’ailleurs), et qu’elle exemptait des secteurs associés au mode de vie des plus aisés, comme l’aviation.</p>
<p>Plus généralement, il est facile de montrer tant en laboratoire que par les sondages que la plupart des gens n’évaluent pas les politiques publiques de manière utilitariste, en comparant les coûts et les bénéfices, mais sur un principe d’équité fondé sur la coopération conditionnelle : est-ce que cette politique récompense ceux qui coopèrent et punit ceux qui ne le font pas ?</p>
<p>Cet écart trouve une illustration assez spectaculaire dans une expérience qui compare l’attachement à l’État-providence aux États-Unis et au Danemark. Sans surprise, les Danois sont en moyenne plus favorables à un État-providence généreux que les Américains. Sauf qu’en pratique, il ne s’agit pas d’une opinion forte sur l’État-providence en soi !</p>
<h2>Approches multiples</h2>
<p>Pour le montrer, les chercheurs ont présenté des cas pratiques : faut-il aider une personne dont les difficultés proviennent d’une cause externe (par exemple, un ouvrier chez Kodak, dont l’emploi a disparu à cause de mauvais choix technologiques de son employeur) ? Faut-il aider une personne dont les problèmes sont liés essentiellement à sa paresse ? Danois et Américains répondent de manière pratiquement identique à ces questions. Ce qui est en jeu n’est donc pas l’aide en soi, mais le fait qu’elle aille où non à quelqu’un qui la mérite. Et c’est là que les deux populations diffèrent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463554/original/file-20220517-16-vfgnwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463554/original/file-20220517-16-vfgnwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463554/original/file-20220517-16-vfgnwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463554/original/file-20220517-16-vfgnwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463554/original/file-20220517-16-vfgnwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463554/original/file-20220517-16-vfgnwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463554/original/file-20220517-16-vfgnwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/homo-sapiens-dans-la-cite_9782415000189.php">Éditions Odile Jacob</a></span>
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<p>Dans leur majorité, les Danois pensent qu’une personne au chômage est probablement quelqu’un qui n’a pas eu de chance, et qui utilisera l’aide pour retrouver un emploi. Dans leur majorité, les Américains pensent qu’une personne au chômage est paresseuse, et que l’aide ne ferait que l’encourager dans sa paresse. Une appréciation aussi cruciale dans nos sociétés ne repose donc pas sur une vision morale différente, mais sur une différence d’appréciation des autres.</p>
<p>Le programme est donc vaste, puisqu’il s’agit d’agir tant dans la conception que dans la conduite de l’action publique, à travers en particulier de vastes programmes de recherche, d’expérimentation et de formation. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que l’objectif reste l’humain, l’impact de l’action publique sur les vies des personnes. Il ne s’agit certes pas de transformer tous les agents publics en spécialistes des sciences cognitives, mais d’agir, à toutes les échelles, avec un modèle, plus riche, plus adapté, plus contextuellement informé du comportement humain.</p>
<p>Les approches pour cela sont multiples, et les sciences cognitives ne sont qu’une partie de la boîte à outils : l’ensemble des sciences humaines ont leur rôle à jouer. Nous pensons naturellement à la sociologie, l’anthropologie ou l’histoire, mais aussi par exemple à la littérature, qui exprime des représentations, des affects, des états subjectifs uniques, qui met le doigt sur des questions ou des aspects qui sont tellement loin de nos expériences personnelles que nous n’aurions jamais pensé à y prêter attention.</p>
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<p><em>Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du bien-être du Cepremap et co-auteur du livre « Homo sapiens dans la cité », a co-rédigé cet article</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183184/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Coralie Chevallier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Dans leur essai « Homo sapiens dans la cité », Coralie Chevallier et Mathieu Perona offrent un panorama des politiques publiques qui intègrent les biais de la rationalité humaine.
Coralie Chevallier, Chercheuse en sciences cognitives et comportementales, Inserm, École normale supérieure (ENS) – PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/182796
2022-05-17T18:33:15Z
2022-05-17T18:33:15Z
Gratuité des transports : comprendre un débat aux multiples enjeux
<p>La gratuité des transports fait beaucoup parler d’elle. Récemment, elle est apparue à plusieurs reprises dans les débats de la campagne présidentielle : par exemple appliquée aux transports urbains comme une réponse à la tension sur les carburants provoquée par la guerre en Ukraine, pour Yannick Jadot, ou appliquée au TGV comme une mesure de pouvoir d’achat pour les jeunes, pour Marine Le Pen. Quand bien même la tarification des transports urbains ne relève pas de l’échelle gouvernementale tandis que celle du TGV n’en relève que de façon indirecte par l’intermédiaire de la SNCF.</p>
<p>La présence médiatique de la gratuité des transports est toutefois demeurée plus faible que lors des dernières élections municipales, qui ont vu de très nombreuses listes proposer une telle mesure, comme l’a analysé la chercheuse sur les comportements de mobilité du Cerema <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03591222/document">Sophie Hasiak</a>.</p>
<p>Depuis le milieu des années 2010, la gratuité est devenue l’un des thèmes majeurs des débats portant sur les politiques publiques de mobilité à l’échelle locale, c’est-à-dire celle assurées par des autorités organisatrices. Toutefois, comme pour le <a href="https://www.editions-libel.fr/maison-edition/boutique/quarante-ans-de-tramways-en-france/">tramway au cours des années 1990</a>, la gratuité se trouve aujourd’hui au cœur de controverses très vives.</p>
<h2>Une mesure polarisante</h2>
<p>On peut s’interroger sur les ressorts du caractère clivant d’une mesure qui pourtant ne paraît pas être en elle-même susceptible de changer la vie urbaine du tout au tout. Le caractère radical de l’opposition paraît lié au fait que les transports publics sont un secteur où les investissements sont massifs, qu’ils soient symboliques, supposés porter l’image de la ville ou l’urbanité des lieux, comme dans le cas du tramway ou du Grand Paris Express, ou financiers, comme à Lyon, <a href="https://www.sytral.fr/401-les-finances.htm">où 492 millions d’euros doivent être investis en 2022</a>, ce que la gratuité viendrait dégrader.</p>
<p>L’opposition peut aussi se fonder sur l’idée que cette mesure, qui a nécessairement un coût, ne serait pas la plus appropriée pour décarboner les mobilités, ce qui est affiché comme <a href="https://www.pur-editions.fr/product/7399/nouvelles-ideologies-urbaines">l’objectif central des politiques publiques</a>. Du côté des pro-gratuité, ce sont souvent les revendications venues des groupes les plus radicaux de la gauche qui sont les plus visibles du fait que la gratuité renvoie à un droit à la mobilité, voire un <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1967_num_6_1_1063">droit à la ville</a>, quand bien même cette mesure est instaurée par des majorités de gauche comme de droite.</p>
<p>Cette polarisation nuit à une compréhension satisfaisante de ce qu’est la gratuité des transports, en particulier du fait qu’elle conduit à poser la question en des termes généraux, souvent abstraits des éléments de contexte qui peuvent donner à cette mesure des sens bien différents, en fonction de la fréquentation du réseau, de son taux de couverture des dépenses de fonctionnement, de la conception de l’offre de transport…</p>
<p>Pour discuter d’un phénomène, il convient d’abord de le documenter. C’est l’objectif que s’est fixé l’<a href="http://www.obs-transport-gratuit.fr/">Observatoire des villes du transport gratuit</a>, né en 2019 avec l’appui de la Communauté urbaine de Dunkerque et de l’Agence d’urbanisme et de développement de la région Flandre-Dunkerque (Agur), puisque cette ville est l’une des principales agglomérations françaises à avoir décrété la gratuité sur son réseau. Il s’agit ainsi d’ouvrir le regard sur la gratuité, au-delà de ce qui est souvent l’entrée principale des débats : le report modal.</p>
<h2>Le report modal comme seule clé de lecture ?</h2>
<p>Alors que le champ médiatique présente généralement le sujet sous l’angle de la question financière, le report modal est le thème principal des débats dans les publics experts, pour qui la question du financement relève plus de choix politiques que d’une véritable difficulté.</p>
<p>Le report modal, qui pourrait désigner tout changement d’un mode de transport pour un autre, est ici compris comme celui devant voir les personnes se reporter depuis l’automobile vers les transports collectifs.</p>
<p>La question est de savoir qui sont celles et ceux qui constituent la hausse de fréquentation généralement constatée après une mesure de gratuité. S’agit-il d’automobilistes ? De cyclistes ? De piétons ? Ou de nouveaux déplacements qui n’étaient jusque-là pas réalisés ? Par exemple, le report modal est l’entrée principale des articles publiés par The Conversation, signés des économistes <a href="https://theconversation.com/transports-publics-gratuits-une-mesure-inefficace-contre-la-pollution-en-ville-133197">Frédéric Héran</a> et <a href="https://theconversation.com/leffet-limite-de-la-gratuite-des-transports-en-commun-sur-la-pression-automobile-180893">Quentin David</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leffet-limite-de-la-gratuite-des-transports-en-commun-sur-la-pression-automobile-180893">L’effet limité de la gratuité des transports en commun sur la pression automobile</a>
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<p>Cette question n’est évidemment pas illégitime. Mais elle pose bien des difficultés. D’une part, elle est difficile à objectiver, puisque la gratuité n’arrive jamais seule dans un contexte urbain qui serait immuable, du fait d’effets démographiques, d’ouvertures de zones commerciales ou de nouvelles aires d’urbanisation.</p>
<p>Les enquêtes ne sont d’ailleurs pas toujours disponibles pour mener des comparaisons. D’autre part, l’objectif du report modal, pour intéressant est rarement atteint par les politiques publiques de transport, y compris les plus coûteuses, comme <a href="https://journals.openedition.org/rge/3508?lang=de">celles qui ont porté l’essor du tramway</a>. La vision qu’il suppose est assez réductrice, dans la mesure où il reste cantonné à l’offre de mobilité, alors que l’on sait que les leviers sont aussi du côté de la demande, alimentée par la forme urbaine dépendante d’une automobile encore assez peu contrainte.</p>
<p>L’enjeu du report modal croise aussi l’enjeu financier. Si les transports publics sont une activité qui n’est jamais rémunératrice, les rendre gratuits correspond-il à un usage pertinent des deniers publics ? Ces crédits devraient-ils être utilisés autrement ? C’est justement ce dont une évaluation élargie doit permettre de juger en complétant l’entrée par le seul report modal.</p>
<h2>Une nécessaire pluralité des questionnements</h2>
<p>Premièrement, au vu de l’hétérogénéité des situations, il est primordial d’évaluer les résultats attendus en fonction des objectifs fixés en amont. Or, différents buts peuvent être poursuivis par la mise en place de la gratuité : intégration sociale, report modal, décongestion du centre-ville, attractivité pour certains publics, distinction du territoire métropolitain vis-à-vis de ses périphéries, amélioration du taux de remplissage de son réseau, attractivité vis-à-vis des entreprises…</p>
<p>La gratuité étant un choix politique, c’est ainsi qu’il faut la comprendre, peut-être y compris dans ce qu’elle peut porter de stratégie personnelle des élues et élus, comme dans le cas de <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=TURB_136_0018&download=1">Patrice Vergriete</a> à Dunkerque, qui a construit son premier mandat sur cet enjeu, ou, historiquement, de <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2015-1-page-123.htm">Michel Crépeau</a> à La Rochelle, à l’heure des premiers vélos en libre-service en 1976, dont le succès lui a permis de s’afficher comme figure de l’écologie politique émergente.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le maire de Dunkerque Patrice Vergriete s’explique sur la gratuité des bus dans sa ville. YouTube.</span></figcaption>
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<p>Deuxièmement, il convient d’observer l’ensemble des effets de la gratuité : temps court et temps long, effets financiers et effets sociaux, effets sur les pratiques comme sur les images sociales, effets sur le réseau comme sur l’urbanisme et l’équilibre territorial en général… Ce que l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a entrepris, en finançant des études s’intéressant au <a href="https://www.wizodo.fr/photos_contenu/effets-gratuite-transports-jeunes-dunkerquois-avril21.pdf">groupe social des jeunes</a> ou aux effets de la gratuité sur les <a href="https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transport/5129-changer-les-pratiques-dans-les-services-urbains-de-transport-en-commun.html">pratiques professionnelles</a> au sein de l’exploitant d’un réseau.</p>
<p>Dans une approche économique, il est possible de porter un regard différent, comme celui des économistes <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=TURB_136_0012&download=1">Sonia Guelton et Philippe Poinsot</a>, qui se penchent par exemple sur les finances locales des villes à gratuité, finalement peu mises à l’épreuve par une telle mesure. Dans un contexte où les recettes ne couvrent bien souvent que de 10 à 15 % des coûts d’exploitation, les situations financières des villes à gratuité et des villes à réseau payant peuvent d’ailleurs être assez similaires. Il en va différemment pour les villes bien plus performantes sur ce critère, comme les agglomérations parisienne et lyonnaise, qui font toutefois plus figure d’exceptions que de normes en la matière.</p>
<p>Troisièmement, il faut aussi accepter que la gratuité, comme beaucoup d’autres mesures, ne puisse s’évaluer de façon complètement isolée et indépendamment d’autres éléments de contexte. En d’autres termes, une forme de modestie s’impose, du fait que la gratuité n’arrive pas seule dans un contexte qui resterait figé avant et après sa mise en œuvre et où les données collectées en amont existeraient et permettraient de mener des comparaisons simples avec celles collectées en aval. Une telle situation ne peut exister car la gratuité ne prend son sens que parmi d’autres mesures touchant aux mobilités. Ce qui ne signifie pas que rien ne peut en être dit mais que la première entrée doit être celle du contexte local, loin des jugements généraux portant sur la pertinence <em>a priori</em> ou non de la mesure.</p>
<h2>Refonder le débat</h2>
<p>Ce constat invite donc à construire collectivement un cadre de débat où la gratuité des transports puisse être discutée sereinement, en se départant des réactions épidermiques ou des spontanéités militantes qu’elle suscite habituellement. <a href="http://www.editions-descartes.fr/Titres-des-Editions-Descartes/Approche-laique-de-la-mobilite-une/85.htm">Une approche laïque de la gratuité</a>, pour reprendre Jean-Pierre Orfeuil.</p>
<p>Certains supports ont d’ores et déjà engagé un tel mouvement, comme la revue <a href="https://www.cairn.info/revue-transports-urbains-2020-1.htm">Transports urbains</a> ou le <a href="https://forumviesmobiles.org/regards-croises/15548/la-gratuite-des-transports-fait-elle-ses-preuves">Forum Vies Mobiles</a>. Tout récemment, une nouvelle marche a été franchie par la <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-gratuite-des-transports-une-idee-payante/">première publication de l’Observatoire des villes du transport gratuit</a>, qui aborde les grandes idées reçues touchant à la gratuité pour les déconstruire à partir des éléments scientifiques disponibles. Qu’elles plaident en faveur de la gratuité ou contre elle, ces idées reçues sont essentielles à éclairer, tant elles perturbent un débat qui a tant de difficultés à se poser.</p>
<p>Une autre façon de le faire est aussi d’élargir le regard à l’international, comme le propose le projet <a href="https://www.cosmopolis.be/research/low-fares-no-fares-analysis-economic-operational-socio-spatial-and-political-dynamics-fare">LiFT</a>. Si des conditions nationales peuvent expliquer des situations de gratuité, comme l’existence particulière du versement mobilité en France, regarder ailleurs permet de se défaire de nombre de préjugés sur la gratuité.</p>
<p>Le sens qu’elle prend au Luxembourg, à Tallinn ou à Kansas City n’est pas identique, du fait des objectifs, des contextes sociaux et urbains ou du statut de ce que sont les transports publics, pensés comme solutions écologiques visant le report modal ou comme solution sociale pour les plus pauvres. Plus généralement, le sens de la gratuité des transports n’est peut-être pas le même que celle d’autres services urbains ou services publics locaux, souvent gratuits mais rarement qualifiés comme tels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/transports-publics-gratuits-une-mesure-inefficace-contre-la-pollution-en-ville-133197">Transports publics gratuits, une mesure inefficace contre la pollution en ville</a>
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<p>C’est donc aussi aux mots qu’il convient de réfléchir. Gratuité agit comme une catégorisation qui masque bien des différences entre les villes ayant aboli tout ou partie de la tarification de leur réseau, de même qu’elle masque des continuités avec les villes où la tarification existe, en particulier sur le plan financier. Plus globalement, ce débat invite à revoir le sens d’expressions centrales dans les études de transport, comme l’idée de report modal ou les catégorisations habituelles entre automobilistes, piétons ou cyclistes, ce que nous sommes bien souvent toutes et tous au fil de nos activités.</p>
<p>Finalement, c’est même peut-être la notion de transport qui mérite d’être revisitée. Ce débat sur la gratuité ne nous invite-t-il pas à penser que le transport n’est pas juste là pour nous transporter mais se trouve être un vecteur portant bien d’autres choses : nos idéaux, nos envies, notre désir de vitesse ? La base étroite sur laquelle la gratuité se trouve souvent jugée n’est-elle pas celle qui vit dans l’illusion que le transport sert à transporter, alors qu’il porte une forte diversité de charges, du désenclavement territorial à l’idée d’innovation technologique en passant par les ambitions politiques, qu’on le veuille ou non ? Dès lors, si le transport porte autre chose, la gratuité ne peut-elle pas apporter autre chose ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Passalacqua est co-président de l'Observatoire des villes du transport gratuit.</span></em></p>
La gratuité est devenue l’un des sujets majeurs des débats portant sur les politiques publiques de mobilité à l’échelle locale. Elle se trouve aujourd’hui au cœur de controverses très vives.
Arnaud Passalacqua, Professeur en aménagement de l'espace et urbanisme, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/182699
2022-05-10T21:49:46Z
2022-05-10T21:49:46Z
Planification écologique : la nécessaire concertation démocratique pour une mise en œuvre juste et efficace
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/462216/original/file-20220510-16-a7cnul.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C147%2C2048%2C1818&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si la rénovation énergétique a pu améliorer le confort de vie des usagers, elle n'a pas toujours conduit à la diminution attendue de la consommation d'énergie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/65389393@N00/38534865270">Ghislain Sillaume/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Durant sa campagne, Emmanuel Macron a affirmé vouloir mettre la <a href="https://www.lemediatv.fr/emissions/2022/macron-comprend-il-la-planification-ecologique-RgWgM4L2QryYaaAHs1ExKw">planification écologique au centre du prochain quinquennat</a>, sous l’égide directe du Premier ministre. En attendant sa nomination, l’institut France Stratégie vient de dévoiler son <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2022-rapport-soutenabilites-7mai-17h-final-synthese.pdf">rapport sur les enjeux de cette planification écologique</a>, préconisant entre autres un renouveau de l’exercice démocratique.</p>
<p>Dans ce contexte, en quoi consiste la planification écologique ? Quels en sont les contours et prérequis nécessaires pour aboutir à des résultats qui fédèrent le plus grand nombre de citoyens ? Comment éviter les échecs cuisants comme ceux de la rénovation énergétique ?</p>
<h2>L’importance de la concertation</h2>
<p>La planification écologique est l’aptitude d’un pays de se doter d’un cadre institutionnel et réglementaire adapté à ses objectifs écologiques. L’une de ses fonctions est notamment de permettre de <a href="https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-23-printemps-2020/dossier-la-planification-pour-la-transition-sociale-et-ecologique/article/la-planification-ecologique-une-approche-institutionnaliste-7330">financer les investissements privés et publics nécessaires pour la transition</a>.</p>
<p>Si on peut se réjouir de voir la question écologique se placer au centre de l’échiquier politique et être annoncée comme principe phare pour les cinq prochaines années, on doit néanmoins se méfier de mesures imposées par le gouvernement ne répondant aux besoins réels ou « perçus » des citoyens.</p>
<p>En effet, faute de cohérence et de concertation préalable, l’État français a déjà été amené à renoncer à la fiscalité écologique avec la crise des « bonnets rouges » en 2013 et des « gilets jaunes » en 2019. Ces mesures furent perçues comme injustes, car touchant les travailleurs les plus pauvres, notamment lors du mouvement des « gilets jaunes » avec la hausse du prix du carburant.</p>
<p>Ainsi que le préconise le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_Brundtland">rapport Brundtland</a> rédigé par les Nations unies en 1987, la participation et l’information ainsi que la justice et la solidarité sont les principes de base pour que la transformation écologique soit acceptée par les citoyens.</p>
<p>Face aux <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0170840614563742">« grands défis » de notre siècle</a>, il n’existe pas une solution possible, mais de nombreuses options. Les problèmes environnementaux sont complexes, incertains et ont des conséquences multiples.</p>
<p>Face à ces défis, la méthode préconisée est le <a href="https://archive.org/details/howwethink02dewegoog/page/n16/mode/2up">pragmatisme à la « Dewey »</a>, c’est-à-dire une concertation décentralisée pour trouver un compromis acceptable et surtout, accepté par les acteurs publics et privés ainsi que par l’ensemble des citoyens.</p>
<p>La concertation est toutefois difficile et longue à mettre en œuvre. En effet, elle ne se programme pas, mais se co-construit avec un ensemble de parties prenantes.</p>
<h2>L’exemple de la rénovation énergétique</h2>
<p>Prenons un exemple simple : la <a href="https://theconversation.com/renovation-energetique-en-france-des-obstacles-a-tous-les-etages-147978">rénovation énergétique</a>, c’est-à-dire l’ensemble des travaux visant à diminuer la consommation énergétique du bâtiment et de ces usagers en utilisant des énergies décarbonées.</p>
<p>Annoncée en France comme la prochaine mesure phare du quinquennat pour la planification écologique, elle illustre la complexité des défis à surmonter pour aboutir à une réelle réduction des gaz à effet de serre.</p>
<p>La rénovation énergétique est complexe et implique de nombreux acteurs publics et privés (dont la plupart n’ont pas l’habitude de collaborer avec des acteurs intermédiaires), ainsi que de nombreuses sources de financement. Elle repose sur de multiples options technologiques possibles, et nécessite des compromis entre coût économique, pratiques énergétiques et réduction des gaz à effet de serre.</p>
<p>Face à ces difficultés, l’habitude est donc de mettre en place ces programmes sans les usagers et sans observation préalable de leurs pratiques de consommation.</p>
<p>Ceci conduit généralement à des résultats variables… voire mauvais. Notamment, on observe de nombreux effets rebonds après les opérations de réhabilitation, et les retours sur investissement sont loin de ceux escomptés.</p>
<p>Et pour cause : les modèles de prédiction sur lesquels ils sont basés reprennent souvent un profil d’usager dit « moyen », et sont incapables d’intégrer la complexité des usages locaux dans leur modèle de prévision.</p>
<p>Pourtant, les travaux de mon laboratoire sur la <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01424234">réhabilitation des logements sociaux en région PACA</a> et sur la <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03402212/file/Lazaric%20Toumi%20Ecological%20Economics%20.pdf">consommation énergétique</a> montrent qu’il est possible, par la concertation, d’enseigner la réduction de la consommation énergétique et ainsi de modifier durablement les comportements.</p>
<p>Lorsque l’on fait le bilan de la réhabilitation des logements sociaux en région PACA, on voit une nette différence entre les opérations ayant bénéficié d’une concertation en amont (programme d’éducation populaire, travail avec les associations environnementales sur les questions énergétiques, dialogues avec la maîtrise d’ouvrage sur les options techniques telles que l’isolation et le thermostat) et les autres opérations « classiques ».</p>
<p>Quand la concertation avec les usagers fut mise en œuvre, les réductions de consommation énergétique furent importantes, avec une diminution effective de la consommation sur le long terme en évitant les potentiels effets rebond (c’est-à-dire une augmentation de la consommation d’énergie par usager allant à l’encontre des prévisions initiales).</p>
<p>Si le confort thermique est un réel bien-être pour les usagers, le but premier de la rénovation énergétique reste la réduction des gaz à effets de serre. Pour parvenir à ce résultat, il est nécessaire de concilier bien-être, éducation populaire et réduction de la facture énergétique, sous peine de voir ces programmes coûteux ne pas déployer leur potentiel et générer frustration et incompréhension potentielle.</p>
<p>La concertation (avec les différents intervenants : ménages, associations, maîtres d’œuvre…) doit alors être au cœur du processus. Mieux, elle doit être apprise et comprise en étant impulsée comme principe et méthode par l’État pour servir de modèle à l’ensemble des acteurs.</p>
<h2>Quelles bonnes pratiques pour la planification écologique ?</h2>
<p>Les leçons à tirer pour la planification écologique sont multiples. Tout d’abord, la concertation est un processus complexe, long et hasardeux, mais qui doit être mise en place dès le départ.</p>
<p>La planification permet de fixer un cadre et des objectifs. Il est important, par la suite, que ces derniers soient décentralisés et mis en œuvre par les acteurs territoriaux, avec de réelles ressources et moyens pour les accompagner dans cette démarche.</p>
<p>Cette démarche de concertation collective via des associations d’éducation populaire ou des outils comportementaux (récompenses, coups de pouce – nudges – ou conseils – boosts –) est non seulement durable, mais a de nombreux impacts sur le long terme. Elle permet de ne pas réduire la question de la planification écologique à de simples dispositifs techniques, certes indispensables, mais largement insuffisants.</p>
<p>Pour conclure, on peut dire que la clé de voûte de la planification écologique repose sur plusieurs préconisations à intégrer dans l’agenda politique pour les prochaines années :</p>
<ul>
<li><p>La co-construction des scénarios de transition écologique avec les usagers comme condition préalable</p></li>
<li><p>La mise en place de programme d’éducation populaire et d’expérimentations de divers outils d’apprentissage vers la transition écologique (réduction des déchets, réduction de la consommation énergétique, nouvelles formes de mobilité…)</p></li>
<li><p>La volonté d’innover, tant du point de vue technologique que social, pour aboutir à des résultats ambitieux perçus comme utiles et justes</p></li>
<li><p>La volonté d’évaluer les résultats obtenus et de les diffuser à toutes les parties prenantes, pour apprendre des succès, mais aussi des échecs et tirer les leçons des méthodes locales</p></li>
<li><p>La capacité de dédier du temps et des ressources à la co-construction pour fédérer l’ensemble de parties prenantes, quitte à retarder à court terme les programmes en place</p></li>
<li><p>La décentralisation des moyens et des ressources pour que les acteurs territoriaux s’approprient la question de la mise en œuvre de la planification environnementale en fonction des spécificités et contraintes locales</p></li>
<li><p>La capacité de mesurer les bénéfices en matière de bien-être, d’inégalités et de réduction de gaz à effet de serre pour chaque programme engagé</p></li>
</ul>
<p>En conclusion, pour que la planification écologique puisse être perçue comme juste et utile, il faut changer la donne des pratiques en cours, ne pas chercher l’efficacité à tout prix, mais voir la portée des programmes sur le long terme et se donner le temps de la concertation collective.</p>
<p>C’est à ce prix que la programmation environnementale pourra offrir toutes les opportunités pour les citoyens, et fédérera le plus grand nombre autour de l’objectif fondamental : la réduction de notre empreinte carbone et l’héritage du bien commun aux générations à venir.</p>
<p>La tâche est ambitieuse, mais c’est à ce prix que la transition écologique et sa mise en œuvre pourront embarquer le plus grand monde de citoyens, et toucher leur cible initiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182699/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Lazaric ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La planification écologique est annoncée comme au cœur du prochain quinquennat. Pour fédérer les citoyens et atteindre ses objectifs, le gouvernement a tout intérêt à se tourner vers la concertation.
Nathalie Lazaric, Directrice de recherche en innovation et apprentissage, Université Côte d’Azur
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2022-04-20T15:08:53Z
2022-04-20T15:08:53Z
Les Québécois ont-ils été de « bons citoyens » durant la crise sanitaire ? Oui, disent les policiers
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458273/original/file-20220414-18-rv4bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3000%2C2074&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des policiers patrouillent la rue Sainte-Catherine à Montréal, le 12 avril 2021, pendant le couvre-feu imposé par le gouvernement du Québec. Les citoyens ont généralement suivi les règles sanitaires mises en place.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Dans les premiers mois de la pandémie de Covid-19, des membres du gouvernement québécois, ainsi que la mairesse Valérie Plante, <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-12-17/denoncer-les-partys-de-noel-c-est-la-chose-a-faire-dit-plante.php">ont exhorté les citoyens à dénoncer leurs voisins qui transgressaient</a> les règles sanitaires. On a aussi entendu la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbeault, <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/sur-le-vif/segments/entrevue/168376/docile-genevieve-guilbault-covid-19-rene-villemure">affirmer que les Québécois étaient dociles</a>.</p>
<p>C’est le corps policier qui avait la responsabilité de surveiller et de sanctionner les citoyens qui contrevenaient aux règles émises par Québec. Comment ont-ils vécu cette situation hors norme ?</p>
<p>Lors de nos recherches sur la régulation des comportements des citoyens pendant la première année de la crise sanitaire (mars 2020 à juin 2021), notre équipe, composée d’un spécialiste de l’administration publique et de deux chercheurs en éthique publique, a rencontré 37 cadres de 15 services policiers municipaux et plus de 149 patrouilleurs en groupes de discussion. Nous avons produit une <a href="https://cergo.enap.ca/cerberus/files/nouvelles/documents/CERGO/CRSH_Police_regulation%2011%20avril.pdf">recherche dans le cadre du programme de développement de partenariat Covid</a>.</p>
<p>Tous les groupes de discussion et tous les cadres en entrevue ont abordé la thématique du « bon citoyen ». </p>
<h2>De « très très bons citoyens »</h2>
<p>Les patrouilleurs, dont celui-ci, reconnaissent que les citoyens ont majoritairement respecté les consignes sanitaires :</p>
<blockquote>
<p>[…] honnêtement je pense que ça a été quand même bien respecté dans la population générale.</p>
</blockquote>
<p>Ce constat est partagé par les cadres, dont celui-ci, responsable des communications :</p>
<blockquote>
<p>Moi, j’ai envie de vous dire qu’en général, la très, très grande majorité des citoyens ont compris la nécessité de faire attention, d’appliquer des mesures.</p>
</blockquote>
<p>De façon symbolique, plusieurs patrouilleurs et cadres nous ont parlé de 80 % à 90 % des citoyens qui auraient respecté les consignes sanitaires du gouvernement.</p>
<p>Les répondants policiers ont beaucoup de respect pour cette autodiscipline des citoyens, car ils savent que cela exigeait beaucoup de sacrifice et de résilience. Un cadre responsable des relations avec le réseau nous a candidement dit :</p>
<blockquote>
<p>Moi, les citoyens, honnêtement, chapeau !</p>
</blockquote>
<p>Les patrouilleurs vont dans le même sens. Ils ont souvent parlé : « de très, très bons citoyens ».</p>
<h2>Peur de la maladie… et solidarité</h2>
<p>Les patrouilleurs et les cadres donnent différentes interprétations pour expliquer les raisons ayant amené les citoyens à se conformer aux consignes sanitaires.</p>
<p>Plusieurs patrouilleurs pensent que cela s’explique davantage par la peur de la maladie que la crainte de la police. D’autres, peut-être plus idéalistes, disent qu’ils ont senti que plusieurs citoyens ont respecté les décrets par solidarité avec les autres membres de la communauté. Pour sa part, un cadre responsable des relations avec le réseau et de la gendarmerie, très pragmatique, affirme :</p>
<blockquote>
<p>Les citoyens, même s’ils n’adhèrent pas à tout ça, vont quand même suivre les règles […]..[…] les gens comprennent qu’on fait tout le monde un effort.</p>
</blockquote>
<p>Pour les patrouilleurs, il y a eu des contraintes sanitaires plus faciles que d’autres à intégrer dans la routine de la vie quotidienne. Les exigences concernant le port du masque et le lavage des mains dans les commerces ont été vite intégrées aux habitudes de vie. La distanciation des jeunes dans les parcs et les rassemblements entre adultes, dans les maisons privées, ont toutefois fait partie des comportements transgressifs davantage fréquents.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un policier à vélo parle avec des gens assis par terre, dans un parc" src="https://images.theconversation.com/files/458276/original/file-20220414-26-3nemvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458276/original/file-20220414-26-3nemvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458276/original/file-20220414-26-3nemvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458276/original/file-20220414-26-3nemvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458276/original/file-20220414-26-3nemvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458276/original/file-20220414-26-3nemvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458276/original/file-20220414-26-3nemvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un policier en patrouille dans un parc, à Montréal, le 10 avril 2021. Les espaces publics, comme les parcs, ont été pris d’assaut par les citoyens durant la pandémie..</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les patrouilleurs et les cadres sont cependant lucides : le bon citoyen n’est pas nécessairement docile et soumis. En effet, malgré leur résilience et leur collaboration, la majorité d’entre eux se sont quand même autorisés de petites entorses aux décrets, comme le dit ce cadre responsable des relations avec le réseau :</p>
<blockquote>
<p>C’était sûr que les gens continuaient à souper ensemble, que les gens continuaient de se voir, mais en cachette […]</p>
</blockquote>
<h2>Une question d’équilibre mental</h2>
<p>Cela n’a cependant pas fait paniquer le milieu policier, car dans la majorité des cas, les citoyens restaient prudents lorsqu’ils faisaient ces tricheries. Ils ne tombaient généralement pas dans l’excès. Il s’agissait de transgressions occasionnelles et considérées nécessaires, par nos répondants policiers, pour l’équilibre mental et le maintien des liens sociaux de base.</p>
<p>Les patrouilleurs reconnaissent que, dans la majorité des cas, les citoyens qui ont fait de petites tricheries collaboraient avec eux. Ils acceptaient respectueusement l’avertissement qui leur était donné et se conformaient rapidement aux demandes des patrouilleurs. Il y a consensus, tant chez les cadres que chez les patrouilleurs, pour dire qu’il y a eu « une bonne collaboration des citoyens ».</p>
<p>C’est justement à cause de cette collaboration que les patrouilleurs arrivaient souvent à mettre fin à une situation transgressive, sans avoir à sanctionner le citoyen. Des acteurs du milieu policier ont d’ailleurs rappelé que la finalité de la Loi sur la santé publique n’est pas de pénaliser aveuglément les citoyens. C’est de protéger la santé et la sécurité des individus.</p>
<p>Sans surprise, les policiers ont évidemment reconnu avoir eu à gérer des cas plus lourds de transgressions chez certaines clientèles : les jeunes adultes, les itinérants, certaines communautés religieuses et des clientèles criminalisées connues. Sans compter les nombreux problèmes provoqués par les complotistes qui attiraient l’attention des médias sur leurs transgressions et tenaient des propos violents contre les patrouilleurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux policiers encadrent un homme portant un masque" src="https://images.theconversation.com/files/458275/original/file-20220414-24-qmsekq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458275/original/file-20220414-24-qmsekq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458275/original/file-20220414-24-qmsekq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458275/original/file-20220414-24-qmsekq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458275/original/file-20220414-24-qmsekq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458275/original/file-20220414-24-qmsekq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458275/original/file-20220414-24-qmsekq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un manifestant anti-vaccin discute avec des policiers à l’extérieur d’un bar sportif d’où il a été escorté, à Québec, le 11 août 2021. Les complotistes attiraient l’attention des médias sur leurs transgressions et tenaient des propos violents contre les patrouilleurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Jacques Boissinot</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Frustration accumulée et chicanes de voisins</h2>
<p>Pour les patrouilleurs, la durée de la crise sanitaire a aussi eu un impact négatif sur le moral des citoyens, entraînant de l’intolérance chez beaucoup d’entre eux. Cela a conduit à plusieurs vagues de dénonciations excessives qui reposaient sur de la frustration accumulée par des citoyens qui eux, se faisaient un devoir de respecter toutes les consignes à la lettre. Loin de considérer la dénonciation comme un acte de vertu, le milieu policier s’est fait plutôt critique face à ceux et celles qui ont pris d’assaut les lignes 911.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme est interpellée par deux policiers sur une rue du centre-ville" src="https://images.theconversation.com/files/458274/original/file-20220414-24-lrzqqc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458274/original/file-20220414-24-lrzqqc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458274/original/file-20220414-24-lrzqqc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458274/original/file-20220414-24-lrzqqc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458274/original/file-20220414-24-lrzqqc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458274/original/file-20220414-24-lrzqqc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458274/original/file-20220414-24-lrzqqc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des policiers interpellent une femme lors du début du couvre-feu imposé au Québec de 22h à 5h, le 31 décembre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Peter McCabe</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un policier, patrouilleur, affirme :</p>
<blockquote>
<p>Ben, c’est ça, le monde, au lieu de se servir de leur jugement, puis peut-être d’aller avertir leur voisin, ils aimaient mieux appeler la police, puis qu’on y aille, puis que, là, ça fait une chicane de voisins.</p>
</blockquote>
<p>Plusieurs patrouilleurs, dont celui-ci, trouvaient que les citoyens tombaient souvent bas dans la chasse aux sorcières :</p>
<blockquote>
<p>On devient l’instrument de vengeance des citoyens qui utilisent le système de justice pour faire chier son voisin […] Ce n’est pas ça le rôle de la police […]</p>
</blockquote>
<p>Certains policiers, dont ce patrouilleur, disent que des citoyens se servaient du prétexte sanitaire pour régler de vieilles chicanes de voisins :</p>
<blockquote>
<p>Des voisins qui décident d’appeler pour régler des vieilles chicanes de clôture pour que l’autre aille un ticket de 1500 $, parce que, là, il a invité quelqu’un chez eux, ça on en a vu.</p>
</blockquote>
<p>Des policiers, dont ce patrouilleur, trouvaient vraiment problématique de voir des dénonciateurs surveiller par la fenêtre pour s’assurer que les policiers sanctionnent le voisin :</p>
<blockquote>
<p>Bon là, le voisin appelle, il veut que je débarque. Là, si je ne fais rien, qu’est-ce qu’il va dire ? Il va rappeler : “Heille, ta police, elle n’a pas fait sa job, il y a un constat qui doit être donné”.</p>
</blockquote>
<p>On entre ainsi dans une dynamique où la police se fait policer par les citoyens guetteurs qui veulent imposer leur propre interprétation des lois.</p>
<p>À la lumière de ces résultats, on constate donc que le milieu policier préfère nettement faire affaire avec « monsieur et madame Tout-le-Monde », qui se permettent de faire de petites transgressions occasionnelles, plutôt qu’avec les prétendus « vertueux » qui veulent « jouer à la police » à leur place.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181010/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Boisvert a reçu des financements du CRSH. Cette recherche a été réalisé dans le cadre du programme de développement de partenariat COVID. Le partenaire de cette recherche est l'Association des directeurs de police du Québec (ADPQ).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Étienne Charbonneau est co-chercheur dans la recherche dirigée par Y. Boisvert et financée par le CRSH dans le cadre du programme de développement de partenariat COVID.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Luc Bégin est co-chercheur dans la recherche dirigée par Y. Boisvert et financée par le CRSH dans le cadre du programme de développement de partenariat COVID. </span></em></p>
Une recherche auprès des corps policiers du Québec démontre que les Québécois se sont comportés généralement en « bons citoyens » durant la pandémie, et ont respecté les mesures sanitaires.
Yves Boisvert, Professeur titulaire en éthique et intégrité du service public, École nationale d'administration publique (ENAP)
Étienne Charbonneau, Professeur & titulaire de la Chaire de recherche du Canada en management public comparé, École nationale d'administration publique (ENAP)
Luc Bégin, Professeur de philosophie, Université Laval, Université Laval
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/177393
2022-03-09T19:16:24Z
2022-03-09T19:16:24Z
Les effets du recours aux cabinets de conseil sur l’évaluation des politiques publiques locales
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/449547/original/file-20220302-23-1vr5lhs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1020%2C764&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans le livre 'Les Infiltrés', les enquêteurs révèlent comment les cabinets de conseil privé se sont invités au coeur des lieux de décisions étatiques, comme à l'Elysée. Ici le salon Murat. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons">Wikimedia/Chatsam</a></span></figcaption></figure><p>L’actualité du livre <a href="https://www.liberation.fr/politique/les-infiltres-les-cabinets-de-conseil-a-lassaut-de-la-fonction-publique-20220222_BSWPTIYSCVBKHGR7T3AKJK6NOI/"><em>Les infiltrés</em></a> montre que le recours aux cabinets de conseil est devenu quasi généralisé dans les administrations pour réaliser des expertises sur des domaines relevant du secteur public.</p>
<p>Ce constat va dans le sens d’un rapport récent sur l’externalisation croissante dans le secteur public par le collectif <a href="https://nosservicespublics.fr/externalisation">« Nos services publics »</a>, lequel montre des pertes de compétences dans les organisations publiques suite à de nombreuses externalisations de missions d’expertises (par exemple savoir mesurer et évaluer les risques liés à un grand investissement pour une administration ou une collectivité).</p>
<p>C’est particulièrement le cas en matière d’évaluation des politiques publiques. En effet, de par l’extension de leurs compétences et l’accroissement des attentes des citoyens, imposant une plus grande transparence et efficacité dans l’utilisation des deniers publics, les collectivités développent le recours aux <a href="http://www.sfe-asso.fr/evaluation/presentation-evaluation">évaluations</a> de leurs politiques publiques locales. Si le concept d’évaluation admet des <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00473749">pratiques</a> et des <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2013-4-page-835.htm">effets divers</a>, on peut alors s’interroger sur les modalités actuelles de mises en œuvre (réalisation par les services internes ou bien externalisation de l’évaluation) et les apprentissages retirés par les organisations commanditaires.</p>
<h2>Retour des évalués</h2>
<p>À ce titre, nous avons réalisé une étude pour la <a href="https://optima.univ-pau.fr/fr/index.html">chaire Optima de l’Université de Pau</a> fin 2018 et près de 400 collectivités locales françaises ont répondu sur leurs pratiques en matière d’évaluation des <a href="https://hal-univ-pau.archives-ouvertes.fr/hal-02427799">politiques publiques</a>. Il y ressort des résultats intéressants sur les modalités pratiques d’évaluation et sur les impacts en termes d’apprentissage.</p>
<p>Sur le premier point concernant les modalités, les évaluations sont réalisées dans un tiers des cas par des cabinets extérieurs pour évaluer leurs politiques publiques. Les résultats statistiques montrent que ce sont des évaluations « liées à une obligation légale », « plutôt ponctuelles », avec « des indicateurs liés au besoin du territoire », qui sont associées aux évaluations menées par des cabinets de conseil.</p>
<p>Ce constat suggère que les collectivités recourent à des évaluations de politiques publiques menées par des cabinets dans des situations particulières, complétant le pilotage quotidien. Par exemple une politique d’aide sociale fait l’objet d’une évaluation par un cabinet à un moment donné en réponse à une demande d’un co-financeur, telles l’Union Européenne ou la Caisse d’allocation familiale, et ceci complète des évaluations d’actions locales menées par les services de la collectivité directement.</p>
<p>Sur le second point concernant les apprentissages générés par ces missions, la théorie distingue l’apprentissage culturel (évolution des représentations des acteurs (ici les cadres et agents administratifs, les élus locaux), l’apprentissage cognitif (les connaissances générées et les décisions prises), et l’apprentissage structurel (évolution des processus et fonctionnement de la collectivité).</p>
<p>Dans ce sens, nos résultats montrent que les trois variables statistiquement significatives associées au recours à des cabinets sont sous-tendues par les effets suivants :</p>
<ul>
<li><p>faire évoluer la culture interne vers une meilleure prise en compte des besoins du territoire ;</p></li>
<li><p>modifier les objectifs et orientations stratégiques ;</p></li>
<li><p>faire évoluer la culture interne vers une logique d’amélioration continue (variable avec une influence négative).</p></li>
</ul>
<p>Ce résultat suggère que le recours à des évaluations menées par des cabinets favorise de ce fait l’apprentissage culturel (à travers une meilleure prise en compte des besoins du territoire), mais ne permet pas d’apprentissage structurel (absence d’amélioration continue).</p>
<p>Aussi, pour générer des apprentissages dans les collectivités, les évaluations devraient être à la fois plus diverses (menées par des prestataires extérieurs, mais aussi par des services de la collectivité) et plus fréquentes, tendre vers une régularité afin d’engendrer des résultats durables et des aides à la décision.</p>
<h2>Créer un service centralisé dédié à l’évaluation des politiques locales</h2>
<p>Ces résultats suggèrent aussi qu’il est important, quand ce n’est pas le cas, de créer un service centralisé dédié à l’évaluation des politiques locales, idéalement rattaché au directeur général des services, pour éviter les dépendances avec les directions métiers. Associée à une plus grande implication des différents acteurs (agents administratifs et personnel politique), des apprentissages structurels seraient alors possibles.</p>
<p>Cette préconisation d’un service dédié à l’évaluation des politiques locales milite ainsi pour une internalisation des compétences évaluatives. Le fait d’externaliser les missions d’expertise entraine en effet progressivement une perte de compétences (lien vers le site <a href="https://nosservicespublics.fr/">nosservicepublics.fr</a>) et une difficulté pour « revenir en arrière » si la collectivité souhaite faire mener ensuite une évaluation par ses propres services, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/01/07/on-assiste-a-une-nouvelle-etape-dans-la-privatisation-de-l-action-publique_6065458_823448.html">par manque de ressources humaines et financières</a>.</p>
<p>Or, sans service évaluation ou conseil de gestion, cela signifie souvent la reconstruction entière de compétences ou de savoir-faire perdus pour l’organisation publique, ce qui s’avère d’autant plus délicat que l’externalisation est ancienne.</p>
<p><a href="https://lib.umso.co/lib_ufoFEvhlRMwflNFx/6qxn1ssrizzmsk3b.pdf">Le recours à des prestataires externes</a> entraîne en conséquence une perte de savoir-faire de la puissance publique, incapable de mettre en œuvre de façon autonome nombre de ses politiques publiques. L’illustration au niveau national correspond au marché conclu avec des cabinets de conseil pour mettre en œuvre la stratégie nationale de vaccination contre le Covid-19, au moment même où disposer d’une administration de la santé était le plus nécessaire. Au niveau local, l’exemple actuel d’une grande collectivité de l’ouest de la France engagée dans une démarche environnementale qui a dû demander à un groupement d’entreprises de réaliser l’évaluation de ses investissements environnementaux n’ayant pas les compétences en interne.</p>
<p>En outre, l’évaluation réalisée par des services de la collectivité permet une méthodologie « sur mesure » de la démarche alors qu’un cabinet propose souvent une méthodologie robuste mais standardisée, bien qu’adaptable à la marge. Cette adaptation de la démarche évaluative au contexte interne et externe de la collectivité nous semble favoriser les apprentissages possibles des connaissances produites par la démarche évaluative. Il apparait donc que la réappropriation de l’évaluation est un élément important pour favoriser les effets attendus, avec des évaluations plus régulières menées par la collectivité, portant sur l’ensemble des politiques publiques, avec des formats courts privilégiant <a href="https://www.berger-levrault.com/fr/communique-de-presse/le-pilotage-des-politiques-publiques-locales-de-la-planification-a-levaluation/">l’aide à la décision stratégique</a>. Ces dernières peuvent ensuite être complétées par des évaluations menées à un moment spécifique par des cabinets spécialisés venant réinterroger et/ou approfondir les pratiques évaluatives de la collectivité.</p>
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<p><em>Nicolas Pouzacq a contribué à cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177393/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Carassus a reçu des financements de collectivités locales et de leurs partenaires dans le cadre de la chaire OPTIMA (Observatoire du PiloTage et de l'Innovation Managériale locAle) de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christophe Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les effets du recours à des prestataires pour la réalisation des évaluations de politiques publiques locales.
Christophe Maurel, Professeur en sciences de gestion, IAE Angers - Université d'Angers
David Carassus, Professeur en sciences de gestion, IAE Pau-Bayonne
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